Princess Thailand avance au rythme de ses défis

Princess Thailand avance au rythme de ses défis

Au front depuis une poignée d’années, Princess Thailand a signé deux premiers albums – l’éponyme en 2018, suivi de And We Shine deux ans plus tard – qui l’ont confortablement installé au sein de la scène rock libre et indépendante du pays. Désormais plus dans ses petits souliers, le quintet toulousain creuse son propre sillon qui l’amène à bousculer avec singularité les codes du noise, de la no-wave et du post punk : trois genres que l’on retrouve à son registre depuis ses débuts mais qui, au sein du nouvel album Golden Frames, se voient drappés d’esthétiques toujours plus fortes et profondes. Sans cesse prêt à relever de nouveaux défis, Princess Thailand en a remporté dix, tous présents au tracklisting de cette troisième salve ici disséquée comme il se doit par Patrick Jeanson, guitariste et co-fondateur du groupe.

BLINDED FOOL

Ce morceau se veut introductif et provocateur. On avait envie de dire à l’auditeur que l’album allait jouer avec lui et qu’il se devait d’être concentré s’il souhaitait s’amuser de nous, lui aussi. Blinded Fool joue ce rôle. Pour ce titre, on a essayé de s’imposer des contraintes entre nous pour développer notre créativité. C’est un jeu que l’on aime bien pratiquer lorsque l’on compose. Par exemple, Jean à la batterie – avec l’aide de François – a écrit la structure du morceau avant même les guitares, le chant ou encore les claviers. On s’est alors interdit de bouger la structure : il fallait être inventif dans ce cadre restrictif, ce qui parait inhibant au premier abord mais qui, en réalité, libère souvent des idées plus pertinentes. D’ailleurs, Blinded Fool parle des fous aveuglés que nous sommes, et c’est sans doute ce qu’on a un peu été quand on l’a composé.
Le texte, lui, évoque des thèmes importants pour le groupe comme les faux semblants sociaux ou le danger de se perdre et d’oublier qui on est vraiment. Ceci fait echo à notre manière de composer. Ainsi, on se pose souvent la question de l’authenticité de notre musique, de notre identité qui côtoie une certaine folie qui nous plaît bien. D’ailleurs, d’un point de vue musical, les quatre coups de caisses claires du début du morceau annoncent cette folie sonore. Elle se veut clinique, le chant scande et interpelle le public à l’aide des répétitions incessantes de ‘Are you listening‘. On cherche donc ici à réveiller le public, à une prise de conscience. Le refrain déclenche une tempête bruitiste qui ne sera interrompue que par les quatre coups de caisse claire finaux.

GHOST CAR

Ghost Car dresse une allégorie d’un instant de joie court et intense comme il nous semble qu’on en vit peu. Une joie singulière qui détruit tout sur son passage, à l’image des premières notes criardes des guitares ou encore d’un passage où seules la basse et la batterie s’expriment pour l’unique et seule fois de l’album. C’est un donc un morceau sans détours, les références à la vitesse sont nombreuses. À l’instar du train fantôme, l’urgence est de ressentir des émotions fortes et furtives. On a donc cherché à créer un son percussif et direct. On voulait composer un titre le plus condensé possible pour traduire l’impulsivité. La rythmique post-punk dégage l’urgence d’une danse un peu frénétique. Ghost Car est donc volontairement le plus court de l’album, l’objectif était de laisser l’auditeur hors d’haleine. En effet, une fois le tour terminé, il n’ y pas de deuxième ticket pour ce genre d’émotions.

CONTROL

Aniela (chant) voulait parler de notre rapport au public. C’est aussi un thème qui nous est cher, comme d’ailleurs pour la plupart des groupes passionnés par la scène et le sentiment qu’elle procure à travers notamment la rencontre humaine. Les claviers du début sonnent l’alarme de cette rencontre. Le texte interroge cet instant à travers le rôle de marionnettes qu’on veut parfois nous imposer. Nous nous battons un peu tout au long de la chanson à travers les refrains abrasifs pour crier notre authenticité. C’est donc une ode à la rencontre artistique et humaine qui est chère au groupe. Le morceau est une invitation, l’arrivée des refrains sonores se veut prévisible comme pour tendre la main à une libération collective. Control, on l’avait composé en live et ce n’est sans doute pas un hasard s’il nous a inspiré cette thématique de la rencontre avec le public.

