Marietta, 100 cordes à son arc

Marietta, 100 cordes à son arc

Il y a quelques années, à l’occasion des 10 ans de son label Born Bad, Jean Baptiste Guillot soulignait l’étonnant renouvellement de Guillaume Marietta. Ancien membre d’AH Kraken, de Plastobéton et de The Feeling Of Love, le messin poursuit aujourd’hui sa carrière solo avec un troisième album illustrant plus que jamais ce compliment. Après un passage par l’enregistrement studio au côté du talentueux Chris Cohen pour les morceaux de La Passagère, Marietta est revenu à un dispositif qui met plus que jamais en avant son goût pour l’expérimentation ludique et l’erreur heureuse. Bardé de collages, de titres étranges, et de folk à trois têtes, Prazepam St. est un album que l’on traverse un peu béat, dès lors que l’on se laisse aspirer par sa fascinante confection. Une confection d’autant plus jouissive qu’elle repousse de nouveau les limites d’un artiste soucieux de tout faire, et de donner à ses oeuvres la liberté qui l’habite depuis ses débuts.

Sortir un album dans ce contexte doit être un peu marquant non ?

Guillaume Marietta : Ce qui a changé, c’est la formule classique de la promo, des concerts, etc… Quant à ce qui est le plus marquant, je n’en sais rien, je te le dirai après coup. Au début, c’était de ne pas pouvoir se projeter, mais je m’y suis fait. En fait, la sortie d’un disque, d’un film, ou quoique ce soit d’autre, ça couronne quelque chose qui a été fait longtemps auparavant, qui est déjà loin, déjà fini pour toi. La sortie, ce n’est rien d’autre qu’une histoire que tu racontes aux gens. Une date, c’est quelque chose d’arbitraire qui est posé par ton éditeur ou ton label. Et tu dis aux gens : ‘Voilà c’est aujourd’hui‘, mais ça pourrait être hier ou demain. Au final, c’est assez stressant, on se focalise sur un jour où il y a un mini feu d’artifice, et plus rien le lendemain. Un disque, ça vit, ça peut sortir n’importe quand, même dix ans plus tard au moment ou il arrive pour la première fois dans l’oreille quelqu’un. En partant de ce postulat, je m’en fous un peu. Pour moi, l’album existe de toute façon depuis longtemps. Pour les gens, il arrivera quand il arrivera. J’espère juste qu’ils y auront accès, qu’ils auront le temps de l’écouter et de l’apprécier. 

Peux-tu nous dire quelle est l’histoire qui se cache derrière ce troisième album solo ?

(Il réfléchit longuement…) Je crois que j’ai voulu assez rapidement produire le disque seul, avoir une complète autonomie, ne pas dépendre de quelqu’un d’autre. Je voulais bosser quand je voulais, avoir le loisir de travailler certaines choses à fond. Pour ça, il fallait que je sois complètement autonome. 

Donc un peu la même configuration que pour le premier album en fait… Ah non, il y avait Olivier aussi…

Olivier (Demeaux de Cheveu) m’avait aidé mixer mon premier album, mais je l’avais enregistré seul. Alors que celui là, je l’ai enregistré, produit et mixé sans l’aide de qui que ce soit. L’unique chose que je n’ai pas faite, c’est le mastering. Je voulais vraiment aller au bout du truc, chose que je n’avais encore jamais pu faire auparavant, que ce soit avec Marietta ou avec The Feeling of Love. J’ai toujours été frustré que, lors de mes précédents disques, ça n’ait pas été possible. Maintenant, techniquement, je suis capable de le faire donc j’en ai profité. Et ça a été génial de pouvoir faire ça. J’ai pu produire les chansons comme il me semblait que c’était nécessaire de le faire.

L’enregistrement de La Passagère avec Chris Cohen a t-il aidé par rapport à ça ?

Non, ça a été trop rapide. J’aurais bien aimé qu’on ait le temps de faire ce travail, d’autant que c’est un très bon producteur, mais on s’est concentré sur l’enregistrement plutôt que sur la production. Il aurait fallu avoir 10 jours de plus pour pouvoir vraiment travailler les sons, ce qu’on a très peu fait. 

