Le punk de Nightwatchers dépoussière les consciences

Le punk de Nightwatchers dépoussière les consciences

Formé à Toulouse en 2016, et auteur de deux Eps dès ses premiers mois d’existence, Nightwatchers aura attendu trois ans pour sortir son premier album La Paix ou le Sable. Très vite, le groupe s’en est allé le défendre sur les routes d’Europe, profitant de la moindre occasion pour présenter sa musique, plus précisément sa vision du punk rock, au delà de nos frontières.
C’est dans cette même lignée que le quatuor s’apprête à signer Common Crusades, une nouvelle salve punk et politiquement engagée, composée durant la pandémie de Covid. L’album aligne 10 titres mélodiques et remontés à bloc, certains trahissant des influences post-punk plutôt discrètes jusque-là, et dont les paroles sont tirées d’écrits de personnalités ayant joué un rôle dans le processus de colonialisme exercé par la France, et qui continue d’affecter le pays aujourd’hui. Le groupe s’explique.

TRACK BY TRACK

FOR THE SAKE OF THE PEOPLE AND THE NATION

Le texte est inspiré d’un article de Cecil J. Rhodes (1898). Il pose les justifications économiques de la colonisation, ici dans le contexte de la crise que traverse l’Angleterre fin 19e. On retrouve ce registre de justification à la même époque en France chez Jules Ferry. C’est le premier morceau de l’album, parce que de mon point de vue c’est la première justification de l’expansion coloniale.
Musicalement, on ne voulait pas commencer avec une intro qui s’éternise, l’idée était d’entrer assez rapidement dans le vif du sujet avec un premier riff bien droit. Je me suis librement inspiré de Cloak/Dagger pour le refrain, David a inconsciemment pompé une ligne de basse d’Autistic Youth sur le pont.

WHITE FATHERS

Le texte est adapté d’un discours du Cardinal Lavigerie devant les troupes de l’armée française à la cathédrale d’Alger (1867). C’est le membre fondateur de la Société des Pères Blancs, d’où le titre… C’est surtout un responsable du clergé qui a joué un rôle central dans la justification de la colonisation française en Afrique.
Musicalement, c’est un des morceaux les plus posés de Nightwatchers. On voulait composer quelque chose d’un peu plus ‘pop’ et ‘mélodieux’, si on peut dire… Histoire d’avoir un ensemble un peu plus subtil et moins bourrin que La Paix Ou Le Sable. C’est le titre plus inspiré Terrible Feelings et High Hats du disque. On s’est bien pris la tête sur les arrangements au niveau des voix en studio, Mathieu Zuzek a bien taffé dessus aussi pendant le mix, on en est vraiment contents.

NO MATTER WHO OSEI KOFI TUTU I IS

La colonisation française est aussi justifiée par la prétendue supériorité naturelle et biologique d’une ‘race supérieure’ sur des ‘races inférieures’. Certains scientifiques expliquaient par exemple que la taille et la forme des cerveaux des Ashanti les rapprochaient davantage du chien que de l’homme. A la fin du 17e, Osei Kofi Tutu I fondait pourtant l’Empire Ashanti…
A la base, on comptait composer deux EP de 4 ou 5 titres, un premier plutôt post punk, plus posé; et un second plus tendu et un peu neuneu… Donc ça faisait partie de ces morceaux-là, dans le délire Uranium Club, Sauna Youth. On a bien trippé en studio sur les arrangements du pont instrumental au milieu, en jouant un peu plus que d’habitude avec le chorus et le synthé, même si ça reste discret.

1905 & THE MUSLIM EXCEPTION

Le texte est inspiré d’un article de F. Frégosi, ‘Les contours fluctuants d’une régulation étatique de l’Islam’ (1999). Pour reprendre les mots de Léon Gambetta, à la fin du 19e, ‘l’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation‘. C’est assez explicite sur le ‘deux poids, deux mesures’ qui existait sur le plan juridique entre la métropole et les territoires de l’Empire Colonial.
C’est le premier single de l’album, et le seul morceau qu’on ait pris le temps de clipper, avec notre comparse Vincent Baudry qu’on a sacrément saoulé pendant des semaines pour avoir le rendu qu’on voulait (rire). Je crois que c’est un de nos titres préférés, avec le thème le plus entêtant du disque. C’est bien dans la lignée des titres de La Paix ou Le Sable, mais de notre point de vue un peu plus abouti. Il nous tarde de jouer ça en live maintenant…

A NOT-SO-SECULAR STATE CULTURALISM

Pendant l’entre deux guerres, l’armée française a fait face à un renouveau de la résistance islamique en Algérie, incarnée par le cheikh Abdelhamid Ben Badis. L’administration a donc fait en sorte d’encadrer tant que faire se peut le culte musulman, en surveillant les oulema suspectés de mettre en péril la présence française.
Ce morceau a été composé dans la continuité du précédent, on les a vraiment pensés en enchaînement. A la base, il s’appelait Le grand black metal, parce que je crois que Kevin et David ont piochés quelques suites d’accords du côté d’Ulver ou je ne sais quel autre groupe obscur du style. Ça se ressent surtout sur l’intro et l’outro (merci les copains de Mourir pour la HM2), le reste n’a pas grand chose de black metal en vrai. Sur ce disque, on a un peu poussé Freddy a varier légèrement les rythmiques batterie. C’est, je pense, un des trucs qui fait que l’ensemble est moins linéaire que l’album précédent. Pareil, on est impatient de tester ce morceau en concert !

