09 Fév 24 Arab Strap, reformé mais jamais usé
Uni, puis séparé, puis réuni de nouveau : l’histoire d’Arab Strap ressemble à celle de nombreux autres groupes, tous travaillés à un moment par le désir de rebrancher les instruments et de reprendre la route du studio. Derrière ce récit largement rabâché se cache trop souvent encore appât du gain et concerts embarrassants. Heureusement, c’est là que le duo écossais prend la tangente et s’éloigne bien vite des clichés rabattus. De nouveau sur les rails d’un avenir fécond (le prochain album sortira en mai), Aidan Moffat et Malcolm Middleton regardent par-dessus leur épaule à l’occasion d’une tournée célébrant le 25ème anniversaire de leur mythique album Philophobia. Nous avons intercepté le duo à Boulogne, juste avant son concert au Festival BBMix histoire de revenir sur les aspects marquants de sa carrière.
Quelle était votre motivation derrière cette tournée anniversaire de votre album Philophobia ?
Aidan Moffat : C’est quelque chose que nous ne pensions jamais faire. Nous y avons réfléchi longuement avant de nous lancer, il fallait que les choses soient plus claires dans notre esprit. Nous avons tellement d’affection pour cet album que cette réflexion était nécessaire avant qu’on parte le jouer tous les soirs pendant un mois. Aussi, nous ne voulions pas nous lancer dans ce projet avec un groupe entier. Les gens qui jouaient avec nous à l’époque n’étant plus avec nous désormais, nous nous sommes dits que la meilleure configuration était encore de rester à deux.
Malcolm Middleton : L’idée initiale était de faire seulement quelques concerts pour célébrer cet album. Seulement, de plus en plus de gens se sont montrés intéressés, donc nous en avons fait d’autres et cette tournée a pris de plus en plus d’ampleur. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.
Qu’est ce que vous aimez dans cette configuration en duo ? Est-ce l’approche plus intimiste qui vous séduit ?
Malcolm Middleton : C’est toujours différent quand tu fais une tournée acoustique à deux. Tu n’es pas entouré de nombreuses personnes comme tu l’es dans un groupe, tu saisis la musique, les paroles, la dynamique est différente, inconfortable par moments mais aussi intimiste, effectivement.
Quelle est la chose la plus difficile quand vous vous penchez de nouveau sur un album que vous avez écrit il y a 25 ans ? Quelle approche en avez-vous ? Avez-vous changé certaines choses ?
Aidan Moffat : Certains morceaux fonctionnent seulement en duo, mais il nous est arrivé aussi de jouer régulièrement avec un groupe, ce qui donnait des versions très différentes de celles de l’album. Ce fut le cas pour la plupart des titres de Philophobia que nous avons joués en tournée. Certains sont très calmes, d’autres contiennent des samples et des boîtes à rythmes. L’album en lui-même est assez minimal de toute façon donc, d’une certaine manière, nous n’avons pas l’impression de trop déformer les chansons. C’est toujours aussi puissant. One Day, After School, par exemple, n’a probablement jamais été aussi proche de la version de l’album puisque, à deux, on a moins de choses à y mettre.
Ce disque est souvent cité comme un classique. Ce genre de considération peut-elle être difficile à porter par moments ? Comment vivez-vous ce statut ? Je pense aussi au succès d’un de vos premier morceaux, The First Big Weekend…
Aidan Moffat : Personnellement, je ne pense pas du tout que ce soit un classique (rires), même si je peux comprendre que les gens soient fans de ce morceau et de cet album. De toute façon, tu ne peux pas anticiper la réception du public, tu dois juste faire ce qui te semble bon sur l’instant. Cela dit, nous avons été très contrariés par un message envoyé sur Facebook, sur lequel on nous a reproché de ne pas sonner exactement sur cette tournée comme sur disque. Nous n’avons jamais joué ces morceaux de la manière dont ils sonnent sur l’album, tout a toujours été réinterprété par le groupe que nous avions à l’époque.
Malcolm Middleton : C’est la nature de la critique ! Nous avons eu une seule personne mécontente au cours des six derniers mois, juste un seul type ! On l’emmerde !
Aidan Moffat : Un autre a été très grossier envers moi aussi. Je pense qu’il n’avait pas bien lu l’intitulé du concert puisqu’il était contrarié que nous ne jouions pas de nouveaux morceaux. C’est marqué Philophobia sur le putain de ticket ! (rires)
À quoi ressemblait votre vie il y a 25 ans, quand vous avez composé ces morceaux ?
Aidan Moffat : Nous vivions tous les deux chez nos parents, il me semble. Moi, je ne suis pas parti de chez mes vieux avant 1999. De toute façon, je n’étais jamais là. On était tous les deux au chômage quand on a lancé ce groupe, ce qui était super parce que ça voulait dire que nous pouvions faire autant de musique que nous le voulions. Nous étions occupés, mais à notre manière. Aujourd’hui, on s’occupe de choses que nous ne gérions pas à l’époque : on fait cette tournée seulement tous les deux, on se manage nous-mêmes. À la fin des années 90, il n’y avait rien à s’occuper. C’était juste moi qui composait des morceaux, qui les jouait et qui se marrait. Maintenant, nous faisons plein de nouveaux trucs aussi, c’est très différent. C’est toujours fun mais…
Malcolm Middleton : C’est moins alcoolisé…
Aidan Moffat : Ah oui, complètement ! (rires) Mais je pense qu’il y a un besoin d’abandon quand tu es jeune, tu dois t’amuser. Même quand tu es avec le groupe, en tournée ou en studio, c’est toujours important de prendre du plaisir à faire ce que tu fais.