HIDDEN PLACES

Hidden Places évoque les rares instants de vie où l’on prend des décisions fortes qui tendent à créer une rupture. Le texte développe ce instant où l’on est un peu entre deux états. Au début, la sirène bruitiste déclenche une ambiance vaporeuse qui traduit le trouble que l’on peut ressentir dans un tel moment. Là, encore, à l’image de Blinded Fool, on a créé et figé la structure du morceau avant tout le reste. L’approche de la batterie est ici un peu différente : Jean voulait depuis longtemps créer un pattern répétitif et dansant. En effet, il aime que les batteries aient une identité forte et reconnaissable. Et on approuve tous d’ailleurs cette exigence car elle est souvent très inspirante pour le reste du groupe. Elle nous permet de ne pas recracher les mêmes idées en boucle. Ici donc, la batterie et le clavier enclenchent une trans electro bruitiste. Le chant crée ensuite à son tour une rampe de lancement sonore appuyée par une guitare baladeuse qui ne trouvera fin que dans des larsens criards qui renvoient à cette rupture ou fracture annoncée.

MACHINA

Dans Machina, Aniela voulait évoquer notre rapport aux machines qui nous entourent de plus en plus dans la vie de tous les jours. L’intro en est le parfait exemple : il y a un aspect robotique dans les sons extrêmes des claviers et des guitares. On l’a d’ailleurs poussé au maximum lors du mix pour qu’il soit clair pour l’auditeur. La machine sonore est alors lancée. Dans ce morceau, on s’amuse des codes du post punk qu’on chamboule par l’aspect robotique du texte et des arrangements. Un combat entre les claviers et les guitares se déroulent tout au long du titre. Une accalmie shoegazienne n’y changera rien. Le morceau finit par l’abrasif, comme un éternel recommencement dans notre musique, ce qui peut paraître paradoxal par rapport à notre volonté de ne pas se répéter, mais qui reste un marqueur fort du son que l’on défend.

THE NIGHT’S MAGICIAN

The Night’s Magician aborde la thématique de la nuit, ce qu’elle nous inspire et ce qu’elle révèle parfois au plus profond de nous. Aniela, à travers ses mots, fait de la nuit une confidente. C’est pour cette raison qu’elle a pris le parti de chuchoter dans ce morceau, son intention de voix est alors différente, comme si elle susurrait à la nuit ses peurs et ses rêves. C’est un titre où les arrangements se veulent plus discrets mais assez nombreux. Il y a beaucoup de détails, beaucoup de sons différents comme le bourdonnement qu’on entend au début. Pour l’anecdote, ce son vient d’un buzz qui s’est créé sur un clavier dans le studio où l’on se trouvait. On l’avait enregistré en tant que matière sonore en se disant qu’on en ferait forcément quelque chose. Cet exemple montre un peu comment on pense le studio. En effet, on aime bien expérimenter et s’amuser des accidents qui se succèdent dans une session d’enregistrement. D’ailleurs, il faut savoir que François, le bassiste-claviériste, a été aux manettes de la console lors de l’enregistrement, aux côtés d’Arthur Ferrari. C’est la première fois que l’on contrôlait les prises au sein même du groupe et je pense que ça nous a permis de pousser au maximum les idées les plus folles et d’être très exigeants avec nous-mêmes. On a eu beaucoup de chance de pouvoir s’y essayer. Enfin, pour évoquer le morceau de manière plus globale, on voulait qu’il y ait un up and down caractéristique dans l’album, et c’est dans cette optique que le refrain tranche avec les couplets en lançant un mur sonore fait de maintes couches de guitares et de claviers. Là encore, on a cherché à surprendre l’auditeur. D’ailleurs, on réserve au public une petite surprise en live. Ça participe au fait que le groupe ne pense pas cet album comme quelque chose de figé mais comme un son qui évolue en permanence. C’est une idée majeure que l’on partage tous dans notre conception du son.

