Anika prend le temps d’apprendre

Anika prend le temps d’apprendre

Annika Henderson a beau avoir attendu une décennie avant de donner suite à son premier album solo, ce n’est pas pour autant qu’elle s’est tournée les pouces. Journaliste politique, DJ, poète, photographe et vidéaste, la musicienne anglo-allemande a cumulé autant de casquettes que de collaborations musicales, parmi lesquelles Geoff Barrow, Jandek, Tricky et Shackleton. À l’occasion de son concert à Paris, la réservée Anika a pu s’installer confortablement dans un canap’ moelleux avec Mowno pour discuter – entre autres – de son album Change et de sa vision de l’intégrité. Une entrevue toute en pudeur, à la hauteur de cette artiste magnétique.

Le fait d’avoir attendu 11 ans entre ton premier album solo et Change, c’est principalement dû à ta nature perfectionniste ?

Anika : Dans un certain sens ! Mais c’est surtout que je voulais en profiter pour apprendre… J’avais l’impression de ne pas encore être assez qualifiée pour faire cet album, de ne pas avoir trouvé ma voix. J’ai dû absorber pas mal de compétences. C’est pour cette raison que j’ai beaucoup fait de collaborations durant ce laps de temps. Chacune d’entre d’elles m’a fait progresser dans un domaine particulier.

Tu as l’air de penser que le principal but de la musique est de donner un sens au monde. Cela veut dire que l’Art se doit d’être politique ?

Tout est politique ! Même si tu n’abordes pas directement les sujets sensibles. Ta vision du monde, la façon dont tu te promènes, les habits que tu portes, les choix que tu fais : tout est politique… Sur mon album, ma démarche est parfois beaucoup plus directe. Mais c’est parce qu’il a été écrit à une période où il se passait tellement de choses ! Ma musique m’a aidé à me recentrer sur ce qui se déroulait tout autour de moi et à partager cette expérience avec d’autres personnes. Surtout à une époque où tout le monde était isolé.

Tu emportes des cahiers partout avec toi. L’écriture est complémentaire à la musique ?

Oui. J’écris pour mettre au clair ce qui se passe dans ma tête. Parfois, je n’en ai aucune idée précise jusqu’à ce que je le couche sur papier. Et là je me dis : ‘Oh, c’était donc pour ça que j’étais de mauvaise humeur !‘. Encore une fois, cela m’aide à digérer ce qui se passe dans le monde. Je prends tout ça, je le mets dans mes chansons, et cela prend une autre dimension.

Avant ton concert parisien, on pouvait assister à une conférence sur le mouvement riot grrrl. C’est quelque chose qui te parle profondément ?

D’une certaine façon, oui, mais je ne connais pas assez le riot grrrl. C’est certain que nous partageons des influences communes, mais j’étais soit trop jeune soit trop vieille pour ce mouvement, et je suis un peu passée à côté. J’en sais plus sur la scène punk et féministe à Berlin, notamment grâce à ma très bonne amie Gudrun Gut de Malaria! avec qui j’ai beaucoup collaboré. Il y a ce même esprit de rébellion dans cette scène. Si tu es une femme et une artiste solo, tu dois être sacrément forte de toute manière.

Tu es très souvent comparée à Nico. Tu es d’accord avec cette affiliation ?

Nous sommes deux personnes différentes mais les gens aiment souvent comparer. En 2020, j’ai joué l’album Desertshore à Berlin avec un orchestre à cordes. Grâce à ce projet, j’ai beaucoup appris sur la vie difficile de Nico. En plein confinement, j’ai plongé tête la première dans sa musique et dans tout un tas de documentaires. Donc l’affiliation avec elle ne m’agace pas, même si le fait que cela revienne toujours sur le tapis devienne un peu rébarbatif.

Le titre Naysayer parle de l’importance de savoir dire non et de s’entourer des bonnes personnes. Les compromis sont pour toi une entrave à l’intégrité musicale ?

