20 Oct 23 Trainfantome vole au secours des boomers
Si le mythe du loser magnifique fait toujours autant de merveilles dans ta psyché, la musique de Trainfantome a de fortes probabilités de titiller ta personnalité gangrénée par la procrastination et l’obsession pour les groupes alternatifs chemisecore des 90’s. Au départ projet solo du Lorientais Olivier Le Tohic, le groupe s’est transformé petit à petit en vraie formation de rock indie avec des gens dedans. Toujours sous la houlette avisée du songwriter, Trainfantome sort son deuxième album Thirst le 27 octobre en coproduction Howlin’ Banana, Flippin’ Freaks et Influenza. Mais la générosité étant un des traits définissant le mieux Mowno, on vous balance en exclusivité cette petite pépite dès aujourd’hui avec, en prime, une interview pendant laquelle Olivier revient entre autres sur les conditions difficiles d’enregistrement et le revival emo lui permettant de ressortir ses fringues du lycée. C’est une crème. ALL ABOARD THE HYPE TRAIN TCHOU TCHOU.
Thirst est-il encore un album que tu as conçu tout seul dans ta chambre ou c’est cette fois le résultat d’un travail collectif ?
Olivier Le Tohic : C’est un peu un mélange des deux. À l’époque, j’étais dans une démarche d’apprentissage de l’enregistrement. J’avais mon studio installé et je sortais démo sur démo. Cette fois, j’ai voulu changer de mode opératoire, donc j’ai soumis les morceaux assez tôt au groupe pour que ça soit remanié et questionné. Ça m’a fait progresser dans mon songwriting parce que j’ai tendance à faire des trucs à tiroirs ou de longues phases expérimentales au détriment de l’efficacité. Les gars m’ont dit qu’un passage bossa nova polka trap n’était peut-être pas utile…
Tu n’as plus l’impression de trahir ta vision artistique en déléguant les tâches ?
Ouais… Je pars du principe qu’ouvrir mon écriture aux autres fait partie de ma vision artistique. J’aime l’aspect collaboratif. J’ai tendance à stagner et à ne pas réussir à faire aboutir les choses quand je suis totalement seul. L’écriture des arrangements a pris une autre tournure une fois que le groupe live a été constitué.
Le système D est le seul moyen de faire vivre l’esprit débrouillard mais aussi slacker des 90’s ?
Je m’identifie beaucoup à l’esprit slacker car tout ce que je fais est teinté de second degré. Ça me permet d’avoir une sorte de parachute de sauvetage parce que je ne suis jamais sûr à 100% de la qualité. J’insuffle certainement un peu trop d’humour dans ce que je fais. Mais sur Thirst, il y avait une envie de faire quelque chose de plus commercial. Attention quand même sur l’emploi du mot ‘commercial’ ! On a donc été dans un vrai studio tenu par des potes qui s’appelle La Cuve, du côté d’Angers. Nous n’avions ni thunes ni temps et on a enregistré tous les titres de l’album en une semaine, comme un vrai groupe de rock. Mais on a constaté que ça ne nous ressemblait pas… C’était vachement harsh et punk alors que la démarche punk dans ce qu’on fait n’est pas tant dans le son que dans l’approche. Le côté DIY et système D est intellectualisé chez nous plutôt que dans le résultat sonore. On a donc récupéré les morceaux et tout repris à zéro. J’ai fait des overdubs à partir de chez moi.
On sent justement que tu as passé un gros cap dans le mixage. Tu considères que Thirst est une sorte d’aboutissement technique ?
Pour le coup ce n’est pas moi qui ai fait le mixage mais notre batteur Thibaut ! Ça a été un processus extrêmement dur et on a eu du mal à aller jusqu’au bout de cet album. On a vraiment failli tout laisser tomber parce que nous n’arrivions pas à le faire sonner. Je considère que Thirst ne sonne pas comme je l’aurais souhaité mais on a embrassé ce qu’on avait et on l’a emmené dans la direction qui s’est offerte à nous. Je le trouve très puissant, synthétique et à la limite du mainstream, alors que j’avais en tête un truc plus slacker comme tu dis. J’essaie toujours de penser les trucs au-delà de la musique : en termes de représentations, de symboles… Mais j’aime finalement cette tension et cette dichotomie qui parcourt le disque parce qu’elle représente la tension que l’on peut vivre dans une société de l’image. Le fait de devoir toujours garder la face même en ayant des problèmes… En l’occurrence, la face, c’est la qualité audio de l’album et son aspect pop. Mais sous ce vernis, on adresse par exemple des sujets de santé mentale qui sont essentiels.
