
15 Oct 21 Karate en 10 titres et pas un de plus
Il faut parfois ne pas trop se fier au nom d’un groupe pour se donner une idée de sa musique. Derrière son blase à mettre des coups de tatane, Karate a, entre 1993 et 2005, fait montre de la plus grande délicatesse pour ajouter une corde bien à lui à l’émo qui a fait rage durant sa décennie d’existence. En effet, pendant que Jimmy Eat World, Texas Is The Reason, The Get Up Kids ou The Promise Ring rivalisaient d’intenses envolées mélodiques pour prendre le relais de l’énorme vague punk du début des années 90, Geoff Farina se ralliait plus volontiers derrière Mineral ou Pedro The Lion pour tirer le genre vers des contrées plus jazz et blues, plus adultes donc, dont il a fini par prendre subtilement possession au fil de sa discographie.
Quand Geoff Farina monte Karate en 1993 à Boston, rien ne peut véritablement laisser présager de l’orientation musicale future du groupe, si ce n’est qu’il va délibérément choisir de ne pas suivre le troupeau. Sans jamais sous évaluer le caractère émotionnel de son registre, le combo préfère ne pas se précipiter, et signe un premier album éponyme ouvertement marqué du sceau slowcore. Entre les notes, le silence prend place dans les moments les plus introspectifs, se love dans les ambiances feutrées dans lesquelles le trio excelle, ce qui ne l’empêche pas de faire de l’oeil au post hardcore, d’élever le tempo et la voix, ni de faire rugir la guitare de Farina, singulière de par son jeu très personnel et déjà particulièrement affuté.
Constamment sur la route, jusqu’en Europe, Karate ne traine pas pour offrir un digne successeur à ce premier album, et vit ses premiers changements de line up avec l’arrivée de Jeff Goddard à la basse, relayant Eamonn Vitt en seconde guitare. Telle une suite logique à l’identité plus aiguisée, In Place Of Real Insight sort en 1997, armé de nouvelles compositions remarquables de créativité et de sensibilité. Aussi sombre qu’énergique, désormais fort de deux guitares complémentaires, le groupe s’enhardit et marche alors dans les pas de Fugazi sans tomber dans le piège du plagiat en ne laissant percer que par endroits l’influence du groupe de Washington DC.
Bien installé sur son rythme d’un album par an, le quatuor du Massachusetts – redevenu trio après que Vitt soit retourné à ses études de médecine – livre en 1998 ce qui reste certainement son oeuvre la plus marquante et homogène. De par ses lignes de guitare à rallonge, The Bed Is In The Ocean lève pour la première fois le voile sur les futures intentions du groupe. ‘Nous avons beaucoup expérimenté en nous tournant vers le jazz et le blues, simplement parce que ces deux styles musicaux ont toujours eu autant d’influence sur nous que les groupes de rock’ nous confiant Geoff Farina un soir de 2008 à Nantes. Sans se débarrasser de son approche indie rock émo, Karate profite alors pleinement de l’épanouissement total de son chanteur-guitariste, signe parmi ses plus belles ballades, et fait preuve d’une facilité renversante à sonner simple et émouvant malgré la complexité de son jeu.
Dès lors, les atmosphères moites et chaudes du jazz comme du blues ne quitteront plus Karate qui franchit le cap pour de bon en 2001, à la sortie de Unsolved. Le post hardcore et l’émo définitivement derrière lui, le groupe ouvre grand les vannes aux compositions plus introspectives, ou les soli jazz sont légions dans un environnement pourtant toujours bien ancré dans l’indie rock. Si Sever fait figure d’exception au tracklisting, le trio se rapproche alors de la mélancolie de June Of 44 mais tourne progressivement le dos à un public qui venait tester chez lui son émotivité.
Malgré quelques coups d’éclat, Some Boots (2002) et Pockets (2004) auront beau piocher dans l’inspiration la plus profonde du groupe, leurs trop nombreuses longueurs finiront de scinder le public de Karate en deux générations bien distinctes, laissant celle plus adepte des tumultes improvisés voguer aux rythmes de Godard et McCarthy, comme aux déviations jazz de Farina. Un constat qui n’a pas froissé pour autant ce dernier qui, toujours en 2008, considérait ce dernier album comme son favori : ‘Bien qu’ils soient tous différents, Pockets reflète beaucoup d’expérimentations faites auparavant, et représente aujourd’hui ce son hybride que nous avons développé au fil du temps. C’est le plus raffiné, et c’est une belle fin étant donné qu’il représente ce que nous sommes devenus’.
Si Farina tentait alors de nous faire passer un message, nous n’avons pas su le saisir au vol. L’année suivante en effet, Karate raccrochait définitivement les instruments après un dernier concert à Rome. Avide de nouvelles aventures et freiné par des problèmes d’audition, le frontman scellera la carrière du groupe pour s’en aller vers des contrées moins bruyantes, en solo ou accompagné des plus acoustiques Glorytellers, tout à leur aise avec quelques décibels en moins.
Reste que ces derniers n’ont jamais pu faire oublier le passage de Karate, à jamais ovni qu’on le considère rock ou jazz, si singulier dans sa fusion émo-jazz-blues-rock de tout temps indéfinissable. Celle que Numero Group s’emploie désormais à raviver dans les mémoires puisque, depuis la fin de cet été 2021, le label multiplie les rééditions, rendant de nouveau disponible la plupart des albums aux formats LP et digitaux. L’occasion rêvée pour Mowno de vous faire parcourir la discographie du groupe le temps des 10 titres qu’on considère comme les plus représentatifs d’un talent disparu mais loin d’être éteint.
Nicolailler
Posted at 13:03h, 22 janvierIl va falloir faire une petite maj de l’article! 😉
Depuis le groupe s’est reformé pour une tournée (vu à Bologne à l’été 2022 : Magique !!! ) et prépare même un nouvel album!!!