15 Nov 24 Coilguns, frissons garantis
En parallèle d’un récent split aux côtés de Birds In Row dont on vous a largement parlé, les suisses de Coilguns ont travaillé d’arrache-pied ces quatre dernières années pour accoucher de leur quatrième album, composé, arrangé et produit en grande partie par leur soin. C’est à l’été 2022 que le groupe s’est en effet rendu à Ocean Sound Recordings, en Norvège, aux cotés du producteur Scott Evans, pour mettre en boite le très attendu Odd Love qui a vu le jour ce 22 novembre par l’intermédiaire de Humus Records. A cette occasion, le quatuor nous plonge dans l’intimité du studio au fil d’un studio report passionnant, agrémenté de photos.
L’ECRITURE DE ODD LOVE
L’histoire de Odd Love commence presque par accident. En mars 2020, Jona avait planifié de s’isoler chez lui pour un mois d’écriture intensive, sans se douter que le monde entier allait faire de même. Deux semaines avant que tout ne s’arrête, il venait d’installer son home studio. Avec l’arrivée du COVID, les emails et les appels se sont tus, et ce qui devait être un simple mois de création s’est transformé en deux ans de travail.
Quelques bases de morceaux plus tard, il les a envoyés à Luc qui s’est retrouvé seul au local à devoir apprendre à s’enregistrer pour créer les parties de batterie. Ce processus était tout nouveau pour Coilguns puisque nos deux précédents albums ont été écrits, enregistrés et mixés en un mois, directement en studio, par nous-mêmes. Cette fois, on a décidé de prendre notre temps. On donc a commencé à peaufiner des versions de titres avec Louis, qui s’occupait de l’écriture des paroles et proposait des idées d’arrangements. Kevin, qui venait de nous rejoindre, a ajouté les couches finales en s’appropriant les parties de basse et de synthé.
Deux titres issus de cette première phase de production sont sortis avec l’EP Shunners/Burrows, mixé et masterisé par Kevin. On a enregistré les autres morceaux plusieurs fois dans nos studios, en mode maquette ‘deluxe’, jusqu’à obtenir des versions satisfaisantes. Quelques années auparavant, ces démos ‘deluxe’ auraient très bien pu constituer l’album final mais, cette fois, on a voulu aller plus loin. On a composé certains titres lors de répétitions dans de grands clubs avec le système son ouvert, et répété chaque morceau pendant plusieurs semaines, comme si on allait les jouer en live. L’objectif était de ‘mettre à nu’ les compositions pour s’assurer que, même sans production, elles tenaient la route avec nos instruments seulement, mais aussi pour trouver la bonne intention pour les interpréter. C’était fascinant d’aller autant dans le détail, et c’est aussi dans ce genre de moment qu’il est possible de mesurer l’immensité de l’investissement personnel et émotionnel de chacun pour le bien du collectif. C’était hyper beau.
EN ROUTE POUR GISKE
Après avoir rassemblé nos instruments, accueilli le vidéaste Valentin Lurthy et chargé ‘Double Dard’ (le van de Jona), on prend la route pour l’île de Giske, en Norvège, où se trouve le studio Ocean Sound Recording. On part pour 2 280 km en quatre jours à travers l’Allemagne, le Danemark et la Norvège. C’est le début de l’aventure. On fait étape à Buhla, Viborg et Lillehammer dans des Airbnbs confortables, en découvrant la cuisine locale.
Le dépaysement commence vraiment avec le ferry entre Hirtshals et Larvik. Une fois arrivé en Norvège, il reste deux jours de route jusqu’à Lillehammer, une ville nichée dans une vallée digne du Seigneur des Anneaux, avec le lac Myøsa et les montagnes en arrière-plan. À partir de là, les paysages deviennent spectaculaires : vallées, montagnes abruptes et cascades mènent aux fjords typiques des côtes atlantiques. C’est là que se trouve le studio.
ARRIVÉE À OCEAN SOUND RECORDING
Passé Ålesund, on emprunte deux tunnels vertigineux sous des bras de mer pour rejoindre les îles voisines. Un dernier pont et on atteint Giske, petite île où moutons et humains cohabitent. Le studio se trouve au bout d’une petite route, dans un cadre féerique, face à une crique de sable, avec l’océan d’un côté et les montagnes enneigées à l’horizon.
