Teenage Bed se dénoue à mesure d’espaces

Teenage Bed se dénoue à mesure d’espaces

L’artisanat lo-fi a toujours mis en avant à des figures attachantes, du Beck des débuts jusqu’à Alex G aujourd’hui. Il est toutefois peu courant que ces figures proviennent de notre hexagone national, et encore plus rare que celles-ci aient eu l’occasion de construire des liens forts avec des musiciens issus de cet artisanat tel qu’il se pratique outre-Atlantique. Nathan Leproust, alias Teenage Bed est donc un cas à part. Au moment où sort Grand Val, premier album officiel qui vient couronner six ans de pérégrinations à la fois géographiques et musicales, on avait très envie de faire un point d’étape avec lui, et d’explorer plus en détails ce qui l’a amené jusqu’à ce disque mystérieux et singulier. Un entretien où l’introspection et la pudeur n’empêchent pas la spontanéité, la motivation, et l’envie de partager ses propres expériences, comme un pied de nez aux clichés du genre.

Parle-nous des débuts de Teenage Bed…

Nathan : Vers 2017-2018, je jouais dans Woodrow, avec Olivier Le Tohic qui fait partie de Trainfantôme maintenant. Je commençais à avoir trop de chansons pour le groupe, et j’avais vraiment envie de les enregistrer. J’ai donc d’abord trouvé le prétexte d’un EP, sans savoir si j’allais le sortir. Je n’avais même pas le nom du projet encore… J’ai juste demandé de l’aide à mon ami Laurent Day, qui savait arranger et enregistrer. On est parti comme ça, on s’est donné trois jours à la maison. On était contents du résultat, donc on en a fait un deuxième, et ainsi de suite… J’ai donc enregistré mes chansons au fur et à mesure.

Grand Val, c’est ton premier ‘véritable’ album. C’est en tout cas comme ça que tu le présentes, même si tu as enregistré beaucoup de choses auparavant… Quel a été le déclic pour cet album, par rapport à tous ces enregistrements précédents ?

Si Grand Val est mon premier véritable album, c’est parce que c’est le plus réfléchi de tous les enregistrements que j’ai faits. Je n’ai surtout pas couru vers cet album, parce que ça m’intimidait un peu dans le sens où je respecte beaucoup ce format. C’est comme ça que j’écoute de la musique… L’ordre des titres, ainsi que la couleur générale d’un disque, ça dit forcément quelque chose de chaque chanson. Là, je me suis senti prêt à le faire, prêt à choisir à peu près la couleur que je voulais, et prêt à être autonome sur pas mal d’arrangements, aussi. Le processus a été assez solitaire puisque c’est la première fois que j’ai voulu faire une bonne partie du travail tout seul. Mais dans un deuxième temps, j’ai demandé à mon ami Antoine Biotteau de travailler avec moi. Il a notamment bossé sur l’album des Bantam Lyons, Mardell que j’adore. Il a aussi travaillé sur le premier LP de Lesneu. Donc ça me rassurait aussi qu’il y ait son oreille sur Grand Val. Il m’a épaulé à un moment où c’était peut être difficile pour moi d’avoir de la fraîcheur et une bonne vision des morceaux, voire même juste d’avoir confiance en ce que je faisais. Il a fait un travail extraordinaire, et il m’a ‘porté’ pour que je continue à être un peu perfectionniste. Ce qui est super cool dans le fait de bosser avec un ami, c’est qu’il comprend aussi ta sensibilité. Et puis j’ai vraiment senti qu’il avait très envie de faire honneur à ce que j’avais fait, et donc ça a été essentiel pour la fin des quatre ans de processus derrière la création de ce disque.

Il y a quelques temps, tu es parti aux États-Unis… Tu crois que ce voyage a joué pour passer à l’étape que représente ce LP ?

