Playlists – Le rock chinois à tous les temps

Playlists – Le rock chinois à tous les temps

1976, alors qu’en Occident on danse sur les chansons de David Bowie ou de Queen, Mao meurt et une fenêtre s’ouvre en Chine sur le reste du monde. Depuis l’ouverture en 1978, les musiques alternatives évoluent au rythme fulgurant du pays. Des communautés de musiciens et d’artistes qui veulent s’éloigner de la pop d’État explorent le rock occidental, et s’en inspirent pour créer une scène d’une veine contre-culturelle.

Si le rock a évolué aussi vite que le pays, c’est grâce à quelques étrangers qui ont apporté leur cassettes, leurs CDs et leurs instruments de musiques avec eux, là où le rock, le blues, la musique classique n’existent pas. Ils ont aidé à apprendre les codes, à monter une tournée, à faire de la promo, à faire un flyer. En 1990, on découvre le heavy metal, les premiers groupes de rock reprennent Iron Maiden et AC/DC. Même si cela n’intéresse qu’une trentaine de personnes, le punk est en vogue tout juste 20 ans après la sortie de Never Mind The Bollocks, Here’s the Sex Pistols (1977). Pékin attire alors les jeunes artistes et musiciens qui se retrouvent dans les bars de la capitale pour jouer devant quelques personnes, la communauté grossit et les genres évoluent peu à peu.

Alors que le pays accueille la planète entière en 2008 pour les JO, la musique indé vit son âge d’or dans les caves pékinoises, et trouve un son spécifique qui sera encore repris dix ans plus tard. Évidemment, le rock est politique, surtout en Chine. Mais s’il a pu incarner des actes de rébellion à l’aube des années 1990, il est aujourd’hui un mode de vie et représente encore et toujours un même désir commun d’empowerment. En quarante ans, le pays a vu grandir les héritiers de la Révolution culturelle, la génération de l’enfant unique, celle d’Internet et de l’hyperconsommation et, parmi les 1,5 milliard d’habitants, une communauté répond à un état d’esprit engagé pour certains, hype pour d’autres.

Je vais en Chine depuis 2004. Lors de ce premier voyage, je passe presqu’un mois à Pékin sans parler un mot de chinois, à errer dans les rues, à visiter les grands monuments, et à faire la fête dans des petits bars dont je parle dans ‘Red Flag‘ quinze ans plus tard. C’était la Chine d’avant les Jeux Olympiques de 2008, mais le pays commençait déjà à préparer l’événement qui allait montrer au reste du monde l’image de super puissance qu’elle s’apprêtait à devenir. En rentrant en France, je décide de repartir pour un temps plus long. Je m’installe à Shanghai en 2006 pour apprendre le Mandarin. Là, je découvre une petite scène rock. Shanghai est à l’époque une ville de plus ou moins 18 millions d’habitants et il n’y a qu’une seule salle pour y voir des concerts. Yuyintang est toute petite et affreusement sale, ça pue la bière, la clope et la mauvaise viande grillée, mais c’est un petit sanctuaire paradisiaque et festif où résonnent les guitares. On sent surtout qu’on est très loin de la Chine de la surconsommation. Je ne me rends pas du tout compte à l’époque que je suis témoin de l’émergence d’une scène. J’y vois jouer les groupes qui sont aujourd’hui les pionniers de l’indé chinois.

La communauté rock n’est pas à Shanghai : c’est à Pékin que tout se passe. Quand j’y vais en week-end, j’en profite pour aller à D-22, la salle qui a permis au rock chinois de devenir ce qu’il est aujourd’hui. Malgré la censure très forte, il y règne une certaine liberté. D-22 a été le QG de la communauté musicale pré-2008 et a permis aux musiciens de se côtoyer. Aller écouter un concert en Chine, c’est se retrouver face à des plateaux sans véritable cohérence pour nous qui sommes habitués à nos salles occidentales où un groupe de brit pop ne jouera jamais avant un groupe de hardcore. C’est pour ces raisons que tout va extrêmement vite : malgré soi, on entend des choses différentes en permanence, tout le monde joue ensemble, ce qui aide les musiciens à évoluer, à explorer les différents genres et à rattraper les décennies de retard qu’ils ont sur l’Occident.

J’écris mon premier article sur le sujet en 2009. En 2013, je suis de nouveau en Chine quelques semaines, et j’en profite pour faire un reportage sur l’évolution de la scène rock pékinoise. Il n’y a aucune info, et je finis par écrire le livre dont j’ai besoin, sorti en mai 2018 aux Éditions Le Mot et le Reste. Je me rapproche des labels, des groupes, des directeurs de salles, des quelques vendeurs de disques, je me mets à côtoyer les punks, les rockers, les anticapitalistes et les anarchistes. Il y a peu de monde qui s’intéresse au rock dans ce pays de 1,5 milliard d’habitants, et ceux qui en font partie sont très heureux de raconter ce qu’ils font. L’article se transforme en livre dans lequel j’ai tenté de décrire, à travers la musique, l’évolution du pays depuis la mort de Mao. Dans Red Flag, j’ai choisi de raconter une Chine qu’on n’imagine pas en Occident, celle des caves underground, de la contre-culture qui se manifeste contre le Parti, et d’une petite communauté qui, par la musique, souhaite s’éloigner de l’hyper capitalisme, et ne pas répondre à l’éducation chinoise ‘nice job, nice house, nice car’.

Coraline Aim est spécialisée en culture contemporaine chinoise et découvre le milieu underground pékinois en 2006. Journaliste indépendante, elle a écrit de nombreux articles sur le sujet pour Mouvement, la Cité de la Musique, GQ, Mowno et autres webzines musicaux.
Photos : Greenwall / Photo homepage : David O’Dell

Red Flag, disponible aux éditions Le Mot et le Reste. 266 pages (14,8 X 21 cm), 21.00 € >> commander

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