12 Avr 24 Burning Heads, entre deux feux
À la question ‘Comment vous voyez-vous dans vingt ans ?’ posée lors d’une interview réalisée quelque temps après la sortie de Escape (1999), les Burning Heads ironisaient sur leur futur en évoquant une possible reconversion dans le reggae. À l’arrivée d’Opposite (2001) et Opposite 2 (2007), deux album 100% reggae-dub, on aurait pu imaginer la prophétie en passe de se réaliser mais force est de constater qu’après 37 ans de carrière, les Orléanais et leur punk-rock sont toujours bel et bien là, malgré différents changements de line-up, conséquents pour certains. A la veille de la sortie de Embers of Protest, leur seizième album, nous avons pu parler passé, mais surtout présent et (toujours) futur avec Fra et Thomas, respectivement chanteur et batteur des Burning Heads, tous deux partagés entre une fougue de jeunesse qui brûle encore, et une sagesse doucement acquise au fil des ans.
Phil, votre guitariste originel, est revenu dans le groupe 2019 puis vous a de nouveau quittés l’an dernier. Pourquoi ?
Thomas (batterie) : Phil avait quitté le groupe il y a plus de vingt ans. Je crois qu’à l’époque, les Burning Heads ne répondaient plus vraiment à ses attentes, puis on était peut-être un peu trop des Gremlins et des fanfarons pour lui. Il faut dire qu’il avait aussi un caractère un peu spécial, avec plein de qualités et plein de particularités. Quand JBe (bassiste) lui a proposé de revenir au moment où Pierre est parti, il a accepté et rempli sa mission plus que bien. Il avait plein de riffs dans sa besace, plein d’idées, il était vraiment motivé ! Mais une fois la période de création et d’enregistrement passée, les concerts ont repris, et la routine s’est réinstallée, ce qui a dû de nouveau le fatiguer, d’autant qu’il a sûrement moins de patience qu’à l’époque ! Il nous a donc quittés mais on est très contents de tout ce qu’il nous a apporté. Nous sommes ravis également d’avoir pu ressusciter la formule originelle du groupe. Du coup, un mercenaire a bien voulu prendre la suite et nous sortir de ce pétrin… (rires)
Oui d’ailleurs, le choix de Dudu (Brokken Roses, ex- Gravity Slaves) m’a rappelé celui de Mikis à l’époque puisque tous deux étaient des potes, mais aussi les roadies du groupe…
Thomas : C’est lui qui nous a vendu sa candidature ! Il nous a dit : ‘Eh les gars, je vous connais depuis tellement longtemps… S’il y a bien un gars qui connaît les morceaux par cœur, c’est moi ! Je suis bassiste à l’origine mais je peux peut-être me transformer en guitariste’. Il avait tous les arguments… Mais comme tu dis, chez les Burning Heads, il y a pas mal de ‘promotions’ internes. Tu rentres dans l’équipe technique et tu finis sur scène, sous les projecteurs. L’ascenseur social fonctionne chez nous ! (rires)
Fra, à la sortie de Torches of Freedom, tu parlais de l’empreinte importante laissée par Pierre. A présent, tu sembles avoir complètement trouvé tes marques. À quel moment as-tu commencé à te sentir à l’aise ?
Fra (chant): C’est venu petit à petit… Après, ce sont des gens que je connais depuis vingt-cinq ans, donc je savais où je mettais les pieds. C’est prendre la place de Pierre qui a été le plus compliqué. Tu ne le remplaces pas comme ça ! Mais les gars m’ont tout de suite déroulé le tapis rouge, et j’ai toujours fait ce que j’ai voulu, le but étant juste de ne pas faire de mimétisme… J’ai la chance d’avoir une voix assez proche de celle de Pierre, donc je ne dénature pas les morceaux et, avec le temps, j’y mets aussi ma patte. Maintenant, je commence aussi à composer mes propres morceaux, à les intégrer au set. Du coup, je vois les choses un peu différemment et je peux réellement montrer ce que je peux apporter, au-delà de simplement chanter les anciens morceaux sur scène. J’avais composé avec Phil pour Torches of Freedom. Pour celui-ci, j’ai beaucoup composé et j’ai tout arrangé. De fait, j’ai même remplacé Pierre et pris son rôle de l’époque.
