03 Juil 20 Kanye West en 10 titres et pas un de plus, par Adrien Durand
On adore le détester comme on déteste l’aimer. Kanye West est un personnage clivant, peut être celui qui provoque les réactions les plus épidermiques parmi tous ceux qui marqueront ce 21ème siècle. Sa vie, son oeuvre valaient bien un bouquin, et c’est Adrien Durand – bien connu du circuit indépendant mais aussi critique musical pour Les Inrockuptibles – qui s’est collé avec succès à l’exercice. Sorti pile poil pour que vous puissiez l’emmener dans vos bagages, Kanye West ou la Créativité Dévorante (Playlist Society) revient en 140 pages sur la personnalité singulière, la vie chaotique, et le narcissisme exacerbé de celui qui a changé à jamais la face du rap et qui se définit lui-même comme… ‘le plus grand artiste en vie’. Rien que ça. Une fois n’est pas coutume, on a laissé les clés du camion à l’auteur du livre, le mieux placé pour se fendre d’un best of très personnel après avoir répondu à nos questions.
Kanye West ou La Créativité Dévorante disponible ici.
Ton background musical est plutôt rock, du coup c’est assez surprenant de te voir te pencher sur le cas de Kanye West. Comment et pourquoi t’es venue l’idée de lui consacrer un livre ?
Mon background est assez varié et surtout pas mal lié à la musique des années 90 avec laquelle j’ai grandi et les figures très fortes qui allaient avec. Des personnalités souvent excessives et ‘bigger than life’ qui m’ont marqué très jeune (en vrac Axl Rose, Tupac, Courtney Love, Kurt Cobain ou Aphex Twin…) et dont la légende a été amplifiée souvent par mon imagination dans une époque pré-Internet. Kanye West a surgi au moment où je trouvais la musique assez chiante et très policée (à la sortie de Graduation notamment où l’indie rock devenait très mainstream et très lisse). Quand Playlist Society m’a proposé de publier un essai dans la foulée du lancement de mon zine Le Gospel, il était certain pour moi que je voulais écrire sur un artiste qui dépassait le simple cadre musical et qui pouvait permettre d’évoquer le monde contemporain dans toute sa complexité. Kanye West était un choix idéal et le fait qu’il génère des réactions très extrêmes n’a fait que me donner encore plus envie de me frotter au sujet.
C’est un personnage pour le moins complexe et clivant. Après avoir approfondi son cas, et même si tu ne prends jamais vraiment parti au fil du livre, ton opinion personnelle a t-elle changé entre le début et la fin de l’écriture ?
Mon opinion personnelle sur lui non, je ne pense pas. Mon approche de la critique musicale certainement. Ce que je voulais justement réussir à faire, c’est sortir d’un certain manichéisme que je vois souvent dans la presse musicale actuelle. ‘C’est un génie‘ ou ‘c’est un crétin qui représente la déliquescence de la musique actuelle‘. En fait les choses sont beaucoup plus complexes. La musique pop est une façon passionnante de regarder le monde contemporain et d’observer nos comportements. L’idée du livre, c’était de dire : au delà du scandale, des rideaux de fumée médiatiques et des stratégies de communication, qu’est-ce que notre rapport à un artiste comme Kanye West raconte de notre société et donc de chacun de nous ?
Tu dis toi même de Kanye West qu’il est le plus grand artiste en vie. Justement, n’est-ce pas un peu exagéré quand on peut aussi le considérer comme la caricature la plus grossière de la société actuelle ?
En réalité, ce n’est pas moi qui le dit, mais Kanye West lui-même, d’où la présence des guillemets. Mais on joue volontairement sur cette confusion. Tu te rappelles quand Macron est apparu pendant l’affaire Benalla et a dit aux journalistes ‘qu’ils viennent me chercher‘ en mode Tony Montana sur-coké ? Les gens ne parlaient plus que de ça, et plus de l’affaire en question. On appelle ça la technique de la terre brûlée, et c’est le genre de stratégie de communication que West a beaucoup adopté. Dire quelque chose d’outrancier pour devenir le centre de l’attention générale. Une façon d’affirmer ‘maintenant que j’ai votre attention, voilà ma musique‘. Personnellement, je réfute le terme de génie que je trouve absurde. Par contre, voir un rappeur capable de naviguer ainsi sur le terrain médiatique pour diffuser sa musique, je trouve ça fascinant.
