06 Oct 23 Vox Low, ou l’art de dompter les forces contraires
Le Convenanza, festival incontournable de la scène électro, fêtait cette année ses 10 ans d’existence dans le toujours mythique décor de la cour du château de Carcassonne. Cette entrée dans l’âge de raison était l’occasion de retrouver, entre autres artistes marquants, Vox Low, invité par des organisateurs ayant en mémoire leur set mémorable joué un soir de 2015. C’est à la sortie des balances que l’on rencontre le groupe pour évoquer avec lui cet anniversaire particulier comme ce nouvel album qu’il jouera en partie pour la première fois dans quelques heures, cinq (longues) années après le précédent.
La dernière fois que je vous ai interviewés, c’était en octobre 2020, à la toute première reprise des concerts. Nous étions assis et masqués, en pleine post-apocalypse ! Vous travailliez déjà sur le prochain album mais vous ne m’en aviez pas dit plus, si ce n’est que toutes les pistes étaient ouvertes, et que ça pourrait même être du zouk. Apparemment, vous vous êtes bien foutus de moi parce que c’est loin d’être le cas avec Keep on Falling ! Plus sérieusement, est-ce que vous êtes d’accord pour dire que son atmosphère est encore plus sombre et qu’il est dans la continuité du précédent, mais qu’on y retrouve de nouveaux éléments et peut-être un format plus ‘classique’ ?
Jean-Christophe (chant, machines) : C’est ça. Notre propos, c’est de ne pas nous répéter tout en ne perdant pas ce qui fait l’essence du truc. C’était le challenge : ne pas refaire un Ready to Spend pour faire un Ready to Spend, ne pas refaire un Something Is Wrong. Garder notre son tout en amenant autre chose. Déjà, on a ouvert la créa, parce que jusqu’à présent, c’était Ben et moi qui nous en chargions. Matt a beaucoup participé cette fois mais, bizarrement, pas forcément sur les batteries. On a essayé, mais ça ne marchait pas. Il a fait pas mal de synthés. Jérôme, lui, a travaillé les guitares. Voilà, la production a été un peu plus ouverte aux autres musiciens. Puis, on a mis du temps à trouver les sons qui allaient matcher entre eux.
Si on évoque les influences, j’entends par exemple sur l’album un son de basse ‘à la Cure’, des évocations du Nightclubbing d’Iggy Pop. Est-ce que ce sont des choses que vous revendiquez ?
Benoit (basse) : Oui, depuis le début, je pense. Ça a toujours été des références solides pour nous, mais c’est vrai qu’elles sont peut-être plus mises en avant sur cet album.
Jean-Christophe : Ce qui est très diffèrent, c’est que, sur le premier album et sans que ce soit une compilation, tu retrouvais Trapped on the Moon, Something Is Wrong, Now We’re Ready to Spend et Some Words of Faith qui étaient sortis en maxi, qui existaient donc déjà. Et les cinq nouveaux morceaux qu’on a fait étaient des choses qu’on avait en réserve, qu’on a retravaillées. Donc ce premier album était plutôt un résumé de nos cinq premières années d’activité. Il était aussi plus dirigé vers le club, parce que c’était l’idée de départ. Là, cet aspect a un peu disparu, c’est peut-être ça qui change. Quand on s’y est penché, il n’y avait plus de clubs, tout le monde était enfermé chez soi, il y avait le Covid, on sortait moins. On ressent qu’il y avait moins cette urgence à faire quelque chose qui soit forcément jouable en club sur la scène électro. Et le fait d’avoir signé chez Born Bad, ça nous a amenés vers un univers plus rock. C’est peut-être ça qui te donne aussi cette impression d’aller vers quelque chose de plus dur. Il y a plus de guitares également.
Matthieu (batterie) : Maintenant, on a aussi un lieu pour enregistrer. Avant, JC et Ben bossaient dans une chambre. Désormais, il y a vraiment un studio (La Station – Gare des Mines) où on a tout à disposition : guitares, batteries, synthés… C’est important, et il y a tout un univers qui s’est créé autour de ce lieu.