Comme tu le dis, ton timbre de voix est relativement proche de celui de Pierre mais, contrairement à lui, j’ai l’impression que ta manière de chanter – ce côté un peu scandé – est pas mal influencée par des genres comme le post-punk, y compris par Morrissey…
Fra : Exact… Je crois que je suis influencé à vie par ce qui s’est passé en Angleterre, en Irlande et en Ecosse. Étant de Normandie, c’est de l’autre côté de l’eau pour moi. Quand j’étais ado, j’allais acheter des skeuds à Southampton ou Portsmouth et je revenais chez moi dans la nuit ou pendant le week-end en ferry. Pierre, lui, était plus influencé par les USA, par des groupes comme Dag Nasty. Avec Thomas, on s’était dit qu’on allait essayer d’enfoncer le clou en faisant un nouvel album aux influences encore plus anglaises, voire australiennes. Il y a des trucs un peu plus ‘rock’ qu’avant dans cet album, je pense.
J’ai vu que tu posais avec ta guitare en studio pour l’enregistrement. Est-ce qu’au-delà d’avoir composé, tu joues aussi dessus ?
Fra : C’est souvent moi qui ai joué la rythmique. J’ai même fait des pré-prods où il y avait tout dedans. Ça s’explique aussi parce que j’habite en Normandie, alors que le reste du groupe est plutôt sur Paris ou sur Orléans. Vu qu’avant ils répétaient à fond dans leur local, je suis maintenant obligé de leur faire des propositions avancées. Parfois, ils répétaient sans moi les morceaux que je leur avais envoyés, changeaient deux-trois trucs ou enregistraient leurs idées pour que je les réenregistre chez moi, sur mon ordi, en ajoutant des arrangements. Pour le coup, j’ai fait pas mal de guitare sur mes morceaux, histoire que JBe et Thomas puissent rentrer leurs rythmiques, mais j’ai aussi fait pas mal d’autres pistes de guitares, des arrangements, des arpèges, solos, etc… Le studio est en Normandie, pas loin de chez moi, donc je pouvais y aller facilement quand il fallait refaire des trucs.
Vous ne répétez pas très souvent alors ?
Fra : Essentiellement avant les concerts… On n’est pas un groupe qui répète beaucoup, les autres se connaissent tellement par cœur… J’ai d’ailleurs eu du mal avec ça au début. On a bossé 23 morceaux en trois répétitions, puis on est directement parti en tournée avec Brain Damage et Le Peuple de L’Herbe, pour jouer dans des grosses salles comme le Transbordeur à Lyon ou la Laiterie à Strasbourg. Je n’en menais pas large ! J’avais les paroles avec moi sur scène et je me disais : ‘les fans vont mieux connaître les paroles que moi, ça craint !’ (rires) J’ai un peu le syndrome de l’imposteur, donc ce genre de truc n’aide pas…
Thomas : Au début, quand on était tous à Orléans ou aux alentours, les répétitions étaient faciles à caler. Aujourd’hui, on se voit effectivement moins souvent, mais on prévoit des périodes de plusieurs d’affilée, et on travaille aussi chacun chez soi en amont afin d’être plus efficaces une fois ensemble.
J’ai l’impression que les textes de Embers Of Protest traitent plus de questions existentielles que de sujets purement sociétaux comme c’était plus souvent le cas auparavant chez les Burning Heads…
Fra : Oui, j’ai mis plus de choses personnelles dans ce nouvel album. Je parle de l’actualité ou des dysfonctionnements actuels, mais au second ou troisième degré. Je suis effectivement moins frontal même si, au départ, je pensais qu’Embers of Protest allait être un album très politique. J’ai choisi le titre il y a un peu plus d’un an, au moment où Macron disait que l’extrême gauche ‘soufflait sur les braises de la révolte’. C’est là que je me suis dit que ce serait pas mal que, nous aussi, on souffle dessus. Puis, dans ma vie, il s’est passé plein de trucs qui ont fait que j’ai eu plus d’idées sur des sujets persos que sur des sujets politiques. Au final, c’est un peu du 50-50.
Et compte tenu de tout ce qui se passe actuellement, tu n’as pas envie d’écrire un truc bien frontal ?
