
17 Jan 25 Arnaud Le Gouëfflec, pourvoyeur de fascination
Arnaud Le Gouëfflec est un créatif boulimique, de ceux qui s’efforcent à tout prix d’entretenir la fascination qu’ils éprouvent pour le monde qui les entoure en multipliant les approches pour l’exprimer. Romancier, scénariste de BD, musicien, organisateur de festival, il porte toujours avec la même sincérité et le même enthousiasme ces différentes casquettes artistiques pour développer son goût de l’étrange, qui s’avère être au fond le déclencheur permettant de s’extraire de tout conformisme aliénant. Les amateurs de rock le connaissent surtout pour Underground, passionnante et passionnée anthologie consacrée aux artistes de l’ombre, ainsi que plus récemment pour Vivre Libre Ou Mourir, dédié à la scène alternative française des années 80, deux ouvrages écrits par ses soins et dessinés par Nicolas Moog… Mais ce sont là deux arbres qui peinent à cacher une forêt de créations dans laquelle il faut se perdre pour en percevoir tout le potentiel. Nous avons rencontré cet artiste complet à l’approche du Festival Invisible qu’il a fondé avec sa femme en 2006, au bout du monde, c’est-à-dire à Brest. Rendez-vous était pris dans un bar de la ville censé être désert et calme en milieu d’après-midi mais qui, abritant exceptionnellement la coupe du monde de far breton (!), nous forcera à nous réfugier sur un banc près de la Penfeld, sous un beau soleil automnal. Un cadre idéal pour parler littérature, musique et bande dessinée.
Commençons par parler du Festival Invisible que tu as fondé il y a dix-huit ans. Comment cela a-t-il commencé et quelle place as-tu dans son organisation aujourd’hui ?
Arnaud Le Gouëfflec : Au départ, nous étions deux, ma femme et moi. On a créé ce festival sur un coup de tête pour voir des artistes qui ne passaient pas par Brest, trop excentré par rapport à Rennes. Pendant les quatre premières éditions, nous n’étions que deux à la manœuvre, avec l’épuisement qui va avec. Par la suite, nous avons rencontré David Crenn et Vincent Le Guilloux, les deux programmateurs actuels, qui écoutent tout ce qui sort, dans des genres très différents. C’est bien que dans une association tous les pouvoirs ne soient pas concentrés dans les mêmes mains, c’est ce qui lui permet de durer. Mon rôle, c’est d’être le gardien de l’esprit, celui qui, si on lui dit qu’on va programmer Florent Pagny, dit non ! Bon… je n’ai jamais eu à le faire (rires). Je reste également attentif au fait que les groupes locaux soient représentés, afin que le festival ne soit pas hors-sol, et qu’il y ait des têtes d’affiches, parce qu’il suffit que l’on n’ait pas le groupe qui va amener la centaine de spectateurs nécessaire pour remplir les salles pour que le festival soit en danger. Il faut toujours un nom qui résonne pour que les gens viennent et découvrent les groupes qui sont juste en dessous sur l’affiche, que personne ne connaît, mais qui vont sans doute les marquer.
Quels sont tes souvenirs les plus marquants du festival ?
