
26 Juin 25 Bank Myna fait sauter ses chaines
Quatuor aussi discret qu’essentiel dans le paysage varié du post rock hexagonal, Bank Myna a sorti en avril dernier le sombre et habité Eimuria. Ce deuxième long format marque une étape solide dans le parcours du groupe qui a connu bien des évolutions depuis sa création en 2013. Line-up renforcé par l’arrivée d’un nouveau batteur, développement d’un univers artistique et thématique cohérent et profond, prises de risque en studio… Autant de sujets sur lesquels nous sommes revenus avec les quatre membres de la formation.
A la sortie de votre premier EP en 2016, votre son pouvait s’apparenter à un post rock très porté sur la mélodie et les structures en montagnes russes classiques du genre. Par la suite, votre univers est devenu plus profond, plus solennel. Avec un peu de recul aujourd’hui, savez-vous ce qui vous a orienté dans cette direction ?
Daniel Machón (basse) : Il y a eu plusieurs choses, à commencer par des changements de batteurs. Ça a eu un impact sur Volaverunt, notre premier album. Notre batteur de l’époque est parti et on s’est retrouvé à trois membres, avec des ébauches de nouvelles compositions. Peu de temps après, on nous a proposé de jouer au festival Post In Paris, une opportunité qu’on ne voulait surtout pas rater. Pour interpréter les anciens morceaux et finir nos nouvelles idées, on a alors utilisé des machines et des rythmes électroniques. On a notamment écrit un morceau très long avec des passages qui rappelaient nos précédentes compositions. Ça a été la base de Volaverunt. Malgré tout, avec le recul, il manquait quelque chose à cet album. C’est là que Constantin est arrivé. On a fait toute la tournée de ce disque avec lui. Pour Eimuria, il a été pleinement intégré à la composition.
Maud Harribey (chant/violon) : Pour Volaverunt, on a voulu s’affranchir du côté rythmique et partir dans quelque chose de complètement expérimental. En plus du changement de batteur, j’ajouterais que ça fait douze ans qu’on joue ensemble. Nos quatre identités musicales ont évolué au cours de toutes ces années au contact les unes des autres, et c’est ce qui explique en partie notre évolution.
Fabien Delmas (guitare) : La vie est en effet passée par là. Petit à petit, on est allé vers des choses qui nous obsédaient musicalement, des sonorités plus lourdes, plus dark. Quand on s’est retrouvé sans batteur, on s’est dit que c’était peut-être le moment de poser les choses à plat et de prendre des risques.
Justement, qu’est-ce qui a changé avec l’arrivée de Constantin, humainement et musicalement ?
Constantin du Closel (batterie) : Ça s’est très bien passé dès le début. Je suis arrivé pour soutenir la sortie de Volaverunt et j’ai voulu reproduire en live ce qui avait été composé sur l’album. Mais les autres m’ont dit d’emblée d’interpréter les morceaux en faisant ce qui me plaisait. Venant du milieu plutôt post rock / post metal, la rythmique a alors évolué en ce sens. Pour le deuxième album, j’ai approché les choses différemment en pensant la batterie de manière plus percussive, moins évidente. J’en ai aussi profité pour me sortir de ma zone de confort.
Maud : Tu es allé plus loin que la partie rythmique dans la composition. Avec l’arrivée de Constantin, on a vraiment ajouté une quatrième identité musicale au groupe. Ça nous a fait grandir.
Les textures sonores du disque sont extrêmement riches, entre drones, distorsions, claviers, violons… Comment travaillez-vous ces couches ? Y a-t-il un processus de hiérarchisation ou tout est intuitif ?
Maud : Le rendu final donne l’impression que c’est très texturé, mais il n’y a pas tant de pistes que ça. C’est un travail de texturisation dès le départ sur le son, avec nos pedalboards, les percussions… Les seuls arrangements sont du côté des chœurs. Il n’y a qu’une piste de violon par exemple.
Fabien : On l’a enregistré live, et on a voulu garder le truc le plus live possible.
Pour ce type d’enregistrement, il faut être vraiment prêt quand on arrive en studio. Les morceaux étaient déjà aboutis à ce moment ?
Maud : Les squelettes des morceaux étaient prêts. Les chœurs ont été faits a posteriori mais ils étaient déjà composés avant. On est arrivé en studio avec l’objectif de faire du live avec une base en place. Le temps est passé très vite et on n’a pas eu l’occasion de faire plus que ça, de toute façon.
