Interview – Prinzhorn Dance School, je t’aime moi non plus

Interview – Prinzhorn Dance School, je t’aime moi non plus

Toujours anonyme au sein de l’écurie DFA, Prinzhorn Dance School a l’habitude d’être décrié et ce, depuis son premier album. Loin des strass de LCD Soundsystem, le groupe suit sa route en silence, sans s’émouvoir du peu d’intérêt que lui prête les médias. De nouveau sorti dans l’ombre,  »Clay Class » se révèle pourtant brillant, et l’affirme comme une valeur sûre du rock. S’il ne bousculera jamais l’hégémonie médiatique de confrères plus divertissants, le duo n’en finit plus de surprendre le public, aussi réticent soit-il. En musique, la sincérité l’emporte toujours. Et ça tombe bien: aussi attachants soient-ils, les Anglais ne font pas dans l’artifice.

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J’aimerais d’abord revenir sur votre premier album que très peu de médias avaient apprécié? Est-ce quelque chose que vous avez compris à cette époque?

Suzie: Pour commencer, nous n’attendions rien des médias. D’ailleurs, personne ne devrait avoir d’attentes particulières de qui que ce soit. À vrai dire, ça n’a pas vraiment été un choc car DFA, notre label, nous a vraiment soutenu, et nous étions convaincus à 100% de ce que nous faisions. Si nous ne l’aimions pas, nous aurions simplement jamais sorti ce disque. Nous étions très heureux de cet enregistrement donc… qu’ils aillent se faire foutre! (rires) Ils commencent à changer d’avis aujourd’hui.

Peut-être était-ce plus difficile pour un groupe comme le vôtre d’être compris en étant sur un tel label?

Tobin: Peut-être que nous avons également aidé à amorcer un changement, une nouvelle vision de DFA étant donné que nous étions les premiers dans notre registre à rejoindre ce label. Nous étions peut-être les cobayes (rires). Oui, au fond, c’est un label populaire, très brillant, et attendu. Mais au final, nous faisons la musique que nous aimons, et c’est le principal. Nous jouons ces titres des centaines de fois en concert et nous avons passé – et c’est toujours le cas – des heures et des heures en studio. Alors, si nous n’apprécions pas, comment pourrait-on continuer?
Suzie: Ça pourrait nous ennuyer de jouer des titres si nous étions blasés, lassés de partir en tournée alors que nous les connaissons par coeur. Alors oui, nous faisons en sorte de jouer la musique que nous aimons. Et je ne lis pas la presse donc, à nouveau, je les emmerde.

prinz21Quelles sont les grandes différences entre  »Clay Class » et ce premier album?

Tobin: Notre manière d’écrire a changé. Les textes du premier album étaient plus sociaux, plus axés sur l’observation de notre environnement. Aujourd’hui, nos paroles sont plus personnelles. Et, en réponse à ce virage, la musique se devait d’être plus tendue, plus puissante. Dans un certain sens, nous n’avons pas pris de décisions conscientes à propos d’un besoin de changement, cela s’est fait naturellement.
Suzie: De plus, le fait est que notre manière de travailler, notre façon d’enregistrer dépend réellement de ce que nous vivons. Si nous enregistrions demain, cela ne sonnerait pas comme ce disque. C’est comme un journal intime, cela dépend de ce que nous ressentons à ce moment précis. C’est là la plus grosse différence étant donné que nous avons fait beaucoup de chemin entre le premier album et celui-ci.

La devise  »Less is more » reflète très bien votre son, minimal. Néanmoins, vous passez beaucoup de temps en studio. N’est-ce pas paradoxal?

Déjà, nous avons construit notre studio. Enfin, Tobin l’a construit. C’est un très bon bricoleur et un très bon compositeur. Cela nous a déjà pris pas mal de temps. Il a aussi fallu s’imprégner de ce lieu après avoir été si longtemps sur la route. Nous avons également dû nous familiariser avec les nouveaux outils. La première fois, nous avions simplement composé avant de partir aux Etats-Unis, et James Murphy (LCD Soundsystem) était derrière tout le processus de mixage. Pour  »Clay Class », nous n’avons pas simplement écrit et joué. Nous l’avons entièrement produit, du début jusqu’à la fin, dans notre nouveau studio. Cela impliquait donc de développer de nouvelles connaissances.

Le  »Do It Yourself » est-il si primordial pour vous?

Tobin: Oui, c’est indispensable. Nous pouvons tout contrôler. Non seulement la démarche est importante pour le processus de composition, mais elle l’est aussi financièrement. Nous avons passé trois cents jours dans notre studio: imagine combien cela nous aurait coûté si nous avions passé autant de temps à composer, à enregistrer dans un autre… Sûrement des centaines de milliers de livres.
Suzie: Nous ne pouvons pas nous le permettre!
Tobin: Cela offre également plus de possibilités puisque nous pouvons travailler de jour comme de nuit.
Suzie: Nous avons même déménagé dans ce studio une grande partie du temps. Nous y vivions quasiment sans voir le jour, nous nous sommes totalement immergés dans la fabrication du disque. Pendant 261 jours, nous ne sommes presque jamais sortis, nous n’avons parlé à quasiment personne, et cela a forcément influé sur notre manière de jouer. De plus, lorsque tu essayes d’épurer au maximum, cela implique d’envisager différentes directions, d’apporter beaucoup d’éléments puis de les abandonner, de faire marche arrière, d’essayer d’autres choses afin de parvenir à une chanson efficace. Finalement, travailler sur des compositions basiques est extrêmement difficile.

