18 Juin 21 Arthur Satan n’a pas pour ambition de renifler le derrière de ses ainés
Arthur Satan vit de, et pour la musique avec une boulimie qui caractérise les musiciens passionnés. Son crédo ? Principalement le rock garage et la pop, deux influences majeures qui n’ont cessé d’alimenter ses nombreux projets, parmi lesquels Hoodlum, Crane Angels et JC Satàn grâce auquel les plus férus d’entre nous ont pu lui mettre un visage et lui reconnaitre définitivement un talent à toute épreuve.
Plus de dix ans après ses premières chansons folk empreintes de sonorités sixties, Arthur Larregle – de son vrai nom – sort So Far So Good, un premier véritable album solo que le confinement l’a aidé à concrétiser. Avec lui, le bougre passe un cap, il ose. En résultent dix titres qui ne choisissent jamais entre tradition et modernité, dont il est seul à assumer cette beauté, cette richesse, ce raffinement qu’on trouvait jusque là dans les plus belles oeuvres de ses ainés, qu’ils soient Beatles, Kinks, Beach Boys, T-Rex ou, plus proche de nous, Neutral Milk Hotel. Avec ce disque, Arthur Satan ne fait plus de la pop un gros mot : il souligne son universalité d’un trait appuyé, sans jamais casser la mine.
SUMMER
Arthur Satan : Ça doit être le 4ème morceau que j’ai écrit. Un des trucs de base pour ce disque en général a été de composer autant que possible à partir d’instruments que je ne maitrise pas. Comme souvent, en gros, je glande sous ma douche et j’ai un genre de mélodie qui vient me hanter. Là, c’était ce Rhodes du début. La guitare est arrivée naturellement folk pour ce côté pop 60’s à la Loving Spoonful. Je rajoute un trémolo et tout devient détente, un truc un peu mou, nonchalant. Moi je le ressens comme une ambiance un peu moite et désabusée, comme quand on marche seul en été, épuisé par la chaleur. Les choeurs me servent d’emballage dans mon mix, ils viennent lier tous les instruments, à la fois mélodiquement mais aussi dans les textures. Et pour finir, le truc dont je n’arrive pas à me passer, c’est une fuzz avec un octaver pour le solo. Ce sont des sons marquants qui tranchent avec le côté folk. Je le fais arriver sur un changement rythmique, une cassure nette, un peu à la Kinks, avec les caisses claires appuyées sur les coups de folk et des claps… C’est classique mais ça marche.
FREE
Arthur Satan : Je suis assez fier de ce morceau. C’est celui qui m’a fait me dire que je devrais peut-être songer à faire un disque. Comme je le disais juste avant, je ne voulais pas écrire de la pop basée sur les guitares parce que je savais déjà trop ce que ça pouvait faire. J’ai trop d’automatismes. Si je me replonge dans la musique primordiale de ma vie, celle avec laquelle j’ai grandi, et que j’écoute toujours avec autant de ferveur, tout tourne autour des Beatles, des Kinks, T Rex, etc… Que des classiques. Et autant on a par habitude l’idée de groupes à guitares quand on parle d’eux, autant en fait ils utilisent grave de pianos et autres claviers et orgues.
Quand j’ai eu la mélodie en tête, je me suis dit tout de suite que je devais partir sur un truc grandiloquent avec du grand piano. Le riff est tellement pop et abusé que je voulais aller au bout du truc. Je trouve que ça nourrit l’ambition du morceau. Comme si on s’interdisait le piano parce que seuls Bowie ou Elton John pouvaient se permettre d’en faire des caisses… Et donc, pour aller plus loin, j’ai enregistré pleins de chœurs, très harmonisés. Un truc très 60’s aussi. Les morceaux sont souvent plutôt dépouillés en termes d’instruments, et des tas de chœurs créent une chape mélodique solide. Je trouve ça très classe. Si vous sentez qu’il manque un truc dans votre mixage un jour, rajoutez des chœurs. Même discrets. En tout cas, je suis heureux du charisme qui ressort de la chanson. Je trouve qu’elle a ce truc un peu intemporel des vieux tubes… Ils sont uniques tout en donnant l’impression de les avoir toujours écoutés… Je me jette un peu des fleurs, désolé.
