25 Mar 22 Ce qui ne tue pas les Burning Heads les rend plus forts
Avec désormais 35 ans au compteur, les Burning Heads sont une machine que rien ne semble pouvoir arrêter. Depuis toujours capables de surmonter le moindre des obstacles qui se dressent sur leur route, les orléanais ont même réussi à enjamber le plus difficile : le départ de leur chanteur originel Pierre – aka Pit Samprass – il y a maintenant trois ans. Depuis, le désormais quintet a fait table rase : un album de reprises en compagnie de plusieurs chanteurs invités, un livre (Hey You) qui a remis les pendules à l’heure jusque dans les moindres détails, et un 45t de 3 titres histoire de se remettre comme il faut sur les rails aux côtés de Fra – leur nouveau frontman qu’ils partagent avec The Eternal Youth – et de Phil, guitariste originel de retour après avoir quitté le navire au début des années 2000.
Il fallait pourtant un nouvel album pour que cette nouvelle garde valide pour de bon son entrée en jeu. Attendu le 1er avril via le label Kicking Records, Torches of Freedom aligne 12 nouveaux morceaux – et quasi autant de tubes – témoignant de la vitalité intacte du groupe dès qu’il s’agit de dorer toujours plus dignement les lettres de noblesse du punk rock.
Fun, passion et énergie n’ont peut être jamais autant résonné dans les rangs des Burning Heads. Pour le vérifier, entretien avec Thomas, batteur originel et toujours excellent client en interview, et du nouveau venu Fra, définitivement bien à sa place. Avec eux, on a ainsi pu revenir sur les déboires et le grand mercato de ces dernières années, mais aussi sur les différents tournants de la carrière d’un groupe qui, s’il a pu prendre quelques rides par le passé, souffle avec ce Torches of Freedom un vent d’éternelle jeunesse.
Ces dernières années ont été plutôt mouvementées chez les Burning Heads, les obstacles qui se sont mis sur votre route auraient pu décourager n’importe quel groupe à votre place. Dans quel état d’esprit êtes vous aujourd’hui ?
Thomas : On est super contents d’avoir une nouvelle formule Burning Heads, d’avoir réussi à entrer en studio avec elle pour enregistrer de nouveaux morceaux. C’est la première fois que je les aime tous. D’habitude, il y en a toujours un ou deux que je n’aime pas alors que là, je peux tout écouter sans grimacer. Comme tu dis, il y a eu de petites embuches sur notre route mais elles n’étaient pas de taille à nous faire renoncer.
Depuis Choose Your Trap, vous avez fait l’objet d’un tribute album, vous avez sorti un album de reprises, un live, l’excellent livre Hey You a beaucoup fait parler de vous…. On a l’impression qu’il y avait comme une volonté de vider les tiroirs et de faire table rase sur le passé pour mieux regarder devant. Qu’en est-il ?
On avait rien décidé concernant le tribute album puisque ce sont des gens qui l’ont concocté dans leur coin sans nous en parler, et on a été ravi que ça prenne forme de cette façon là, avec tous ces groupes qu’on aime beaucoup. Concernant l’album de reprises, on s’est retrouvé sans chanteur puisque Pierre avait quitté le navire. On s’est donc dit qu’avant de se lancer dans de nouvelles compositions, on pouvait peut être rendre hommage à tous les groupes qui nous avaient inspirés. N’ayant plus de chanteur attitré, on a décidé de prendre un chanteur pour chaque reprise, d’abord pour faire chanter tous nos copains, puis pour faire une transition assez souple suite au départ de Pierre en ne le remplaçant pas directement au pied levé. C’était aussi une occasion de remercier tous ces groupes qui nous ont enchantés et donnés envie de jouer la musique des Burning Heads. Le bouquin, lui, avait commencé avant le départ de Pierre. Il est plutôt bien tombé en termes d’actualité. Donc, hormis l’album de reprises, on n’avait rien calculé pour remplir ce grand vide, cette période un peu trouble où on ne savait pas trop où aller.