Vous êtes aussi connus pour vos paroles crues et franches, quels que soient les sujets que vous abordez. Aidan, quand tu as commencé à écrire, est-ce que tu avais déjà ce désir d’être brutalement honnête ?
Aidan Moffat : Oui, je voulais être aussi sincère que possible, ne pas me censurer. Ces morceaux parlent ouvertement de mes erreurs, des choses stupides que j’ai pu faire, des comportements de connard que j’ai pu avoir, et ça me va très bien. J’aime les chansons d’amour, de romance souvent fantasmée, en particulier celles des années 80 et 90 où l’on parlait finalement assez peu des hommes. Il y avait une certaine retenue à l’époque, c’était souvent vu comme une faiblesse. Moi, je voulais me montrer aussi affreux que magnifique dans ce que je racontais. La plupart de ces morceaux sont assez pathétiques, mais je n’en ai pas honte (rires). Le problème, c’est que des gens pensent que je suis toujours comme ça. Bref, je n’avais pas pour ambition de devenir un petit garçon pathétique pleurant tout seul dans son coin (rires).
Étais-tu influencé par des écrivains à l’époque ?
Aidan Moffat : Par beaucoup de femmes surtout. Je pense aux deux premiers albums de PJ Harvey notamment. À ceux de Babes In Toyland également qui avait des chansons incroyables, avec des paroles atroces, horribles, colériques, avec de nombreuses allusions sexuelles. C’était un groupe très bruyant, mais tous ses morceaux racontaient des histoires romantiques terribles, pleines de rage et de jalousie.
Est-ce que votre travail en solo a eu une influence sur Arab Strap ? En particulier quand vous avez décidé de reformer le groupe ?
Malcolm Middleton : Nous avons fait des choses assez différentes en solo. Des choses plus lentes, une bande originale de film assez éloignée de la musique d’Arab Strap…
Aidan Moffat : Je pense que notre histoire est assez différente de nombreux groupes qui se reforment. Eux ne font rien pendant dix ans et, quand ils se retrouvent, ils espèrent que tout soit comme avant. C’est très étrange. Nous, quand nous nous sommes reformés, il était indispensable de nous retrouver au milieu de nos anciens albums, de nos plus récents aussi, et de ne pas refaire Philophobia de nouveau.
Quand vous avez écrit le dernier album, As Days Get Dark, vous étiez soucieux de ne pas vous répéter. Pourtant, en lisant les paroles, on y retrouve vraiment cette notion du temps qui passe, même si les sujets ne sont bien sûr plus les mêmes et que tu regardes avec plus de recul la personne que tu étais il y a 25 ans…
Aidan Moffat : Sûrement, même si je n’ai jamais réellement réfléchi à ça. Il n’y a rien de prémédité, mais j’ai changé de perspective en utilisant la troisième personne. Depuis une bonne dizaine d’années, je chante moins à propos de moi-même, je suis plus soucieux de raconter des histoires. Certains sujets me paraissent moins intéressants, notamment ceux sur lesquels j’écrivais quand j’étais jeune. Ce serait vraiment ennuyeux de les aborder encore aujourd’hui.
Quel est l’album qui vous a le plus influencés au moment de formet Arab Strap ?
Aidan Moffat : Je ne pense pas qu’il y ait un album qui nous ait influencé en particulier. Ce qui nous inspirait à l’époque, c’était toutes ces scènes indépendantes, des labels comme Domino avant qu’il ne devienne aussi gros que maintenant. Je ne peux pas te dire d’où vient le son de notre album, je n’en ai aucune idée.
Au bout de 25 ans de carrière, quelle est la chose qui a le plus de valeur pour vous ? Qu’est-ce qui est le plus précieux ?
Malcolm Middleton : En tous cas, ce n’est pas forcément le fait d’avoir sorti un album considéré comme un ‘classique’. J’en suis fier, c’est sûr, mais je crois que je suis surtout satisfait du fait que nous continuions encore à faire ce que nous faisons. On a sorti Philophobia, et les gens viennent toujours l’écouter aujourd’hui. Notre dernier disque étant réussi aussi, je suis très heureux qu’on soit toujours en état de… fonctionner.
Aidan Moffat : On ne se voit pas comme des musiciens dans le sens classique du terme. J’en connais qui ne savent rien faire d’autre que de la musique. Nous, on fait plein de choses nous-mêmes parce que nous avons beaucoup appris au cours des années : être nos propre tour managers, gérer notre Bandcamp, conserver notre indépendance malgré qu’on ait signé sur différents labels… Récemment, pendant le COVID, j’ai sorti des cassettes que j’ai vendu très rapidement et j’ai aimé sentir toute cette chaîne de travail. Ce n’est pas exactement un boulot au sens classique, mais c’est comme ça que je l’aime.
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