Complètement. J’ai mis un peu de temps à m’accepter comme musicien à part entière. J’ai toujours considéré que je composais des chansons, mais le travail d’arrangement et tout ça, j’étais moins sûr… Donc quand je suis allé aux États-Unis, c’était aussi pour rencontrer des artistes et un espace qui a généré beaucoup d’albums que j’adorais. Là-bas, j’ai rencontré des gens qui m’ont pris au sérieux, et qui ont considéré que je faisais partie de cette famille-là. Ça m’a aidé à me prendre au sérieux et me dire que je pouvais travailler mon geste artistique. J’y ai principalement fait la connaissance de Scott Leitch de Shelf Life, dont j’écoutais déjà beaucoup la musique, et qui habite à Philadelphie. Et au moment de le voir, j’ai appris qu’il était en fait l’ancien batteur d’Alex G. Rapidement, je me suis rendu compte qu’au sein de toute cette petite scène dont je parlais beaucoup à mes potes en France, et que personne ne connaissait ici, ils se connaissaient tous. Être là-bas, ça voulait dire que je pouvais avoir des discussions un peu poussées avec eux.

Alex G, tu l’as rencontré aussi ?

Oui. C’est un peu la figure la plus connue de cette scène-là. Scott m’avait dit qu’il l’inviterait un jour, et jusqu’au dernier moment, je n’étais pas sûr que ça se fasse. Des fois, les ricains sont très expansifs, et puis ça ne suit pas derrière… Mais ouais, un soir, il est venu. Et puis on s’est revu deux ou trois fois parce ce que j’ai fait sa première partie à Rezé il y a deux ans. Je l’ai vu à Paris aussi… C’est quelqu’un de très sympa.

Autre personnage moins connu de cette scène : qui est Abby Trunfio qui chante avec toi sur Come Again ?

J’ai rencontré Abby lors de mon premier voyage, parce que c’était la copine de Scott à l’époque. Elle a fait partie d’un groupe qui s’appelait Pill Friends, que j’écoutais pas mal aussi, et qui a une histoire un peu tragique parce que le chanteur est mort d’une overdose. C’est quelqu’un avec qui je m’entends très bien. Quand je suis revenu pour mon deuxième voyage, on s’est vu deux jours. C’est à ce moment-là que je lui ai demandé si elle voulait chanter sur une de mes chansons. C’était un petit plaisir pour moi d’avoir sa voix sur l’album, parce qu’elle n’est pas forcément très à l’aise avec l’idée de chanter. Mais voilà, c’est quelqu’un qui compte pas mal pour moi et qui a aussi chanté sur d’autres albums que j’aime beaucoup.

Toujours à propos de ton voyage aux Etats-Unis, je vais te parler de For Maybe maintenant, chanson qui possède une des mélodies les plus marquantes de Grand Val. On trouve en effet une première version totalement lo-fi de cette chanson sur ce fameux split-album avec Shelf Life, sorti en 2019. Est-ce que tu as toujours su que tu n’en avais pas fini avec ce morceau ?

Plus ou moins, oui. C’est un morceau qui m’est venu très rapidement quand j’étais là-bas. J’ai tout de suite eu la sensation qu’il était très équilibré dans ce qu’il racontait. À la base, il ne devait pas vraiment faire partie du split-album avec Shelf Life : on a juste fait une session vidéo, avec une prise totalement live, où je chante un peu. J’étais donc un peu frustré parce que j’avais l’impression qu’il y avait plus à dire avec ce morceau-là. Du coup, je me suis amusé à le fouiller différemment, et j’ai eu le temps de faire quelques versions avant de m’arrêter sur celle qui sort sur Grand Val aujourd’hui.

En 2020, tu as mis en ligne un ‘album de confinement’, le bien nommé Since We’re Stuck At Home. Est-ce que cette situation était idéale pour toi qui fait plutôt de la musique introspective ? Où est-ce qu’on nage trop dans le cliché, là ?

