Pop Crimes, des mélodies plein le barillet

Pop Crimes, des mélodies plein le barillet

‘Gathered Together’, autrement dit se réunir, ensemble. C’est le titre du magnifique album de Pop Crimes, mais c’est aussi une réalité lorsque l’on rencontre ses membres, qui se définissent et vivent effectivement comme une bande. Une bande d’aujourd’hui, mais nourrie par des références exigeantes et variées qui plongent loin dans le passé et forgent son style, à la fois très contemporain mais aussi fortement décalé, expliquant d’ailleurs qu’un jour, à Rennes, une dame lui dise qu’elle semblait échappée d’un film de Claude Sautet. Ce qui touchait dans les chansons de Pop Crimes, à savoir la force, la confiance et l’espoir que quatre personnes rassemblées trouvent dans l’expression de leurs émotions – positives comme négatives – on le perçoit dans la manière dont Romain Meaulard (chant/guitare), Nicolas Pommé (chant/guitare), Morgane Poulain (batterie) et Quentin Marquès (basse) se parlent, se regardent, se tiennent ensemble. Il y a là des différences assumées et respectées, du rire, de la bienveillance, de la tendresse, ainsi qu’une évidente compréhension mutuelle qui donnent à la rencontre avec ces expérimenté.e.s – musicien.ne.s toute sa valeur.

Beaucoup d’entre vous ont déjà une expérience du monde de la musique. Pouvez-vous retracer vos parcours respectifs ?

Nicolas : Nous avons tous eu des projets avant Pop Crimes, mais ça fait longtemps que nous nous connaissons, chacun.e ayant déjà eu par le passé des connexions avec les autres. En ce qui me concerne, j’ai beaucoup travaillé avec Young Like Old Men, qui a sorti quelques disques et avec lequel j’ai tourné. Avec le guitariste de ce groupe, Guillaume Siracusa, qui a fondé par la suite Special Friends, nous avons créé un label, Gravity Music, avec lequel nous sortons et produisons des disques comme, entre autres, Lost And Found (2018), le premier album d’En Attendant Ana, dans lequel jouait Romain.
Romain : J’ai commencé en organisant des concerts. Après, nous avons créé En Attendant Ana avec Margaux (Bouchaudon), et j’ai quitté le groupe en 2018. C’est là que nous avons parlé de former un groupe avec Nico. Je connaissais Morgane parce qu’avec En Attendant Ana, nous avions fait un concert avec Amazone, un groupe dans lequel elle jouait. Avec Quentin, nous nous sommes rencontrés au Supersonic, où nous bossions ensemble. Quentin (il arrivera un peu plus tard) jouait alors un peu de guitare et quand nous avons formé le groupe, il nous a dit qu’il voulait bien se mettre à la basse.
Morgane : J’habitais Nantes, où j’avais créé une association d’organisation de concerts. Musicalement, j’ai commencé dans Blondi’s Salvation, qui faisait du psyché. Après la séparation du groupe, je suis monté à Paris pour jouer dans Amazone. Et là Romain m’a écrit pour me proposer de jouer avec lui et Nico. J’ai toujours voulu faire du rock, mais je n’étais pas familière du genre. Après quelques répétitions, j’ai pourtant rapidement capté le positionnement du batteur rock, ce qui m’a apporté pas mal de choses dans ma pratique.

Y a -il des éléments de ces différents groupes auxquels vous avez participé dont vous pensez qu’ils se retrouvent dans Pop Crimes ?

