Quentin Sauvé écrit ce qui lui passe par la fenêtre

Quentin Sauvé écrit ce qui lui passe par la fenêtre

Quand il n’est pas à assurer la basse pour le bien du post hardcore de Birds In Row, Quentin Sauvé dévoile en solo une autre facette de sa personnalité. Sur son premier album Whatever It takes, le songwriter lavallois s’affichait déjà délicat à travers une musique folk étincelante. Une ôde au sensible qu’il continue aujourd’hui d’explorer quand il n’est pas à sillonner le globe avec son groupe. C’est donc à la veille de la sortie de Enjoy The View que le bonhomme a pris le temps de nous en dire plus sur ce nouvel album, où la nostalgie qui lui colle aux basques vient embrasser quelques touches d’espoir. Une discussion simple avec un mec attachant, pour qui la passion de l’expression musicale pourrait parfois prendre des allures de sacerdoce.

Qu’est ce qui t’a donné envie de te remettre à l’écriture suite à ton premier album, Whatever it Takes ?

Quentin Sauvé : Mon premier album est sorti début 2019, et le combo habituel composition-tournées commençait à s’inverser. Du coup, quand j’étais en tournée, en solo ou avec Birds In Row, j’accumulais des petites notes sur mon portable. J’ai pas mal de trucs qui me sont venus en tête dans le van, quand on roulait. En parallèle, quand j’avais des petits moments chez moi, j’avais des riffs de guitare qui arrivaient. Du coup, quand la Covid a frappé, ça a beaucoup abrégé la vie de ce premier album, alors que je venais juste de le faire re-presser chez Deathwish Records. La pandémie est tombée au moment où j’en avais un peu marre de tourner, donc j’ai kiffé ce moment. Je ne voulais plus trop entendre parler de musique. Je ne me voyais pas du tout dans tous ces gens qui étaient, dès le premier jour de confinement, en mode : ‘Je vais écrire un livre ou une pièce de théâtre…‘. Moi, je matais Netflix ! Puis le deuxième mois de confinement, comme on ne savait pas trop combien de temps ça allait durer, je me suis finalement mis à poser des idées de voix sur des idées de guitare, à composer des structures et à faire des morceaux. J’ai fait une première pré-prod fin 2020 avec Joris (batteur de Birds In Row, ndlr), et j’ai calé ma session studio en mai 2021 alors que je ne m’étais jamais dit qu’il fallait absolument que je fasse un nouvel album vu que je me voyais tourner plus longtemps avec le premier.

Tu parlais du studio à l’instant. Cette fois-ci, vous avez décidé d’aller au studio Black Box. Pourquoi avoir eu envie de quitter la maison, d’enregistrer ailleurs qu’à l’Apiary Studio, chez ton frère Amaury ?

C’est moi qui ai proposé qu’on le fasse ça ailleurs, ça devenait redondant. Que ce soit dans le premier studio de répétition qui était aussi le studio d’Amaury, ou à la maison de vacances familiale où il a enregistré quelques albums, ou encore dans son nouveau studio qu’il a créé il y a six-sept ans, j’ai toujours tout fait avec lui. Je lui ai donc proposé de le faire dans un autre endroit, genre en bord de mer, tout du moins à un endroit en cohérence avec les paroles de l’album, quitte à ce que ce soit plus galère et plus roots. Le studio d’Amaury, dans sa configuration actuelle, n’est pas du tout nomade, donc ça aurait été trop compliqué, et les lieux que j’avais en tête ne garantissaient pas d’être silencieux. Amaury a un pote, Etienne, qui fait de temps en temps des productions au studio Black Box, et qui m’avait dit qu’on pouvait enregistrer sur bandes. On s’est tous les deux payé ça en cadeau !!! Mon frère était là en tant que directeur artistique, et Etienne s’occupait des prises. C’était hyper intéressant car ça a cassé nos habitudes. Le Black Box est à la campagne, et tu peux loger sur place. Il n’y avait pas ce côté je rentre chez moi dormir dans mon lit, à Laval, après les journées de studio. On était un peu dans notre monde. J’ai en plus proposé à Joris de venir, un autre pote faisait la bouffe, et Sofian filmait. On était toute une petite bande pendant neuf jours dans notre bulle.

Je rebondis par rapport à Sofian Hamadaïne. J’ai récemment vu sur Youtube la série de vidéos qu’il a faite pendant l’enregistrement, où l’on te voit devant une forêt de micros faire des choix pour tes prises chant. Y a-t-il eu une vrai volonté de travailler à l’ancienne, en analogique ?

Le fait d’avoir rencontré des gens comme Louis Jucker, et d’avoir vécu des expériences comme celle-là plus récemment dans ma vie, m’a donné envie de faire des trucs un peu plus analogiques. Même pour la composition, j’ai un vieux Roland des années 60. J’ai aussi eu envie de saturer un peu plus mes sons de guitare que par le passé. On avait envie qu’il y ait un grain à tout, une glue plus intimiste.

C’était plus compliqué à mettre en œuvre du coup ?

