Beach House, voyage au septième ciel

Beach House, voyage au septième ciel

En à peine dix ans, Beach House a porté la dream-pop sur toutes les lèvres. Ou celles au moins, de toute une génération à laquelle ses mélodies rêveuses et irréelles ont servi de bande-son. Douze ans, précisément, que le duo de Baltimore affine album après album ses morceaux cotonneux dans lesquels il fait si bon se lover. Une formule qu’il bouscule sur son septième album, sobrement baptisé 7, pour lui offrir des contours plus sombres et psychédéliques sans jamais se départir toutefois du romantisme qui la caractérise.
Le vendredi 9 mars, sous un ciel lourd et orageux, on retrouve Victoria Legrand, moitié du duo de Baltimore, dans un hôtel de Pigalle. L’occasion évidemment d’échanger avec elle sur ce nouvel album. C’est aussi une journée promo marathon pour la chanteuse franco-américaine (elle est née à Paris) qui se montre pourtant d’une attention et d’une gentillesse à toute épreuve s’agissant de répondre à nos questions. Et ce malgré la présence d’une improbable barre de pôle-dance dans l’espace confiné où nous nous trouvons…

Je trouve que le son de 7, ce nouvel album, est plus abrupt que précédemment. Vous vouliez vous affranchir de la réverbération ?

Sur les parties vocales en particulier, c’est vrai qu’il y en a moins de reverb. Nous nous sommes naturellement orientés vers ce résultat. Je pense que nous en avions besoin. Par le passé, nous avons beaucoup eu recours à la reverb parce que j’aime l’effet qu’elle produit. Mais nous ne l’avons jamais utilisée pour masquer quoi que ce soit dans notre musique. Ç’aurait de toute façon été une erreur. Sur cet album, j’aime la texture de ma voix. Tu peux vraiment la sentir. C’est une des choses qu’on apprécie le plus sur ce disque et ajouter de la reverb aurait probablement gâché ça.

La musique de Beach House a toujours été empreinte d’un doux psychédélisme. Mais avec 7, vous semblez complètement embrasser cette esthétique. C’est un parti pris vers lequel vous vous êtes consciemment tournés ?

Victoria Legrand : Oui, j’y ai longuement réfléchi. C’est un mot que je répète beaucoup en fait. ‘Psychédélique’. C’en est presque devenu un tic de langage. C’est ma façon à moi de décrire ce qui est capable de te submerger et de t’hypnotiser. Et je pense que c’est le terme qui définit le mieux cet album. Que ce soit les morceaux ou la pochette du disque, tout reflète cette esthétique. Mais pour moi, c’est moins une façon de provoquer des réactions du type (elle prend une voix de mec défoncé, NdR) : ‘Oh man, c’est trop chelouuu‘, que de te poser des questions. Qu’est-ce que tu ressens ? Qu’est-ce que tu vois ? Qu’est-ce que ça t’inspire ?

Et toi, qu’est-ce que tu penses apporter aux personnes qui écouteront ce disque ?

J’ai 36 ans maintenant et plus je vieillis, plus il y a de personnes plus jeunes que moi. C’est inévitable. Alors crois-le ou non, mais je me dis qu’il y a sûrement des gamins un peu partout dans le monde qui n’ont jamais vu ce genre de visuels. Je sais bien que nous ne sommes par les premiers à l’utiliser, mais c’est cool de se dire qu’on peut quand même apporter ça à certains kids. Eh oui, bienvenue dans le monde merveilleux des trucs cools qui existent depuis des décennies !

Tu vois ça comme un travail de transmission en fait ?

Oui. Il n’y a plus tellement d’idées neuves aujourd’hui. Ce qui compte, c’est la façon dont toi tu vas réinterpréter cet héritage pour offrir quelque chose d’un peu différent. Faire ce disque a  vraiment été une expérience saisissante. Il fallait que tout soit en mesure de percuter l’auditeur. C’était le plus important. Je voulais que le son soit vraiment épais, puissant et graphique. Je suis aussi une grande admiratrice du travail d’Andy Warhol avec la Factory, de tout ce qu’il a produit entre la fin des années 60 et le milieu des années 70. C’est une grosse inspiration, et c’était très stimulant de mélanger tout ça pour créer un univers visuel qui soit captivant.

Vous avez aussi fait appel à Sonic Boom (ex-membre des cultes Spacemen 3 et chantre de la musique psychédélique expérimentale) pour participer à la création de ce disque. Tu peux m’en parler ?

Sonic Boom a toujours fait partie des artistes qu’on admire et respecte, que ce soit pour son travail avec les Spacemen 3, Spectrum ou d’autres. Il est la seule personne avec laquelle nous avons pensé travailler pour ce disque. Mais on ne savait pas trop à quoi ressemblerait une collaboration… Alex (Alex Scally, le guitariste du groupe, NdR) et moi, sommes assez réservés lorsqu’il s’agit de laisser quelqu’un pénétrer notre monde. Et on ne savait pas non plus si Sonic Boom accepterait de travailler avec nous. Il aurait très bien pu dire : ‘Hors de question. Je déteste leur musique‘. Mais les choses se sont passées autrement. Il s’est avéré bien plus gentil, bienveillant et patient que tout ce que nous aurions pu imaginer.