Globalement, nous avons surtout eu des gens charmants, révélateurs de la musique que l’on défend. Je me souviens de Damo Suzuki, le chanteur de Can, venu au festival en 2009 et qui, pour chaque date de la tournée qu’il effectuait, demandait à un groupe local de jouer avec lui. Comme à l’époque je jouais de la basse dans Monstre, un groupe de Krautrock expérimental, je lui ai proposé de jouer avec lui, ce qu’il a accepté. Mais lorsque je lui ai demandé ce que l’on devait répéter, il m’a répondu : ‘Surtout ne répétez pas !‘ (rires), ‘I like instant composing‘. Le jour J, on se retrouve donc avec lui dans les loges, et il s’endort une demi-heure avant de monter sur scène. Cinq minutes avant le début du concert, je le réveille pour lui demander ce qu’il va falloir que l’on joue ; il se relève et me dit : ‘Vous allez faire un peu de bruit et à un moment donné je vais sauter en l’air et quand je retomberai sur mes pieds, vous ferez un morceau qui dure une heure. Au bout d’une heure, je sauterai à nouveau et on arrêtera‘. On s’exécute et, pendant une heure, il a invectivé le public avec une énergie démentielle, surtout pour un mec qui venait juste de se réveiller, puis il a sauté sur ses pieds et on s’est arrêté de jouer. De retour en loges, il nous a salué chacun à nouveau, pour finir par s’asseoir dans son fauteuil … et se rendormir instantanément ! J’ai vraiment été stupéfait par cette capacité du personnage à convoquer son énergie quand il le fallait. La même année, on a fait venir Jonathan Richman. C’est Pascal Régis, un booker de Rennes, qui nous avait donné son adresse postale, puisqu’il n’avait pas internet, afin qu’on le sollicite. Il est donc venu à Brest mais, le jour de son arrivée, c’était la grève un peu partout en France. La Carène, la salle où devait se dérouler le concert, était fermée, mais on a réussi à rapatrier le concert au Vauban avec l’aide de techniciens grévistes ayant accepté de travailler bénévolement. On a attendu Richman qui arrivait au volant d’une voiture de location – les trains ne roulaient pas –, accompagné de son batteur Tommy Larkins et d’une fille que l’on ne connaissait pas. Cette dernière est sortie de la voiture, pieds nus avec une bouteille de vin rouge non ouverte à la main, et m’a demandé si la mer était loin. Ils étaient tous clean, il faut le préciser. Je lui ai indiqué la direction de la gare et elle est partie instantanément. On a pris conscience que l’on avait affaire à des individus en totale liberté, en dehors des rails. La balance de Jonathan Richman a duré deux minutes, il a fait ‘ah !‘, joué un accord avant de poser sa guitare et de disparaître pour ne revenir que cinq minutes avant le début du concert. J’ai appris après coup que c’était son habitude de ne jouer que dans des villes qu’il peut traverser à pied – Paris faisant exception -, ce qu’il a visiblement fait à Brest. Sur sa liste d’exigences, il était indiqué : ‘Jonathan ne demande pas à ce que vous le nourrissiez‘, ce qui est l’inverse de ce que l’on connaît habituellement. Un individu complètement en dehors des clous…
Quel est le livre qui t’a donné envie d’écrire, s’il y en a un ?
Ce que ma mère me lisait quand j’étais petit. C’est là que se dessinent les vocations, avec le plaisir intense de se faire raconter des histoires qui entraîne ensuite le désir d’en inventer soi-même. Puis les premières lectures, la bibliothèque verte, la bande dessinée avec Tintin, la science fiction avec Jack Vance, et enfin la rencontre avec la littérature, Léo Mallet, Louis Ferdinand Céline – Voyage au bout de la nuit a été un énorme choc -, le polar américain, Jim Thompson en particulier, dont l’ouvrage, 1275 âmes, sitôt terminé, m’a décidé à écrire mon propre livre. J’ai toujours été attiré par le mélange de noirceur et de drôlerie, et c’est même devenu une constante de mon écriture.
Et le disque qui t’a donné envie de faire de la musique ?
J’ai été biberonné à George Brassens, ma mère l’écoutait beaucoup. Ses chansons sur la mort, comme Le Fossoyeur ou Pauvre Martin, m’effrayaient autant qu’elles m’inspiraient. A l’adolescence, j’ai découvert le rock par l’intermédiaire de compilations en cassettes qu’un gars faisait à partir de sa propre collection de vinyles et qu’il laissait traîner dans les bars du bled dans lequel j’habitais en Normandie. Dessus, il y avait le Velvet Underground, du rockabilly avec SanfordClark, du garage avec les Seeds, du psyché avec 13th Floor Elevators, un peu de punk français avec Metal Urbain, mais également Nico, Dylan, tout ce qui a constitué ma culture musicale pendant des années. A partir de là, je me suis tourné vers les compilations Peebles, Nuggets. Lorsque j’ai commencé à faire de la radio sur Fréquence Mutine à Brest, je me suis ouvert. Les gens avec lesquels je faisais mon émission m’ont sorti du garage des années 60 dans lequel je m’étais enfermé, et m’ont fait écouter Daniel Johnston – un choc énorme – , le funk, l’actualité musicale de l’époque avec les Pixies par exemple. Un autre moment fondateur fut ma découverte du Krautrock un peu plus tard. J’ai pris conscience que plus c’était bizarre, plus c’était pour moi.