Fra : Si mais, à vrai dire, à l’époque de Creep AC, un de mes anciens groupes, j’étais en réaction directe avec l’actualité politique. J’étais du genre altermondialiste, investi dans des actions à la Greenpeace et, quand je réécoute parfois certains de ces morceaux, je me rends compte qu’ils ont plutôt mal vieilli, justement parce qu’ils correspondent à une actualité bien précise. J’essaie donc d’aborder les sujets avec du second degré, ou de manière diluée. Après, des morceaux comme Globalize ou Dedication qui parlent d’écologie de manière générale, donnent l’impression d’avoir été écrits hier tant rien n’a été fait depuis trente ans. Mais c’est certain que les textes d’un morceau peuvent avoir un impact sur les gens, leur faire prendre conscience de choses. Il y a peut être aussi le fait que tu n’écris pas les mêmes textes à 50 ans qu’à 25 ou 30 ans. Jeune, j’étais vraiment fâché, j’avais la haine. Depuis, j’ai mis beaucoup d’eau dans mon vin, parce que je trouve des excuses, ce qui n’est pas forcément bien. Je suis toujours engagé mais mon engagement est ailleurs. J’étais du genre à me menotter aux rails lors de certaines actions, à finir chez les keufs… Aujourd’hui, ça me gaverait un peu… J’ai des gamins, d’autres responsabilités… Quand tes actes n’engagent que toi, le champ des possibles est très grand. Cela étant, j’essaie d’influencer mes enfants en termes d’éducation.
Embers Of Protest comporte un titre reggae, Dark Romance. Est-ce que c’est aussi ta came, Fra ?
Fra : L’avantage des morceaux reggae, c’est que c’est vraiment un travail en commun. JBe apporte la ligne de basse, puis Thomas amène tout de suite sa partie de batterie et nous, les gratteux, ajoutons plein de trucs différents. Pour le coup, il y a vraiment trois guitares sur ce morceau, avec trois visions différentes : Mikis a proposé un truc très roots, y compris son solo, et Dudu est parti sur des cocottes un peu britanniques/jamaïcaines. Pour ma part, toutes les guitares que j’ai faites étaient très The Ruts car je voulais qu’il y ait quand même un côté punk, tendu. Thomas et moi sommes très fans de ce groupe. Et contrairement à Torches of Freedom dont le morceau reggae avait été enlevé pour se retrouver sur un 45t, on voulait qu’il soit cette fois sur l’album. En plus, il arrive juste après le morceau le plus hardcore. Pour moi, c’est une des belles surprises de l’album. Au début, je craignais qu’il soit trop décalé par rapport au reste mais non, je le trouve chouette, notamment grâce aux choeurs de Thomas !
Justement, quand j’écoute les chœurs de ce nouvel album, j’ai ce sentiment d’une production encore plus soignée que sur Torches of Freedom…
Fra : Je ne sais pas, je dirais même qu’on a plus bossé les choeurs pour Torches of Freedom que pour celui-là où Thomas entamait parfois des morceaux sans savoir ce qu’il allait faire, sur quelles parties il allait poser sa voix. On a avancé pas à pas, notamment à cause d’un accident que j’ai eu début novembre et qui aurait pu être très grave. J’aurais pu y passer… Pendant la tempête qu’il y a eu dans l’Ouest, j’ai voulu intervenir pour éviter que le toit d’un petit atelier en bois que j’avais ne s’envole. Et je suis tombé la gorge sur le bord de ma brouette, j’ai failli m’exploser le larynx. Derrière, j’ai été presque un mois sans pouvoir parler, ni chanter, ce qui nous a pas mal retardés. Vu que j’arrivais quand même à jouer de la guitare, j’ai réussi à avancer sur les instrumentaux de mes pré-prods pendant que les autres répétaient sans moi. Je n’ai réussi à chanter qu’à partir du 15 décembre, du coup les gars ont découvert les mélodies de voix, les structures, les arrangements sur le tard. Vu qu’on n’a donc pas eu le temps de répéter les chœurs avant, on les a faits directement en studio. Heureusement, Thomas a une facilité incroyable à s’adapter, et il a réussi à faire des trucs de fou. Les autres ont surtout fait des chœurs un peu hardcore par moments. Donc si tu trouves que ça a été bossé et bien produit, c’est qu’on ne s’en tire pas trop mal ! (rires)
Thomas, tu dis dans le livre Hey You ! qu’à un moment, tu en as eu un peu marre de l’autoproduction en mode DIY. Qu’est-ce qui te satisfait particulièrement avec ces deux enregistrements comparés à ceux que vous aviez auto-produits à l’époque ?