Du coup, avez-vous considéré l’album de reprises comme la première étape – peut être qu’à moitié avouée – du casting du nouveau chanteur ? Et le livre est-il aussi bien tombé en amenant un éclairage sur le départ de Pierre, en vous permettant de répondre à beaucoup de questions que le public a pu se poser ?
Effectivement, on n’avait pas du tout pensé à ça, mais le livre a permis de satisfaire la curiosité de certaines personnes qui se demandaient pourquoi Pierre était parti. Pour le ‘casting’, on avait déjà quelques noms avant de s’adresser à tous ces chanteurs et chanteuses, et les souhaits se sont confirmés avec cet album de reprises puisqu’on s’est aperçu que ceux à qui on avait pensé avaient répondu présents, avaient rendu une copie plutôt satisfaisante. Fra a été le premier à la rendre, donc il a gagné le concours et ça a été à lui ensuite de nous dire s’il acceptait le prix qui était de nous rejoindre. Il a accepté, on était très contents. Tout cela a été amené suite à de longues discussions que j’ai eues avec Nasty Samy. L’idée de cet album est un peu de lui. A l’époque, il avait beaucoup aimé Portobello Amigos, cet album de reprises que les Portobello Bones avaient fait avec des copains, donc il nous a soufflé qu’on pouvait aussi faire notre Burning Amigos, ce qui permettrait – vu la situation – de faire cette transition avec le départ de Pierre. Ca a été une très bonne idée que j’ai proposée à mes copains. Ca s’est fait comme ça.
Avec une certaine distance qui est la mienne, je dirais que ce livre a été très bénéfique pour tout le monde, y compris pour les fans qui ont pu se replonger dans votre histoire et rattraper des chapitres qu’ils auraient manqués. Comment mesurez vous son impact ? Avez vous senti un regain d’attention suite à sa sortie ?
Un regain d’attention, je ne sais pas, mais on a eu de très bons retours de gens qui ont aimé, ou qui aiment encore les Burning et qui avaient loupé certains passages, ou avaient besoin de précisions pour compléter leur amour du groupe. Pour moi, ça a été génial. Ca m’a permis de réaliser que les Burning Heads avaient occupé plus de la moitié de ma vie. Je n’ai pas encore 60 ans, et ça en fait plus de 30 que je suis dans le groupe. Jusqu’à ce bouquin, je n’avais pas vraiment moyen de réaliser cela, et je n’avais jamais eu vraiment envie non plus de me plonger dans toute cette aventure. J’avais plutôt l’impression d’y avoir passé dix ou quinze ans. Après avoir eu le livre entre les mains, d’avoir pesé son poids et lu toutes ses informations, j’ai réalisé qu’on avait fait quand même pas mal de choses. Ca a été aussi très intéressant d’avoir l’histoire de ma vie racontée par d’autres. On raconte tous la même chose, mais pas du tout avec le même angle de vue. J’ai donc appris des choses que je ne savais pas, sur moi notamment. Ca a été comme une thérapie de groupe, j’ai vraiment aimé le lire. Ca aurait pu me laisser indifférent ou me gonfler d’orgueil, mais non, j’étais juste heureux de découvrir ce que mes amis avaient dans la tête, et que je n’ai jamais vraiment pu savoir en étant à leur contact. Tout le monde s’est un peu lâché tout en restant bienveillant.
Quand un chanteur s’en va, c’est généralement un peu de l’identité du groupe qui s’effrite aussi. A aucun moment vous vous êtes dits que ça piquait un peu quand même ?