Terje, l’intendant du studio, nous accueille et nous fait visiter l’endroit, ponctuant la visite d’anecdotes sur le lieu et la région, dont le fait qu’on est dans le top 3 des groupes ayant passé le plus de temps sur place. Le lendemain, on rencontre Scott Evans, venu de San Francisco. C’est le coup de cœur immédiat et tout le monde est ULTRA excité à l’idée de se plonger dans cette session d’enregistrement (photo ci-dessus).
INSTALLATION
Pendant que Scott se familiarise avec la régie, on choisit parmi les instruments, amplis vintage, pédales d’effets et micros du studio… Une véritable caverne d’Ali Baba ! L’idée est de jouer et enregistrer les morceaux en live, en mettant l’accent sur la batterie pour capturer l’énergie brute des prises. Elle est placée dans la live room principale pour profiter de l’acoustique (photo ci-dessous). L’ampli basse, lui, est dans une chambre à coucher à l’étage qui fait également office de salle de prise de son connectée à la régie, avec une grande fenêtre donnant sur la live room. Alors que les amplis guitare sont dans une cabine séparée, Louis prend place avec les micros voix dans une autre.
Après un soundcheck pour s’assurer que tout le monde s’entende bien, on lance une première version live de Bandwagoning. Éclats de rires : tout fonctionne, on est fiers, soulagés et surtout, ON Y EST ENFIN ! L’ambiance est extatique, l’équipe est prête à plonger dans le boulot sous l’œil bienveillant et pro de Val et ses caméras.
PREMIERS JOURS (PRISES LIVE)
On adopte rapidement un rituel matinal : pour un coup de fouet, et avant le café, certains se jettent dans l’océan glacial (à moins de 10 °C). Vers 9-10h, tout le monde est prêt pour les prises live. Les morceaux sont joués en groupe pour obtenir des prises organiques et complètes. On écoute, discute et réarrange. Scott apporte de nombreux conseils et reste toujours ouvert à nos idées. On débat et choisit ensemble.
Les journées sont bien remplies, mais on garde un rythme sain. En 4-5 jours, Luc enregistre 11 morceaux : les 9 de l’album et deux autres gardés pour plus tard. De ces premières prises live, on va garder l’intégralité des basses (sauf un titre), plusieurs pistes de guitare et de nombreuses prises de voix.
PRISES GUITARES, VOIX ET OVERDUBS
La suite se divise en deux ateliers simultanés : Jona et Scott travaillent sur les prises guitares dans la live room et la régie, tandis que Louis et Kevin exploitent la fameuse chambre studio à l’étage, transformée en deuxième espace de travail. On utilise toutes les pièces du lieu, que ce soit pour enregistrer ou vivre.
Jona et Scott testent chaque combinaison d’amplis, guitares et pédales pour chaque partie enregistrée. Scott, toujours inspiré et généreux de son expérience de technicien et guitariste (membre de Kowloon Walled City), suggère qu’on réécrive la fin de Bunker Vaults, convaincu qu’on ‘pouvait faire mieux’. On enregistre cette nouvelle version qui met tout le monde d’accord.
Les deux ateliers tournent à plein régime jusqu’à la fin des sessions, et chaque jour se termine par une écoute collective des pistes (photo ci-dessous).
THE WIND TO WASH THE PAIN
Ce morceau écrit par Louis et à l’esthétique nouvelle pour le groupe nous impose de casser le rythme effréné des deux ateliers pendant une journée. Le titre a besoin d’arrangements et l’avantage d’être dans une caverne d’Ali Baba, c’est qu’on peut le rendre encore plus unique en l’arrangeant avec les instruments qu’on a ici sous la main.
Kevin prend place au vieil harmonium. On trouve une timbale derrière une porte fermée ou encore un grelot un peu chelou pour faire la percu. On pose un micro sur un vieux tape echo à bande qui fait office de métronome et on monte tout ça dans la live room. Le climat est parfait, on peut voir l’océan grâce aux nombreuses vitres de la pièce. On décide de poser des micros d’ambiance à l’extérieur histoire qu’on entende les oiseaux et les vagues dans nos retours. Les prises de ce morceau nous donnent des frissons.
LE STUDIO ET LA VIE ENSEMBLE À L’INTÉRIEUR
Le studio est entièrement équipé pour accueillir plusieurs personnes. En plus du matériel technique, il y a une cuisine complète, une grande table pour les repas, un salon, une salle de bain et des chambres à l’étage. L’extérieur est magnifique, la plage est à 30 mètres et au bout, perché sur un tas de pierre, un jacuzzi (photo ci-dessous). L’île est sauvage, idéale pour se balader et se changer les idées, bien qu’il faille se rendre sur l’île voisine pour les courses. On cuisine et mange sur place, Louis jouant souvent le rôle de chef.