Thomas : Les façons de travailler et d’enregistrer nos albums ont été assez différentes selon les époques. Au début, nous allions en studio et faisions appel à un ingé son, un producteur artistique (par exemple, Donnell Cameron pour le premier album, Jack Endino pour Dive et Escape) qui pouvait comprendre notre musique et l’enregistrer de la meilleure manière. Puis, nous avons fait appel à des amis proches qui étaient, d’une façon ou d’une autre, impliqués dans le projet : Jacques Garnavault notre ingé du son live, ou encore Fred Norguet, qui se sont retrouvés derrière la console en studio pour Super Modern World. Mais à partir d’Opposite, notre label asso ‘fourre-tout’, nous avons changé de mode opératoire. Pierre ayant eu envie de s’essayer a la production, il a acheté du matériel, puis il a enregistré Bad Time For Human Kind, Spread The Fire, Opposite 2 et Hear This avec Dudu dans notre local de répétition. Ils ont aussi enregistré Choose Your Trap, mais dans un gros studio. On a eu envie de tout contrôler, de nous sentir libres et, côté finances, c’était aussi plus facile. Mais au bout d’un moment, on a réalisé qu’on ne pouvait pas être au top dans tous les domaines et qu’il était préférable de confier certaines choses à des spécialistes. C’est pour ça que je suis très content d’avoir pu confier nos deux derniers albums à un véritable ingé son qui connaît son métier, son studio et qui peut se concentrer sur sa mission. Pierre était des deux côtés, à la console en train d’enregistrer et dans la salle de prise pour faire ses guitares et sa voix, ce n’était pas super confortable, et très éprouvant pour lui. Même chose pour l’artwork : rien de mieux que de confier le graphisme à un graphiste !
Vous tournez beaucoup moins qu’à une époque. Ce rythme plus soutenu ne vous manque pas ?
Fra : C’est vrai qu’il y a eu des tournées de 30 concerts en 30 jours pour les 30 ans du groupe, et même de 50 dates en 50 jours pour celle avec les Uncommonmenfrommars. Aujourd’hui, on tourne moins, essentiellement à cause des autres projets dans lesquels nous sommes impliqués : Lion’s Law et Komintern Sect pour Thomas, Brokken Roses et Speed Jesus pour Dudu, The Eternal Youth pour moi. Si tu ajoutes le boulot à ça, ça prend un peu de temps… On essaie aussi d’éviter les concerts ‘one shot’… À l’époque, les gars faisaient parfois des Orléans-Marseille pour une date, puis revenaient chez eux avant de repartir deux jours après. En général, ils faisaient 100 dates par an, avec une dépense d’énergie de malade, et sans que tout soit forcément planifié à l’avance. On n’a plus vingt ans…
Thomas : Les contraintes familiales font aussi que ce n’est pas toujours facile de s’organiser des activités ‘troubadours’. Et puis, on doit prendre en compte l’aspect économique : un concert isolé coûte plus cher et implique plus d’efforts que plusieurs dates enchaînées. Personnellement, je ne suis pas frustré du tout car je tourne énormément par ailleurs. La Oï a un peu de succès en ce moment, ce qui me permet de jouer dans le monde entier avec plein de super groupes. Mais on va quand même essayer de tourner pas mal sur le deuxième semestre 2024 avec les Burning pour défendre ce nouveau disque.
Quels sont vos plans pour les prochains mois ?
Fra : L’album sort le 19 avril et la release party aura lieu à Paris, le 22 mai au Petit Bain, normalement avec Youth Avoiders et Toxxic TV. Puis on fera quelques dates et festivals jusqu’à cet été, avant que les choses sérieuses ne commencent à partir de septembre. Là, on essaiera d’enchaîner 4-5 dates chaque semaine. En 2025, on enchaînera Belgique, Allemagne, Pays-Bas et Espagne pour éviter les allers-retours.
Photos : Marie d’Emm – mariedemm.com
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