D’où la raison d’être d’Underground…
Oui, Underground rassemble mes grands totems, des artistes que j’ai écoutés abondamment. Quand j’ai découvert Sun Ra, ça a été un bouleversement sismique. Aujourd’hui, ça fait partie des choses que l’on doit connaître, mais bien avant internet, il fallait fouiller pour le trouver. J’aime cette idée de soulever un galet et de découvrir dessous une porte ouverte vers un autre monde, inouï, dissimulé. C’est cette fascination pour l’underground qui a mené à la création du Festival Invisible, lequel m’a permis de m’ouvrir encore plus. Mon évolution part donc du garage sixties, vers une ouverture maximale.
Ecrire sur la musique est lié au désir de raconter des histoires ou à un souci de donner du sens à ce qui en a trop ? Je veux dire que lorsqu’on écoute quelque chose qui nous bouleverse, on est dans la confusion, submergé par une foule de pensées liées à une diversité d’émotions, ce qui suscite la volonté de clarifier les choses.
Mettre un peu d’ordre dans le bordel ? En fait, il m’a fallu peu de temps pour comprendre qu’avec trois accords de guitare et un poème versifié, je pouvais écrire une chanson. Mais ça a été plus long avant d’en venir à écrire sur la musique. C’est en lisant les livres de Greil Marcus publiés par les éditions Allia au début des années 2000 que j’ai découvert, comme beaucoup d’autres, une manière de faire très différente de celle que l’on retrouvait dans Rock&Folk ou les Inrocks. Ça a décoincé quelque chose, et rendu possible les chroniques dans la Revue Dessinée (compilées dans Underground, ndlr). Après, pourquoi écrire sur la musique ? Le matin, je me lève en pensant à ces personnages qui évoluent dans l’underground, qui pour moi est comme un monde magique : ce sont des piles énergétiques, qui me donnent le désir d’agir, de créer. Je préfère vivre à côté de cette centrifugeuse là, que de vivre dans le monde fonctionnel qu’on nous propose. Ce monde de l’underground est une source d’histoires inépuisables au sens large, et j’essaye de transmuter l’énergie transmise par l’écoute en écriture. Pour avoir reçu la musique via des cassettes trouvées dans un bar, j’estime qu’il faut passer le flambeau. C’est tellement inouï ce que tu viens de découvrir que tu penses que tout le monde doit le connaître : c’est ça la base. Mais ce que je cherche à transmettre, c’est plus la fascination que la compréhension.
Mais transmettre cette fascination suppose de concevoir les mots et leurs agencements comme des sortes de détonations, produisant chez le lecteur le désir d’écouter la musique dont on parle. Le discours chercherait à produire un équivalent littéraire de l’énergie véhiculée par la musique. C’est difficile de faire cela ?
Je me suis rendu compte très vite que je passais mon temps à raconter des histoires à mes camarades et que, parce que j’étais ultra convaincu par ce que je disais, les autres s’y intéressaient. C’est ce que j’ai également expérimenté avec toutes les personnes qui étaient fascinées par quelque chose. Il y a une contagion qui s’effectue. J’essaye bien sûr de me documenter avec précision sur le sujet à propos duquel j’écris, mais ma démarche reste celle d’un passionné.
Sur Underground et Vivre Libre Ou Mourir, tu collabores avec Nicolas Moog. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Vous avez les mêmes goûts musicaux ?
C’est Sylvain Ricard, le rédacteur en chef de la Revue Dessinée qui nous a mis en contact. Il nous connaissait et se doutait que notre collaboration allait fonctionner. Avec Nicolas, on a le même goût pour l’underground. Il a un groupe de country cabossé, qui s’appelle The Verduns, et d’ailleurs il va chaque année à Tucson, où il a beaucoup d’amis. C’est là que vit, notamment, Howe Gelb, de Giant Sand. Plus jeune, il a fait partie de la Grande Triple Alliance Internationale de l’Est, un collectif de groupes barjots de l’Est de la France au début des années 2000, gravitant entre Strasbourg, Nancy, Metz, et l’Italie du nord. Il y a eu un film sorti en 2022 à ce sujet, et Nicolas est dedans. On n’a donc pas forcément les mêmes références, mais un même goût pour ce qui reste caché.
Comment travaillez-vous ensemble ?