Les repas rythment nos journées. À cette latitude et en juin, le soleil ne se couche que quelques heures et il ne fait jamais nuit, rendant la notion du temps floue. On finit souvent par manger vers 23h. Les journées commencent vers 9-10h, avec café et baignade pour certains. On fait dans la foulée un ‘point météo’ pour exprimer comment chacun se sent, apportant un côté rassurant à la vie en communauté. Les repas sont relaxants et essentiels pour décompresser après de longues heures de travail.
Le contact avec l’extérieur est inexistant, mais il semble que ça ne manque à personne. Pas de fête non plus, on est vraiment là pour travailler. Le soir, ça boit tranquille un verre de whisky dans le jacuzzi après le repas.
MIDSOMMER À ÅLESUND
On se permet une sortie un soir à Ålesund vers la fin du processus car il y a la fête de Midsommer, un vieux rituel païen qui a survécu à l’arrivée du Christianisme en Scandinavie. Là, se regroupent des centaines de gens complètement bourrés qui empilent des palettes sur quasi 50 mètres de haut au bord de l’eau avant d’y foutre le feu (photo ci-dessous). C’est difficilement descriptible un feu de cette taille, l’effet que ça fait. Déjà, on sent la chaleur sur une distance ahurissante, et quand des palettes s’effondrent à l’intérieur du brasier, ça envoie des souffles encore plus chauds. La vision d’un feu de cette taille te fait vraiment te sentir tout petit. Au bout d’un moment, une fois le feu réduit, les jeunes enivrés du coin font du combat de coqs en rejoignant le brasier à la nage ou sur une espèce de plateforme bien Mad Max avec des bouts de frigos, de baignoires et de palettes tirées par une corde. Une fois de l’autre côté, ils vont pisser leur bière sur les flammes. Val est en mode cameraman de l’extrême et saute à son tour sur le frigo flottant pour aller prendre des images de tout ça de plus près. Au-delà de tout ce que ce tableau a de parfaitement ridicule, une fois passé à travers le regard de Val, ça donne une image totalement différente. L’artwork du disque vient de ce moment, et on n’a pas envie d’imposer un sens à cette photo pour qu’elle puisse rester libre d’interprétation, mais on la trouve vraiment puissante.
VOYAGE RETOUR
On prend la route du retour, direction Bergen où Kevin a habité plusieurs années. Les paysages sont à couper le souffle. Cette fois, on suit la côte et on passe de cols en fjord, empruntant plusieurs ferries pour les traverser. On fait étape pour la nuit à Lavik, à côté d’un départ de ferry. On reprend la route le lendemain matin pour arriver à Bergen dans l’après-midi. Un pote de Kevin nous accueille chez lui pour la nuit. Val et Luc suivent Kevin pour explorer la ville, les endroits où il a habité, travaillé, vécu des trucs.
A l’heure de l’apéro, on se retrouve tous dans un bar où on fait la connaissance d’amis de Kevin. Malgré les lois qui interdisent d’être saoul dans les bars, l’entièreté de la tablée finit rapidement par être complètement fin rond. La soirée est festive, arrosée de shots et de rires à gorge déployée. Quelqu’un se rappelle comment on est rentré ?
Le lendemain, c’est la tête dans le cul qu’on prend la direction du port de Bergen où on embarque sur le ferry qui va nous ramener au Danemark. Le trajet dure dix-huit heures, ce qui nous laisse le temps de désaouler en voyant la côte norvégienne défiler une dernière fois.
On débarque et dernière petite pâtisserie pour la route : on s’arrête au studio de Peter Voigtmann, De Mühle, situé dans les environs de Hambourg, en pleine campagne. On y loge dans un petit appartement très cosy, au milieu des vaches et des chevaux. On y enregistre et filme une petite session de trois morceaux tout frais de Odd Love. L’envie de rentrer et la fatigue se font sentir. Le lendemain, on reprend la route pour faire le dernier gros trajet jusqu’à la Chaux-de-Fonds en Suisse.
Pour citer Scott quelques mois après notre retour à la vie normale : ‘What a thing we got to do!‘.
Photos : Andy Ford, Scott Evans, Valentin Lurthy
Gorrilla
Posted at 12:24h, 18 novembreca chie grave