Fontanarosa, des yeux dans les oreilles

Fontanarosa, des yeux dans les oreilles

Fontanarosa, c’est une parenthèse enchantée, un moment hors du temps. Rien que le nom fait s’épanouir dans l’imagination des visions d’un sud fantasmé, dans lesquelles se combinent motifs floraux, fontaines d’une autre époque, espaces baignés de couleurs resplendissantes. La musique, elle, relève de la pop, mais pas n’importe laquelle, celle que créent les orfèvres attachés à transfigurer leur propre mélancolie. Are You There?, en 2022, avait ce charme singulier retenant immédiatement l’attention, Take A Look At The Sea, le nouvel album, parcourt avec délicatesse et une sensibilité rare de beaux paysages remplis de la lumière de l’aurore, à moins que ce ne soit celle du crépuscule. La merveilleuse étrangeté des nouveaux morceaux nous imposait de rencontrer le groupe afin de tenter d’approcher le mystère de leur création. On retrouve donc Paul Verwaerde (Guitare, chant), Gregoire Cagnat (basse), Kevin Lafort (guitare), et Florian Adrien (batterie) à Rennes, début février, au milieu d’une tournée de six dates destinées à présenter au public leur deuxième album.

D’où vient le nom du groupe, Fontanarosa ?

Paul : Cela vient d’une conversation que j’ai eue avec ma grand-mère quand je suis allé lui rendre visite dans sa maison de retraite. Elle m’avait alors parlé d’un certain Lucien Fontanarosa qu’elle avait accueilli dans les années 40, et qui était peintre. Lorsqu’elle a prononcé ‘Fontanarosa’, j’ai eu l’impression de voir les mots sortir de sa bouche, et j’ai trouvé ça vraiment stylé. À l’écrit, ça fonctionnait aussi bien, et il y avait du rythme. Ce nom, avec sa prononciation, m’appelait, et je me suis dit que j’allais l’utiliser comme nom de groupe : une vraie usurpation d’identité (rires) ! En plus, il y a des musiciens classiques reconnus qui portent ce nom (Patrice, Frédérique et Renaud, le trio Fontanarosa, les enfants de Lucien, le peintre dont parlait Paul plus haut, ndlr).
Florian : C’est un nom qui passe très bien les frontières. D’ailleurs, l’aéroport de Catane en Sicile s’appelle comme cela (mais s’écrit ‘Fontanarossa’, ndlr).

Comment vous pensez-vous et sentez-vous en tant que groupe, au moment de la sortie de votre second album ? Alors que vous vous découvriez les uns les autres avec Are You There?, est-ce que Take A Look At The Sea atteste de l’unité, de l’identité et de la dynamique de Fontanarosa ?

Paul : Lorsque j’ai commencé la musique, je faisais beaucoup de choses seul. Are You There?, c’était encore ça. Le groupe s’est bien créé à ce moment là, mais on a alors fait 3 ou 4 répétitions ensemble pour tout de suite après enregistrer l’album. Take A Look At The Sea est le résultat d’une véritable expérience collective, d’une histoire qui se développe et ouvre sur quelque chose que l’on découvre ensemble. On est donc devenu Fontanarosa. Au début, il fallait faire naître le groupe, et on n’avait à notre disposition que le jeu des références. Maintenant, on ne se pose plus la question de ce qui nous influence, on fait juste de la musique en développant nos particularités, en sachant exactement là où on veut être ensemble. On peut comparer ce développement à celui de l’enfant : bébé, on dit de lui qu’il ressemble à son papa, à sa maman ; en grandissant, on se contente simplement de dire qu’il est lui-même, une personne singulière.
Florian : C’est vrai qu’à l’époque d’Are You There?, on ne savait pas ce qu’était vraiment le groupe. Là, on pouvait se fonder sur ce qui nous plaisait sur ce premier album, et qui nous réunissait tous. Je pense qu’il s’agissait des ambiances un peu plus atmosphériques et non des mélodies pop un peu Beatles, desquelles nous nous sommes éloignés. Nous avions la volonté d’aller un peu plus loin dans la production, de ne pas nous arrêter au schéma guitare-basse-batterie de l’indie-rock. Maintenant, on s’autorise beaucoup de choses.