Vous avez travaillé à nouveau avec Mathieu Gaud pour le mixage, et avec Harris Newman pour le mastering, qui est une figure très connue dans le milieu expérimental et post rock de Montréal. C’est une alliance assez stratégique. Entourés de personnes que vous connaissiez déjà, est-ce que vous souhaitiez partir sur quelque chose de similaire à votre précédent album ou aller plus loin ?
Fabien : Les deux, car il y avait des inconnus. On ne savait pas exactement quelle facture sonore on aurait en bout de course. Bien sûr, on est arrivé avec nos démos, mais elles sonnaient très home studio. Les conditions d’enregistrement ont été vraiment différentes par rapport à la dernière fois, y compris pour Mathieu. On savait juste qu’on allait dans un studio avec des pièces qui résonnent. Enregistrer dans un lieu inconnu, avec des personnes qu’on ne connaît pas, c’est toujours un gros risque, d’autant plus que passer en studio coûte cher. Ça tourne comme dans un taxi. Le fait qu’on se soit entouré de personnes avec qui on avait déjà travaillé a permis de réduire le risque de se planter. Malgré ça, on a réussi à se comprendre et à aller au bout.
Daniel : Avec Mathieu, on avait déjà un dialogue et un vocabulaire communs. On pouvait décrire ce qu’on voulait, en utilisant des mots d’une certaine manière, et on se comprenait bien. D’ailleurs, comprendre la façon de parler de la musique de chacun est toujours quelque chose de très important. Dans nos références par exemple, il y avait notamment BIG|BRAVE, mais on ne voulait pas que ça sonne comme eux, car tout ne nous plaît pas dans leur musique, et c’est en discutant qu’on a pu déterminer précisément ce qui nous intéressait chez eux.
Le résultat diffère-t-il de ce que vous projetiez au début ?
Constantin : Mathieu nous avait demandé des références. Même si on avait des noms en tête et qu’on se disait que ça pouvait matcher avec notre musique, on partait complètement à l’aveugle sur la façon dont ça sonnerait sur disque. Comme le disait Fabien, on est donc parti au studio Vetter, en Bretagne, recommandé par un des amis de Mathieu, où il y a tout ce qu’il faut pour faire de l’enregistrement live.
Maud : Je ne savais pas comment je voulais que ça sonne, mais je tenais à ce que le côté organique et l’osmose qu’il y a quand on joue soient retranscrits. Il y a eu par exemple dans The Other Faceless Me beaucoup de passages free, sans guide ni tempo vraiment définis. On l’a enregistré chacun dans des pièces séparées, et j’ai ressenti un truc incroyable, comme si je vous voyais avec mes oreilles.
Constantin : Par rapport à ça, comme on a fini d’écrire l’album tout juste avant de partir enregistrer, les morceaux étaient vraiment tout frais. Souvent, au moment d’enregistrer un album que tu as terminé depuis six mois, tu n’as plus le côté vivant des débuts d’un morceau. Là, tout était plus spontané et je pense qu’on a réussi à capter cette sensation.
Il y a une attirance assez évidente pour la/les langue/s chez vous. Vous avez des titres en anglais, en français, en espagnol, mais aussi en suédois ou en latin, comme le titre de votre premier album. D’où proviennent ces choix ?
Fabien : Je ne suis pas sûr que ça soit une démarche voulue. On ne cherche pas à dire qu’on est polyglotte. Ça vient plutôt du fait d’avoir plusieurs formes esthétiques dans le groupe, et ça passe en partie par le fait d’employer plusieurs langues. Je pense que ça fonctionne bien avec notre musique. Tel que je le ressens personnellement, c’est aussi une façon de ne pas être dans l’américanisation à outrance. Même si ce qu’on fait est très inspiré par les musiques anglo-saxonnes, il n’y a pas que cette influence dans notre musique, au contraire. Et enfin, les noms de certains de nos morceaux proviennent d’œuvres d’art. Donc si l’œuvre dont on s’est inspiré a un titre en latin, on va garder le titre tel quel.
Maud : C’est aussi une manière de montrer qu’il n’y a pas que l’anglais qui compte dans les genres de musique qu’on pratique, même si la quasi totalité des paroles sont en anglais.