Ce qui a était plus compliqué, c’était d’être dans un autre studio. À la fois avec des trucs trop cool, du matos vintage, de quoi enregistrer sur bande, tous ces vieux micros. Il y avait même des vieilles Plate Reverb. Puis des trucs moins cools comme l’Intercom, alors que chez mon frère, c’est plutôt à la pointe en termes pratique. Il a fallu un petit temps d’adaptation, surtout pour Amaury, mais globalement c’était plutôt chouette. Et le fait de faire sur bande, ça a créé une émulsion. Sofian s’est dit qu’il fallait qu’il trouve une caméra à pellicule. Ça a donné le clip de Reflections. Il y aussi une photo qu’il a fait avec un vieil appareil argentique en double exposition qui a donné la photo de l’album. Et au final, Romain Barbeau – qui a fait l’artwork de l’album – s’est dit de lui même qu’il allait écrire tous les textes à la machine à écrire, en faisant exprès de bouger la feuille pour renforcer le côté analogique. Je n’avais pas d’idée précise pour l’artwork mais il s’est passé ces choses qui ont fait sens et qui sont raccord.

Certains arrangements sont arrivés pendant la session studio ?

Oui, notamment un petit lead de guitare qui, au final, a été doublé au Rhodes car il y en avait un sur place. Sinon j’avais déjà tout prévu. Le synthé est celui avec lequel j’ai composé et Nostalgia, le morceau au piano, je ne l’ai pas rejoué. Il date de la pré-prod avec Joris. On s’est dit que l’émotion était là, que ça ne servait à rien de le refaire.

C’est d’ailleurs le seul morceau au piano. C’est venu comme ça ou c’était prémédité ?

Pendant le premier confinement, j’étais à Lyon, chez ma copine de l’époque. Comme elle jouait du piano, j’ai appris un peu pendant ces deux mois-là et j’ai essayé d’y reproduire une idée de guitare. J’avais envie de faire un morceau avec un riff tout simple, et ça marchait bien comme ça. Et comme je peux le jouer alors que je ne suis pas pianiste, je suis content de me dire que c’est moi qui le joue. De cette session piano au studio d’Amaury, il y a aussi deux autres morceaux avec des featurings que l’on sortira plus tard dans l’année.

Pour revenir sur cette pochette, tu y apparais en fondu, dans la nature. Qu’est-ce qu’elle évoque pour toi ? Comment tu l’interprètes ?

C’est la première fois que je suis sur la pochette d’un de mes albums. En même temps, j’aime bien car on ne sait pas si j’y suis vraiment. La photo a été prise devant la porte du studio, en surexposition. Cette pochette, ce n’est pas une volonté de départ, c’est bien après, à la relecture des textes, que je lui ai donné du sens. J’apparais un peu caché, puis il y a un paysage plein de couleurs qui apparait, un peu plus ‘hopefull’. J’aime bien le côté un peu plus nostalgique de la pellicule vintage, et ce côté espoir dans les couleurs. J’aime bien l’idée de disparaitre dans le décor, comme dans le texte de Reflections.

Et tu la ressens où cette touche d’espoir dans l’album ?

C’est vraiment un parallèle entre nostalgie et espoir. J’aime bien ces deux sensations. Reflections, c’est vraiment de la nostalgie. Nostalgia, c’est plutôt le regret d’être en tournée tout le temps, que tout s’est arrêté avec la Covid, et de se rendre compte que ça nous manque, qu’on ne peut pas vivre sans. Random Streets est plus sur le fait de galérer à trouver un équilibre entre le fait d’être constamment parti, et d’avoir une vie quand je rentre : garder mes potes, qu’ils soient dispos quand je le suis, alors que je ne suis là que trois jours avant de repartir trois semaines. C’est un album qui est très teinté par le fait de sentir un coup de vieux arriver, et de se dire : ‘Putain, combien de temps vais-je pouvoir tenir, et mettre autant de passion là-dedans ? Est-ce que, arrivé un moment, je ne vais pas être blasé ? Est-ce que je vais garder le courage ?’ Avec Birds In Row, on a ce truc de sentir que chaque album devient plus gros, pendant que mon projet à moi galère toujours autant. Même si là j’ai un gros coup de bol de partir en tournée avec Brutus à travers l’Europe.

Ça fait chier de vieillir hein !

Ouais, ça fait un peu chier… (rire). La touche d’espoir, elle est aussi dans Enjoy The View et Tunnel. Tunnel revient sur la relation que j’entretenais avec la personne avec qui j’étais pendant la Covid. Enjoy the View, c’est plutôt profiter de tout ce qui se passe de cool dans ma vie, c’est-à-dire être assis dans le van et regarder le paysage défiler, plutôt que d’en être témoin seulement. J’ai toujours été un peu comme ça. Dans mon premier album, tout ce que j’ai écrit était toujours un peu négatif, sauf que là, je me sers du morceau pour le rendre positif en me mettant moi-même un coup de pied au cul.

Au-delà du titre éponyme, est-ce qu’on pourrait finalement interpréter Enjoy the View comme une volonté de profiter de l’instant présent ?