BASEMENT

Basement raconte l’histoire d’une femme qui quitte tout. Elle se sent opprimée et pour la première fois dans sa vie, elle assume une décision qui lui coûte beaucoup. Ce texte est très important pour Aniela. La dernière phrase, ‘Can’t you see, i’m finally free‘ répétée en boucle scande l’aboutissement de son émancipation, et d’une liberté tant désirée et entravée. Ce cri de liberté a été inspiré par le rythme que l’on s’était imposé avec le groupe. A l’image d’Hidden Places ou encore de Blinded Fool, on a fait d’une contrainte musicale un ressort créatif ; ce qui fait que Basement fait partie un peu des ovnis de l’album car c’est donc un 7 temps qui jongle avec un 4 temps sur des rythmiques qui se veulent froides et complexes. Tout ceci nous a forcément bousculé dans notre manière de jouer. Ici, François avait envie de donner de la place à des pianos plus classiques dans le son qu’on n’utilise pas forcément sur ce type de morceau. On lui a tous fait confiance et il en ressort un titre plus mélodique tout en restant assez bruitiste ce qui a été un vrai défi pour nous. On était très contents de cette rencontre… Là encore, on voulait surprendre l’auditeur.

THE DISPUTE

The Dispute est un peu une réponse à Control : le refrain reprend ce mot fort où Aniela évoque à nouveau les faux-semblants et les diktats que l’on subit à longueur de temps. D’ailleurs, ce disque est un peu un album à tiroirs où les morceaux se renvoient certaines idées. Je n’en dis pas plus et je préfère laisser l’auditeur, s’il le souhaite, en faire la découverte lui-même. Mais c’est une idée artistique que l’on a construit tout au long de l’album pour qu’une certaine cohérence se dégage du disque. En effet, il nous semble que cette cohérence artistique nous a manqué parfois par le passé, que nos chansons s’enchaînaient comme une sorte de jukebox aléatoire. Pour en revenir à The Dispute, la confrontation reprend le dessus et une fois encore les murs sonores se veulent aiguisés et cliniques. Les silences ici structurent le tout, on passe du on au off assez souvent notamment sur le refrain. Le morceau traduit une rage qui monte et qui semble inévitable.

ENDGAME

Endgame, comme le titre l’évoque, sonne la fin de la partie. Ce jeu, c’est notre disque, comme on l’annonce un peu dans Blinded Fool. J’avais depuis longtemps en tête l’idée de créer un morceau bruitiste dansant assumé. Il a mis du temps à se dessiner, il nous a trituré et a beaucoup interrogé l’album dans son ensemble. On détestait sa première version que l’on avait créé en live, au point qu’on en a gardé uniquement la batterie. On a essayé d’avoir alors une approche plus expérimentale. D’ailleurs, le drone bruitiste que l’on entend a été enregistré de manière aléatoire car François a laissé l’enregistrement tourner sans que je le sache et sans que j’entende la batterie dans mon casque. Et à la réécoute, il se passe des accidents assez étonnants. Puis, Morgan a eu l’idée de mettre en avant ces accidents à travers des guitares shoegaziennes et post rock. Le morceau est alors né. Le clavier a poussé la batterie dansante, et Jean s’est ensuite amusé à poser une voix sonore qu’on a ensuite couplé avec un autre clavier pour créer un son atypique et répétitif. Enfin, pour continuer à jouer avec les codes, on a décidé d’une fin en fade out ce qui est assez contradictoire car Endgame est le seul titre qui s’appelle fin et qui finalement n’en a pas vraiment…

IMPERATOR

C’est le dernier morceau de l’album, c’est un peu le feu d’artifice. Imperator était un vrai défi car on voulait depuis longtemps chanter en français tout en gardant une identité bruitiste forte. Le challenge était donc de taille pour nous ! Le mur de son qu’on entend au début et à la fin se veut comme deux parenthèses musicales qui encadrent cette bulle sonore. Là encore, à l’image de Endgame, on a laissé cette fois Morgan s’amuser des larsens de sa guitare pour créer cette matière. De mon côté, j’avais créé un sample en reverse avec une guitare saturée qui crée une base expérimentale. Le clavier joue alors le rôle de la mélodie et cherche à poser un matelas pour Aniela et le texte en français. Le chant se retrouve alors seul avec le clavier au milieu des fracas. A la fin du morceau, le mot ‘encore’ s’amuse des répétitions des arrangements et enclenche une rage qui s’arrête brusquement pour nous basculer dans le néant. Le cri de liberté de notre album s’éteint alors, comme pour mieux résonner en live à présent.

Photos : Justine Dauthier, Thomas Biarneix, Romane Margueritte

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