Comment travaillez-vous ensemble ?

Paul : J’écris les chansons, qui sont à l’état de squelette avec gimmicks, couplets et refrains. C’est à partir de ce cœur, ce quelque chose de presque autosuffisant, que l’on peut se retrouver et commencer à bosser ensemble les arrangements. J’aime bien l’idée de laisser faire le truc, de se donner pas mal de marge. L’image de l’arbre permet de penser cela : il y a le tronc puis les branches qui s’étendent vers l’extérieur. Cette arborescence est le résultat d’une réflexion plurielle sur le morceau, qui l’amène dans des directions que je n’aurais jamais imaginé au moment de la composition. Chacun, en cherchant sa direction, porte donc le morceau ailleurs.
Kevin : Pour ce second album, il y a eu un vrai dialogue entre les guitares. Ma collaboration avec Paul a été nettement plus importante, pour un meilleur résultat : on a passé du temps à trouver les bons arpèges, les bonnes mélodies, à réfléchir au moyen de les combiner entre elles. Paul arrivait avec ses idées et on enrichissait cela ensemble, ce qui nous permettait d’ailleurs de ne pas nous limiter à deux guitares.

Quelles sont les références musicales de chacun et comment agissent-elles sur l’arrangement des morceaux ?

Paul : J’adore le shoegaze et Radiohead. On a un socle pop rock en commun, même si ça fait un peu RTL2 de le dire comme ça.
Florian : En ce qui me concerne, j’ai toujours envie de tirer les morceaux vers la pop. De les poppiser, en écrémant, en retirant les parties superflues.
Greg: Je tends vers quelque chose de plus cold wave et tranchant. Mais contrairement au premier album, quand j’ai pu apporter mes lignes de basse aux morceaux de Paul, ce n’était pas en fonction de ce que moi seulement je voulais y mettre mais en fonction de ce que je comprenais un peu mieux de Fontanarosa. Je pensais surtout à ce que je pouvais apporter en tant que bassiste du groupe, sur la base d’une meilleure appréhension de son identité, même si celle-ci est mouvante. J’ai ma propre histoire, mes propres goûts, mais je sais les intégrer à présent dans quelque chose qui peut être considéré comme une vision.
Florian : Sur le premier album, on restait influencé par des codes. On se disait, ‘celle-là, c’est la chanson Beatles, celle-là la chanson Talking Heads‘. Sur le second, on ne s’est pas du tout posé la question des références. On ne sait pas trop ce qui nous réunit vraiment, on n’est pas tous fans des mêmes groupes, mais cela nous a poussé à ne pas trop réfléchir. Comme le disait Greg, on a juste ressenti ce qu’était Fontanarosa. Le fait d’avoir toutes ces différences nous a permis de trouver un son s’affranchissant des références, caractérisant un groupe unique.

Où ce nouvel album a-t-il été réalisé, et avec qui ?

Paul : Comme pour le premier album, on a enregistré au même endroit, dans ma maison de famille. On a fait appel à Théo Das Neves, qui s’occupe de notre son en tournée, ainsi qu’à Vincent Hivert, le bassiste d’En Attendant Ana, qui avait aussi travaillé avec Ulrika Spacek. Et c’est Florian (Adrien, le batteur du groupe, ndlr) qui s’est occupé du mixage.

Seriez-vous d’accord pour dire que le premier album avait une tonalité indie-rock plus marquée que Take A Look At The Sea, le second, lequel s’avère plus pop, plus aéré ?

