Interview – Voices Voices ou le domaine du possible musical

Interview – Voices Voices ou le domaine du possible musical

Méconnues du public français, Nico Turner et Jenean Farris – les deux cerveaux un peu barrés de VoicesVoices – sont de grandes adeptes de l’abstraction pure. Un élément dominant qu’on retrouve tout au long de « Origins », leur premier Ep sorti chez Manimal Records et né de leur collaboration avec le magicien Guillermo Scott Heren, plus connu sous le pseudo Prefuse 73. Alors qu’on attend une redite de leur concert Parisien de cette année, rencontre épistolaire avec ces deux protagonistes de la scène avant-gardiste de Los Angeles, dont la vision éthérée de la conception musicale laisse sans voix.

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Comment vous êtes-vous rencontrées?

Nous nous sommes rencontrées la première fois par l’intermédiaire d’amis communs alors que nous jouions dans d’autres groupes, puis lors d’un concert du groupe Xu Xu Fang. C’est très étrange car, encore aujourd’hui, nous avons l’impression que cette rencontre n’était pas le fruit du hasard. Nous n’avions aucune idée de la teneur du projet musical sur lequel nous travaillerions plus tard, mais il est sûr que nous voulions nous donner une chance. Et il est vrai que tout cela a été rendu possible par cette combinaison fonctionnant aussi bien musicalement que dans d’autres domaines. Nous n’avions jamais réalisé à quel point nos voix étaient compatibles. Mais nous remercions encore ce je ne sais quoi qui nous a amené à nous rencontrer!

Quelles sont vos différentes sources d’inspiration? On vous sait proches de l’abstraction en tout genre…

Notre musique est évidemment influencée par le non-dit. « Sounds Outside », par exemple, est un titre à prendre au sens littéral du terme. Nous pensons que la création peut se baser sur l’Art en général et sur toute forme d’abstraction, sur ces « sons de l’extérieur ». La plupart de nos chansons reposent d’ailleurs sur ça. Nous ne nous mettons jamais au travail avec une idée précise de ce que nous allons faire, et des directions que nous allons prendre. Le tout débute généralement par un mot, une photo, ou encore une couleur que nous suivons ou poursuivons… Et il est bien approprié pour nous d’user de manière ironique du nom VoicesVoices, vue la part belle faite à l’abstraction et non aux voix.

Quelles sont vos méthodes de travail?

Au début, nous nous enfermions au Smell (ndlr, lieu d’enregistrement à Los Angeles) et jouions ensemble jusqu’à voir ce que nous pouvions en retirer. Aujourd’hui, nous avons aménagé une pièce à l’étage de notre maison, avec une configuration identique à celle du live… En amont, nous travaillons plutôt individuellement. Nous nous retrouvons côte à côte seulement quand nous considérons que nos idées respectives sont suffisamment solides.

J’imagine que travailler aux côtés de Guillermo Scott Heren (ndlr, Prefuse 73) pour le Ep a certainement redessiné les contours de votre musicalité…

Travailler avec lui nous a beaucoup inspiré. Nous nous étions toujours imaginées que ce mec bossait dans son studio un peu à la manière d’un savant fou. Il se lève très tôt le matin et travaille sur ses idées jusque très tard dans la nuit. Il écoute des morceaux qu’aucune d’entre nous n’aurait écouté… Malgré ces différences, la connexion s’est faite très naturellement. Guillermo avait déjà plus ou moins les mêmes idées et intentions que nous. Mais le point positif de tout ce travail est surtout que, grâce à lui désormais, ces sentiers musicaux que nous nous refusions d’emprunter jadis nous semblent dorénavant accessibles.

Ce dernier a d’ailleurs dit à votre sujet: « J’aime leur façon de gérer leurs affaires. Il n’y pas d’histoires de business avec elles. Ce qui me permet de ne pas passer tout mon temps avec un mec d’un label quand je les produis ». J’imagine qu’il fait référence aux ventes des Ep tout droit sortis du coffre de votre voiture… Quelle est donc votre opinion de groupe avant gardiste sur la situation particulière que connait l’industrie musicale Américaine?

Il fait surtout référence au fait que nous ne sommes pas un de ces groupes de rock typiques, avec qui il est question de contrat dès que tu rentres en studio. Nous créons, c’est tout. L’industrie musicale Américaine – ou autre – connait une conjoncture assez particulière. En ce moment, il est très difficile de jouer et de maintenir un certain niveau de vie pour des gens comme nous, excentrés par rapport à la scène musicale contemporaine. J’ai l’impression que les labels n’offrent plus autant d’opportunités et de libertés qu’auparavant, à moins de jouer dans un groupe de pop. Les gens se procurent la musique en ligne, donc cela veut dire que les magasins de disques et les groupes gagnent moins d’argent. Il n’y a plus d’intermédiaire entre les labels et les groupes, donc moins de revenus, mais plus de façons de toucher le public. Je pense que c’est ce dernier aspect qui amène d’ailleurs les gens à se pencher plus volontiers sur la création. Finalement, c’est peut-être une bonne chose.

