And So I Watch You From Afar, ringard un peu aussi

And So I Watch You From Afar, ringard un peu aussi

Avec un premier album tonitruant sorti en 2009 et un nom de groupe aussi imprononçable que mémorable, And So I Watch You From Afar a tout de suite réussi à durablement marquer les esprits. Math ou post rock pour certains, rock progressif pour d’autres, leur musique rassemble au final le meilleur des deux mondes, ces Irlandais sachant doser simplicité et technicité pour mieux servir des compositions souvent explosives. Et s’agissant de leurs prestations scéniques, on ne s’avancera probablement pas trop en disant que le combo n’y déçoit jamais. Conscience professionnelle oblige, nous sommes allés (re-)vérifier cela lors de son passage aux Rotondes (Luxembourg) et en avons profité pour prendre des nouvelles de la bande avec Rory Friers, guitariste originel. 

Avant toute chose, comment va And So I Watch You From Afar après les tourments vécus par tous ces dernières années ?

Rory Friers (guitare) : Ça va plutôt bien. Je crois que, pendant ces longs mois de pause, on a finalement fait comme pas mal de groupes, c’est à dire que nous avons beaucoup composé durant le temps passé à domicile. L’année dernière, nous avons donné quelques concerts ici et là et, il y a six mois, nous avons enregistré un nouvel album que nous sortirons en début d’année prochaine, je pense. En attendant, nous sommes en tournée, nous jouons dans quelques festivals. Ça fait beaucoup de bien de pouvoir renouer avec tout cela et avec les fans.

Oui, surtout que vous êtes un groupe qui était habitué à tourner intensément. C’est un rythme que vous ciblez de nouveau ? Là, je crois que c’est la première fois que vous sortez d’Irlande et du Royaume Uni depuis le Covid…

Oui, c’est vrai. Depuis la pandémie, nous n’avions joué qu’en Irlande et au Royaume Uni. Peut-être avons nous aussi fait des allers-retours à l’occasion de festivals, mais c’est la première fois que nous voyageons vraiment de nouveau à travers l’Europe, en effet. Nous avons pas mal de concerts de prévus sur une assez longue période, donc c’est cool. Puis le temps est bien meilleur que chez nous, un peu comme pour le vin (rire).

Votre dernier album, Jettison, est sorti l’an dernier. Peux-tu nous dire qui dans le groupe est à l’origine de ce projet, et peux-tu revenir sur le processus de composition qui l’a rendu si singulier au sein de votre discographie ?

C’est moi, c’est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps. En parallèle du groupe, je compose souvent des bandes originales et j’ai voulu intégrer cela à notre musique qui est parfois très cinématographique, tout en comptant sur les contributions de musiciens externes, comme par exemple un quatuor à cordes. J’adorais l’idée de composer une oeuvre globale plutôt que de faire comme d’habitude en alignant simplement et machinalement différentes idées les unes à la suite des autres. Passer du temps sur chacun des thèmes, parvenir à un résultat plus épique, raconter une plus longue histoire, collaborer avec l’artiste Sam Wiehl pour toute la partie visuelle… Tout cela s’est avéré très motivant. À l’origine, l’idée était de proposer uniquement une performance live, mais on y a passé tellement de temps qu’on a fini par trouver dommage de ne pas l’enregistrer. On a donc sorti l’album l’an passé, en pleine pandémie, ce qui est plutôt bien tombé puisque c’est un album très difficile à défendre sur scène en raison du nombre de musiciens, et de la production globale du projet. Peu de concerts étaient prévus de toute façon. Sur nos concerts actuels, il arrive qu’on en intègre une toute petite partie à notre setlist, mais seulement à condition que ça colle avec le reste.

Avais-tu composé toi-même toutes les parties des musiciens venus t’épauler, ou est-ce que vous avez fait plusieurs résidences pour écrire la musique ensemble ?

