
28 Mai 21 W!zard, le goût du chaos
Dans le sillon d’une scène garage florissante, et de quelques groupes ayant récemment fait parler d’eux en bien (les heavy shoegazers de Colision en tête), W!zard vient lui aussi attester de la vitalité qui souffle fort actuellement sur la scène musicale bordelaise. Actif depuis 2016, le trio pioche audacieusement dans le noise rock, le post punk et le post hardcore, s’inspire des générations At The Drive In, Metz et Daughters pour signer un nouvel Ep, Definitely Unfinished, faisant suite à deux premiers (2016 et 2017), et un premier album (2018) qui lui ont ouvert les routes de France et d’Europe.
THE ONE I BLAME
Romain : The One I Blame était le morceau le plus logique pour commencer l’EP. Une intro guitare un peu lente et lancinante, un tom basse bien crade et bien au fond en terme de mix, un chant parlé presque inaudible : comme si on annonçait déjà qu’on allait y rester… Et soudain, il y a ces énormes pêches qui t’arrivent dans la gueule et là, on a ton attention et on annonce la couleur pour le reste de l’EP : ça ne va pas être doux… La première partie du morceau est une espèce de motif répété de plus en plus fort. C’est dénué de sens comme un hamster tournant dans sa cage : ça représente en quelque sorte un moment dans la vie où on se cherche et où on se sent bloqué…
Manu : Les paroles marchent très bien avec l’intention du morceau. Elles sont aussi simples que larges en termes d’interprétations, avec ce sentiment de boucle lancinante (à la voix comme à la guitare). On voulait que ce titre sonne à la fois froid et massif, comme un éléphant mort qui écrase tout sur son passage !! On l’a composé assez vite finalement, une fois que l’idée de base était là les contours du morceau sont apparus assez naturellement. Si je me souviens bien, c’est la dernière que l’on ait composée pour Definitely Unfinished.
BONES
Romain : Pour Bones, tout est venu très naturellement ! Il suffit juste d’une bonne grosse rupture des familles, et ‘paf’ le morceau est fait en cinq minutes ! J’étais tellement en colère ce jour-là… Je n’avais pas envie de réfléchir à la gueule qu’allait avoir le titre, si ça allait être joli ou pas, j’ai juste tracé et ça a créé un morceau très honnête je pense. Quand on a enregistré l’EP, on a su directement que Bones allait être le titre phare de Definitely Unfinished. C’est pour ça qu’on a décidé de le clipper ! L’expérience du tournage était folle ! On voulait quelque chose qui accroche visuellement, qui explose dans tous les sens, et on s’est dit avec Manu qu’on allait se filmer sur un canapé sans bouger, et que c’est autour de nous que le bordel allait se passer ! Pour créer ce chaos, on a filmé 14 tableaux différents en 4 jours avec 30 potes à nous. Tout a été fait dans l’urgence et c’était ultra fatiguant (je me rappelle du troisième jour où on ne pouvait plus se calculer, et on devait recouvrir tout l’appart en vert pour une scène de tennis…). On a fait appel à Hugo Cayla et Simon Zhou pour réaliser ce clip.
Manu : Comme a dit Romain, toutes les idées étaient déjà là quand on a commencé à bosser sur ce titre. Dès le départ, c’était presque naturel de le jouer de la manière dont on l’a enregistré. C’est le genre de chose qu’on aime énormément jouer en live et qui colle parfaitement à nos intentions musicales : de gros riffs bien sales et ‘noisy’, mais toujours abordés avec précision, et un chant plein de cris de colère. On a tout donné lors de l’enregistrement (tout est fait en live) pour avoir le plus d’énergie possible dans les intentions et pour faire crier les instruments. On est plutôt content du résultat !
DEAD SPACE
Romain : Dead Space, c’est le morceau patchwork de l’EP ! On avait plein de riffs qu’on se trainait depuis un moment et on a essayé toutes les combinaisons possibles pour que ça sonne le mieux. C’est également le morceau le plus ‘produit’ de l’album. Sur les autres, on a tout fait en live (batterie, basse, guitare, chant) sans ajouter de guitares additionnelles. Dead Space a ce côté plus mélodique et nostalgique. C’est pour ça qu’on a mis de la folk, du bottleneck et des tambourins. J’aurais bien mis du piano mais on n’a pas eu le temps ! On a fait ce choix de production avec Amaury pour donner ce côté mélodieux dépressif. C’est une chanson qui parle du monde qui s’écroule et malgré notre amour, on ne peut pas empêcher le déclin.