C’est vrai qu’on le ressent clairement à l’écoute. Il y a comme une tension permanente entre forces contraires, le chant et la guitare d’un côté et la section rythmique de l’autre. D’ailleurs, la basse ouvre quand même six des neuf morceaux ! Ce n’était pas le cas sur le premier album…
Jean-Christophe : Ça, c’est clair. On s’est fait la remarque également, mais c’est comme ça ! J’ai entendu quelque chose d’assez juste l’autre jour : quelqu’un qui parlait de nous comme l’un des rares groupe où la basse fait les mélodies. Évidemment, c’est aussi le propos. La basse est proéminente dans Vox Low et, par rapport à plein d’autres groupes où elle soutient, chez nous elle fait la mélodie.
Benoit : C’est notre façon de bosser aussi. Souvent, on commence les morceaux par la ligne de basse, puis on greffe des choses autour.
Vu qu’il y a eu trois morceaux dévoilés depuis cet été, quels sont les premiers retours sur cet album ?
Jean-Christophe : Ils sont super positifs. On était assez anxieux parce qu’au bout d’un moment, tu n’as plus de recul. La meilleure des réactions a quand même été celle du label. JB, patron de Born Bad, n’avait rien écouté, contrairement au premier. On lui a fait passer les premiers morceaux il y a à peine un an seulement. Il est venu à La Station en gueulant que la production allait coûter cher parce qu’on voulait un studio qui coûtait un peu plus cher, mais quand on lui a fait défiler les morceaux, on l’a vu dire ‘OK, c’est bon, c’est parti‘. Là on a été rassurés, surtout qu’il est assez avare de compliments. C’était la première des bonnes réactions et depuis, il y en a eu d’autres. Non, vraiment, elles sont toutes super. De notre côté, il y a des jours où on ne peut plus le voir, où on ne peut plus l’écouter ! (rires)
Benoit : Moi c’est du simple au double. Il y a eu des jours où je ne pouvais plus écouter les morceaux sans me dire que rien ne marchait, puis d’autres où on se dit que c’est mortel !
Est-ce que ça, ce n’est pas parce que vous n’arriviez pas à finir un morceau ou…
Benoit : Non, c’est parce qu’il y a eu des longueurs dans la production. On a eu pas mal d’événements dans nos vies qui ont fait qu’on n’a pas pu faire ce qu’on voulait exactement. Ça a été compliqué quand même.
Jean-Christophe : On ne savait pas où on allait, on essayait des morceaux. Puis il y a eu un moment où il y a eu un éclair, ça a commencé à s’emboiter, ça commençait à devenir logique.
Benoit : Le deuxième album, c’est toujours un écueil, c’est toujours très difficile de rebondir sur quelque chose d’original tout en restant fidèle à ce que tu es. Tu es attendu.
Jean-Christophe : Et là, encore une fois, il y avait tout à créer de A à Z, contrairement au premier où on partait déjà de quatre morceaux dans la boite auxquels il fallait juste en ajouter cinq pour avoir l’album. Sur des bases qu’on avait déjà, assez solides en plus.
En ce qui concerne les paroles, j’ai bien compris que ça arrivait après, mais est-ce qu’il y a une thématique sur tout l’album ou est-ce que ce sont des instantanés ?
Jean-Christophe : Il n’y a pas de thématique. En tout cas, on est sur la même que sur le premier album, c’est à dire la fin du monde du point de vue contemplatif. On n’est pas dans la fulgurance, en train de gueuler contre le monde qui va mal. C’est plus un constat posé, un peu dépressif, de là où on va. Un peu ironique aussi parfois, à l’image de We Walk : on sait exactement où on va, on marche droit dans le mur ou dans une grande fosse commune, mais pas au bon endroit ! (rires)
Et il y a toujours aussi cet aspect cinématographique, même si peut-être un peu moins que sur le premier album. Pour l’anecdote, je me suis mis Keep On Falling un soir en rentrant de festival en voiture, et ça le faisait vraiment de rouler avec ce son !
Jean-Christophe : C’est toujours de la musique de caisse ! On revendique ça : c’est road burner ! C’est de la musique que tu mets pour faire des kilomètres ! Il y a moins de morceaux longs, c’est moins hypnotique. On est plus parti sur un format plus pop, sans le côté péjoratif de la chose. Couplet, refrain, un truc un peu plus structuré, classique. Parce que c’était un exercice qui nous intéressait aussi. Mais ce n’est pas toujours le cas non plus ! Sur un morceau qu’on adore, Breathless Tuesday, tu as l’impression que le refrain va arriver, alors que non, tu as plutôt une espèce de break puis ça repart avec la boite à rythmes et le refrain n’arrive qu’en deuxième partie. Et là ça claque, avec les guitares !
