
19 Avr 24 Cyril Cyril danse sec mais conscient
En 2020, Cyril Cyril confirmait l’impression laissée par son premier album Certaines Ruines avec Yallah Mickey Mouse, une seconde salve de sa recette singulière à base de motifs répétitifs. Cyril Yeterian (chant, banjo) et Cyril Bondi (chant, batterie) – tels des explorateurs des temps modernes – se mettaient en quête d’une humanité qu’ils considéraient alors comme perdue, fustigeant au passage une société devenue irrespirable. Quatre ans plus tard,les plus hippies des Helvètes semblent ne plus avoir une seule once d’espoir. Le titre de leur troisième album, Le Futur Ça Marche Pas, en atteste. Pourtant, comme s’ils fêtaient les derniers instants d’une vie sans lendemain, ils ont mis les petits plats dans les grands : des cuivres prêtés par l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, mais aussi la multi-instrumentiste Inès Mouzoune (Amami), un violoncelliste chipé à Violeta Garcia, ainsi que le chanteur Eblis Álvarez viennent assaisonner ces onze nouveaux titres qui campent au carrefour du post-punk, du garage funk et de la noise expérimentale, pour les rendre plus dansants encore. Alors qu’ils s’apprêtent à venir au monde, leurs deux auteurs nous en disent un peu plus sur chacun, pour en offrir une écoute approfondie.
LE MENSONGE
Cyril Cyril : Avec nos voix, on a fabriqué une espèce de choeur des profondeurs gigantesques. On a voulu les percussions comme des grosses gifles rugueuses et le banjo toujours en grand écart entre deux continents. Le texte ? Une liste précise, crue et fébrile. Voici : le monde est son trou noir. Subsistent quelques solitudes.
MICROONDA SAHARA
La rupture avec l’album précédent est soulignée avec ce deuxième morceau. Notre musique met les voiles vers d’autres horizons écorchés vifs et luxuriants, comme l’Amérique du Sud où nous avons joué et enregistré quelques morceaux l’année dernière. On a invité la voix d’Eblis ‘Meridian Brothers’ Alvarez à partager avec nous sa version de la fin des climats gentils. Il raconte notamment que son microdosage de LSD s’est évaporé à cause du réchauffement climatique. On répond quoi à ça ? Rien. C’est trop dur.
LA ROTATION DE L’AXE
Un morceau ‘à faire avaler des kilomètres’. Autre invitée, une jeune ultra grooveuse de notre chère et controversée ville de Genève : Inès Mouzoune à la basse électrique et aux nappes de synthés. Démarrage de tous les moteurs. Défilé des grands chantiers des civilisations. Accélération infinie, les fusées, les météores… Mais c’est la douceur de l’eau et le mordant abîmé de la glace qui dérangent la stabilité de l’axe de la Terre. Le texte est inspiré des enjeux de ce monde, et d’un article scientifique trouvé dans une chambre d’hôtel : la surexploitation des ressources hydriques aura désaxé la planète.
LES PHOENIX DE L’AMOUR
On a voulu écrire une chanson d’amour, et apparemment ça sonne comme un morceau sur la fin du monde. Mais l’amour et le monde, c’est un peu la même chose. On vous laisse décider. On a invité les cuivres de notre cher Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp – en les personnes de Gilles Poizat et Benoit GIF Giffard – histoire de dramatiser un peu tout ça.
PLUS RIEN À FAIRE
Un des morceaux sans issue de l’album. On y parle de moyen-âge et d’anciens héros de l’Action Directe, d’ASMR et de notre nouveau président du monde, Mister Musk, qui aurait sûrement figuré d’ailleurs sur la liste des victimes potentielles d’un ancien héros de l’Action Directe. Les boucles, des fois, se bouclent.
CHAT GEPETTO
Encore des vieilleries ! 1881, Pinocchio. Donner vie à une marionnette. La relation entre l’humanité et la technologie, ça nous intéresse. Le futur, ça marche pas très bien. On a demandé à GPT d’écrire une chanson sur lui-elle même, et on a fabriqué une espèce de morceau rock (peut-être) comme une couverture chauffante à cette déclaration cheloue, genre AL dans 2001. Les ordinateurs ont-iels une âme ?
SAPITOS CARACAS
Des grenouilles sur la piste de danse. Caracas, Venezuela, c’est là qu’on les a trouvées en mars 2023.
LA GRISAILLE
Au début, chez Cyril Cyril, il y avait pas mal de morceaux en arabe (libanais) pour exorciser les fantômes des origines. Dans ce nouvel album, les fantômes nous foutent désormais la paix : il n’y a qu’un seul morceau dans cette langue. Et il y a de l’autotune aussi, qu’on a finalement réussi à kiffer. Long processus. Et Carlos ‘Genosidra’ Quebrada, le génial corazón qui a mixé l’album, maîtrise bien ça, ainsi que les effets transe-techno-rétro-futuristes. Dans ce morceau, on parle aussi d’un truc important : la violence crue nous a fait perdre notre poésie. Les textes de cet album sont directs, il y a moins d’ellipses et ça va aussi.
LE TOCSIN
‘On a toujours rêvé d’être des lanceurs d’alertes’… Le tocsin, les salauds, les clairvoyantes et la bastonnade. Subir le courroux, l’opprobre, faire semblant de rendre justice… Voici quelques personnes dont nous admirons le courage. Ibsen, dans Un Ennemi du Peuple, en parlait déjà en 1882, avant les boites mails, avant WhatsApp. Vous ne pourrez pas nous dire que l’on ne vous avait pas prévenus. Ça donne un morceau très court, très vif, très punk. Qu’on aura probablement envie de jouer sur scène toute notre vie.
LE FUTUR ÇA MARCHE PAS
L’autre morceau sans issue, avec le violoncelle sans concession de Violeta Garcia (Blanco Teta) en soutien balistique. Bientôt le futur me ramènera sur Terre. Bientôt la fusée, bientôt la fusée. Ici aussi, il y a la folie des grandeurs et quelques personnages précis de notre temps en ligne de mire.
SWEETZERLAND BUNKER LOVE
Pour Genosidra, la Suisse est l’épicentre du mal sur notre planète. Le berceau de Satan. Le CERN et son accélérateur de particule (qui se rappelle de la crainte du trou noir qui engloutirait la planète (en hors d’oeuvre puis tout l’univers) créé par la mise en marche du système ?), l’argent planqué dans les banques, les bunkers dans les montagnes, la World Company déguisée en institutions internationales… Ce morceau parle de notre pays, de ses contradictions. Il était temps de lui rendre hommage à cette Suisse qui nous loge à contrecoeur, nous fake hippies radioactifs.
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