L’album fait un virage très net vers les territoires shoegaze et surtout emo. Tu as même osé intituler une chanson La Déprime. On a le droit de dire que Trainfantome est un groupe de midwest emo français ? Après tout, Lorient est à l’Ouest…
Géographiquement, c’est vrai ! Mais le midwest emo lorgne plus du côté du math rock et ce n’est pas du tout ce qu’on fait. Par contre, on se reconnait clairement dans l’emo à 100% et ce n’est même pas une démarche. Les morceaux commencent à dater et on se retrouve face à un revival de ce genre. À l’époque où j’ai fondé Trainfantome, j’étais entouré d’une communauté principalement centrée sur le post punk. Je kiffais l’emo du début des années 2000 et je me disais que j’avais vraiment des goûts de merde et que ça ne me rendait pas du tout cool. Maintenant, je peux ressortir mes vieux tee shirts et mes bonnets sans souci !
Ça n’a pas été trop le bordel cette sortie en coproduction avec les labels Flippin Freaks, Influenza et Howlin’ Banana ?
Nous avons eu la chance d’avoir rencontré les labels Flippin Freaks et Howlin’ Banana après avoir déjà sorti un album, un EP et d’avoir joué ici et là. Ils savaient qui nous étions et gèrent souvent des sorties ensemble. C’est une volonté de ma part d’avoir joint Influenza à la boucle parce qu’ils ont cru en nous dès le départ et que c’est notre label historique. La coproduction a été super fluide et facile de mon point de vue. C’est quasiment indispensable dans les échelles auxquelles on évolue de faire appel à ce genre de petits labels si tu ne veux pas te retrouver ensuite en chien à devoir vendre ton bordel. On a 300 vinyles qui vont partir. Quand t’as d’autres ambitions et que tu fous plus de billes dedans, ce ne sont plus les mêmes enjeux. On est là aussi pour se faire plaisir… C’est un truc sincère et sérieux et je suis fier de faire ça avec des labels que je respecte. À l’époque où il y avait de la thune dans la musique, ça servait principalement à payer des équipes pour bosser autour d’un groupe pour le rendre cool pendant qu’il prenait de la coke et faisait n’importe quoi. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. C’est important de tomber sur des personnes avec qui tu partages des valeurs et qui ne sont pas directement dans la pratique musicale : les photographes, les vidéastes, les journalistes, les labels… Nous avons de la chance et je pense qu’on ne s’y prend pas trop mal.
Je trouve aussi l’artwork de l’album fantastique. Tu peux me dire comment s’est passée la collaboration avec l’artiste ? Tu voulais un chat sur la cover et rien d’autre ?
En gros, j’étais en train de scroller sur Facebook un jour, comme beaucoup de vieux. J’ai vu une proposition de sponso d’un élevage de chats persans aux Sables-d’Olonne et je me suis demandé ce que c’était que ce bordel. Il y en avait un nommé Samouraï qui avait l’air au bout de sa vie et j’ai pensé que ça ferait une bonne cover. On a essayé la photo mais je n’étais pas pleinement satisfait. Je me suis rapproché de Loïse Alline dont j’aimais beaucoup le travail et elle m’a sorti cette bombe de pochette. J’aime bien le fait qu’elle soit mimi et que l’album soit au contraire très sombre finalement.
Combien de fois as-tu dû te prendre la tête pour éviter la confusion entre Trainfantome et le collectif punk/rap Train Fantôme ? À la centaine près…
Franchement, c’est extrêmement fréquent. Et de plus en plus ! Si ça doit être dit quelque part, ça sera dit sur Mowno maintenant et à jamais : Trainfantome est un nom de merde. On est souvent tagué sur des trucs où on voit leurs dégaines torses poil et je trouve ça hilarant qu’on puisse nous confondre. Je réponds parfois sous ces publications en remerciant l’organisation pour l’invitation… Ils font de la musique pour jeunes hommes en manque de sensations fortes alors que nous faisons de la musique de boomers en manque de sensations fortes.
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