C’est ça. On voit bien que l’album est coincé dans le passé car il est constamment teinté de nostalgie. Et en même temps, il a peur du futur car, tout comme moi, il craint de ne pas atteindre mes rêves. Mais le résultat de ces deux moment-là, entre nostalgie et espoir, font que je n’arrive jamais à profiter de l’instant présent. C’est un truc que j’ai du mal à vivre et qui ressort dans mes compositions.

Ton nouvel album semble beaucoup plus abouti que le premier, dans ses arrangements mais aussi dans ses mélodies immédiatement entêtantes. Tu t’es pris la tête sur ces deux points ?

J’avais envie de plus de dynamiques. Quand je réécoute Whatever It Takes, je me dis que tous les morceaux sont tous de la même longueur, au même tempo. Là, j’ai eu envie de faire des morceaux très courts, d’autres très speed ou très lents. Ensuite, il y avait quelque chose de très, voire trop doux dans le premier. J’ai donc ressenti le besoin de remettre du grain aux guitares, et des envolées où la voix est plus dure comme ce que je faisais avant avec Throw Me Off The Bridge. Je me suis davantage pris la tête sur les mélodies de voix, les tessitures, et j’ai fait des choix de mots dans l‘écriture pour qu’ils soient plus faciles à chanter en anglais. J’ai pu voir les bâtons dans les roues que je m’étais mis sur le premier album. Tout ça fait que Enjoy The View parait plus fluide aux oreilles. J’ai été vigilant sur ce point et, comme il y a eu une pré-prod avec Joris, une autre avec Amaury et un temps spécifique sur les backings, ça a créé des étapes de filtrage pour ressortir la meilleure version des morceaux. C’est un travail que j’ai vraiment trouvé utile. Et sur les backings, j’ai vraiment trippé : c’est un taf à part entière !

Parlons rythmes. Il y en a sur Reflections, Horizon et See You Soon. Ils semblent être joués sur le bord de ta guitare…

Ce sont des morceaux plus simples pour moi en live. Pour Reflections, c’est ça, c’est vraiment sur le bord de la guitare. Par contre sur Horizon, c’est particulier car c’est fait avec un synthé modulaire. Avec Amaury sur une des pré prods, on a tripé là-dessus. Puis sur See You Soon, ça aurait vite pu tourner électro, mais le kick est à peine perceptible car il y a cet effet qui absorbe la guitare à chaque coup. Et ça, c’est purement influencé par les derniers albums de Low.

Quand tu ouvres l’album avec ce rythme, on a tout de suite le sentiment d’être invité chez toi, comme si on était à la même table, dans la même pièce. C’est plutôt réussi…
C’est cool. J’avais envie d’ouvrir sur un truc nouveau, un nouvel élément. Que ce ne soit pas directement guitare-voix. Les rythmes de ces morceaux-là, c’est à chaque fois un seul riff qui tourne en boucle. Ça amplifiait l’idée d’être contre une fenêtre de van qui traverse des paysages.

Et le choix des arpèges ?

Je compose souvent comme ça. Ce sont des restes de cours de jazz manouche que je prenais quand j’avais quatorze ans. Pour moi, la guitare acoustique, c’est du picking. C’est comme ça que j’ai appris ! (rires) Sur le premier album, c’était déjà le cas.

Tu repars en tournée prochainement. Comment réagis le public de Birds in Row quand tu ouvres avec ton répertoire solo ?

Il y a eu cette expérience un peu ‘challenging’ en mai 2019 où on avait 29 dates aux Etats- Unis. Je m’étais mis une grosse pression parce que je chante en anglais. C’était les Etats-Unis, les gens comprenaient les paroles…. ou pas (rires). Et il y avait toujours des groupes locaux rajoutés à l’affiche qui comprenait déjà Birds In Row, Listener et moi. Du coup, quand je jouais, il y avait déjà des groupes méga violents passés avant moi, limite hardcore bas du front parfois. Mais je crois que l’effet de surprise a très bien marché. Les gens étaient surpris, mais pas mal adhéraient. C’était bien reçu. Ça me fait un peu le même effet avec Brutus. C’est quand même un public plutôt métal, pourtant personne ne part ou est irrespectueux pendant mon set. Pour revenir aux dates avec Birds In Row, comme les gens savent que je suis dans le groupe, ils sont curieux et se disent : ‘Tiens, s’il fait ça, ça ne doit pas être trop éclaté avec ce que j’aime‘. Je pense qu’ils se disent que si je suis capable de faire ce que je fais avec Birds In Row, il doit forcément y avoir un lien quelque part, au moins émotionnel, avec mon projet solo. Birds In Row et Quentin Sauvé, ce n’est pas un si grand écart selon moi. Puis je me dis que, pour les gens qui viennent voir un concert de Birds In Row, c’est plutôt cool de ne pas avoir un autre groupe dans la même veine post hardcore juste avant ou juste après. Je préfère toujours les concerts variés, plutôt que trois groupes de screamo identiques. J’aime cultiver ça.

Photos : Titouan Massé

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