Pour être franc, c’était plutôt la présence de Pierre dans le groupe, avant qu’il s’en aille, qui piquait un peu. On sentait qu’il manquait de motivation alors que, jusque-là, on était toujours rentrés dans le local ou montés dans le camion sans se poser aucune question. Qu’on ait loupé un boulot, un rendez-vous galant ou un dealer, on s’en foutait parce que les Burning étaient la seule chose qui comptait. D’ailleurs, on a tous un peu flingué nos vies amoureuses et familiales à cause de ça. On a toujours tous été dans le même état d’esprit, et on a senti que cet état d’esprit quittait Pierre petit à petit. Donc en montant dans un camion avec un mec qui fait un peu la gueule, en rentrant dans un local avec un type avec qui on allait finir par s’engueuler, on s’est dit qu’on perdait finalement quelque chose parce que Pierre fait partie de l’histoire des Burning Heads, même s’il y a eu un chanteur avant lui qui n’a pas duré très longtemps. Tout ce qu’on a enregistré a été fait avec lui, le gars a quand même une présence importante, il a des gros pieds donc il a laissé de grosses empreintes dans le groupe. On s’est donc dit qu’on allait perdre quelque chose, mais qu’on allait aussi gagner en sérénité parce que les derniers moments de Pierre dans le groupe n’étaient pas drôles du tout, certainement pour lui aussi. Quand il a annoncé son départ, on s’est tous regardés et il n’a pas fallu plus de dix secondes à chacun pour décider de continuer.
Revenons au gagnant du concours. Fra, comment as-tu réagi en apprenant ta sélection ? Est-ce que tu t’es dit que tu t’attaquais à un monument et que ça allait être chaud, ou est-ce que tu y as vu l’occasion de ta vie et tu as accepté sans réfléchir ?
Fra : L’occasion de ma vie, non. J’ai d’abord pensé au fait que des gars comme eux, pour qui je faisais des centaines de kilomètres pour aller incognito à un de leurs concerts, m’appelaient pour remplacer Pierre. Je me suis interrogé sur ce chemin réalisé en 25 ans et qui s’est soudainement jeté à ma tronche. Si on m’avait dit ça en 1993 quand je les ai vus pour la première fois, je ne l’aurais forcément pas cru. A peine étais-je dans le groupe que je recevais des coups de fil pour m’interviewer dans le cadre du livre. Ca commençait fort ! Les gars m’ont déroulé le tapis rouge sans me mettre une once de pression : j’ai fait ce que j’ai pu avec 100% de confiance de leur part. Rien était optimum : on a du faire trois répétitions avant que je monte sur scène, pour que je parvienne à peu près à tenir 23 ou 24 morceaux en concert. C’était un peu limite mais il n’y en a qu’un qui m’a mis la pression, c’est moi, justement parce qu’il y a ce côté monument. J’étais déjà monté avec eux sur scène pour rigoler, là c’était pour remplacer Pierre, donc c’était autre chose !
Au delà du fait que vous soyez de la même génération, que vous partagiez les mêmes gouts musicaux, est-ce que la ressemblance des voix de Fra et de Pierre a également été prise en compte au moment de choisir ?
Thomas : Tous les astres étaient alignés pour que Fra nous rejoigne. On a beaucoup aimé tous les groupes dans lesquels il a joué. J’ai chanté des refrains de Ravi durant des journées entières et je pouvais y faire des choeurs aussi facilement qu’avec la voix de Pierre. Je me suis donc dit que c’était un atout supplémentaire. C’est un bon gars, avec de bons goûts musicaux, une bonne voix qui me permet de faire des choeurs derrière, mais en mille fois mieux qu’avec Pierre parce que Fra n’a pas de guitare à jouer en même temps. Il est donc totalement concentré sur le chant, très doué, il chante très juste et ne fait pas de freestyles un peu perturbant… Tout cela est très confortable pour moi. Je suis donc ravi que cette musicalité, cette tessiture de voix se rapproche de celle de Pierre, même si Pierre était peut être un peu plus américain dans son rôle et dans ses intentions, alors que Fra est un peu plus anglais. Je n’ai rien contre, j’ai aussi toujours beaucoup écouté ce qui venait d’Angleterre.