Nous avons tout écrit à l’avance, tous les quatre, jusqu’à ce que la dynamique soit parfaite, que la tension corresponde à nos attentes, etc… Le risque, quand tu composes quelque chose de si long, c’est de finir par ennuyer, et de donner l’impression de l’avoir fait pour soi, et non pour les autres. Nous avons porté beaucoup d’attention à cela : nous voulions être certains que cet album ait du sens, et qu’il propose une expérience d’écoute agréable pour nous, musiciens, mais aussi pour celui qui le découvre. C’est donc un processus qui, pour cette raison notamment, a pris beaucoup de temps. Ce n’est qu’ensuite que nous avons embelli la musique à l’aide de cordes. Là encore, ça n’a pas été simple : l’idée était qu’elles aient véritablement leur place et qu’elles ne suivent pas simplement les guitares. C’était un défi, parce que c’est à la fois amusant et pas évident de donner une partition de musique que tu as composée à quelqu’un de très compétent avec son instrument. Là, quand tout prend vie et que tu entends la totalité de l’orchestration, c’est un moment incroyable.

La sortie de l’album a été plusieurs fois repoussée. Pour quelle raison ?

C’est toute une histoire ! D’abord, il a fallu attendre que le vinyle soit pressé, car il y avait un gros embouteillage aux niveau des quelques usines à ce moment-là. En parallèle, il a fallu trouver le bon moment pour s’en aller défendre cet album en tournée. Car à un moment donné, certains membres du groupe ont eu des soucis personnels qui nous ont amenés à repousser les concerts, puis l’usine de pressage a fermé. Il a donc fallu en retrouver une autre qui a fini par nous annoncer des délais de livraison inacceptables, donc nous sommes repartis à la recherche d’un nouveau presseur qui nous a fait patienter à son tour. Là, le Covid est arrivé, les vinyles ont pu être livrés au label qui les envoyés à l’entreprise de merchandising juste avant que celle-ci ne fasse faillite… Du coup, aujourd’hui, tous nos disques sont coincés par l’administration américaine, et on essaye de les récupérer… Actuellement, le vinyle est seulement disponible en Amérique du Nord.

Avant cela, vous avez sorti l’EP Successors qui est musicalement très proche de l’album The Endless Shimmering. Est-ce que ces deux opus sont tirés de la même session studio ?

Non, Successors vient de la même session que Heirs, sorti en 2015. Nous avions enregistré beaucoup de morceaux à l’époque, et il a donc fallu qu’on en enlève pour l’album. Ça a été un crève-coeur parce que je les aimais vraiment beaucoup, notamment Odd Seal qui a une vibe très différente de ce qu’on joue d’habitude. Du coup, quand le Covid a tout bloqué, on s’est dit que ce serait une bonne idée de les sortir, pour le plaisir.

Il y a quelques années, Niall (Kennedy) et toi avez été nominés parmi les meilleurs guitaristes prog rock de l’année par un magazine. Justement, vous êtes assez fans de ce genre de musique, n’est-ce pas ?

Oui, j’en ai beaucoup écouté par le biais de mon père qui passait sans cesse du King Crimson et du Yes quand j’étais gamin. Ce genre de disques, mais aussi leurs pochettes, tout ce monde étrange a toujours un peu été une influence pour le groupe. Créer des choses un peu bizarres, on aime ça ! Je pense qu’on s’en rapproche aussi en raison de notre façon de jongler avec les signatures rythmiques,  nos pédales d’effets ou la longueur de nos morceaux. En vieillissant, je réalise de plus en plus que je fais finalement partie d’un groupe de prog rock. Comment ai-je pu en arriver là ? Je pense que c’est comme tout : c’est un genre qu’il faut juste savoir s’approprier. En tous cas, ces nominations ont contribué à mettre And So I Watch You From Afar un peu plus en lumière. Certains magazines de prog nous soutiennent vraiment. Ça me plait que des ‘ringards’ du rock nous apprécient, parce que nous le sommes un peu aussi (rire).

Photos : Ciara McMullan


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