Romain : Pop Crimes, c’est un bidouillage de toutes les choses que nous avions déjà réalisées dans nos groupes respectifs passés. Il y a les textures et les sonorités noise de Nico, les breaks et les structures rythmiques peu classiques, en ternaire ou en 4 / 4, de Morgane, quelque chose de plus pop dans l’approche qui me caractérise et que nous avions justement dans En Attendant Ana. Et Quentin, qui apporte l’instinctivité de l’engagement dans le premier groupe, la fraicheur, et qui, très rapidement, s’est mis à composer pas mal de morceaux dans un esprit Field Mice, ce qui nous intéressait bien puisque nous étions déjà passés par la découverte de Sarah Records. Et voilà, nos expériences passées se sont cousues les unes aux autres, et au fil du temps cela a donné quelque chose de nouveau, avec un plus gros son, plus noise qu’au début. Nous arrivons maintenant à réinvestir tous nos acquis, même ceux qui nous renvoient aux choses difficiles que nous avons vécues, parce qu’avec le temps nous avons appris à les digérer.

C’est l’une des réussites de cet album que de présenter des chansons dotées d’une mélodie principale sur laquelle viennent se greffer plein de sonorités différentes esquissant des directions, des chemins, qui pourront être suivis par l’auditeur. Les écoutes successives rendent compte de cela, de cette impossibilité de figer les morceaux…

Romain : Nous voulions faire un album ‘de salon’, quelque chose à écouter chez soi et qui pouvait entraîner des interprétations différentes.
Nicolas : C’est vrai qu’en concert, nos morceaux étaient assez bruts, assez rock, et nous nous sommes demandés si nous voulions écouter cela chez nous. J’ai acheté plein de disques en concert et, une fois chez moi, en les écoutant, je les trouvais trop hard, trop aiguisés, intensifs mais jouant une musique faite pour le live, pas pour le salon. Nous voulions faire un disque permettant non seulement d’avoir du gros son, mais également de se recueillir.

Vos chansons ont une structure pop, mais également une énergie très rock. Vous creusez la mélodie avec insistance, et la voix vient râcler l’émotion jusqu’à lui donner le maximum d’intensité dans son expression, un peu comme ce que faisait Joe Strummer ou Paul Westerberg. Vous vous reconnaissez dans cette description ?

Nicolas : Je me suis investi dans des projets très différents, mais j’ai toujours voulu avoir un groupe de rock. Young Like Old Men était déjà bien noise.
Morgane : C’est ce que je me suis également dit. J’ai enfin coché la case ‘groupe de rock’ dans ma to do list.
Romain : Nous avons des références qui ne cadrent pas forcément avec celles de la scène indie à laquelle nous sommes affiliés. J’écoute beaucoup Springsteen, par exemple. Nous avons cette culture, ce goût pour des artistes s’exprimant avec intensité que nous cherchons à réinvestir dans notre musique. Et puis il y a aussi les choses dont nous parlons. C’est un album que nous avons mis du temps à écrire et à enregistrer, parce que les morceaux sont très personnels. Ils traitent de sujets aussi bêtes que du passage de la vingtaine à la trentaine mais qui nous touchent pourtant fortement. Nous avons des trucs à dégager et même à crier, et cet album est un peu comme une forme de psychanalyse. Le premier album solo de John Lennon, Plastic Ono Band, nous inspire beaucoup sur ce point puisqu’il mélange des morceaux pop vraiment chiadés avec ce qui est de l’ordre du cri primal.
Nicolas : Il y a aussi l’influence de celui qui a donné le nom au groupe, Rowland S Howard (dont le second album solo s’intitule justement Pop Crimes). Il a un chant plutôt poétique ; mais quand même, lorsqu’il jouait avec les Birthday Party, le principe c’était de marcher sur une lame de rasoir chauffée à blanc. Même si nous avons des goûts différents, cela nous tient à coeur d’avoir cette démarche qui consiste à aller au fond d’une émotion, d’être le plus honnête possible dans son expression. Et si ça doit tirer un peu mais qu’il y a de la justesse dans ce qui est fait, c’est que c’est le bon truc.

Vous parliez du nom du groupe, Pop Crimes. Est-ce qu’en plus de la référence à Rowland S Howard vous lui ajoutez une autre signification ?