Fra, contrairement au studio, tu ne fais donc pas du tout de guitare sur scène…
Fra : J’ai fait pas mal de petits arrangements, quelques rythmiques, j’ai composé des morceaux donc on s’est tous un peu mis à la tâche à la guitare. Pour la scène, on s’est posé la question d’une troisième guitare à un moment, mais je dois dire que cette liberté de chanteur est assez sympa. C’est la première fois et j’avais envie de ça. J’ai découvert que la guitare t’empêche parfois de faire des choses. Avec une basse par exemple, t’es dans le groove, tu peux danser alors que c’est beaucoup plus compliqué avec une guitare.
Thomas : Je pense qu’avec une guitare ou une basse dans les mains, il ne pourrait pas faire ses superbes prises de karaté qu’il fait sur scène. On est donc content qu’il ait juste un micro dans les mains.
Tu dis que si les premiers retours ont été plutôt bienveillants à ton égard, certains ont été plus durs. Ils t’ont touché ou motivé à te faire pleinement ta place ?
Fra : Ca n’a pas changé ma motivation ni attaqué mon implication. Lors des premières tournées, je me suis appliqué à descendre dans le public pour écouter tout ce qu’on me disait. J’ai pris soin d’écouter tout ce qui était négatif, de percevoir tous les axes d’amélioration pour coller le plus possible à l’image du groupe. D’abord parce que je l’adore depuis toujours, aussi parce que les gens qui se déplacent n’ont pas forcément envie d’être transportés dans un autre univers. Je voulais rester fidèle à moi-même tout en respectant le groupe et les 30 ans qui m’ont précédé. J’écoute beaucoup ce qu’on me dit, j’apprécie énormément les trucs ultra-positifs. Certains m’ont dit que ce n’était pas des ‘cojones’ que j’avais, mais des camions de cojones, alors que je n’ai pas l’impression d’être si courageux que cela. J’ai accepté le challenge, il faut donc l’assumer. J’ai lu des choses un peu dures écrites sur internet, ça fait un peu mal mais je n’ai quand même pas lu beaucoup de trucs négatifs sur ce qu’on fait depuis que je suis dans le groupe. Il y a des gens qui pensent que les Burning sans Pierre ne seront plus les Burning. Je les comprends complètement, et ce sera très difficile de les faire revenir sur leur jugement. Après, si tu poses une oreille un peu ouverte sur ce nouvel album, peut être qu’ils changeront d’avis. Je ne sais pas…
Thomas : Je parle au nom du groupe. On n’a absolument pas regretté d’avoir échangé notre baril de Peter contre un baril de Fra. La came est aussi bonne, voire meilleure. Fra a énormément de talent, a réussi à s’intégrer au groupe comme personne n’aurait pu le faire. Le résultat, c’est les Burning en mieux.
Justement, ce nouvel album a été enregistré il y a un an. Pourquoi avoir attendu tout ce temps pour le sortir ?
Fra : Parce que le Covid ne nous a pas franchement aidés. Puis c’était bien de réfléchir un peu, de prendre le temps, d’essayer de dealer des dates avant la sortie de l’album et bien sûr, ça n’a pas été facile à booker. Des tournées ont été annulées, et il fallait à chaque fois redonner un peu de temps à Pierre, notre tourneur 3C, pour en remonter. Il y a eu aussi de longs délais de pressage… Bref, on a préféré prendre notre temps pour être sûr que tout se fasse dans de bonnes conditions.
Au delà des tensions, vous avez surement accumulé pas mal de frustrations aussi ces dernières années. Du coup, quelles étaient vos intentions avant de composer ce nouvel album ?