J’étais un peu mon propre cliché à ce moment-là. En vrai, j’avais une forme de réception ‘premier degré’ de ce qui se passait. Pour moi, ça a été un peu une aubaine parce que, des fois, c’est compliqué de se concentrer sur son écriture quand il y a plein de choses à faire et que la vie suit son cours. J’ai donc un peu vécu ça comme une libération, je pouvais être pleinement concentré sur ça. D’ailleurs, Grand Val était déjà dans les tuyaux à ce moment là. Je comptais me mettre sur ses arrangements et son mix, mais j’ai senti le besoin de faire autre chose. Ça m’a permis de collaborer encore une fois avec Scott Leitch, mais aussi avec Eli qui joue dans yung sham, un jeune projet de Philadelphie, et Steph Grace, une chanteuse australienne qui habite à Berlin… Tous ces gens-là, ce sont des amis et des personnes que j’ai rencontrés pendant ma période de voyage, qui s’est un peu arrêtée avec le Covid.

Parle-nous de Pale Figure Records, ton label. Il a été créé par la force des choses ? Ou alors, tu as toujours voulu driver un label ?

C’est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps. Mais ça s’est aussi concrétisé par la force des choses… Personne n’est jamais venu me chercher pour Teenage Bed. Peut-être que je ne suis jamais allé voir les gens, aussi… Comme le monde professionnel n’est jamais venu vers moi, je me suis dit à un moment que j’étais capable de m’organiser des tournées, de faire les choses par moi-même. Tout en me disant qu’un jour, j’aurai peut-être envie de le faire pour d’autres… Pale Figure, c’est un label qui existe, avec d’autres artistes que moi au catalogue, mais qui prend son temps. Il va peut-être se développer plus tard, quand je serai plus dessus. C’est bien qu’il soit là en tout cas.

Sur scène, tu utilises des magnétophones pour créer des ambiances évocatrices en fond sonore de certaines de tes chansons : un coup c’est le vent, un coup la pluie… Comment t’es venue cette idée ?

(rires) Je l’ai piquée sur un concert vachement cool de Matthew Caws de Nada Surf. Quand il a joué seul, je me suis rendu compte que ses morceaux étaient beaucoup mieux composés que les arrangements de Nada Surf ne le laissaient entendre. Et à un moment, il a fait ce trick avec des bandes, parce qu’il avait vu Interstellar, avec le bruit de la pluie et le reste… J’ai juste mixé cette idée avec le truc des cassettes. Donc je ne prétends pas l’avoir inventé. Vu que ça peut être très chiant quelqu’un qui joue seul pendant 45 minutes avec sa guitare, j’ai toujours le souci de de mettre du relief dans le set. Ça, c’est un truc qui marche bien, qui est amusant.

Il y a trois titres en français sur l’album : La Violence, Pop Urbaine et Trouble(s). Mais ce n’est pas une nouveauté ce recours au français, tu as déjà utilisé notre langue auparavant. C’est quoi tes références en chanson française ?

J’en ai très peu. C’est pour ça que ça a été très difficile d’y venir. Je n’étais jamais satisfait, je n’avais pas de repère là où j’en ai beaucoup dans la musique anglo-saxonne… Le français, c’est ma langue, c’est intéressant, il y a des choses à y faire, c’est une nouvelle cour de récréation. Et je n’ai jamais entendu d’albums de lo-fi réellement bien faits en français. Peut-être que c’est impossible à faire, tu me diras… Mais peut-être qu’il faut essayer aussi. Souvent, je fais aussi de la musique par curiosité, je fais des tests. En français, j’écoute beaucoup plus de rap. J’aime bien Damso, Vald, B.B. Jacques… J’aime bien ce côté fondamentalement indépendant. Ces artistes portent cette éthique aujourd’hui, peut-être plus que dans le rock. Ils ont ce côté ‘on bypasse les maisons de disque’ et tout le reste. Ils ont aussi une capacité financière un peu plus importante pour le faire, mais c’est une scène que je trouve intéressante. Et pour retomber sur ta question initiale, ce qu’a fait Bashung, dans la manière de manier les mots, c’est un des trucs qui me parle le plus.

Quand tu écris des mélodies, tu sais que ça va donner une chanson en français, ou tu te surprends toi-même ?