THE PHANTOM MENACE

On ouvre donc la face B, où on a regroupé les textes qui abordent la place des musulmans, et plus généralement des descendants de l’immigration post-coloniale dans la société française contemporaine. C’est la ‘menace fantôme’ d’un islam radical qui mettrait en péril la cohésion nationale, thématique qu’on retrouve ici dans le discours d’intronisation de Jean Castex en tant que Premier Ministre.
C’est le morceau sur lequel j’ai le plus galéré pour trouver une ligne de chant qui fonctionne sur le couplet… Mais au final c’est cool, ça dénote un peu de l’ensemble des autres compositions, dans le sens où c’est un peu plus poussé. Ça se rapproche de ce que je faisais avant avec No Guts No Glory. Du coup, il y a un petit côté Dead To Me, Against Me! qu’on ne retrouve pas souvent dans notre musique. Mention spéciale à Kevin qui a composé l’intro avant d’entrer en studio et qui lance hyper bien la face B. Il est bon ce jeune.


G. KEPEL, PRESIDENT WHISPERER

Un morceau qui parle donc de ce sac à merde de Gilles Kepel et de son influence sur le positionnement politique d’Emmanuel Macron en ce qui concerne la prévention de la radicalisation. Ça fait 30 ans qu’il est obnubilé par l’influence saoudienne en France et qu’il fantasme ce fameux islam séparatiste qui préoccupe tant nos représentants politiques depuis quelques mois.
Ce morceau s’appelait Éviteurs de jeunes, clin d’oeil à Youth Avoiders donc, t’as compris… C’est le morceau rapide du disque, en gros. On avait Shooting Range sur l’album précédent, c’est dans la même lignée… J’aime beaucoup le refrain qui, pour le coup, est bien pompé Marked Men. Mais on assume nos influences, c’est ok.

DISMISSED

Lettre d’amour de Jean Castex aux forces de police… On retrouve là une thématique qu’on a souvent abordé avec Nightwatchers puisque nos deux premiers EP parlaient exclusivement de la police. C’est basé sur un discours officiel qui tombait à peu près en même temps que les manifs en soutien à la famille Traoré pendant l’affaire Adama. On a beau le savoir, c’est toujours étonnant de voir à quel point le soutien du gouvernement aux forces de l’ordre est inconditionnel… La France est un pays qui a toujours eu du mal à reconnaître ses dysfonctionnements et à les assumer.
Ça, c’est l’intro qui commence à nous sortir par les oreilles (rire). On l’avait composée pour ouvrir le set quand on tournait pour La Paix Ou Le Sable, du coup on l’a jouée 1000 fois et on n’en peut plus, mais on voulait quand même l’enregistrer parce qu’elle est cool. Dismissed, c’est le tout premier morceau qu’on a composé pour cet album, je pense que c’est une des compositions le plus dans la lignée Red Dons et des morceaux type No End In Sight ou On A Mission de notre premier album. Des suites d’accords qui trainent un peu, une ligne de chant assez posée, aérée… Ça file, on sait faire, ça fonctionne. C’est un de mes titres préférés de Common Crusades.

THEIR TURN TRYING TO RULE THE WORLD

C’est un texte adapté du rapport sénatorial de Jacqueline Eustache-Brinio (2020), qui a largement alimenté les récentes prises de positions politiques du gouvernement français vis-à-vis du ‘séparatisme islamiste’. Je vous invite à lire cette pépite qu’on peut trouver en accès libre sur le site du gouvernement. Si on n’est pas en plein conspirationnisme, on en est vraiment aux frontières…
T’as déjà vu Shanghai Kid ? Un savant mélange des cultures. Kevin nous ressort ses fameux thèmes Far West façon Ennio Morricone pour terminer au grand galop, cheveux au vent. C’est un morceau tout con avec la même ligne de basse qui tourne en boucle, du coup on peut s’amuser à faire des questions/réponses aux guitares. C’est un peu plus posé que ce qu’on fait d’habitude, un peu dans la lignée de titres comme Fellah’s Temptation sur l’album précédent. Y’a un côté Fontaines D.C. je trouve, même si je sais pas trop dire pourquoi.

JUST A MATTER OF TIME

Au niveau du texte, c’est un prolongement du morceau précédent, qui met en avant certains délires conspirationnistes du rapport.
C’est le tout dernier qu’on a composé pour l’album, vraiment juste avant de faire les pré-prods avec Kevin Gumz. C’est un des rares morceaux qui a été composé de A à Z à la maison sur Garage Band par Kevin (le notre ce coup-ci). Il est arrivé avec la maquette, on a dit ‘ok c’est cool, vas-y on enregistre ça!’. Vous remarquerez qu’on retrouve cet aspect ballade à cheval là, c’est sa marque de fabrique. Seul titre où on répète 3 fois le refrain. On a changé la tonalité entre les pré-prods et la session studio parce que j’arrivais pas à chanter aussi haut (rire). Pour la petite histoire on avait aussi enregistré une reprise de J’ai Peur des Béruriers Noir en pré-prod, mais on a décidé de ne pas l’enregistrer en studio. Pour ceux qui sont curieux de nous entendre chanter en français, elle est sur la compil marseillaise Quarantaines – Bis qui est en écoute sur Bandcamp. Tout l’argent récolté est en soutien à la Dar Lamifa, un espace associatif culturel et politique populaire de Marseille.

ECOUTE INTEGRALE


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