Quel rôle a-t-il joué sur l’album ? Celui d’un producteur ?

On s’est toujours considérés nous-même comme les producteurs de Beach House. Officiellement, Sonic Boom est crédité comme coproducteur sur ce disque parce qu’il a définitivement contribué à certaines idées. Mais c’est surtout son énergie qui a été primordiale. Nous sommes des personnes plutôt intenses et tournées vers le contrôle quand nous travaillons. Lui nous a aidé à lâcher prise et à tenter de nouvelles choses car c’est ce que nous voulions au départ.

James Barone, qui jouait déjà de la batterie sur votre précédente tournée, a aussi participé à l’enregistrement de l’album. C’est le nouveau membre de Beach House ?

On joue avec James depuis deux ans, et tout est très naturel avec lui. On n’a pas besoin de parler pendant des heures pour se comprendre. On se sent donc très chanceux de l’avoir avec nous. Mais il a aussi plein d’autres activités en dehors de Beach House. Notamment son studio d’enregistrement à Denver. Et nous ne voulons piéger personne à l’intérieur du groupe. On est juste heureux qu’il soit là, aussi longtemps qu’il le voudra.

Beach House fait partie de ces groupes à l’identité musicale très marquée, dont on peut immédiatement identifier les morceaux. Est-ce qu’à un moment tu as eu le sentiment d’être piégé par les attentes ? De ne plus pouvoir t’en extraire ?

Tu peux toujours trouver de nouveaux espaces à explorer. Je pense d’ailleurs que c’est nécessaire pour rester en vie. Jamais je n’aurais prédit que cet album sonnerait comme ça lorsqu’on a commencé à travailler dessus. Nous avons cassé nos propres codes. Mais c’est arrivé parce qu’on le voulait. On n’avait pas envie de retourner dans le même studio, faire appel à Chris Coady (producteur des quatre précédents albums du groupe, NdR) et tout recommencer à l’identique. On se sentait prêt à tenter de nouvelles choses On avait besoin de se sentir libres. Et je pense que quand tu prends des risques, d’une certaine manière, l’univers te le rend bien. Dès les premières prises en studio, je me suis dit : ‘Merde, ce qu’on est en train de faire s’annonce très différent de tout ce qu’on a fait auparavant !‘.

Dans quel état d’esprit étais-tu à ce moment-là ?

Je me sentais prête à tout essayer. Alex écrivait des brides de morceaux et me les faisait écouter. Comme le titre Black Car. Quand j’ai entendu sa première version, je me suis dit : ‘Mais c’est quoi ce truc ?‘. J’ai demandé à Alex : ‘Depuis combien de temps tu me caches de choses comme ça ?‘ (Sourire) Un vrai tour de magie.

De façon plus générale, est-ce qu’écrire pour Beach House nécessite une certaine disposition d’esprit ?

Je pense que nous avons juste besoin d’énergie. Pas d’être heureux ou triste. Je peux être n’importe où, avec Alex ou non, pour le faire. Des paroles vont me venir en tête et je vais les écrire. Par exemple, je savais que le morceau Girl of the Year devait s’appeler ainsi. Ce titre m’est simplement venu comme ça. (Elle claque des doigts) D’ordinaire, c’est moi qui écris les paroles dans Beach House. Mais Alex a participé cette fois. C’est une faculté nouvelle pour moi d’écouter les mots de quelqu’un d’autre et de réagir en conséquence pour en écrire d’autres.

Vous travaillez parfois à distance Alex et toi ?

Principalement en face à face. Je n’aime pas travailler par ordinateur. Je suis plutôt vieux jeu… Ça nous arrive d’échanger des choses par mail. Mais quand un morceau prend vie, on est nécessairement l’un face à l’autre. Il nous faut de la proximité. Et puis on vit tous les deux à Baltimore. Le truc dingue concernant le songwriting, c’est que tu peux passer des heures à écrire un tas de choses plutôt mauvaises quand soudain vont surgir six mots qui vont tout changer. C’est un sentiment très étrange, libérateur, comme quand quelque chose devient évident sous tes yeux.

Pour la première fois aussi, tu chantes en français sur L’Inconnue. Peux-tu m’expliquer comment t’es venu ce morceau ?

Je me suis toujours dit que si je devais écrire en français, il fallait que cela vienne naturellement. J’ai écrit les paroles de L’Inconnue il y a quatre ans. J’avais notamment le début (elle chante) : ‘Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, toutes les filles ne sont pas prêtes…‘. Je l’ai gardé et je l’ai seulement un peu modifié depuis. Ça faisait sens d’écrire cela en français. Il le fallait même si je ne saurais pas trop expliquer pourquoi.

Est-ce que certains artistes français ont stimulé ton imaginaire ?

