Bracco va vous arracher la tête avec les dents

Bracco va vous arracher la tête avec les dents

Bracco, c’est un premier album sorti en 2019 qui affichait la couleur et les intentions de ce duo pour le moins déterminé à ne pas choisir entre punk rock et techno. Depuis, plusieurs confinements et cette pandémie qui a permis à Baptiste et Loren de s’atteler au à Dromonia, successeur de Grave qui leur ouvre les portes de l’élégant label Born Bad. Aussi, quelques concerts, tous marquants, durant lesquels l’un derrière ses machines et synthés, et l’autre la guitare en bandoulière et le micro dans la bouche, donnent sans compter. Pour nous, les deux compères reviennent sur chacun des morceaux de ce nouvel album. Il est question d’hommages – à Suicide, Throbbing Gristle, ou Ty Segall – de causes perdues, de hasards miraculeux, de cheminée en feu, de gens aimés… Comme Baptiste le dit lui-même : ‘JB nous a conseillé de nous réinventer’. Le conseil n’est manifestement pas tomber dans l’oreille de sourds à en croire ce disque qui termine l’année en beauté.

EPIPHANY

Baptiste : Ce titre n’était pas destiné à être sur le disque. On rencontrait des problèmes dans les arrangements, du coup on pensait le mettre à la poubelle. Puis Paul Rannaud, avec qui j’ai enregistré toutes les voix de l’album et qui m’a beaucoup aidé, est venu à la rescousse. Il nous a dit de revenir dessus, agrémentant la chose de très bons conseils. Le résultat est là, on a tout fait en studio, tous ensemble, en ajoutant des accords de Juno 6 ou bien des nappes de Korg Odyssey, en étoffant la matière. C’est à mon avis le morceau le plus abouti musicalement parlant. Il s’en dégage une ambiance bien cinématographique, il souligne le côté narratif qu’on a tenté de donner à notre musique, et il plante le décor de l’album. C’est pour cela qu’on a choisi d’ouvrir avec Epiphany, on en était assez fiers. Et puis le travail de Marc Portheau a vraiment fait prendre une autre envergure à cette chanson.
Loren : C’est le morceau qui a le plus changé entre les maquettes et la version finale. Je crois qu’il cristallise le changement entre le premier album et celui-ci. On y combine l’ancien et le nouveau. À l’origine, le titre était super intense, il n’avait presque rien à voir avec la version actuelle. Il y avait un synthé disto super agressif, une guitare à fond du début à la fin, une voix scandée sans break… Bref, tout était à balle et dans ta gueule, c’était suffoquant, ça te prenait à la gorge. J’aime toujours cette ancienne version dont il reste quelques traces dans les refrains, mais on voulait quelque chose de différent, de plus ‘classe’, même si ce terme n’a toujours aucun sens pour moi. Au final, c’est un son de Juno 6 qui apparaît au début. Il ressemble au son qu’il y a au lancement d’un Mac, et il a vraiment twisté le morceau. De fil en aiguille, on a mis de l’air partout mais cette nouvelle intro a solutionné pas mal de chose. Ensuite il y a eu la voix : Baptiste a fait deux versions différentes, et on a opté pour celle-ci, chaude et plus parlée. Au final, c’est dense mais ça respire.

COBRA MUSIC 4

Loren : Encore une version exclusive ! Ce morceau est très différent en live : on le joue depuis pas mal de temps mais, au final, ça ne marchait pas du tout une fois posé et enregistré. On l’a pas mal bidouillé, puis on a gardé une version studio qui nous a plu. Il y avait un truc mainstream… Personnellement, je ne sais toujours pas si je l’aime bien.
Baptiste : Cobra est le surnom de Marc Portheau, le réalisateur de cet album qui s’est chargé de l’enregistrement, des arrangements et du mix. C’est notre façon de lui rendre hommage pour tout ce qu’il a apporté au disque. Cobra Music 4 évoque le Club. Dans ce grand spectacle humain, les masques sont de mise et chaque mouvement, chaque look est scruté. Les ‘professional pretenders’ veulent séduire et se dévorent pour s’aimer. La chanson décrit donc ces scènes de séduction et de compétition sur le dancefloor, et le côté presque voyeuriste. C’est le même genre de sensation que tu ressens quand tu es sur scène, en représentation. Kraftwerk, Martin Rev, nos pionniers de la musique électronique y sont représentés comme idoles, l’ajout d’une basse électrique offre une mélodie plus affirmée et un groove plus marqué façon Acid Arab justifiant ces danses sensuelles. Comme dans le clip d’ailleurs, ça vise à faire danser les popotins en tout genre.