Manu : Celle-ci a été si dure à composer ! Je pense qu’on a bien eu cinq ou six versions qu’on a testé en studio et en live avant d’arriver à un résultat qui nous convenait tous. On a même arrêté de la jouer pendant un moment tellement elle ne nous semblait pas aboutie. Puis avec le temps, on a réussi à trouver le bon son, les bonnes combinaisons entre les parties et la bonne interprétation pour en faire un morceau en soi. On est arrivé en studio pour enregistrer tout ça avec encore quelques doutes, mais Amaury Sauvé nous a dit ‘Les gars, c’est monstrueux ! Mais maintenant… au boulot !!‘. Donc on a été plutôt confortés dans nos choix et ça nous a permis de pondre Dead Space en toute légèreté. C’est aussi un morceau un peu ‘challenge’ à jouer en live pour nous tous : beaucoup de parties différentes, des changements de tempo, et beaucoup de pédales à activer pour moi !!
QUICK VIOLENCE
Romain : Cette chanson traite des violences conjugales en utilisant trois points de vue. Il y a le mec qui est aveuglé par sa passion toxique et qui essaye de justifier sa violence envers sa femme. Cette dernière qui croit qu’elle est responsable de la violence de son partenaire et un point de vue omniscient qui s’adresse aux deux personnages et qui essaye surtout de sauver la femme. Comme Dead Space, il y a plusieurs parties mais on peut discerner trois grands ‘axes’ qui symbolisent les points de vue.
Manu : On a essayé de pousser chaque ressenti à son extrême sur Quick Violence, dans le sens que chaque partie du morceau et ses intentions soient très exacerbées. Donc on a beaucoup travaillé sur l’interprétation globale, avec beaucoup d’implication et de dévouement sur les propos musicaux du morceau : taper fort, jouer fort, crier fort, casser les tempi etc. Chaque partie essaie de traduire un sentiment, une situation psychologique, et toutes s’assemblent pour donner un morceau chaotique, plein de rage et de tristesse.
FEARS
Romain : Parfois, on discute de la mort avec Manu et de ce qu’on ressent à propos de ça. C’est toujours en soirée, autour de quatre heures du matin, quand on en parle ! Quoi qu’il en soit, cette chanson est une tentative pour faire face à cette peur. L’idée principale de la chanson était de créer un chaos total dans cette structure pop classique. Nous avons décidé de choisir des mots-clés qui représentent l’inconfort et la peur, et nous voulions que la chanson se termine dans cet énorme scénario chaotique. Comme je l’ai dit plus tôt, tous les instruments sont joués en live mais je ne pouvais pas faire le chant parce que ma voix était cassée… Donc je l’ai fait en overdub. Je n’arrivais pas à me mettre dans le mood, et j’avais la voix de Renaud (quand il chante ‘toujours debout’) après 5 jours de studio. Amaury m’a dit : ‘Essaye de chanter et de jouer de la basse en même temps, juste pour te mettre dans l’ambiance‘. C’était encore pire ! À la 7 ou 8ème prise… Ma colère a explosé, j’ai fait du lancer de javelot avec ma basse et j’ai dit : ‘Ok, maintenant je suis prêt‘. Et nous y voilà, la prise était faite !
Manu : Fears est un peu l’exemple parfait, si ce n’est le guide, de ce qu’on voulait faire sur Definitely Unfinished. Les idées que l’on voulait développer dans les paroles, le son des instruments que nous voulions, une liberté vraiment brute dans la composition, tout en gardant une musique accessible et lisible à tous malgré sa noirceur. Tout y est ! L’évolution du morceau a été assez intéressante, parce qu’on l’a toujours joué avec les mêmes intentions et la même ‘toile de fond’, mais on a fait évoluer beaucoup de choses à l’intérieur même du morceau : nos attitudes déjà ( TOUJOURS le jouer comme si c’était la dernière fois, et qu’on en crève sur la dernière note), puis énormément de travail sur le son (les silences, les dynamiques, les grains de voix). Jusqu’à pousser très loin les expérimentations sur cette fin complètement folle et chaotique (toujours improvisée). Par exemple, l’espèce de ‘loop’ étrange et grinçante qui apparaît au début et à la fin du morceau est un résultat de ces moments d’improvisations et de recherche de bruits qui font mal. Amaury nous a poussé à aller encore plus loin dans ces ressentis, en nous faisant jouer, et rejouer, et rerejouer jusqu’à épuisement, et aussi jusqu’à ce que le résultat soit vraiment massif ! A chaque enregistrement, c’était vraiment l’enfer total, les vitres étaient couvertes de buée, et on tremblait de colère et de douleur. Je m’en souviendrai comme du morceau le plus jouissif et le plus douloureux à enregistrer.
Photos : Les Deux Pieds dans la fosse (homepage) / Julien Dupeyron (header)
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