Thomas : On a composé cet album avec des moyens modernes qui étaient nouveaux pour nous. Avant, on se réunissait dans un local, avec rarement du travail en amont. On produisait tout sur le moment, tous ensemble. Fra étant à Caen et nous à Orléans, on a beaucoup travaillé dans notre coin, à partager nos idées via une Dropbox, à les faire évoluer à distance… On avait de grandes réunions qui nous permettaient, une fois dans le local, d’aller beaucoup plus vite car tout le monde connaissait l’intention d’untel, avait sa petite idée de quoi mettre dessus. Parfois, certaines idées avaient déjà évolué avant même qu’on se voit. Une fois en studio, on avait donc beaucoup de chansons qui nous semblaient déjà abouties. Et puis on avait l’intention de confier la réalisation de cet album à un véritable ingénieur du son. Jusque-là, on faisait appel à la famille, à Pierre et Dudu notamment, pour avoir une certaine liberté en termes de temps et d’argent. On a donc voulu donner toutes les chances à ces morceaux, aller dans un studio cool, avec un mec cool à qui on allait faire confiance pour sublimer ce travail de répétition et de concertation. Tout cela a fait une grosse différence avec tout ce qu’on avait fait jusque-là.
Je suis personnellement un grand fan de l’époque Epitaph, mais aussi de Taranto et de Bad Time For Human Kind. On sent vraiment quelques réminiscences de toutes ces années les plus mélodiques au sein de ce nouvel album. A quoi peut on attribuer ce coup d’oeil dans le rétro ici ?
Fra : Il y a quand même un grand évènement, c’est le retour de Phil. Il est revenu avec les poches pleines de riffs qu’on a tous trié et arrangé ensuite. Ca a du représenter la moitié de l’album. Du coup, on est reparti dans l’ambiance Escape, et dans ce qui restait de cet album qui avait été enregistré pour Taranto, etc… Donc effectivement, on n’en est pas loin. C’est bien que tu parles de ces deux albums là parce qu’on s’était dit qu’il serait bien que Torches of Freedom puisse être un album capable de se placer entre Escape et Taranto.
Thomas : En effet, Phil est revenu comme cryogénisé, avec ses riffs des années 90. Sans qu’on le veuille vraiment, son retour nous a rapporté des choses de notre passé. On avait aussi Fra qui était assez fort sur la carte de la chanson, et du côté pop. On s’est donc dit qu’on n’allait pas le faire crier comme certains des albums des Burning ont pu être conçus du fait du côté colérique et rageur de Pierre. On l’a volontairement mis à l’aise, quitte à offrir une version un peu plus pop des Burning qui se retrouve effectivement sur Taranto notamment. Donc avec les vieux riffs du vieux guitariste, et la voix de pinçon de Fra, on avait tous les éléments pour ressortir les bonnes vieilles cartes.
Doit-on voir un rapport entre le retour de Phil et le départ de Pierre ?
Tout est lié. Effectivement, peu de temps après le départ de Pierre, Phil est revenu. Est-ce que la nature a horreur du vide ? Est-ce que chaque trou doit être comblé ? Ce sont deux caractères totalement opposés : il y a d’un côté un italien qui fait beaucoup de moulinets de bras, et de l’autre un suédois psycho-rigide, dans son coin, un peu taiseux, qui ne fait pas de bruit sauf avec sa guitare. Est-ce que ça lui manquait au point de revenir ? Je ne sais pas… Il nous a dit qu’il était parti des Burning alors que le groupe avait déjà pris pas mal de place dans sa vie, qu’il aurait pu être déstabilisé, triste… Mais que dalle ! Il a confié s’être senti plutôt libéré en nous quittant à l’époque. Même si c’était d’une oreille un peu distraite, il a quand même suivi notre évolution, il écoutait nos albums, venait de temps en temps à nos concerts… Il a fait ce qu’il avait à faire pendant 20 ans, sans pour autant en chier sans nous, mais son sac de riffs commençait à peser et il était très content de nous l’apporter pour qu’on l’exploite.
Fra : Ce qui est marrant, c’est qu’il a quitté le groupe après avoir enregistré Opposite parce qu’il ne se voyait pas du tout jouer du reggae sur scène pendant une heure et demie. Quand il est revenu, on a fait quelques répétitions et on est parti sur le Big Takeover Tour avec Brain Damage et Le Peuple de L’Herbe où, sur scène, on reprenait du Bob Marley… (rire). En plus, il est revenu avec des idées de reggae, notamment le morceau Fear sur le 45t récemment sorti chez Kicking.
