Altin Gün, fête de turcs

Altin Gün, fête de turcs

Loin du cliché ‘faire du neuf avec du vieux’, Altin Gün a réussi, dès son premier album On (2018), à réconcilier tradition et modernité en revisitant et en se réappropriant, avec malice et pertinence, de vieux standards pop-folk psyché tout droit venus de la Turquie des sixties / seventies. La formation basée à Amsterdam aurait pu se contenter, comme beaucoup, de faire dans l’hommage simple et révérencieux. Ou, pire encore, la reprise inutile et sans âme. Ça aurait été mal les connaître. Tout, dans Altin Gün, respire la réinvention, l’originalité et l’envie. L’envie de recréer, partager et transmettre. De faire danser et sourire. Le batteur du groupe, Daniel Smienk, que nous avons rencontré quelques heures avant une prestation dantesque au festival Levitation à Angers, est revenu pour Mowno sur le passé, le présent et l’avenir d’un projet musical qui, n’ayons pas peur des mots, s’avère comme le plus fédérateur et surprenant que nous ayons vu ces dernières années.

Altin Gün est né en 2018. Aurais-tu imaginé que quelques années plus tard, vous en seriez là, avec cinq albums sous le bras, des tournées européennes voire mondiales à votre actif, et un public en feu à chaque concert ?

Daniel Smienk : Non, pour être honnête, personne ne s’y attendait. L’idée est venue de Jasper. Il voulait monter un groupe pour jouer des reprises de folk turc, et donner quelques concerts. Je crois qu’il n’envisageait rien de plus mais les choses se sont emballées dès le début. Le premier album est sorti en avril, puis il y a eu ce concert aux Transmusicales de Rennes, suivi de la session KEXP qui a vraiment lancé le truc dès sa mise en ligne. Quand j’ai rejoint le groupe, je savais que ça marcherait. Je m’attendais à beaucoup tourner, mais pas à ce point, pas dans autant de pays. C’est dingue, mais c’est génial !

Votre public est généralement plus que réceptif. Les sourires sont de mise lors de vos concerts, les profils sont aussi très différents. Comme expliques-tu qu’Altin Gün fédère autant ?

Il y a sûrement plusieurs explications mais je dirais que les djs ont clairement participé à cette reconnaissance. Au même titre qu’ils ont joué de la musique italienne, de la musique thaïlandaise, puis de la musique occidentale des années 60 et 70, ils ont naturellement intégré notre registre à leurs playlists. Les plateformes de streaming ont aussi joué leur rôle en rendant notre musique accessible à plein de gens qui ne la connaissaient pas. Il faut dire que nous ne sommes pas nombreux à représenter ce genre musical, encore moins aux Pays-Bas d’où nous sommes originaires. Tout cela réuni nous a donné un bon coup de fouet. Puis c’est quand même un son très rafraîchissant. Avant de rejoindre le groupe, je l’ai vu plusieurs fois en concert, et je me suis chaque fois demandé ce qui se passait. Il ne ressemblait à aucun autre, d’autant que je n’avais aucune notion d’histoire anatolienne et de la musique allant de pair. Les paroles sont magnifiques, toute cette culture est d’une richesse incroyable.

Justement, en parlant des paroles, elles sont souvent tristes et mélancoliques, ce sont par exemple des histoires d’amour qui se terminent mal. Penses-tu que le public danserait autant s’il les comprenait ?

C’est vrai que c’est assez surprenant, mais quand nous jouons en Turquie, les gens ressentent comme de la fierté de nous entendre jouer tout ça. Ils sont heureux que leur culture soit diffusée et partagée, que les publics d’autres pays apprennent à la connaître.

Vous jouez donc des classiques turcs, des morceaux qui ont déjà été écoutés des centaines de fois. Du coup, cela nécessite d’y apporter une touche très personnelle. Comment est-ce qu’elle surgit ?

Ça change à chaque fois. On peut ajouter des paroles, une mélodie dans un couplet ou un refrain, parfois on commence avec un groove. C’est comme un puzzle qui se forme petit à petit. Le choix se fait quand même souvent suivant les paroles car, si Erdinç et Merve n’accrochent pas dessus, on écarte le morceau en question. Ce sont eux qui sont censés raconter ces histoires donc la sélection finale leur revient en quelque sorte. Sinon nous fonctionnons un peu comme un groupe de jazz qui remanie un peu les standards du genre à sa sauce.

Et penses-tu qu’un groupe turc reprenant des classiques hollandais pourrait connaître un tel succès ?