Est-ce que l’instabilité dont il fait souvent preuve permet de finir d’écrire à son sujet en ayant des certitudes ?
J’ai pas mal pensé à l’obsolescence de mon essai. ‘Dans six mois ou un an, mon livre sera-t-il toujours pertinent ?‘ Et j’ai tendance à penser que oui car je n’ai pas écrit une biographie ou une discographie commentée. J’ai essayé de proposer un essai socio-culturel sur le monde actuel au travers de l’oeuvre et de la vie d’un chanteur pop. Par exemple, les trente premières pages (rédigées en 2019) racontent comment les violences policières ont influencé la musique rap américaine, et elles ont (malheureusement toujours) une résonance en 2020. Le fait d’avoir une approche historique permet de circonscrire un certain nombre de thématiques d’une manière assez intemporelle. Mais il reste certainement beaucoup de choses à dire sur lui (et heureusement!).
Après l’avoir étudié, quelle est la question que tu aimerais beaucoup lui poser s’il était là, devant toi ?
Kobe Bryant ou Michael Jordan?
Photo Adrien Durand : Yann Le Flohic
LOVE LOCKDOWN
Sorti en 2008, une des pièces de choix d’un disque game changer du rap et de la pop music en général (808’s & Heartbreak). Le mélange des rythmiques organiques et synthétiques est vraiment très réussi. On a l’impression d’un morceau à la fois très robotique et très humain/ touchant. Une belle métaphore de la personnalité du mec.
LAST CALL
C’est le premier disque de Kanye West que j’ai acheté en vinyle (ce qui m’a permis d’en apprécier complètement la production ultra chaleureuse). C’est une chanson très déliée, on dirait qu’il a laissé le micro ouvert et qu’il se laisse aller dans un délire un peu éthylique.
DARK FANTASY
J’aime beaucoup l’intro du morceau (qui est aussi le premier de My Beautiful Dark Twisted Fantasy) où Nicki Minaj prend l’accent anglais pour lire un texte de Roald Dahl. Il y a vraiment un côté théâtral assumé qui marche hyper bien. Comme Le Magicien d’Oz en version rap.
USE THIS GOSPEL
L’exemple typique du morceau qui pourrait être une gigantesque foirade et pourtant ça fonctionne de manière assez brillante. L’occasion de se rappeler que Kanye West est aussi un storyteller de talent. Peu importe ce qu’il raconte, on y croit dur comme fer.
WOLVES
Life of Pablo est mon disque préféré de West (du moins en ce moment). J’aime beaucoup ce côté minimal et expérimental avec les choeurs qui partent un peu en sucette dans une ambiance presque cauchemardesque.
CLIQUE
En général, ça ne marche pas trop quand Kanye joue les thugs. Mais sur ce morceau, on sent que ça lui fait du bien de jouer les gros bras avec ses potes, un peu en mode La Haine, ‘c’est à moi que tu parles?’.
FLASHING LIGHTS
Tu te rappelles dans High Fidelity quand le gars met un disque et dit ‘je vais vendre trois albums de Beta Band‘ et que tous les clients lèvent la tête en disant ‘c’est quoi ce morceau, c’est trop bien ?‘. Ca marche à tous les coups avec Flashing Lights.
Lil Kim – DON’T MESS WITH ME
C’est mon ‘background rock’ qui ressort (rire). Difficile de ne pas parler du boulot de Kanye West pour les autres. Toute une époque dans ce morceau produit pour Lil Kim sur un sample de Pat Benatar (que j’ai beaucoup écouté aussi. Et non je n’ai honte d’aucun de mes goûts musicaux).
KIDS SEE GHOSTS
J’aime beaucoup le beat qui a un petit côté techno minimale assez inattendu. Ce sont souvent les morceaux les plus épurés de Kanye West que je préfère. Ce disque de collab avec Kid Cudi (un autre rappeur que j’aime beaucoup) a été un peu sous estimé mais reste une vraie réussite au moment où les deux décident de se regarder dans le miroir et d’affronter leurs egos qui les mènent dans le mur.
RUNAWAY
Un morceau hyper emo avec un gros côté revanchard dans les paroles. “Let’s have a toast for the douchebags”. Un vrai classique.
Playlist à retrouver sur Spotify
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