Thomas : Le mec aime brouiller les pistes…
Vos années d’indépendance totale – que je placerais personnellement entre 2005 et 2015 – ont elles été les plus dures pour vous, sachant que c’est un peu à ce moment là aussi qu’une certaine frange du public Epitaph a pris ses distances ? Comment avez-vous vécu ce creux de la vague, si on peut dire ?
Les Burning Heads existent depuis tellement longtemps qu’on a été sur la vague, dessous… On s’est aperçu que c’était peut être un peu plus dur de trouver des concerts, qu’on pouvait peut être moins en enchainer… On s’est retrouvés avec moins de retours de la presse à la sortie d’un disque alors que pas mal de gens attendaient ça, étaient prêts à en parler… On s’est un peu retrouvés entre nous. Après, je ne sais pas si c’est parce que je me drogue beaucoup, mais je n’ai pas eu l’impression que beaucoup de choses changeaient pour autant : je me levais le matin en pensant au groupe, j’allais au local, je jouais, on composait, on enregistrait, on montait dans le camion, on faisait des concerts, on rencontrait des gens cools… Je n’ai pas spécialement senti ce creux de la vague comme quelque chose d’handicapant ou de démoralisant. L’aventure continuait avec les mêmes gens, qui avaient la même motivation que moi. Oui, les Burning Heads ont besoin de gens autour, mais quand il n’y a personne, on arrive quand même à faire des trucs. On avait notre local, notre studio où Pierre avait accumulé pas mal de matériel et un petit peu d’expérience, ce qui nous permettait de mener à bien tous nos projets sans avoir obligatoirement besoin d’une aide extérieure. Pour moi, les Burning se limitent au plaisir de jouer et de partager de la nouvelle musique avec les gens. Bien sûr, c’est plus cool de jouer devant énormément de gens qui connaissent tes chansons par coeur. Des fois, il y en avait un peu moins, mais pas mal étaient quand même là pour exprimer leur intérêt pour le groupe.
Quand je parle de creux, ce n’est pas uniquement en termes de médiatisation. Je veux aussi parler d’une qualité de production un peu moins bonne, d’un registre nettement moins mélodique parfois qui transpirait la volonté de ne faire strictement aucune concession. Ca a été un peu vos années ‘caboches’…
Oui, c’est vrai qu’il n’y avait personne pour nous dire si on allait dans la bonne direction ou pas. Effectivement, on a jamais écouté grand monde et là, on avait personne à écouter, donc c’était parfait ! Parfois, on essayait juste de se donner des directions, des petits buts à atteindre, sans jamais tenir compte du climat actuel, des tendances et de ce que les gens voulaient entendre. Est-ce que cet album aura des rythmes plutôt rapides ? Est-ce qu’on va mettre la rage un peu plus en avant ? Ou le côté midtempo qui swingue à l’anglaise ? Le dub fait par des blancs qui ne sont jamais allés en Jamaïque ? Tout le reste, on s’en foutait carrément et on avait l’impression de mener notre barque comme on l’entendait. Ca me satisfaisait pas mal même si, oui, la production était un peu moins léchée, un peu moins grosse. Pour être honnête, je sais reconnaitre une belle chanson, mais quand un enregistrement n’est pas parfait, j’ai du mal à savoir d’où ça vient. J’ai des oreilles d’amateur de musique, mais pas d’ingénieur du son. Donc pour moi, que ce soit dans un bel écrin ou dans une petit caisse toute moisie, si la chanson est cool, ça me va.
Vous rejoignez les rangs de Kicking Records pour ce nouvel album. Pourquoi cette décision ? Le départ de Pierre a t-il remis en question ce fonctionnement totalement DIY ?