CARTER

Loren : C’est un de mes titres préférés du disque, mais je crois que c’est hyper subjectif. C’est un hommage à pas mal de truc indus qu’on écoute. À la base, c’est un morceau que j’avais composé pour un solo… Je ne pensais pas que Baptiste l’aimerait mais il a débarqué dans le studio alors que je le jouais, et ça lui a plu. On l’a bouclé assez vite. Le twist de fin est une nouveauté, on doit l’idée à Marc. C’est dense, mais tout se place super bien. Encore une fois, la voix vient te glacer le sang en te chuchotant ‘you are so lonely and lost‘. La musique me fait penser aux phases de trip dans AKIRA, quand les enfants parlent à Tetsuo et sont transformés en peluche…
Baptiste : C’est un titre assez sombre qui aborde la dépendance aux substances et la démence. L’instru collait bien pour une ballade un peu sensuelle et sombre. Ça a été l’occasion d’y mettre des mots et des histoires plus personnelles. Marc a bien géré le mix de cette production donnant toute leur saveur aux percussions électroniques. Cette basse qui arrive seulement à la fin façon The Dreams – Aloha Miami étoffe le morceau, on a l’impression de rentrer dans un vortex.

BE A BOY (feat Claire Dance)

Loren : La voix change tout ! On revient à la fin des années 90, au début des années 2000. Ça donne une couleur très particulière, presque kitch. La musique est hyper indus, sombre et métallique, et la voix est à l’opposée. Je peux mettre ça en boucle, je kiffe. Il n’y a plus la densité vocale de Baptiste qui veut t’arracher la tête avec ses dents, comme il le fait avec le micro. La tension est latente, derrière. C’est autre chose, c’est nouveau pour nous.
Baptiste : Faire un featuring qui apporte de la fraîcheur sur le disque est une idée que j’avais en tête depuis un certain temps. La voix de Lauriane aka Claire Dance est magnifique, et son univers colle tout à fait au notre. On a réalisé la production en une petite journée au studio à La Station Gare des Mines, notre deuxième maison. Elle a posé cette superbe mélodie rapidement aussi. Connaissant son attrait pour Massive Attack, on a essayé de faire une instru un peu trip-hop. Le but était de faire un titre R’n’B en gardant notre esthétique, une sorte rencontre entre Lana Del Rey et Scorpion Violente. Le texte (mais elle serait mieux placée pour en parler) évoque l’impunité masculine, la vie plus facile que l’on a quand on est un homme. ‘Everybody will know I’m the law‘… C’est l’effet que ça fait d’être dominant.

DROMONIA

Loren : Celle-là, j’ai hâte de la jouer en live, ça va être une tuerie ! C’est aussi un de mes morceaux préférés. C’est le dernier à être entré dans l’album, le seul qu’on n’ait pas fait en studio. Il y a même des pistes super sales qu’on a enregistré pour nos maquettes, où on entend qu’on joue à balle derrière. On garde la texture indus, on rajoute un gros côté drone, et puis des questions réponses aux synthés, avec les bons sons de drums, la bonne voix… On revient à quelque chose de plus brut, de super intense, mais dans le calme… Il tient son nom d’une anecdote : on était dans une maison à la campagne, en Bretagne, et la cheminée a pris feu. On regardait The Voice ou la NBA, on était crevé, et chacun a eu une réaction chelou. C’était très drôle.
Baptiste : En fin de compte, c’est un morceau très épuré, avec seulement cette énorme basse enveloppante et ce synthé mélodique qui emmène la chose plus loin dans la maison des songes, la pièce la plus reculée. Ça file droit, et ça touche à une musique peut être un peu plus drone, en tout cas moins directe sur la manière de gérer l’intensité. Tu sens que ça vient, mais ça n’arrive jamais vraiment, alors que beaucoup de nos anciens morceaux étaient bien plus directs et punk. Le spoken word était naturellement adapté pour ce morceau. Je me suis concentré sur quelqu’un/quelque chose que je n’aime guère, et j’ai déblatéré façon Sleaford Mods. J’ai à peine eu à le temps de retranscrire sur papier, c’était plus ou moins improvisé.

I LOVE YOU

Loren : C’est du Suicide version techno. Absurde et kitch.
Baptiste : On avait envie d’un titre un peu droit, simple, efficace, sans détour, qu’on s’imaginerait entendre en Dj set (s’il est réussi). L’instru de Loren est bien entêtante et lourde, simpliste mais pas chiante, il n’en fallait pas plus. Répéter en boucle la phrase la plus bateau et universelle du monde était au début une idée un peu second degré que j’aimais beaucoup. C’était presque expérimental, alors que pas du tout. Puis ça a commencé à prendre du sens, et c’est devenu du pur premier degré. L’amour est une peine, le manque fait forcément mal, donc une émotion s’est finalement créée autour de tout ça. Au final, c’est une déclaration d’amour à plein de choses : ma mère, ma meuf, la drogue, la nuit, ces gens qui sont libres et beaux, qui sont à l’arrache, trash pas dans la norme… Ça fait beaucoup de gens à aimer en fin de compte.

