Fontanarosa, la fraîcheur d’un truc frais

Fontanarosa, la fraîcheur d’un truc frais

Il y a deux ans, Paul Verwaerde – ancien membre du duo Monotrophy – présentait le premier Ep de son nouveau projet Fontanarosa, et endossait sans trop en avoir conscience un costard de songwriter qui n’allait pas manquer d’éclater au grand jour quelques mois plus tard. Avant cela, comme tous ses homologues, il lui aura fallu faire avec la pandémie, les concerts annulés retardant d’autant la sortie de son premier album : tout un laps de temps que le lyonnais a donc mis à profit en recrutant quelques musiciens pour l’entourer, tous capables de s’inscrire dans le projet en le respectant tout en l’enrichissant. En résulte Are You There, une magnifique salve indie rock alignant 9 titres variés mais cohérents avec, en guise de fil rouge, une sensibilité pour le moins attachante. La même – forcément – qui habite l’intéressé et qui n’a pas manqué de planer sur la longue discussion que nous avons eu avec lui, par ordinateurs interposés.

Comment te sens-tu à quelques jours de la sortie de ton premier album ?

Paul : Je suis un peu excité. Je trouve ça enthousiasmant de partager son travail. L’album a été enregistré il y a un an, donc… Déjà, le premier clip fait du bien dans le sens où des gens qui ne te connaissent pas écoutent et te font des retours positifs. Des tourneurs nous ont approchés, l’album sort, ça avance, donc c’est stimulant.

Ce nouvel album s’intitule Are You There ? Doit-on y percevoir de la crainte quant à la réception de ce disque par le public, ou l’idée vient d’ailleurs ?

C’est marrant parce que je ne l’ai pas écrit dans ce sens là, mais je me suis rendu compte qu’il y avait effectivement un effet miroir pour les lecteurs. Ce titre est assez référencé adolescence musicalement. Il y a un truc rock indépendant des années 2000 dans notre inspiration. Du coup, dans tous mes textes, j’essaye de retrouver une fraicheur… J’ai commencé la musique vers 14 ou 15 ans, et ça a été un truc très fort quand ça m’ait tombé dessus. J’avais le sentiment d’avoir perdu cet enthousiasme adolescent par rapport à la musique, et j’ai eu envie de retrouver cette énergie. Tout l’album est une espèce de dialogue entre le trentenaire que je suis et l’adolescent que j’étais, mais avec la maturité d’aujourd’hui. Le titre évoque plus ça que l’idée de savoir si le public va être là, mais ce double-sens est chouette.

La production de ce premier album donne une toute autre envergure au projet. Est-ce parce que tu as bénéficié de plus de moyens, ou y avait-il une véritable volonté d’afficher de nouvelles ambitions ?

J’avais enregistré le premier Ep sur Logic Pro, avec des plug-ins, un simulateur de batterie et une guitare branchée sur l’ordinateur. J’avais mis pas mal de distortion pour créer une nappe un peu rock garage. Là, j’avais envie d’avoir un son de groupe donc j’ai mis les moyens pour enregistrer dans de meilleures conditions. Il y a deux guitares, une basse, une batterie, et un peu de guitare folk parce que je compose avec à la base. Je voulais que ça sonne assez brut, sans beaucoup d’effets, comme si tu venais nous voir au local. Comme un enregistrement de répétition finalement, mais bien produit, bien live, comme le faisaient certains groupes punk émo que j’écoutais quand j’étais gamin. Ils posaient trois ou quatre micros d’ambiance, et c’était parti, ça donnait un album. C’est cet état d’esprit que je souhaitais.

Tu parlais de composition à la guitare folk. C’est primordial pour toi qu’un morceau sonne d’abord en acoustique ?

Non, ce n’est pas une règle mais, vu que j’ai passé beaucoup de temps sur cet instrument, c’est avec lui que je déclenche des amorces. Même avant que la voix arrive, c’est toujours une idée de guitare qui vient pour y poser une mélodie de chant. Tout part de là, et une grosse majorité des morceaux sont écrits comme ça. Mais il y en a d’autres qui marchent aussi très bien quand je bidouille mes maquettes sur ordinateur. Après, si le morceau tient en guitare-voix du début à la fin, je me dis qu’il y a moyen de s’amuser avec après. C’est comme une bonne base tomate dans la pizza.

Bizarrement, cette influence folk est peut être celle que tu revendiques le plus mais qui est la moins présente au sein de cet album, même s’il y a de très bons morceaux dans le genre (Anytime, Final Distance Ghost). C’est l’effet de groupe ou une évolution naturelle de ton registre en tant que compositeur ?

La guitare folk me sert d’outil au même titre que le crayon de papier pour un dessinateur. Oui, il y a des influences folk dans Fontanarosa, quelques ballades de temps en temps, mais je suis beaucoup plus rattaché à l’idée de jouer une musique de groupe, un truc très post-Beatles. Le folk, c’est l’héritage paternel, mon père ayant beaucoup écouté Neil Young que je connais bien du coup. Lui prend sa guitare et écrit des chansons qui défoncent. Je revendique beaucoup ce folk là. J’ai aussi développé un jeu de guitare qui en est pas mal inspiré. Par exemple, j’avais essayé d’apprendre à faire du fingerpicking avec le pouce qui est une technique fascinante mais, vu que je n’y arrivais pas trop, je l’ai appris avec mon médiator. Ca s’entend un peu sur Way In Out notamment. Ca permet de faire des arpèges qui se rapprochent de cette esthétique. Le folk ne va pas plus loin que ça concernant Fontanarosa.