Romain : Il y a quelque chose de cinématographique dans ce nom. Nous regardons beaucoup de cinéma, tou.te.s, et nous voulions un nom qui soit visuel, et Pop Crimes, ça l’est. Après il y a quelque chose de plus désinvolte à utiliser des termes aussi forts : le crime et la pop sont des mots qui sont extrêmement chargés au niveau du sens, et si on les met côte à côte, il y a un côté petit con dans l’outrance qui nous va bien, d’une certaine manière, et qui permet de nous décomplexer. Donc il y a ces trois aspects, tout d’abord le cinéma avec tout ce qu’il peut avoir d’esthétique, ensuite le caractère un peu sacré de la relation de Rowland S. Howard avec Nick Cave et puis le truc un peu désinvolte et rigolard, parce qu’il faut quand même dire qu’on rigole beaucoup !
Quentin : Il y a l’actualité du nom aussi. Nous faisons des chansons pop tout en approfondissant avec énergie l’émotion, ce qui nous permet de verser du côté du rock. Recourir à ces deux termes, c’est assumer cette opposition.
Nicolas : Et c’est un nom qui a l’avantage de ne pas induire un style de musique et, donc, qui permet au groupe de s’autoriser une marge d’évolution sans avoir à être tributaire d’une identification préalable. Si dans trois albums nous devons faire un album piano/voix – bon ça m’étonnerait quand même ! – et bien nous le ferons. Pop Crimes, c’est un nom qui peut susciter des images, mais pas forcément une couleur musicale. Je me souviens qu’à un moment, nous avions décidé de jouer un peu plus fort en concert, ça a pu surprendre dans un premier temps, mais ça a collé avec le nom du groupe et avec son environnement. C’est aussi pour cela que, lorsqu’on nous demande de nous présenter, nous aimons dire aujourd’hui que nous sommes un groupe de noise pop, parce que ça colle bien avec notre nom, et non plus d’indie rock comme avant.

Certains de vos morceaux font également penser à The Libertines, pour ce mélange de douceur et d’agressivité…

Morgane : Je suis rentrée en musique grâce aux Libertines et aux Vines. Les Libertines, c’est la sensibilité du rock.
Nicolas : Je n’écoutais pas vraiment, ils représentaient pour moi la mode de l’époque de laquelle je voulais m’éloigner. J’allais vers des sons plus durs, les Melvins par exemple. En fait, j’étais plus team White Stripes, et ensuite Nirvana grâce à ma sœur. Nirvana, c’est parfait, il y a tout dedans.
Romain : Je suis Libertines, à fond. En réalité d’abord Beatles, Nirvana ensuite, Libertines enfin. Je suis parti en Angleterre, en sixième ou en cinquième, et là j’étais Billy Elliot, dans une cité ouvrière avec les briques rouges ! J’apprenais la guitare et il y avait une fille là où j’habitais qui écoutait les Beatles, comme un cliché. Et voilà, je suis tombé dedans. Et après les Libertines : l’énergie du truc m’a secoué.

Quand l’album a-t-il été enregistré ?

Romain : Nous avons commencé en 2021, pendant le Covid, mais ça nous a pris du temps, deux ans en fait, avec toutes les coupures que nous imposaient les confinements. Nous avons enregistré dans un studio où je bossais et dont j’avais les clés, ce qui nous permettait d’y aller pendant notre temps libre, le soir ou le week end. Nous n’avons donc pas bossé en continu et à fond pendant deux ou trois semaines, nous avons étalé le travail dans le temps. Nous avons fait la basse et la batterie d’un coup, et le reste a été plus long. En réalité, c’est comme s’il y avait eu une deuxième phase de composition : nous avons fait une première maquette à partir de ce que nous jouions en concert, mais ensuite nous avons essayé plein de trucs chelous, que nous avons glissés partout sur l’album. C’est comme si nous nous étions réappropriés des morceaux déjà assez anciens pour nous. Et c’est aussi pour ça que nous avons pris notre temps, l’enregistrement s’est terminé il y a seulement un an et le mix s’est fait en janvier, avec Guillaume Siracusa de Special Friend.

Pouvez-vous nous expliquer le titre de l’album, Gathered Together ?