(rire) J’aimerais beaucoup entendre ça, ça pourrait être très bien. Tu connais des chanteurs folk hollandais ? Il y en a de très bons ! Si leurs morceaux étaient repris ainsi, ce serait hilarant.

Est-ce que vous ne craignez pas de vous lasser en suivant toujours le même concept, ou même de voir votre source de classiques turcs se tarir ?

C’est marrant que tu dises cela parce qu’on passe parfois beaucoup de temps à en trouver une qui nous plaise. Il y en a tellement, et tellement qui ne sont pas écoutables en ligne ! Jasper est très bon pour cela, il passe beaucoup de temps à fouiller dans les bacs de disques en Turquie, ou sur Discogs. C’est vrai qu’il arrive qu’on ait trop peu de morceaux à reprendre mais, quand c’est le cas, on se remet en recherche. Possible qu’on ait tout épuisé un jour, possible qu’on n’arrive jamais à la fin. On surfe la vague sans prévoir quoi que ce soit, et on verra bien. Là, on travaille déjà en vue d’un prochain album et il n’est pas impossible qu’on y intègre des compositions originales, comme on l’avait déjà fait avec Soför Bey sur Gece, pour lequel Merve avait écrit les textes avant qu’on compose dessus. Il n’y a rien de sûr encore mais on n’écarte pas cette possibilité sachant que, au delà des morceaux plus traditionnels, on se permet aussi d’enregistrer des compositions qui soient moins marquées du sceau turc.

Votre dernier album, Ask, peut être vu comme une synthèse de tout ce que vous avez enregistré depuis vos débuts. Est-ce que, de fait, il peut être interprété comme une fin de cycle pour Altin Gün ?

Je ne l’ai jamais abordé sous cet angle mais c’est vrai qu’il peut résumer un peu tout notre début de carrière, en effet, même si ça n’a jamais été notre intention. Nous jouons, nous enregistrons, et ça mène à un nouvel album. Il n’y a pas plus de réflexion que cela, hormis le fait de répondre parfois à une envie, comme celle d’avoir un morceau disco. Le disco, c’est cool, tu ne peux pas détester cette musique (rire).

Vous avez joué plusieurs fois en Turquie. Ça doit être une expérience incroyable d’un point de vue émotionnel non ?

C’est génial, fantastique. Plusieurs générations de turcs connaissent ces chansons, parfois chacune en connaît d’ailleurs une version différente : les plus anciens chantent celle des années 60, les plus jeunes celle des années 90. Ça a même permis à des gamins de finalement apprécier la musique de leurs parents. Du coup, là-bas, notre public va de 16 ans jusqu’au troisième âge, et on y fait régulièrement de gros concerts. Il y a deux semaines, nous avons joué devant 3500 personnes à Istanbul donc ce n’est pas rien.

Récemment, un ami vous a vu à Paris, où vit une grosse communauté turque. Il m’a dit que des gens pleuraient pendant le concert. C’est quand même quelque chose !

Oui, à moi aussi ça me semble bizarre, mais sûrement parce que je ne suis pas turc. Ça ne m’empêche pas d’être très content de bouleverser les gens à ce point, même si mon but n’est pas non plus de les faire pleurer du début à la fin (rire).

Votre album Âlem, et c’est tout à votre honneur, n’a été publié que sur Bandcamp et tous les bénéfices de ses ventes ont été reversés à l’association Earth Today. Est-ce que vous vous considérez comme un groupe engagé ?

Non, je ne dirais pas cela mais ça ne nous empêche pas d’être concernés par de nombreux sujets, et l’environnement en est un. L’industrie de la musique pollue beaucoup étant donné le nombre de voyages qu’elle implique, mais aussi tout le matériel qui lui est nécessaire, l’électricité qu’elle consomme… Tout cela représente une grosse empreinte carbone. Nous avons voulu réagir à cela et profiter du Covid pour enregistrer cet album et faire quelque chose de bénéfique. Au final, nous avons pu leur reverser entre 40 000 et 50 000 euros. Aussi, suite aux tremblements de terre en Turquie, nous avons également organisé un concert au Paradiso à Amsterdam avec plusieurs autres artistes. Nous avons pu exploiter le lieu gratuitement, du coup toutes les recettes du bar et du merchandising ont été reversées et on a pu récolter une somme équivalente. Nous sommes très fiers de cela.

ECOUTE INTEGRALE


Tags:
Pas de commentaire

Poster un commentaire