Oh oui, complètement ! Plein d’artistes, des vieux trucs qui datent des sixties. Alex adore Françoise Hardy, et on est tous les deux fans de Serge Gainsbourg, notamment des albums qu’il a composés pour Jane Birkin. Je pourrais t’en citer beaucoup d’autres mais là, je ne me souviens pas de tout… Quoi qu’il en soit, je ne sais pas si je chanterai à nouveau un jour en français. Je suis juste heureuse que ce soit arrivé. Je me demande quand même ce que les Français vont en penser…

Les gens sont plutôt bienveillants envers ce genre de démarche. Je pense que tu n’as pas trop d’inquiétude à te faire. (Sourire) Depuis Teen Dream, j’aime également beaucoup la façon dont vous concluez vos disques. Le dernier morceau est souvent très spécial, plus long et intense que les autres. Je pense notamment au titre Irene, sur Bloom.

Enregistrer ce titre fut l’un des meilleurs moments de la création de cet album. Il s’agissait d’une prise en direct, spontanée, et quand tu obtiens un moment comme celui-ci, c’est très précieux. Le studio doit être un moyen de capter cette énergie. Voilà pourquoi nous avons construit notre propre studio d’enregistrement. Nous sommes désormais capables de produire très rapidement sans devoir attendre quelqu’un d’autre. Mais désormais, les gens nous demandent pourquoi nous allons enregistrer ailleurs. En fait, c’est toujours amusant d’aller dans un autre studio ! Et puis il y a du matériel dont on ne dispose pas non plus. Comme des micros à 40 000 dollars par exemple. Le but, ce n’est pas d’avoir du matériel hors de prix – on n’a jamais été fan de vintage, par exemple – simplement des outils qui vont servir nos idées. Sur tous nos albums mais particulièrement sur celui-ci, tu as ce mélange entre du matériel haut-de-gamme et un autre plus cheap.

Pour revenir encore un peu en arrière, peux-tu me raconter comment tu en es venue à te consacrer à la musique ?

Je crois que tout a commencé quand j’étais enfant. Mes parents étaient plongés dedans et donc la musique était très présente dans nos vies, tout comme l’art en général. Elle faisait partie de mon monde avant même que j’apprenne un instrument. Quand tu es enfant, tu ne mesures pas l’aspect émotionnel de la musique. Tu l’apprécies juste telle quelle. Tu te mets à danser spontanément… C’est en grandissant que les choses changent. La musique prend une nouvelle dimension. Tu connais ta première peine de cœur, ta première perte, ton premier deuil… J’ai commencé à chanter dans des groupes à quatorze ans. Mais je ne m’imaginais pas devenir chanteuse. Je ne l’ai jamais su d’ailleurs. C’est venu sans y réfléchir. Bien sûr, il y a aussi eu des moments où il a fallu prendre les devants. Je suis venue vivre à Paris à 21 ans pour suivre une formation en théâtre. Mais j’en avais marre. Je n’arrêtais pas de penser à la musique. C’est là que j’ai décidé de rentrer à Baltimore pour former un groupe avec la seule personne que je connaissais sur place.

Et cette personne, c’était Alex.

Et non ! Il s’agissait d’un autre gars que j’avais connu à l’université. Mais c’est bien lui qui m’a présenté à Alex. Parfois, même si les choses semblent évidentes, il faut quand même prendre un risque. Se lancer. Se mettre dans une position pas très confortable. Essayer différentes choses. Donner quelques premiers concerts horribles. Composer des morceaux vraiment nuls avant d’en faire de meilleurs. Tout le monde fait des choses embarrassantes à un moment donné de sa vie. Souvent dans ta jeunesse, et plus tard, tu espères que personne n’ira déterrer ça ! Mais tu sais aussi que si tu n’étais pas passé par là, tu ne serais pas là où tu en es aujourd’hui. Petite, la musique ne me donnait pas envie de pleurer. Mais aujourd’hui, quand j’écoute les morceaux qui ont jalonné mon enfance… Mon Dieu ! C’est une sensation tellement dingue ! Comme quand j’entends Casse-Noisette de Tchaïkovski. Ça réveille quelque chose de profond en moi.

Comme de la nostalgie ?

Comme se jeter dans un terrier de lapin avec de l’imagination et plein de fascination. Je n’ai pas d’autres mots pour décrire cette expérience. C’est purement physique et émotionnel.

Et est-ce qu’il t’arrive d’observer les effets de ta propre musique quand tu es sur scène ?

On se produit plutôt dans l’obscurité en concert parce qu’on veut que les gens puissent complètement s’immerger dans la musique. Qu’ils s’y perdent. Mais je peux quand même voir leur visage et j’observe des choses merveilleuses. Je trouve ça magnifique lorsque des gens se rassemblent sans se connaître les uns les autres pour expérimenter une même chose. Quelque chose de très personnel. Certains pleurent, d’autres crient, d’autres encore dansent… Tout le monde se laisse porter par le trip.

Wow, c’est une vision très hippie !

Je sais ! (Rires) Je suppose qu’il y a dans chacun de nous un petit hippie qui vit. Pour moi, être hippie, ça signifie aimer la musique, la nature et les gens. Dans ce cas-là, je suis une hippie. Et c’est ce que je souhaite. Tout ce que je veux, c’est de l’amour… et de la magie !

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