Romain : Nous hésitions entre deux titres, Gathered Together et Waze, parce que ce dernier mot renvoyait également à ce dont nous parlions dans l’album, à savoir les chemins que nous avons pu prendre, ceux que nous prenons aujourd’hui, mais également comment nous avons grandi et muri. En fait, ce groupe il est hyper fondateur pour notre stabilité, pour ma stabilité personnelle en tout cas, mais je pense que c’est la même chose pour les autres. Nous rigolons beaucoup ensemble, nous nous écoutons beaucoup, nous sommes souvent ensemble. Gathered Together, ‘se rassembler ensemble’, c’est dire deux fois la même chose, mais c’est volontaire, parce qu’insister sur la même idée, c’est montrer nettement mieux l’importance qu’elle a pour nous.
Nicolas : Sur la pochette, nous sommes tous les quatre ensemble, ce qui veut dire que nous nous exprimons à quatre. Très vite, nous nous sommes rendus compte que nous formions une bande, et chaque fin de tournée est pour cette raison toujours difficile à vivre. Ce disque, un peu introspectif, est un hommage à cela, au fait que nous nous sommes rencontrés, que nous jouons ensemble.

Sur la pochette, vous regardez chacun.e dans une direction différente, et la photo est brouillée…

Romain : Il faut savoir que nous ne sommes pas très à l’aise avec ça. Nous ne voulions pas regarder dans les yeux la caméra parce que n’avons pas la gouaille des Dogs. C’est de l’humilité : regarder en face, frontalement, ça aurait fait trop cliché groupe de rock. C’est peut-être notre côté indie qui est revenu à ce moment là. Mais c’était une vraie demande de notre part qu’une photo de nous figure sur la pochette, parce que ça ne se faisait plus trop. Le fait que l’image ne soit pas nette me fait d’ailleurs penser à la pochette d’Aftermath, le disque des Stones (la pochette de la version U.S.).
Nicolas : Je n’avais pas remarqué les regards, mais si je devais donner une interprétation, je dirais que regarder dans des directions différentes, c’est une manière de montrer que, même si nous sommes tous ensemble, nous avons chacun.e notre monde, avec notre propre histoire. En ce qui concerne l’absence de netteté, cela vient d’une double exposition de la photo, me rappelant My Bloody Valentine qui recourait également à des images saturées, en décalage. Sans doute que cette pochette révèle par ce biais notre côté indie rock/pop.

Ce qui est très particulier avec vos chansons, et qui les rend si émouvantes, c’est qu’elles génèrent une forme de tristesse qui, pourtant, procure beaucoup de plaisir et, même, galvanise. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Morgane : Nous avons vécu des choses compliquées avec nos précédents groupes, et quand nous nous sommes retrouvés ensemble, nous nous sommes dit que nous allions nous exprimer de telle sorte à ce que nous ne reproduisions plus les erreurs du passé. Nous avons vraiment grandi ensemble, et fait un gros travail d’introspection. Si nous parlons de choses tristes, ce n’est pas parce que nous sommes tristes, mais parce que nous allons mieux maintenant, et que c’est ce qui nous permet d’en parler.
Nicolas : Quand nous jouons Nothing Has Changed sur scène (le dernier titre de l’album), j’ai remarqué que ce morceau, dont la charge émotionnelle est assez forte, nous permet de transformer ce qui est difficile en quelque chose d’autre, que l’on peut porter. Et ce qui permet cela, c’est le fait que nous soyons un groupe, une vraie communauté dans laquelle chacun sait qu’il est soutenu par les autres.
Romain : Je parlais tout à l’heure de Plastic Ono Band, qui présente des morceaux tristes, que l’on arrive pourtant à bien supporter parce que l’album contient également beaucoup de moments de joie. Nous sommes très inspirés par ce type de démarche.
Morgane : Cela me rappelle le mot portugais saudade, la mélancolie heureuse. C’est un mot que l’on n’a pas en France, mais qui aide à nous définir.
Nicolas : C’est un beau résumé !

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