OK WAIT, marqueur de son époque

OK WAIT, marqueur de son époque

Comme beaucoup de groupes, OK WAIT a morflé durant la pandémie. Mais au bout des épreuves, des changements de line up, les esprits de ces hambourgeois, désormais réduits au format trio, se sont soudainement éclaircis. Plus question de s’embarrasser de concepts, de genres, ou de quelconques limites à sa création. Libre comme l’air, à l’écoute de lui-même avant tout, le groupe sort SIGNAL, un deuxième album libérateur, diversifié mais d’une cohérence redoutable, ou se mêlent des influences noise rock, shoegaze, mais aussi doom et black metal, histoire de rendre l’expérience plus intense encore. Que vous soyez fans de Russian Circles ou de Swans, vous trouverez donc forcément de quoi vous réjouir dans ce tour de force imposé par ces allemands dont on a logiquement voulu en savoir un peu plus… 

Pour commencer, pouvez vous revenir sur votre parcours ? Deux d’entre vous jouaient dans le groupe post-rock Sonic Black Holes, n’est-ce pas ?

C’est vrai. Sonic Black Holes a commencé en 2016 avec quatre musiciens, a sorti un Ep, donné quelques concerts et a aussi fait une tournée anglaise de quelques dates. En 2018-2019, il y a eu quelques changements de personnel puisque le bassiste et le batteur sont partis, respectivement remplacés par Florian et Lutz. Vu qu’ils étaient assez différents de leurs prédécesseurs, ils ont amené leur propre identité au groupe. Du coup, quand nous avons aussi du changer de local de répétition, tout semblait si différent qu’il était devenu logique de donner un autre nom au projet. Là, OK WAIT est né. Alors que nous étions sur le point de terminer la composition de notre premier album, WELL, la pandémie est arrivée et nous a obligés à ne plus jouer pendant près de neuf mois. On en a profité pour enregistrer et produire cet album. Nous nous sommes retrouvés qu’une seule fois en studio pour enregistrer correctement la batterie. Ces circonstances ont été difficiles pour chacun de nous. Puis il a fallu attendre avril 2022 pour que WELL sorte, les grandes maisons de disques s’étant appropriées toutes les usines, passant les délais de fabrication à plus de neuf mois pour les productions indépendantes. Enfin, peu après la sortie, Christoph, l’autre guitariste, est parti à son tour, laissant OK WAIT dans sa forme actuelle. Donc, oui, nous étions tous dans Sonic Black Holes, mais Michel en est le seul membre fondateur au sein du groupe.

Votre nouvel album, SIGNAL, reste fidèle à votre approche instrumentale mais va au-delà du post rock en embrassant de nouvelles influences, plus noise et plus heavy. Pourquoi avoir pris cette direction seulement un an après la sortie de votre premier album ? Quel postulat vous a amené à remettre votre musique en question à ce point ?

Devenir un trio a probablement pas mal influencé la plupart des changements perceptibles à l’écoute de SIGNAL. Le fait que WELL ait été particulièrement bien accueilli, que nous ayons survécu à la pandémie, nous a amenés à moins de compromis créatifs. Ce qui nous anime, c’est de traduire en musique certains de nos sentiments et humeurs du moment, plutôt que de répondre à un concept. Ce que vous entendez, c’est ce que nous ressentons. Cette fois, nous avons manifestement été plus déchirés, bouleversés, baisés, préparés, impatients, en colère, démontés, et reconstruits qu’auparavant. On réfléchit un peu moins et surtout, nous ne voulons plus seulement être un de ces nombreux groupes post rock.

Certaines ambiances de SIGNAL rappellent un peu Omega Massif et Cult of Luna. Est-ce que ce sont des groupes importants pour vous ? Et est-ce que travailler avec Magnus Lindberg, même s’il n’est intervenu qu’au stade du mastering, a pu avoir une influence sur cet album ?

C’est marrant, le fait que tu mentionnes Omega Massif me fait réaliser que cela fait bien longtemps que je ne les ai pas écoutés. Ils manquent. Cult of Luna est plus présent au sein de nos playlists, nous les aimons beaucoup. Je dirais qu’on essaye de garder une distance saine vis à vis de ces groupes qu’on adore et qui pourraient facilement nous influencer. Comme je te le disais, notre première influence, c’est ce que nous avons en nous, ensuite nous écoutons ce qui peut résonner ailleurs. Quant à Magnus, il avait également masterisé le premier album. Il est rapide, professionnel, donc nous n’avons pas hésité à refaire appel à lui. Nous venons de recevoir les vinyles de SIGNAL et le master qu’il a réalisé est absolument magnifique. Mais il ne faut pas oublier le travail de mix de Scott Evans. Nous l’avons choisi pour le son sec et net qui lui est propre. Il a immédiatement compris notre son et a mixé tout ça avec beaucoup de soin et de patience !