C’est le chant et l’interprétation qui guide le choix de la langue ou l’inverse ?
Maud : C’est totalement le chant. Je ne pourrais pas chanter en français, car ce n’est pas une langue qui colle avec ce que je chante, musicalement et phonétiquement parlant. Je n’ai pas la même voix selon que je chante en français ou en anglais. La raison pour laquelle je chante en anglais est purement esthétique. Il y a eu un titre en suédois aussi, parce que j’adore cette langue.
Le titre Eimuria intrigue par sa sonorité et son mystère. Que signifie-t-il pour vous ?
Maud : On voulait éviter un mot qui soit trop direct. Il fallait que ça suscite un questionnement, un peu comme Volaverunt. Pour le mot en lui-même, c’est du vieil allemand qui veut dire ‘braise’.
Constantin : On a mis beaucoup de temps à trouver le nom. On s’était basé sur les paroles de Maud qui parlent beaucoup d’émotions refoulées. En essayant de traduire toutes ces émotions viscérales, le mot ‘braise’ m’est venu. On a d’abord essayé tous les synonymes, y compris en anglais, mais on ne voulait pas d’anglais.
Fabien : Il y a eu la tentation du titre post rock poétique à rallonge mais on préférait un mot un peu énigmatique.
On mentionne souvent le côté cathartique, ritualistique même, de votre musique, que vous revendiquez d’ailleurs. Sans verser trop dans la disserte de philo, est-ce que vous avez identifié ce que vous cherchez à libérer ?
Maud : Une grosse part de l’album veut qu’on se libère des normes sociales, et notamment des émotions qu’on garde à l’intérieur de soi. Ça peut aussi bien être quelque chose comme de la colère que des émotions positives. Il y a quelques passages lumineux dans l’album. On cherche à exprimer tout ce qu’on n’ose pas dire parce que ce n’est pas accepté par les normes de notre société.
Fabien : Faire de la musique et faire de l’art en général est un acte de libération. On emmagasine tous des émotions et c’est une bonne chose d’avoir cette forme pour lâcher prise.
Quels sujets sont abordés dans les textes ?
Maud : Ce sont des textes personnels qui, j’espère, résonnent en chacun de nous. Je n’en dirai pas plus, mais je retranscris des émotions et des expériences assez universelles. Au cours de la composition de l’album, Dani est venu avec cette idée de pierre de folie, venue du Moyen-Âge…
Daniel : Pour les gens considérés comme fous au Moyen-Âge, on pratiquait une opération de trépanation pour extraire du crâne la pierre de folie. Pendant la conception de l’album, on parlait beaucoup de formes, de solides, de sculptures, du contraste entre l’ombre et la lumière, mais aussi de la pression qui vient des normes sociales. Ça a beaucoup résonné avec ce qu’on se disait. La poétesse argentine Alejandra Pizarnik a d’ailleurs écrit un recueil de poèmes intitulé Extraction de la pierre de folie, et je pense que ça a aussi inspiré Maud.
Maud : Parmi les fous, souvent, il y avait des artistes. C’était très intéressant de se plonger dans ce concept-là.
Maud, tu cites en effet Alejandra Pizarnik dans les références mais aussi Camille Claudel. Qu’est-ce qui résonne chez toi dans son œuvre et sa vie ?
Maud : J’adore l’œuvre de Camille Claudel. Je me suis plongée dans un recueil de lettres qu’elle avait écrites à son entourage. Certes, elle a plongé dans la folie, une folie apparemment attestée, mais on la voit aussi tomber dans la folie à cause du carcan social qui lui était imposé à son époque. Si elle avait vécu aujourd’hui, elle n’aurait sans doute pas connu une fin aussi tragique. J’ai trouvé sa vie, au-delà de son œuvre, vraiment passionnante. Le morceau L’Implorance est d’ailleurs le nom d’une de ses œuvres.
Vous êtes souvent comparés à BIG|BRAVE, Anna Von Hausswolff, Godspeed You! Black Emperor… C’est vrai qu’on sent bien l’influence de ces artistes dans votre musique. Est-ce qu’il y a des inspirations peut-être moins évidentes que vous avez eues mais qui sont tout aussi importantes à vos yeux ?