LOVE BLEEDS FROM YOUR NECK
Arthur Satan : C’est une des premières chansons que j’ai composé durant le confinement. Je l’avais déjà jouée en live pour un concert solo. C’est pour ça qu’elle est plus dépouillée en termes d’arrangements. Je n’avais pas encore envisagé de faire ce disque pop un peu extravagant. Et ça fait du bien d’avoir ce genre de pause dans l’écoute d’un disque. Ça amène de la variété plutôt que d’avoir l’idée que toutes les chansons ont été enregistrées à la file. C’est important pour moi cette sensation qu’une attention particulière a été apportée à chaque chanson. Chacune a une ambition propre. L’homogénéité du disque devrait se ressentir dans la patte du musicien, quel que soit le style de musique qu’il joue. En bref, c’est juste une sorte de comptine folk médiévale, sur un vampire amoureux de sa victime. Quelques guitares sobres, du mellotron (c’est tout le temps magique) et des harmonies de voix simples qui densifient un peu le lead. Un truc que j’adore en plus dans un morceau folk, c’est le solo de guitare acoustique mais branchée dans la table de mix à fond… Une guitare folk saturée, c’est toujours cool. C’est approuvé par Kim Deal, donc bon…
SHE’S LONG GONE
Arthur Satan : C’est ma ballade un peu Beatles… Chaque morceau du disque est une sorte d’exercice de style sur les choses qui m’ont fait grandir en musique, mais passées sous mon style. On entendra pas tous les mêmes références, et je n’ai pas non plus écrit en me disant : ‘ça c’est le morceau Beatles etc…‘. Mais il y a beaucoup d’hommages dans la volonté de faire ce disque. Là, je voulais vraiment retrouver ce genre de picking folk à la Dear Prudence, avec les refrains en forme d’envolées comme le fait souvent Paul MacCartney. En général, j’écris, compose, enregistre et mixe très vite. Parfois en une journée. Pour cette chanson, j’ai passé beaucoup de temps à écrire la guitare principale. Je voulais qu’elle soit très belle, très douce, même sans accompagnement. Je l’ai travaillée comme un petit joyau jusqu’à ce que je sois heureux de juste la jouer comme ça… C’est cliché mais elle m’apaise.
SHE’S HOTTER THAN THE SUN
Arthur Satan : Le morceau un peu glam cliché chaud du cul. Basé sur un binaire assez lourd tenu par la batterie, que j’ai ensuite passée dans un echo, un slap back, pour lui donner ce rebond à chaque coup, qui fait tchiktchiktchik… Comprendra qui voudra. C’est un truc un peu T.REX avec un refrain 90’s… En fait je l’ai écrit en réponse à quelqu’un qui m’a écrit un morceau… Personne n’avait jamais fait ça pour moi, et j’ai trouvé ça très cool. Alors quelle meilleure manière de rendre la pareille ?
THE BOY IN THE FRAME
Arthur Satan : C’est une chanson particulière pour moi. Je suis très pudique et j’écris très peu sur ma vie ou les choses que j’ai vécu. Je préfère faire passer mes émotions dans la musique plutôt que par les mots. Mais là, j’ai directement parlé de choses très personnelles, et même si ça m’ennuie de l’avouer, ça m’a fait plutôt du bien. Par contre, ça m’a donné l’impression qu’elle était presque trop. Trop tout. Comme si j’en faisais des caisses avec ce piano, avec cette intro à la voix seule (je suis pas Céline Dion bordel) alors qu’elle est ce qu’elle est et qu’elle est sortie de manière très naturelle. Et plus je l’ai écoutée en la mixant, plus je l’ai trouvée belle… J’en suis carrément heureux maintenant, et j’adore l’ampleur qu’elle va prendre en live, avec un truc plus crazy horse, avec des solos bien électriques … Ca va en énerver certains. Une anecdote dessus : j’ai littéralement volé un truc de piano de Melody Nelson dedans. Dans les couplets. Et je m’en fous parce que c’est bien.