Qu’est-ce qui a été le plus excitant pour Prazepam St ? On sent que tu es plus libéré… 

De pouvoir se perdre dans les sons pendant des heures et des jours… J’aime beaucoup ça. Avant, je ne pouvais pas le faire autant que je le voulais. En réécoutant, je me rends compte que je peux aller encore plus loin, qu’on peut être encore plus radical. Il y a un truc très ludique aussi : quand je travaillais l’album, le fond d’écran de mon ordi était une photo de moi enfant. J’y ai un espèce de sourire un peu goguenard, un peu crâneur. Je grimpe sur un puit devant la maison de mes parents, j’ai le poing sur la hanche, et je suis accoudé au puit, fier de moi. Je ne sais pas quel âge j’ai, peut être 8 ans. Il y a un truc un peu fier, et en même temps, c’est une blague. Je voulais retrouver ce côté un peu effronté, espiègle. Je suis quelqu’un de très inquiet à la base donc j’ai parfois besoin de me rappeler qu’il faut être léger. Je me mets beaucoup la pression parce que la musique est très importante pour moi, elle peut donc être aussi une source d’angoisse. Je peux être très frustré, même malheureux pendant des jours, si je n’arrive pas à faire quelque chose, si je travaille sur une chanson et qu’elle n’aboutit pas.

Dans la biographie de l’album, tu parles des logiciels de MAO qui t’ont aidé dans la composition de Prazepam St… Que t’ont-ils apporté précisément ?

J’ai juste enregistré avec Live de Ableton. La première fois que je l’ai utilisé, c’était pour la reprise de Thank You Satan sur la compilation hommage à Léo Ferré de La Souterraine. J’ai rapidement senti qu’il y avait des possibilités intéressantes, des choses que le 8 pistes cassette ne me permettait pas. Après, ce que j’ai fait avec ce logiciel là, j’aurais pu le faire avec un autre. Je l’ai utilisé de manière très rudimentaire, sans doute seulement 5% de ses capacités. Je faisais beaucoup de collages, d’editing, de samples, je retravaillais mes propres sources sonores puisque tous les instruments qu’on entend proviennent d’instruments extérieurs classiques : des guitares, des boîtes à rythmes de synthés, des boîtes à rythmes analogiques, des guitares acoustiques… Du coup, ça a amené pas mal de surprises, ces petites choses qui déconnent mais qui sont intéressantes. Tu as ta piste d’instrument, tu appliques un effet, il y a un son qui arrive, tu bidouilles, puis un autre apparaît. Tu essayes pas mal de choses. Puis, cette timeline, ces blocs de couleurs que tu déplaces, j’ai vu ça comme un gamin qui joue avec des Legos. Tout en restant dans un cadre de chanson folk, avec le souci d’avoir quand même cette guitare et cette voix qui mènent le truc, mais en pouvant tout faire exploser à l’intérieur.

Ce procédé fait un peu penser à celui d’un producteur de hip hop qui expérimenterait avec des boucles et des samples…

Oui, je crois que c’est ce qu’ils font, mais c’est un genre que je connais très très mal, tu sais. Effectivement, j’ai pas mal écouté Earl Sweatshirt, Tyler The Creator… J’aime beaucoup le côté ludique et expérimental qu’a cette bande, ce côté hardcut, hyper marrant et bourrin. Le dernier EP de Earl Sweatshirt est vraiment cool, c’est très court et complètement free. Des fois, il chante complètement à côté de la musique, tu ne comprends pas où vont les samples, c’est arythmique. Le rock est tellement formaté depuis un moment qu’on a du mal à y retrouver cela désormais.

Le rock te touche moins aujourd’hui ? Il retient moins ton attention ? 

Je ne sais pas… Déjà, j’ai du mal à raisonner en termes de genres puisqu’ils sont de plus en plus poreux entre eux. C’est plus une question d’attitude. Après, je n’ai pas tout écouté, peut être que je me trompe complètement. J’ai juste du mal à retrouver des choses excitantes aujourd’hui. Je suis plutôt attiré par les choses fragiles, avec des erreurs, ou des partis pris très radicaux, extrêmes, un sentiment de danger. En ce moment, je perçois la musique comme quelque chose de plus en plus maîtrisé, de parfait, comme une machine de guerre et ça ne m’intéresse pas. C’est pour ça que j’aime le côté enfantin. C’est comme si tu te retrouvais comme un gamin qui fabrique une voiture avec une cagette de pommes de terre et des roues de bicyclettes. La création, je la vois plutôt comme ça.