WRAP YOUR LIPS AROUND MY NECK

Loren : C’est une ballade dans l’esprit de l’album. Elle correspond vraiment à une phase étrange : on composait assis, c’était le Covid…. Un peu la déprime, à moitié doux, à moitié vif …
Baptiste : J’avais envie d’une ballade pour poser les choses sur le disque. Un titre mélancolique, d’où cette référence à Daniel Johnston qui est presque le personnage dans la chanson. Cet être dévoré d’amour. La basse fait très Suicide mais, autour, on a réussi à installer de vrais arrangements, et une composition un poil plus travaillée que d’habitude. On a voulu bosser avec d’autres instruments, comme une basse électrique, pour changer un peu la saveur du titre et trouver des arrangements plus pop, plus simplistes.

SUNSHINE (feat Bryan’s Magic Tears)

Loren : C’est un morceau en deux temps, avec une première partie hybride, qui trace en voix/guitare avec une base chelou, vraiment PC music, et puis une fin qui rocke !!!
Baptiste : C’est un des premiers titres composés pour le disque, et il nous trainait dans les pattes. J’adore cette intro qui me fait penser au Girlfriend de Ty Segall. Il y avait un coté un peu plus garage et entrainant, mais il manquait quelque chose et on bloquait. Benjamin Dupont, du groupe Bryan’s Magic Tears, est passé par là lorsque nous étions en résidence à La Station Gare des Mines. On était installé comme des rois dans la nouvelle salle, avec des énormes enceintes de scène, et tout le matériel possible disposé un peu partout. Il nous a posé un super riff à la guitare, et ça a pas mal débloqué le truc. Pareil en studio : c’est lui qui est derrière la batterie à la fin. Il est très doué à la batterie aussi. Marc a opté pour cette fin avec de vrais instruments, un peu punk pour mettre encore une fois différentes saveurs, d’ou le basse-batterie-guitare de fin. Un fin cuisinier.

SECRETLY DANCING

Loren : Ce morceau nous accompagne dans la descente de Dromonia. On l’a composé lui aussi en temps de Covid. C’est super obscur, avec très peu d’éléments au début. C’est lourd, pesant. On n’est plus du tout dans la surenchère. On cherchait un truc différent, qu’on avait jamais fait… La basse électrique amène un truc super puissant, vif. Je pense qu’il faut qu’on creuse d’avantage cet instrument en live ou en compo !
Baptiste : Après que JB (de Born Bad) nous ait très intelligemment conseillé de nous réinventer sur ce disque, histoire de rendre la chose un minimum interessante pour les gens qui avaient apprécié notre premier album, on s’est mis à chercher d’autres ambiances et idées, à utiliser d’autres instruments, pas forcément électroniques. Tout a commencé avec une note faite avec une basse électrique. Juste une note, comme un coup. J’avais en tête le titre de Throbbing Gristle, Persuasion, qui parle de viol. C’est une chanson qui m’a marqué, très dérangeante. Ce morceau évoque le meurtre d’un époux pervers, avec un aspect détaché du drame. Marc y a ajouté des pleurs d’enfants surcompressés, passés en reverse, mais ça s’entend à peine. C’était un morceau cool à bosser en studio.

THE FALL

Loren : C’est l’un des plus vieux morceaux du disque, avec Cobra Music 4. C’est une sorte de composition en mille feuilles. On empile, on empile… Il est super maximaliste, et à la fois ultra minimaliste dans la rythmique et les harmonies. C’est une ode à la fin du monde. Il aurait du donner son nom à l’album…
Baptiste : The Fall remonte à l’époque du Covid et du stress qui en découlait. Un stress qui n’a pas forcément diminué d’ailleurs… C’est un empilement de plein de percussions et de synthés, constitué de brics et de bracs, avec plein de sons métalliques un peu indus. Il y a un coté techno dépressive. Le texte met en parallèle un décès et l’effondrement ambiant à tous les niveaux. Ça monte, jusqu’à éclater pour finir sur des petites nappes de synthé un peu féériques. Ça commence en oppression industrielle, et ça se termine sur une envolée avec Myazaki. C’est mon texte le plus personnel, donc ce titre compte forcément pour moi. C’était presque bizarre de parler, car c’est plus parlé qu’écrit à ce point sans filtre.

ECOUTE INTEGRALE


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