Je n’écris pas les mêmes mélodies en français ou en anglais. Je le sais dès le début de la mélodie parce qu’en fait, c’est une question de syllabes, de mots et de sonorité. D’ailleurs, c’est peut-être ce que je pourrais reprocher à certains trucs en français que j’entends : parfois, le texte prend trop de gravité par rapport à la volonté de faire sonner des mots. En fait, ça marche bien quand il y a les deux, quand tu peux oublier le texte parce que la mélodie et les mots glissent. Quand tu arrives à écrire un texte en français qui ne te fait pas vriller l’oreille ou qui ne sonne ni vulgaire ni gras, c’est déjà bien.

Tu as déjà raconté que tu as failli appeler l’album Pop Urbaine. Ça t’évoque quoi, ce terme ?

C’est vraiment un mot qui ne veut rien dire. Le truc, c’est que je suis catégorisé ‘folk’ pour beaucoup de gens. Et folk, c’est souvent des arbres et la nature dans la tête du public, alors que moi je suis quelqu’un de très urbain, je suis attaché à la pop et à ses arrangements. Donc puisque ce terme de ‘pop urbaine’ ne veut rien dire, il pouvait très bien coller à ce que je fais. Mais mon pote Loulou des Bantam Lyons m’a signalé que c’était quand même très connoté, et que je risquais peut-être de le regretter. Il avait un peu raison, donc j’ai cherché autre chose.

Que ce soit en français en anglais, tu as un timbre et un rythme très particulier quand tu chantes, reconnaissables entre mille. Quelles sont les grandes voix qui t’émeuvent en tant que chanteur ou juste en tant qu’auditeur ?

C’est une bonne question… Je dirais les grandes voix qui ‘faussent’ un peu. Celle d’Elliott Smith, toujours sur le fil, celle de Bob Dylan qui fume pas mal aussi, notamment sur les premiers albums. Bill Callahan et Smog, c’est cool. Bertrand Belin aussi… D’ailleurs il fait chier, parce que quand je fais des décrochés dans les graves en français, ça sonne rapidement comme lui ! Il a un peu pris le monopole de ce truc-là (rires). Après, il y a des voix féminines comme Lomelda qui sont cools. Mais pour moi, la voix doit servir une mélodie. Et il y a des types de mélodies qui sont tellement bien servis par ces types de voix-là que si elles chantaient autre chose, je ne suis pas sûr que ça me toucherait.

Tu as beaucoup voyagé. Tu viens de Lorient, comme tu le disais plus tôt, tu es passé par Nantes et Philadelphie, et tu vis maintenant au Mans. Or, quand on ouvre la pochette de Grand Val, on trouve des notes qui expliquent quand et où tu as écrit les chansons, en plus des dates d’enregistrement. Et on y constate que tu es aussi allé à Big Sur en Californie—ce qui t’as inspiré le titre d’une chanson—, à Venice Beach, toujours en Californie, mais aussi au Canada, à Montréal et Calgary… Finalement, Grand Val, tu le définirais comme un carnet de voyage ?

Pas vraiment… Je ne l’ai pas vécu comme ça, parce que c’était plutôt une manière de dénouer des désordres intérieurs. J’avais besoin de remettre de l’ordre dans certaines idées, et puis aussi d’exorciser certaines situations.

Du coup, ça m’amène à une autre question : en lisant les paroles, la première partie de l’album semble traiter de séparation, de la fin d’une liaison romantique, là où la deuxième est différente et évoque plutôt un voyage en solitaire qu’on effectue suite à ce genre de séparation. C’était vraiment conscient, cette construction, ou est-ce qu’elle a surgi de manière involontaire, inconsciente ?

C’est un album de sortie de dépression, la digestion d’une peine de cœur. J’ai essayé de tracer un chemin menant vers des constats de plus en plus apaisés par rapport à cette situation. Grand Val, c’est en gros l’histoire d’un malaise existentiel, un peu romantique, qui se dénoue à mesure d’espaces. Et ce à l’aide de chansons qui ont été écrites et enregistrées dans différents endroits, voilà.

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