IT’S ALL THE SAME
Arthur Satan : J’écoute énormément de music library, des compiles KPM entre autres choses. Souvent pendant que je dessine. Je me retrouve tout le temps avec des espèces de mélodies 60’s modern jazz dans la tête, à la Keith Manfield ou John Cameron. Je suis là comme un con à chanter un lead de flûte, en me demandant si c’est moi qui l’ai écrit ou bien si c’est un des milliards de petits bouts de morceaux d’une minute qui m’est resté dans la tête… C’est le truc de ‘mais bordel d’où vient l’inspiration ?’. On n’est pas censé être conscient de ses références quand on écrit sinon c’est du plagiat. On est simplement habité par toutes les musiques des autres, qu’on décortique, qu’on remonte, auxquelles on ajoute parfois des choses qu’on est les seuls à avoir imaginé. C’est grisant. Ce morceau, c’est un peu ça… Je ne sais pas trop si j’ai pillé un volume de KPM, je n’ai jamais retrouvé un titre qui y ressemblait directement, mais je l’ai fait avec cette sensation d’appartenir un peu à une de ces compilations. Puis au fur et à mesure de l’enregistrement, il est devenu plus moderne, avec un refrain plus actuel, des arrangements un peu jazz… Enfin je crois… J’ai puisé inconsciemment dans ma ‘library’ personnelle pour me détacher des KPM qui l’ont initié.
Ça résume un peu toute l’idée de ce disque. Ça fait un peu connard de dire ça, mais c’est faire un disque à l’écriture assez ambitieuse pour se dire qu’on peut faire son chemin aussi petit qu’il soit, à côté des grands compositeurs de notre monde au lieu d’être caché dans leurs traces. Je ne veux pas commencer à écrire une chanson en me disant ‘de toute façon on pourra jamais faire mieux que les Kinks‘. Je ne prétends pas du tout y arriver, ce n’est pas à moi d’en juger, mais en ne commençant pas avec cette idée en tête, je finis avec un disque dont je suis fier, qui correspond à la musique que j’ai envie d’écouter. Ça fait beaucoup de bien, et ça me fait aussi avoir un regard beaucoup plus optimiste sur la musique des autres, et de mes amis. On est entouré de gens de talent alors ne les écrasons pas sous le poids des références intouchables, et écoutons leur musique sous le spectre de notre époque, sans le filtre des anciens.
TIME IS MINE
Arthur Satan : Voilà un morceau assez classique dans sa forme. De la pure pop un peu 60’s. J’ai pensé le refrain dans l’idée de pouvoir le jouer aussi enjoué que des vidéos live des Kinks, où ils jouent Lola. En 72 je crois… Ca tue. Y’a un groove indécent et une espèce de dynamique rageuse dans la voix de Ray Davies qui est tellement classe… Là, je parle pas de m’inspirer de la musique, mais plutôt de l’envie de vivre ce qu’ils doivent ressentir quand ils chantent comme ça. Il me tarde de rejouer en fait.
THE NAP / BOREDOM IS QUIET
Arthur Satan : Ce sont deux morceaux qu’il faut écouter ensemble. Un des ‘autres’ trucs que j’écoute le plus, ce sont des BO de films. J’adore ça, j’adorerais en faire plus. Là, c’est un peu mon mini film dans le disque. Pas de paroles mais des ambiances très marquées, notamment par des sons plus verticaux, une écriture plus contemplative, moins pop dans le format. J’ai étudié l’électroacoustique pendant deux ans au conservatoire, et il y a un peu de ça dans Boredom Is Quiet. Même si on reste loin de la musique concrète hein. Mais j’ai plutôt travaillé sur des sons acoustiques et des synthés. Genre Bowie dans sa période LOW.
En fait j’ai eu la chance de composer la musique d’un court métrage en 2019. J’ai adoré ça, et j’avais réalisé une maquette pour présenter mes idées. Ensuite cette base de travail est devenue tout autre chose pour le film final. Mais j’adore cette maquette et The Nap est issue de ça. Je voulais la récupérer pour en faire un interlude dans le disque, ou une sorte d’introduction à la fin de l’album, comme une respiration avant une dernière course. Vous pouvez écouter cette bande son de film via ce lien. J’en suis assez fier. Si quelqu’un veut que je fasse de la musique pour son film, qu’il n’hésite pas, haha.
En tout cas, je suis heureux d’avoir fait So Far So Good, mon disque pop. Ça fait un bien fou de revenir aux musiques de notre enfance, sans complexes, sans limitations. Alors merci si vous prenez le temps de l’écouter et de l’apprécier. Vous comblerez le petit enfant casse couille en moi qui a enfin pu s’extérioriser.
Photos : Titouan Massé (header), Charlotte Monasterio (article)
Juliette L.
Posté à 21:45h, 30 juilletFranchement, ce disque est une vraie pépite, juste excellent de bout en bout, on ne saute aucune chanson ce qui est rare. Well done, Arthur!