Pour les chroniques, on s’envoie deux ou trois noms que l’on pourrait traiter, j’élabore un scénario que je lui adresse, il le dessine et on propose le tout à la Revue Dessinée, qui réclame des histoires fédératrices. Là, on vient de faire une chronique sur Jello Biaffra, qui est quand même assez connu, et on s’y est autorisé parce qu’en parlant de lui, on a pu dans le même temps poser les problématiques sociétales et politiques des années 80. Ce qui ne peut être publié dans la revue, parce que trop obscur, est mis de côté pour alimenter un bouquin. C’est ce qui a donné lieu au premier Underground. On va sortir le deuxième volume en 2025.
Quand l’élaboration de Vivre libre ou mourir a-t-elle commencé, et pour quelle raison avez-vous envisagé ce sujet de la scène alternative française des années 80 ?
Ce sont des discussions avec notre éditeur chez Glénat, Franck Marguin avec qui je travaille depuis longtemps, qui ont fait émerger l’idée. Franck est un dingue de musique gothique, indus, dark, entre autres, et à chaque fois que l’on se voit, on parle musique. Un jour il m’a dit : ‘Tu ne crois pas que l’on pourrait faire un truc sur les Bérus ?‘. Et là, j’ai eu comme une révélation. Je me suis souvenu du punk de mon lycée, ce gars qui écoutait Bérurier Noir (photo ci-dessous) et qui s’intéressait à l’actionnisme viennois, tout seul dans le sud Manche. C’est quelqu’un qui a joué un rôle considérable dans mon ouverture artistique culturelle ; tu te rendais compte en voyant ce personnage qu’une forme de rébellion était possible contre la vie qu’on nous programmait, que c’était important de savoir où l’on se situait politiquement, et que la chose artistique n’était pas juste du divertissement mais engageait l’existence à la vie à la mort. Avec Nicolas, on avait ce genre de souvenirs, on se rappelait les cassettes des Bérus qui circulaient dans les cours de nos collèges respectifs et on a donc commencé à aborder le sujet non pas en experts mais en curieux, avant de s’y jeter corps et âmes.
Ça a été difficile de rencontrer les principaux protagonistes de cette scène ?
Non, parce que j’ai d’abord contacté Paria, des Archives de la Zone Mondiale, le label qui réédite tous les albums de cette époque, ceux des Bérus mais pas seulement. Trouver des personnes ressources, c’est ce que je fais à chaque fois que j’aborde des livres qui supposent de la documentation. Nous nous sommes rencontrés à Ménilmontant, à côté de l’usine Pali-Kao, la première salle où jouaient les Bérus, et là j’ai passé mon oral du bac devant lui parce qu’il voulait savoir à qui il avait affaire. Et quand il a été confiant, quand il a compris que la démarche n’était pas de faire du sensationnalisme à la petite semaine, mais quelque chose de fasciné, il m’a donné une liste de contacts, par le biais de laquelle j’ai pu me mettre en rapport avec tout le monde. A quelques exceptions près, je n’ai eu aucune difficulté à rencontrer toutes ces personnes ayant constitué la scène alternative des années 80, et qui avaient comme points communs d’être tout à fait disponibles, modestes, humbles. Elles me disaient toutes : « Ce que j’ai fait, n’importe qui aurait pu le faire ». Des gens, également, sans nostalgie, toujours concentrés sur ce qu’ils vont faire après. Des illustrations exemplaires, en fait, de l’éthique punk qu’ils ont défendu quand ils étaient jeunes et qu’ils défendent encore aujourd’hui, ce que montre d’ailleurs la fin du livre, en rendant compte de leurs trajectoires vers d’autres horizons.
Il y a des absents de marque… François des Bérus n’intervient directement qu’à la toute fin du livre.
Oui, c’est quelqu’un d’assez secret. Je communiquais avec lui par mail, mais on n’était pas dans la même facilité d’échange qu’avec Loran qui m’a invité à manger chez lui. Mais je respecte le tempérament de chacun, et je lui ai fait relire tout ce qu’on avait écrit pour qu’il le valide. Il était content du livre et m’a même confié qu’il avait appris des choses. Mais il ne fait pas partie des personnes par lesquelles j’ai reçu des témoignages de première main, au contraire de Loran, de Masto le saxophoniste, des danseuses – la grande et la petite Titi – et du dessinateur Laul qui était également danseur.