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« Magique », « mystérieux » semblent être les mots qu’on retrouve le plus souvent quand la presse internationale parle de vous. Ils ont même tendance à se justifier via cette résurgence dans votre titre « Tape Noon »… Devrais je également inclure Jim Morrison à vos références?

Oui tout à fait, et à cela nous ajouterions « Whiskey and Mystics and Men ». Beaucoup de formes artistiques sont enveloppées, tout comme la vie en général. Tout ce que nous produisons n’est que le reflet de cela. La musique, aussi bien que l’Art visuel, est un forum ou tout est rendu possible. The Doors fût un groupe très influent car ils ont réussi à défendre cette idée à un niveau inimaginable. Bien sûr, notre musique ne flirte pas tant que ça avec leur travail, mais les idées qu’ils ont soutenues, et les barrières musicales qu’ils ont explosées, sont définitivement inspirantes. Le titre « Tape Noon » est donc une ode à cela. Les sons transcendent à leur manière, et inspirent le peuple là ou le spoken word ou l’art visuel ne le peuvent pas. Nous nous inscrivons totalement là-dedans. Notre musique nous est, elle-même, tout à fait inconnue et mystérieuse car nous ne lui mettons aucun obstacle qui puisse l’entraver. Nos compositions ne sont que le résultat de nos émotions, que nous essayons de nourrir et cultiver jusqu’à un certain état de maturité.

Le non-dit serait-il justement pour vous un moyen d’aborder des sentiments nouveaux autres que l’Amour, la Haine etc…?

Peut-être bien. Cette musique est notre réponse à tout ce qui a déjà été fait auparavant, c’était le meilleur moyen pour nous de créer quelque chose de totalement original. Nous pensons que beaucoup de sentiments, dont ceux que tu évoques, ont déjà été largement abordés. Pourtant, beaucoup d’artistes continuent de les retranscrire en musique, comme s’ils craignaient d’aller explorer d’autres choses. C’est tellement facile de copier ou de sonner comme quelqu’un d’autre. Je comprends que ce soit flippant d’avoir à se donner du mal pour sonner différemment, mais ça vaut tellement le coup… Bref, s’il est parfois difficile de mettre un mot sur des sentiments, la musique permet de les comprendre, de mieux les appréhender. C’est ce que nous tentons de faire.

voices4Pensez vous, au même titre qu’un artiste comme Daedelus, que Los Angeles est une véritable communauté artistique ou « l’émulation » reste le mot d’ordre?

Oui, surtout en ce moment. Une véritable communauté est en train de se former entre artistes de tous bords. Chaque tentative créative en soutient une autre. Il  y existe tellement de domaines artistiques qui se chevauchent, que c’en est devenu inévitable… Les lieux d’enregistrement, autant que les labels, peuplent la ville et ses alentours: The Smell, Brainfeeder, Manimal Vinyl, IAMSOUND, Silverlake, Echo Park, etc… Tous ces protagonistes se connaissent, et se joignent allégrement à un mouvement entamé par d’autres. C’est une putain de source d’inspiration.

J’ai été totalement subjugué par votre video du titre « Origins »…

Elle a été tourné en août dernier pendant ces incendies de forêt auxquels nous faisons face chaque année à la même période, aux alentours de Los Angeles. Nous aimons son aspect documentaire qui montre bien ce à quoi les habitants sont confrontés tous les ans. Cela amène une ambiance post apocalyptique au morceau. Nous avons eu cette idée la veille, lors d’un shoot photo en compagnie de Patrick Frazer. Il nous avait parlé de son souhait de réaliser notre vidéo, et voulait également grimper sur les collines afin de filmer les feux. Ça s’est donc fait tout naturellement. Nous sommes partis à l’aveuglette, pourchassant le moindre feu qu’on apercevait, jusqu’à ce qu’on trouve le lieu parfait pour filmer. Je dois avouer que ca a parfois pris des airs de mission commando.

Vous considérez-vous comme partie intégrante d’un mouvement que l’on pourrait nommer « Shoegazers »?

Non. Ce terme est utilisé pour décrire une sonorité particulière et nous n’avons jamais voulu sonner d’une manière précise. Notre musique serpente, nous tournons les potards, nous créons d’étranges sons sans jamais nous préoccuper de cibler tel ou tel public. Notre musique est le reflet de notre propre expérience, pas d’un style ou un autre. Notre volonté est de retranscrire notre vécu, nos idées par l’acte créatif lui-même. Cela, il nous est impossible de le nommer ou de le qualifier.


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