Non ! Avec le groupe Exploded View, j’ai dû faire beaucoup de compromis. La capacité à travailler avec d’autres gens et à les écouter est une force. C’est une expérience extrêmement gratifiante d’où l’on ressort plus humble qu’avant.

Afin de garder ta vision intacte, quel est justement le plus gros refus que tu aies dû opposer dans ta carrière ?

Il y en a tellement ! Il arrive aussi que tu doives dire non à des personnes proches, d’autres fois à une sorte de grande et sombre force planant autour de toi. C’est très dur et tu te soucies des conséquences. Mais c’est important de rester fidèle à soi-même, sinon autant disparaitre et mourir.

On vient de parler de la nécessité de savoir bien s’entourer. Tu as justement une alchimie indéniable avec les membres de ton groupe. Tu peux m’en dire plus sur elles ?

J’ai enregistré et produit Change en totale isolation, avec l’idée que je ne pourrais peut-être jamais le jouer en live. Quand il s’est avéré que j’allais finalement pouvoir le faire, je voulais monter un groupe exclusivement féminin. Cela a été une expérience incroyable. Eilis, Sally et Zooey sont des musiciennes extraordinaires et expérimentées. En plus, elles connaissent l’industrie et ce que représente les tournées. Nous dépendons les unes des autres. C’est mon projet, mais nous n’avons pas de hiérarchie au sein du groupe.

En tant qu’anglaise et allemande, tu cherches à te distancier des influences culturelles de ces pays ? Ou au contraire, de les embrasser ?

C’est une partie de moi, quoi qu’il en soit. J’ai grandi à côté de Londres et les scènes garage, drum’n’bass, hip-hop et brit-pop anglaise ont été importantes pour moi. Bizarrement, c’est bien plus tard et en Allemagne que j’ai connu le mouvement punk. L’apprentissage ne finit jamais, et tu n’es pas obligé de prétendre tout connaitre sur tout.

Tu es aussi photographe et réalisatrice de vidéos. L’aspect visuel d’Anika fait aussi partie du packaging ?

C’est souvent par nécessité, dans une approche DIY. Le visuel est un médium très important pour moi. Lorsqu’on ne pouvait plus faire de concert, je voulais tout de même apporter la musique aux gens. D’où l’implication que j’ai mis dans les clips et les vidéos.

Sur Change, tu arrives à trouver une balance entre pop dansante et sons électro plus expérimentaux. Cette balance était un des aspects les plus importants dans la conception de l’album ?

Oui, d’une certaine manière ! C’est un album dont la production appelle à l’écouter au casque, encore plus étant donné qu’il a été conçu pendant un confinement. Je voulais des chansons avec une bonne énergie durant cette isolation. J’écoutais énormément de Basement 5, et je pense que ça se ressent dans les titres plus dansants et bizarres. Je ne voulais pas que l’album fasse trop sérieux.

Tu te définis apparemment comme une anti-DJ. C’est parce que tu cherches à vider les salles avec des sets expérimentaux ?

Parfois ! Mais ce n’est pas vraiment voulu ! C’est juste que je ne sais pas tout le temps où je vais bien pouvoir aller dans mes DJ sets. J’aime faire danser les gens, mais ça ne marche pas à chaque fois. Je collectionne en tout cas des vinyles et j’adore découvrir de la nouvelle musique.

Ton utilisation de la guitare est très particulière : pas de riff, pas de solo, très peu de notes. Cela donne une impression assez psyché et trippante. C’est délibéré ?

Oui ! Après tout, ce n’est qu’un instrument ! J’ai des thèmes basiques mais c’est habituellement improvisé : parfois j’en fais plus, parfois j’en fais moins.

Pour finir, quel est l’album qui a changé ta vie ?

Quand j’étais petite, nous n’avions pas MTV, mais j’avais un CD-ROM contenant pas mal de vidéo-clips. L’un d’eux était Changes de David Bowie. C’était tellement impressionnant ! Je le regardais en boucle. Du coup, je choisis Hunky Dory. Je suis fascinée par les différentes manières dont on peut découvrir de la musique, surtout lorsque c’est inattendu et que c’est lié à ton cheminement personnel.

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