Fabien : Oiseaux-Tempête m’a beaucoup marqué à l’époque. Je me suis dit qu’on pouvait partir d’une base un peu rock et faire ce genre de musique, avec ces ambiances et cette approche. Ça faisait écho à d’autres trucs que j’aimais, comme The Ex, toute la galaxie punk indé, et aussi Godspeed, Dinosaur Jr, Pavement, My Bloody Valentine… J’écoute énormément ce genre de groupes même si ce n’est pas forcément transparent.
Constantin : J’ai beaucoup bouffé de Isis quand j’ai commencé à pratiquer ce genre de musique et ça a beaucoup teinté mon jeu. Il y a certains trucs que j’écoutais pendant qu’on écrivait l’album, comme Jesper Kyd, qui est un compositeur de jeu vidéo. Il a notamment fait les Hitman ou les premiers Assassin’s Creed. J’ai aussi beaucoup d’influences du classique, et de A Perfect Circle aussi.
Vous travaillez particulièrement l’univers visuel de vos sorties, peut-être même autant que votre musique. Pour ça, vous collaborez avec des artistes graphistes toujours différents. Quelle place occupe le visuel dans Bank Myna ?
Maud : C’est comme une porte d’entrée. On considère que ça a autant d’importance que la musique car c’est ce qui va donner envie d’écouter l’album. Pour ce disque, on avait commencé à travailler avec quelqu’un mais on ne s’y retrouvait pas du tout. Je me suis alors lancée dans des recherches sur Instagram et je suis tombée sur Ramona Zordini, une artiste que je trouve incroyable. La photo qui est aujourd’hui la pochette de Eimuria existait déjà, mais on aurait dit qu’elle était faite pour l’album. Il y a ces mains qui entourent des visages, et on ne sait pas si elles sont là pour apaiser, ou au contraire contrôler et diriger. Les yeux sont fermés, donc c’est impossible de dire si ces visages sont sereins ou non. Cette artiste a une façon de travailler la matière qui est impressionnante. On l’a contactée et elle était très partante pour collaborer avec nous. L’œuvre d’art en elle-même est très petite, je l’ai d’ailleurs achetée. Elle a imprimé sa photo en cyanotype sur du carton, puis elle a collé des couches de carton et en a déchiré certains bouts. C’est vraiment une œuvre de matière.
Daniel : Dans cette œuvre, il y a vraiment une résonance avec tout ce qui gravite autour de l’album. Il y a une notion de profondeur, visuellement et symboliquement, avec cette sorte de déchirure qui fait apparaître les têtes.
Fabien : Pour les clips, on cherchait une interprétation visuelle de la musique. On a travaillé avec des copains, notamment avec Paul Nizan, qui étudie aux Beaux-Arts, pour le clip de Burn All The Edges. On lui a donné carte blanche et ça a donné une interprétation surprenante mais appropriée.
Maud : Pour le deuxième clip, celui de The Other Faceless Me, j’avais une idée très précise de ce que je voyais en jouant. Je cherchais une esthétique très bleutée, avec de la danse et des plans très reserrés. On est trois dans la vidéo, deux amies et moi-même. L’idée était que plusieurs personnes se retrouvent à faire des répétitions de mouvements sensiblement différents à chaque fois. Un de nos amis vidéastes a filmé et Constantin a fait le montage.
Quelle a été la réception de Eimuria jusqu’à présent, notamment par rapport à Volaverunt ?
Maud : On a eu de très bons retours presse. On sent que ça a touché les gens qui l’ont écouté. Il y a plus d’écoutes et de ventes que pour l’album précédent. Le seul truc où ça ne suit pas, c’est au niveau du booking…
C’est dur de faire et de promouvoir sa musique en 2025, non ? Vous qui avez commencé il y a douze ans, qu’est-ce que vous constatez comme évolution ?
Maud : On est rentré dans une démarche professionnelle à partir du premier album, et on s’est rendu compte à quel point c’est compliqué. Ça prend une énergie folle. J’ai l’impression qu’on déplace des montagnes chaque jour. Pour les dates, on voit une grosse différence par rapport à il y a trois ans. Alors qu’on a un peu gagné en notoriété, le booking ne suit plus. Les salles ferment, il y a beaucoup d’orgas qui ont arrêté faute de financement dans la culture… Et quand tu as un travail à côté, il faut pouvoir s’y retrouver. La musique, c’est mon deuxième travail quand je rentre chez moi.
Photos : Pierre Sopor Montali
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