Paul : Take A Look At The Sea est effectivement plus atmosphérique. C’était d’ailleurs voulu, dans l’écriture des morceaux, d’évoquer une certaine spiritualité, quelque chose qui emmène l’auditeur beaucoup plus loin que là où le maintenaient les morceaux de Are You There?. Avec du recul, je trouve que, sur ce premier album, il y avait des chansons un peu trop poppy, à la limite de la superficialité. On cherchait, pour le second, des gimmicks, des ritournelles, qui mènent vers un ailleurs ayant une véritable profondeur émotionnelle, mais faisant également penser, ou plutôt rêver. Ce nouvel album, on le voulait moins en surface, on désirait aborder des choses plus intimes, mélancoliques. Et cela se combinait également avec notre désir de proposer une musique qui soit aussi et purement du son : il fallait que ça aille jusqu’à l’os. C’est pour ça que je parle pas mal de folk, de Neil Young en particulier, parce que la formule guitare/voix va à l’essentiel, tant au niveau de l’expression des sentiments que de l’approche des sonorités.

Le motif de la chaise, déjà présent sur la pochette de Are You There?, est repris sur celle de Take A Look At The Sea, à la différence que maintenant, elle est posée à l’extérieur, dans la mer, alors qu’elle se trouvait précédemment à l’intérieur d’une pièce.

Paul : La chaise, on la retrouvait déjà sur la pochette du premier EP, en 2020 (elle était alors mise en abîme, ndlr). À l’époque, j’avais demandé un dessin de chaise à une pote qui était aux Beaux Arts de Marseille, et cela coïncidait avec le début d’une thérapie psy que j’entreprenais. J’allais m’asseoir, régulièrement, sur une chaise, et cet objet est devenu et resté pour moi un symbole. Un symbole de stabilité, d’assise, tout d’abord. Mais la chaise, tu peux aussi la déplacer, et sur la pochette du nouvel album elle se retrouve dans l’océan, dans un espace neutre, ouvert à tous, n’appartenant à personne, ce qui la transforme en symbole de mouvement, d’ouverture. Je trouvais l’image forte, mystérieuse, posant question, ce qui finalement me correspond bien puisque je fais partie de ceux qui préfèrent questionner que d’apporter des réponses.

Cette dualité entre stabilité et mouvement est d’ailleurs renforcée par l’aspect de la chaise, qui ressemble davantage à un fauteuil…

Paul : Au départ, je voulais même que ce soit une chaise en pierre flottant sur l’eau. Je tenais à ce qu’il y ait un paradoxe, une étrangeté rejoignant l’idée du rêve. C’est ce que je voulais dire tout à l’heure par spiritualité : rêver éveillé, explorer le mystère de l’ailleurs, dans un sens qui n’est pas du tout religieux, d’ailleurs. C’est ce que je ressens quand j’écoute de la musique, quelque chose qui m’échappe, qui m’ouvre sur l’inconnu, me donne l’impression d’explorer des rêves.

Le rêve, selon vous, transforme-t-il la réalité, l’accompagne-t-il ou permet-il de s’en évader ?

Paul : Il constitue une évasion, et celle-ci est nécessaire. Ses traces sont sur l’album, je l’espère. Cette évasion rejoint le titre de l’album, qui évoque l’horizon. À chaque fois que je vais voir la mer ou les montagnes, des paysages qui d’un côté nous confrontent à ce qui nous dépasse mais de l’autre nous permettent de nous recentrer, j’ai l’impression de respirer du cerveau. Il y a un effet whaouh vraiment stimulant !

Pour terminer avec la pochette, il semble y avoir un drap dans le ciel…

Paul : Non, c’est un nuage !
Greg : Je la trouve intéressante, l’idée du drap. C’est une image assez poétique, qui ferait de l’album une fenêtre ouverte sur le monde.

Beaucoup de titres évoquent des moments de la journée – Sundown, Dear Rising Dawn – ou, plus généralement, un rapport au temps – Here, Somewhere, In The Meantime, Take Time, What A Day. C’était déjà le cas avec le premier album, pour lequel tu avais dit, Paul, qu’il renvoyait à l’enfant que tu as été. Take A Look At The Sea serait-il, lui, connecté au présent ou tourné vers l’avenir ?