L’artwork est aussi quelque chose d’essentiel chez vous. Sur le premier, il y avait un tableau de Potier, là un dessin d’Emmanuel Régent. Vous pouvez m’en parler ?
Jean-Christophe : Oui, ça a été une belle rencontre. On cherchait une idée, parce que cette pochette nous a beaucoup aidés ! Ce rouge, avec ce silo à grains, ce truc austère, ça a quand même fait l’image de Vox Low. Il y a des gens qui croyaient que c’était une prison, un château-fort. Enfin tu y mets ce que tu veux : un truc industriel, très urbain, très dur. Là, on cherchait, on ne savait pas trop. On a donc échangé avec notre copain Franck. Son nom d’artiste, c’est Orestt, il a ce label Evrlst chez qui on a sorti nos premiers EP. C’est vraiment quelqu’un qui nous soutient depuis le départ, avec qui on bosse. Emmanuel Régent – un artiste qui est en train de grimper, qui fait ces dessins incroyables, des formats immenses tout au feutre, en petits traits – est un de ses amis. C’est un artiste très monomaniaque. Il ne fait pas de sérigraphies, il ne fait que des pièces uniques. Donc je l’ai rencontré un soir, on a bu un coup, et on a finit la soirée ensemble. Ça a matché et il m’a dit : ‘je me retrouve dans votre musique, ça fait écho à mon travail’. Du coup, il n’a pas voulu qu’on reprenne un dessin qu’il avait déjà fait, donc il a décidé d’en faire un nouveau. Il n’avait qu’un mois de délai alors qu’il était en train de faire une expo au Japon, mais il l’a fait ! On s’est retrouvé avec ce dessin, une création spéciale, unique. Il nous en a présenté deux et on a trouvé que les deux collaient parfaitement : un pour la pochette et un autre pour la pochette intérieure, en noir, avec le renard qui devient plus agressif. Sur la pochette, tu as l’impression que, si tu l’approches, il va se barrer. À l’intérieur, il te regarde en mode plus énervé.
Sur l’esthétique il y a une forme de continuité donc. Et pour ce qui vous concerne, en tant que groupe, qu’est-ce qui a changé ? Comment avez-vous évolué ?
Jean-Christophe : Jérôme nous a rejoint, à la guitare et aux synthés. Guillaume a voulu arrêter pour bosser ses projets perso. Il est devenu papa, il bossait son album… Depuis plusieurs années, Jérôme le remplaçait déjà sur quelques dates. Du coup, on lui a proposé de rentrer à part entière dans le groupe. Et il faut que je dise quelque chose quand même sur notre ami Aurélien, qui est notre ingé son depuis le début, qui nous a toujours suivi, qui est notre ‘sorcier’ et qui est lui-aussi membre à part entière du groupe. Il est là avec nous au studio, à donner son avis, à régler les synthés… C’est vraiment grâce à lui que le live en est là. Et puis c’est notre pote. C’est nous cinq, quoi.
Matthieu : C’est aussi l’idée de cette formation, on est des potes ! On est presque une famille, même si c’est un peu bateau de dire ça. Il n’y a pas de recherche particulière, de pression ou de plan de carrière ! On pourrait te faire écouter d’autres morceaux qui sont complètement différents, qu’on va peut-être sortir d’ailleurs. Mais il y a un univers qui est quand même assez large, qui va du club jusqu’au rock.
Benoit : On a tous des influences assez différentes et je trouve que c’est un bon mélange au final. On se retrouve sur des trucs comme Can, dont l’influence se fait entendre sur We Walk par exemple.
Jean-Christophe : Et après le travail, c’est de garder une identité Vox Low. Je le revendique, c’est mon taf. C’est notre plus grande fierté quand on nous dit qu’on a un son parce que c’est le plus difficile à obtenir.
Photos : Marion Barat (header), Sarah Furmanek, Laurent Bruguerolle (live)
Mx
Posté à 11:29h, 07 octobre👌