Pour quelle raison la Mano Negra intervient-elle au second plan ?
Ce n’était pas la même histoire. Quand la Mano explose avec Puta’s Fever, on quitte les années 80 pour une autre époque de la musique alternative, qui mériterait d’ailleurs d’être racontée. Cette scène de Bagnolet, avec aussi Los Carayos, Parabellum, Boucheries Productions, était une autre école, moins politisée. Or, ce qui m’intéressait, c’était le lien avec le politique et la gauche. On pourrait faire plusieurs histoires de la scène alternative en adoptant des points de vue différents, sans que cela soit redondant. On pourrait centrer sur la scène de Bagnolet en mettant les Bérus au second plan par exemple, mais nous, on a privilégié nos fascinations, ce petit théâtre macabre de Bérurier Noir que j’ai toujours associé à Louis Ferdinand Céline, à San Antonio, à une certaine noirceur française.
Le fait que le livre sorte aujourd’hui, dans un contexte politique plus que troublé, a-t-il motivé sa création ? Vous pensiez à cette correspondance entre le passé et le présent au moment où vous l’écriviez ?
Oui bien sûr. Nous, quand, au lycée, on écoutait Viva Bertaga, le live de Bérurier Noir, on était tous anti-racistes, Touche pas à mon pote c’était une évidence pour nous, même si nous n’étions pas vraiment militants. Aujourd’hui, la politisation se délite et on a l’impression que les gens sont égarés sur ces questions là. Ça nous a donc paru intéressant de faire résonner notre bouquin avec ce qui se passe maintenant. Mais nous ne sommes pas non plus dans le ‘c’était mieux avant’, François des Bérus le disait bien d’ailleurs : à l’époque, toute la jeunesse n’emmerdait pas le front national. Si Bérurier Noir revient sur le devant de la scène, c’est parce qu’il y a un sujet. Nous vivons une époque de tension, de trouble, qui réactualise l’énergie dont ils étaient porteurs.
Nous parlons depuis le début de l’underground, ce qui renvoie au caché, à l’étranger, à l’altérité. Tous les personnages de tes ouvrages, romans ou BD, se trouvent d’une manière ou d’une autre à la marge. Quelle signification attaches-tu à cela ?
C’est la recherche de l’individu comme quelqu’un que tu ne peux pas dupliquer. Le conformisme, c’est se contenter de faire comme l’autre, de reproduire ce qui existe déjà, et il n’y a rien de pire que de vivre dans un monde dans lequel les gens sont faits à partir du même moule. Cela m’a toujours fait peur et je pense même que c’est la racine du mal en général.
Et pourtant, ces personnages ne sont pas repliés sur eux-mêmes, mais toujours ouverts sur les autres. C’est de l’individualisme, mais pas de l’égocentrisme.
Tout à fait, il ne s’agit pas de se couper des autres. J’ai toujours aimé les endroits où il y a plein de monde et où une sorte de communion est possible, mais cela implique que les gens soient présents dans le groupe en tant qu’individus, et non pas comme des êtres destinés à répéter un slogan ou le mot d’ordre d’un parti. Je pense que chacun a à découvrir l’individu qu’il est. ‘Connais-toi toi-même’, comme le dit ce conseil vénérable et ancien, mais qui me paraît être une belle ligne de conduite parce que, quand tu sais qui tu es, tu ne vas pas agresser l’autre, tu vas faire preuve de beaucoup plus de tolérance.
Et il y a aussi une autre caractéristique de tes personnages, c’est que tout en étant des individus, ils s’abandonnent à quelque chose qui est plus large qu’eux, une forme de transcendance dans laquelle ils s’absorbent.
C’est quelque chose qui m’intéresse depuis longtemps. J’ai découvert le rock en même temps que les spiritualités orientales quand j’étais ado. L’idée que le parcours spirituel d’un individu l’amène à la transcendance, à la dissolution dans le cosmos, est ancrée en moi. Mais il faut d’abord se comprendre soi-même pour comprendre ensuite que l’on fait partie d’un tout, et c’est ça la spiritualité : prendre conscience que l’on s’insère dans quelque chose de plus ample que soi. Et cette prise de conscience t’amène à relativiser ton égo, parce que tu comprends qu’il n’est qu’un égo parmi d’autres et que tu ne peux pas le valoriser plus que celui des autres.
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Photos : Gweza
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