Ce nouvel album est aussi plus décomplexé au niveau du chant, il fait la synthèse entre les deux premiers. Il y a du français et de l’anglais, des fois les deux en même temps. Dans ta manière de chanter aussi, il y a un côté goguenard sur Aluminium qui m’a fait penser à Oasis, j’ai aussi pensé à Alain Souchon sur Ellie Jane #2

Ahaha, non mais j’aime beaucoup le chant de Liam Callagher en plus. Souchon ? Oh merde. Bah pourquoi pas ? Quand tu enregistres des prises de voix dans un studio, tu as la pression, tu es debout, le temps passe, il faut toujours que ce soit la bonne, tu as des personnes en cabine qui sont là, même si elles sont très patientes et qu’elles veulent te guider. Là, j’avais le casque sur les oreilles, j’étais dans ma cuisine, et je buvais plein de café en fumant des clopes pendants les prises. On ne peut même plus fumer en studio, ça me rend dingue ! Après, je voulais quand même atteindre un certain résultat. Mais si je m’énervais et que je recommençais, j’étais tout seul, je faisais chier personne. C’est peut être pour ça que tu ressens ça. 

As-tu continué à te laisser influencer pendant l’enregistrement ? 

Non, je n’ai pas eu vraiment l’influence d’autres musiciens pendant la composition de cet album. Finalement, j’écoutais peu de musique, je passais tellement d’heures à en faire que mes oreilles étaient complètement flinguées en fin de session. Et le matin, je m’interdisais d’en écouter pour rester vraiment focus sur ce que je faisais. La seule chose à laquelle je pensais, c’était à Eraserhead de David Lynch. C’est son premier long métrage qu’il a fait sur plusieurs années, qu’il a conçu seul, avec une toute petite équipe autour de lui. Il était impliqué dans toutes les étapes de la création du film, et c’est cette image là que j’avais en tête au moment ou je faisais l’album : un type qui construit quelque chose avec les moyens du bord, et qui va jusqu’au bout. Contrôler toute la chaîne, avoir une totale liberté.

David Lynch, c’est une influence de longue date, j’ai l’impression… ?

Oui, c’est quelqu’un qui m’accompagne depuis longtemps. J’ai découvert Lynch avec Lost Highway, et ça a été un coup de poing dans ma gueule. C’est une sorte de père spirituel. J’aime sa concentration au travail, comment il a trouvé un langage qui lui est propre et qu’il continue à perfectionner avec le temps. La saison 3 de Twin Peaks a vraiment été une expérience magnifique pour moi. J’ai vu qu’il avait réussi à être plus radical et subtil au fil des années. Il est encore meilleur. C’est très motivant, il te montre que les choses sont toujours possibles.

Le champs libre, tu l’as toujours eu aussi non ?

Je n’ai jamais vraiment eu de pression parce que Born Bard me fout la paix, et qu’il n’y a pas de grosse économie autour de ce que je fais. Je peux faire ce que je veux dans les limites que je m’impose. Il y en a des techniques qui sont toujours surpassables, et ce sont elles qui me font évoluer. C’est bien d’en avoir un peu, faut juste pas se tirer une balle dans le pied. 

Il y a un autre aspect de l’album avec tous ces titres qu’on ne comprend pas très bien, les matières comme l’aluminium, les médicaments, ces substances… Pourquoi ces thèmes ? 

Je n’en sais trop rien, je me suis douté qu’on allait aborder cette question là alors j’ai essayé de me rappeler, mais je ne me souviens plus du pourquoi ni du comment c’est venu. Ca me semblait juste évident à ce moment là, une intuition très fort que j’ai suivi et approfondi. Il n’y a rien d’exceptionnel ou de très profond là dedans. Des médicaments, on en a des tonnes, c’est juste qu’on n’y pense plus, qu’on ne les remarque plus, et qu’il y en a quand même avec de très beaux noms. On peut les incorporer facilement à la musique, comme le mouvement psychédélique l’a fait avec les drogues.

Dans un futur plus ou moins immédiat, tu te verrais recomposer en groupe, ou te sens-tu bien dans cette configuration solo ?

Il peut m’arriver parfois que l’expérience de groupe me manque. C’est super de composer à plusieurs, d’échanger, même si cela amène d’autres frustrations. Etrangement, Paris n’a pas l’air trop propice à ça, je ne sais pas pourquoi vu que c’est une grande ville et qu’il y a plein de musiciens. Ca devrait être le contraire non ? A Metz, il y avait ce studio de répétition qui coûtait absolument rien, et où on pouvait aller quand on le voulait. A Paris, les studios sont tellement chers, les emplois du temps de tout le monde sont tellement compliqués, que c’est dur de se retrouver pour juste glander et voir ce qui se passe. J’ai besoin de temps pour que les choses murissent et ici, techniquement, c’est compliqué. Je me rends compte que, dans cette ville, les gens ont très peu le temps.

Photos : Chloé Lecarpentier

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