Oui, Pierre étant parti, on n’avait plus cette option d’enregistrer chez nous, entre nous, avec nos moyens. Et puis d’un seul coup, il y a ce gars qu’on connait très bien et depuis longtemps, qu’on aime beaucoup et qui est droit dans ses bottes, qui a été d’accord pour s’occuper de nous. On s’est dit que ça nous permettrait d’être seulement musiciens et plus patrons de label. Et puis si un mec est prêt à mettre de l’énergie dans ce qu’on n’aime pas trop faire, c’est super ! On était super contents que ce soit Monsieur Cu qui s’occupe de nous parce qu’on sait qu’il est capable de faire de belles choses.
Parlons des textes aussi. Les paroles de Pierre étant très majoritairement assez engagées politiquement et socialement, est-ce que c’est un flambeau que tu as repris naturellement ou as-tu travaillé pour garder une cohérence avec la discographie passée du groupe ?
Fra : J’ai toujours écrit en réaction par rapport à des choses qui me tiennent à coeur, même si j’ai mis un peu de second et troisième degré dans mes textes au fur et à mesure du temps, avec Ravi notamment et surtout avec The Eternal Youth avec qui c’est moins frontal. Cela dit, ça ne m’a pas dérangé de reprendre le flambeau, et de me dire qu’il fallait quand même un peu continuer à faire briller la flamme post-Clash, post-Ruts. Ca fait partie de ma culture, donc j’ai trouvé ça assez logique. Je n’ai pas eu le sentiment de faire des efforts, ni de m’être mis dans la peau d’un personnage qui n’est pas le mien. Aussi, je ne suis pas le seul à avoir écrit des paroles puisque Thomas en a écrit un, Phil en a écrit plusieurs. On s’est réparti la tâche à l’envie et à la réaction du moment. Je pense que certains auraient pu être sans aucun problème sur de précédents albums des Burning Heads.
Quand on a autant d’années d’existence au compteur, est-ce qu’on vit chaque concert, chaque enregistrement comme si c’était le dernier ?
Thomas : Comme si c’était le premier ! On monte sur scène avec le trac des premiers jours, et on arrive dans un studio avec l’appréhension et la petite pression nerveuse qui te fait te demander si tu vas être à la hauteur, si tu vas réussir à enregistrer ce que tu as envie d’entendre, si tu vas avoir des moments de galère, si tu ne vas pas te mettre dans la merde d’un point de vue temps et argent parce que tu as été trop ambitieux, si tu ne vas pas être un boulet pour les copains… Je suis le batteur, donc si je suis à la ramasse, ils vont tous en chier. Moi, je manque de confiance à chaque fois que je rentre en studio ou que je monte sur scène, donc ça me rend un peu nerveux mais ça fait partie du jeu. Et je pense qu’il en sera ainsi toute ma vie.
On n’en a pas fini avec les Burning alors !
Jusqu’ici, tout va bien.
Fra : C’est reparti pour 30 ans !
Vous avez entamé une campagne de rééditions. Qu’est-ce que vous nous réservez de ce côté-là ?
Thomas : Il est question de ressortir les albums sortis chez Pias, Dive et Super Modern World. On a aussi les droits du premier album qu’on pourrait aussi ressortir. Un label suisse, GPS avec qui Kicking travaille sur les rééditions de Hateful Mondays, a décidé de sortir Opposite 2 pour la première fois en vinyle. Ca va nous permettre d’avoir un bel objet, double vinyle. Il est envisagé de presser des choses qui n’existaient pas, d’en represser d’autres qui n’existent plus. C’est encore un peu flou en termes de dates, mais on en a parlé. Si Monsieur Cu veut ressortir l’intégrale des Burning Heads, je dis oui !
Crédits photos : max_well_pix (live), Studio des Songes (portraits)
Benjamin
Posté à 13:58h, 05 avrilGrand plaisir à lire cet interview, merci ! La voix de Fra est très convaincante et on sent que c’est un gars sympa, L’album ne va pas quitter les platines du printemps !