Paul : Il y a une volonté de s’émanciper de quelque chose de douloureux. Le premier album était une convocation du passé pour essayer de guérir ses blessures, et ainsi transformer ce qui a été une assise pour le présent comme pour le futur. Take A look At The Sea est, en ce sens, une ouverture vers la suite. J’ai un tempérament mélancolique donc, forcément, le rapport au temps qui passe me préoccupe… Mais quand on écoute ou fait de la musique, on parvient à se débarrasser de l’inquiétude de l’avenir et des choses du passé qui nous rongent. On peut alors rejoindre le présent, le vivre pleinement, et c’est cela qui fait du bien. Cette quête du rêve éveillé que j’évoquais précédemment, c’est donc, sans doute, une bonne manière de se replier sur ce que nous vivons, là, maintenant. Le côté plus apaisé de nos chansons, sur ce nouvel album vient probablement de ça, ce sont des compositions-remèdes, bienfaisantes. Mais je dois quand même dire que, quand je compose un morceau, je ne sais pas de quoi il va parler jusqu’à ce qu’il me le dise. Je lance un peu ma canne à pêche et je vois ce que cela va me ramener. Et le résultat est imagé, à la manière d’une peinture. D’ailleurs, à un moment de ma vie, lorsque j’étais aux Beaux-Arts, j’aurais aimé faire de la peinture. Mais autant quand je fais de la musique je vois des images, autant lorsque je fais des images je n’entends pas de sons, et c’est pour cette raison que j’ai finalement fait de la musique, pour ce truc magique qui fait que, par les oreilles tu peux voir des trucs. Peindre de la musique, c’est une idée qui me parle. Par exemple, Sundown est composé comme une image, celle de la fin de quelque chose et le début d’une autre.

Vous êtes de Lyon, quel est votre rapport à la ville et à sa scène ?

Paul : Quand j’ai débarqué à Lyon, j’ai rencontré toute une bande, celle du label AB records, et c’est comme ça que j’ai rencontré Flo, puisqu’il en faisait partie. Et puis j’ai eu un premier groupe de noise et, de là, j’ai pas mal gravité autour de Grrrnd Zero. Là, j’ai découvert Sierra Manhattan, François Virot, Société Étrange, tous ces groupes indés et expérimentaux très cools. Fontanarosa a commencé à répéter à Grrrnd Zero. Pour ce qui est de la scène locale, on a partagé des scènes avec Irini Mons, on est sur le même label (Howlin’ Banana) que Johnnie Carwash
Greg : … Comme Avions, d’ailleurs.

Comment abordez vous cette nouvelle tournée ? Sentez-vous une attente de la part du public ?

Paul : Les organisateurs des deux premiers concerts de la tournée nous ont dit qu’il y avait des gens curieux de nous voir, qu’ils avaient entendu parler de nous, notamment parce que la sortie du clip de Heartland avait été relayée par certains journaux comme les Inrocks. Pour nous, c’est surtout une occasion d’essayer nos nouveaux morceaux, puisqu’ils sont la charnière du set, et de voir comment ils se combinent avec ceux du premier album possédant une atmosphère qui leur est compatible.
Greg : Certains des nouveaux titres faisaient partie du set depuis quelque temps déjà, mais on en étrenne d’autres, inédits. La tournée sert avant tout à ça, à voir comment les morceaux fonctionnent, ce qui nous a conduit à retravailler le set après la première date, pour finalement obtenir une mouture qui nous plaît bien.
Paul : Au delà de la composition du set, les concerts nous apprennent des choses essentielles sur le groupe. Répéter et enregistrer c’est bien, mais jouer sur scène te permet d’atteindre des endroits qui vont servir de bases d’inspiration pour plus tard. Jouer, c’est faire vivre ta musique et ça fait avancer à tous les niveaux.

Photo live : Non2Non
Autres photos : Célia Sachet

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