Peter Voigtmann, qui a déjà produit The Ocean ou Heads, s’est lui chargé de l’enregistrement. Pourquoi ce choix, et qu’a t-il concrètement apporté à SIGNAL ?

Nous l’avons rencontré quand il jouait avec Heads, et on a tout de suite adoré son style de batterie unique et profond. Il est aussi super sympa, ce qui ne gâche rien. Quand nous avons planifié la production de ce nouvel album, nous n’avions que peu de repères sur ce que nous voulions, si ce n’est notre volonté de travailler dans un cadre différent, loin de chez nous. Peter a un joli studio à la campagne, avec une grande salle de concert et plein d’animaux qui rodent autour. On y a donc passé une semaine à l’automne 2022 pour terminer l’écriture, puis nous y sommes retournés la première semaine de janvier pour enregistrer. Il est très à l’écoute, et s’implique beaucoup en faisant des retours parfois étonnants, nourris de son expérience. Il a suggéré certaines couches sonores supplémentaires, notamment des percussions ou des pads de synthés, qu’il a parfois joué lui-même. Bref, au delà d’avoir un goût prononcé pour les sons bruyants et inconfortables, il sait surtout ce qui va fonctionner ou non.

SIGNAL frappe par sa diversité. Garder toute l’attention de l’auditeur, est-ce l’ambition première quand on joue de la musique instrumentale, à une époque où les albums sont souvent réduits à de simples compilations de morceaux ?

La plupart des albums que nous aimons ne sont justement pas ce genre de compilation. Ils se ressentent et sonnent comme des oeuvres uniques et entières. Nous considérons nos disques comme des marqueurs de l’époque que nous vivons, et nous composons sans nous soucier de ce que le public en pensera. Si nous considérons qu’un morceau est bon, nous le gardons en espérant ne pas être les seuls à le penser. Cela dit, cette diversité est voulue, notamment dans les sons et les structures des morceaux. En fait, on ne se fixe aucune limite, ni en terme de lourdeur, ni en terme de genre. Nous n’abordons jamais la question de l’équilibre entre les passages calmes et d’autres plus forts, ou des titres rapides et d’autres plus lents. Si cela avait été le cas, cet album aurait pas mal de ballades, ce qui n’est pas le cas. Nous sommes libérés de toute attente.

D’où vient cette récurrence de thème sur vos pochettes ? Je veux parler de ces animaux avec un oeil au centre ?

La pochette de WELL, réalisée par le peintre Frank Gonzales, nous a immédiatement paru parfaite, sans qu’on puisse expliquer pourquoi. Cette fois, vu que nous étions entourés de chevaux chez Peter, ils ont logiquement trouvé leur place dans un titre de morceau et sur la pochette. C’est Peter qui a pris cette photo, et je trouve qu’elle transmet une ambiance plus mature, en accord avec l’album. D’un point de vue plus conceptuel, regarder dans les yeux de quelqu’un est important pour le comprendre, pour déceler ses émotions. Le regard est ce qu’il y a de plus expressif. Que t’évoque le coq ? Est-ce qu’il est choqué ou en colère ? Le cheval est-il triste ou dans l’apitoiement ? Tout comme le nom du groupe, ce sont des invitations à trouver ses propres réponses.

L’écologie est un sujet de plus en plus abordé par les groupes, et peut être plus encore par les formations instrumentales. Comment l’expliquez-vous ? L’anxiété est-elle un sentiment qui se prête mieux que d’autres à la transcription musicale ?

Notre musique ne tourne pas seulement autour du sentiment d’anxiété, bien que nous y soyons pas mal confrontés. On y trouve aussi de la tristesse, de la colère, beaucoup de désespoir et parfois, de manière improbable, de la beauté et de l’espoir. Comme dans la vie finalement. Je pense que la déconnexion ressentie par de nombreuses personnes au sein de la société est non seulement à l’origine de nos problèmes sociologiques et politiques, mais aussi de nos problèmes écologiques. Qu’est-ce que la pollution si ce n’est un mépris total pour les autres ?

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