Tu amènes donc les idées, puis vous les arrangez en groupe. Pour un compositeur, est-ce que c’est quelque chose de difficile de confier sa musique à l’interprétation des autres ?

C’est une très bonne question parce que, autant j’ai pu être un peu maniaque par le passé à vouloir que les mecs fassent exactement ce que j’avais écrit pour tel et tel instrument, autant maintenant j’arrive avec des chansons qui tiennent en guitare/voix, ce qui me permet de lâcher prise et de laisser les autres faire ce qu’ils ont envie. Après, je contrôle et recadre quand ça ne me plait pas, mais j’aime l’idée d’une vraie collaboration. On met la musique en forme en groupe, parce que certains peuvent avoir des idées qui fassent partir le morceau dans une autre direction. Il y a une multi-directionnalité qui se crée avec les interprétations de chacun et qui amène une plus grand richesse. Etant donné que certains morceaux ont une part d’ombre pour moi vu que je ne les ai pas tous pensés moi-même entièrement, ça crée un mystère au sein de mes propres compositions, ça les rend plus vivantes.

En termes de composition, je trouve que ce premier album arrive à proposer un instantané parfait de la scène rock actuel, tout en nourrissant une vraie personnalité. Es-tu touché par tout ce qui peut sortir en ce moment, de l’indie pop au post punk en passant par le krautrock ou le garage ?

Ca rejoint un peu le titre de l’album. Moi j’ai grandi avec Franz Ferdinand, Radiohead, The Strokes… Depuis quelques années, je me consacre vraiment à la musique. En 2016, j’avais un groupe appelé Monotrophy et, à partir de ce moment-là, j’ai intégré une sorte de communauté assez inscrite à Lyon, qui gravitait autour du Ground Zero où j’ai pu voir énormément de concerts, tout comme au Sonic. Je me suis donc énormément nourri ces dernières années, je suis assez fan du label Drag City, de Dry Cleaning que je trouve génial, je suis un grand fan de No Age qui a beaucoup influencé le premier Ep… Il y a aussi des guitaristes de folk que j’aime beaucoup, notamment Steve Gunn qui est maintenant chez Matador mais qui avait commencé chez Paradise of Bachelors, un super label américain de néo-folk que je suis de très près. On y retrouve Jake Xerxes Fussell que je trouve super. Donc je suis vraiment l’actualité des groupes d’aujourd’hui, et je fais le lien avec mes racines adolescentes sans pour autant être nostalgique.

Doit on aussi trouver une réponse à cette question dans le fait que tu sois né en Angleterre et que la musique la plus excitante du moment vient de là bas ? Way In Out peut, à mon humble avis, rivaliser par exemple avec Fontaines DC. Tu penses être au bon endroit au bon moment ?

C’est sur que l’Angleterre est ancrée en moi. Je suis né là-bas, mon père a de la famille anglaise donc il a un héritage culturel de son côté, et la musique m’a été principalement transmis par lui dans un premier temps. C’est un grand collectionneur de disques donc j’ai beaucoup écouté d’artistes anglophones dans la voiture. Après, j’ai bougé, j’ai grandi en Espagne, j’ai vécu au Brésil, donc j’ai appris d’autres langues. On revenait vivre de temps en temps en France donc je ne me suis jamais vraiment senti français, même si c’est ma nationalité et ma langue courante. La culture anglophone étant partout, j’ai découvert des trucs sur MTV quand j’étais au Brésil. J’ai une certaine fascination pour cette culture et en même temps, je ne la connais pas vraiment non plus. C’est très fantasmé parce que je n’ai plus vécu là-bas ensuite, je n’y ai pas grandi, j’y suis juste retourné en voyage. Je ne sais pas ce que c’est que d’être anglais aujourd’hui, mais c’est un truc qui vient de loin.

Comme tous ceux qui ont beaucoup voyagé, je suppose que tu as du avoir des difficultés à t’attacher aux gens. Est-ce que ça explique aussi pourquoi tu t’es plongé dans la musique qui, jouée seul, est une façon de se montrer plus introspectif ?

C’est sûr que ça m’a aidé, ça m’a servi de point fixe. C’était un univers que je maitrisais dans mon imaginaire, donc on ne pouvait pas venir me le changer. Les choses avaient beau bouger autour de moi, j’avais quelque chose auquel me raccrocher, un jardin secret à entretenir. Et effectivement, ça s’est peut être renforcé de par les déménagements successifs. Avec le recul, ça m’a apporté une vision large sur le monde : j’ai connu des cultures différentes, des façons de penser différentes, et en même temps j’ai perdu plein de potes, j’ai du constamment me réadapter dans de nouvelles écoles, de nouvelles classes… Je pense que j’ai aussi développé un truc un peu weirdo, timide, donc je me suis pas mal identifié à cette musique un peu punk, arty, alternative qui est – je pense – un peu tenue par des gens qui sont un peu comme ça aussi.

En parlant de timidité, comment vis-tu ce statut de chanteur/compositeur qui te place au devant du groupe ? Est-ce que les concerts sont une épreuve, ou une libération ?

Ca dépend. Hier, on a joué à Lyon et j’étais trop content. Pourtant j’ai stressé ! Je pense que je vais me sentir de plus en plus à l’aise du fait que les échos autour du groupe soient plutôt positifs. Du coup, je me sens un peu plus légitime à m’exprimer. Le plaisir va aller crescendo mais c’est vrai que c’est encore un peu difficile de parler avec le public. Je n’ai aucun souci à chanter, mais quand la musique s’arrête et qu’il faut dire bonsoir… Je pense que ça va m’aider à me libérer de cette timidité qui peut me bloquer.

Crédit photos : Célia Sachet, Lise Dua, Nicolas Rivoire

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