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Je pensais que, pour cet album, vous aviez utilisé une boite à rythmes…

Non, non, j’ai enregistré Tobin qui faisait les parties batteries.

C’est pourquoi vous avez choisi de partir en tournée avec un batteur…

C’est aussi ce qui explique tout ce temps passé en studio. Nous avons travaillé avec un ingénieur du son qui a mis en place deux kits de deux éléments, ce qui nous permettait de construire tous les deux les parties batterie pendant que nous composions les lignes de guitare et de basse. Nous pouvions jouer une chanson entière à deux. C’est une dynamique différente. Nous voulions contrôler aussi tout le processus d’écriture. Néanmoins, nous travaillons avec ce batteur depuis un certain temps et, bien entendu, pour qu’il puisse être excité par ce projet, il fallait qu’il puisse amener sa patte sur scène dans des chansons déjà construites. Même s’il n’est pas intégré au processus d’écriture, il reste très important pour le groupe.

Beaucoup de gens vous ont comparé à des groupes post-punk, plus particulièrement à The Fall. Mais, à l’évidence, il est très difficile de citer des ressemblances avec qui que ce soit.

Tobin: C’est un gros problème pour nous…
Suzie: Particulièrement d’être comparé à des groupes que nous n’avons jamais écouté auparavant. Parfois, cela nous permet d’ailleurs de découvrir de bons disques. Mais cela n’arrive pas si souvent, n’est ce pas?
Tobin: Je pense que les journalistes rock sont perdus devant des groupes hors du lot, et se sentent obligés de passer par les comparaisons. Ils disent d’ailleurs tous la même chose, et c’est pareil pour tout: la gastronomie, l’art… Il a suffit qu’une personne parle de The Fall pour qu’une autre suive.
Suzie: Copier-coller. Copier-coller! Et je n’ai même jamais écouté un de leurs disques jusqu’à aujourd’hui. Mais c’est pratique pour des journalistes de comparer, notamment grâce à Internet: deux trois recherches, et tu trouves la référence, sans plus approfondir…
Tobin: C’est le problème de ce job. Si tu reçois vingt disques et que tu dois tous les chroniquer, combien de temps peux-tu réellement leur accorder? Normalement, tu as besoin de temps pour écouter un album.
Suzie: Ça me choque encore plus lorsque certains chroniquent le disque sans l’écouter. Ce n’est pas tellement arrivé pour  »Clay Class » mais, à l’époque du premier album, certains avouaient n’avoir écouté qu’une piste. Pourquoi chroniquer un album sans l’avoir écouté intégralement? C’est tellement bizarre.

prinz5Quand vous avez signé votre deal avec DFA, vous avez insisté pour que les disques soient constitués de matériaux recyclés. Pouvez-vous expliquer cette démarche?

Nous n’avions jamais produit de disques en masse auparavant, il s’agissait là de milliers de copies de notre enregistrement. C’est crucial pour nous de le faire de la meilleure des manières. Nous ne sommes pas des extrémistes du recyclage, même si nous vivons de cette manière. Mais si tu dois fabriquer un produit massivement, cela doit se faire avec le maximum d’éthique.
Tobin: Il s’agit de choix. Nous devions en faire. Cela ne coûtait pas plus, et nous aimions cette idée, en plus de l’aspect esthétique, attachant. Il s’agit aussi de l’héritage que nous laissons derrière nous. Si d’aventure nous ne vendions pas ces disques, autant qu’ils puissent être les plus sains possible.
Suzie: Ce fut plus facile à vivre pour nous alors que nous produisions en grande quantité. On a eu moins de problèmes pour dormir la nuit (rires).

Ce soir, vous jouez avec Etienne Jaumet (l’interview fut réalisée à Limoges le 9 Mars). Est-ce habituel pour vous de jouer avec des formations éloignées de votre registre?

C’est ce mec avec plein de matériel, dingue! Je respecte beaucoup ces artistes qui jouent de la techno minimale. En fait, nous avons beaucoup en commun, notamment en termes d’énergie. Nous avons plus de similitudes avec eux qu’avec des boys-band. En raison de notre étiquette DFA, nous avons joué sur des scènes compliquées où beaucoup de spectateurs attendaient autre chose de nous. Mais nous faisons notre job. Actuellement, nous jouons avec beaucoup de groupes rock, ce qui est bien, notamment lorsqu’il s’agit de The Rapture. Ce type d’association fonctionne, et je pense qu’on est une bonne première partie pour eux. Mais j’aime danser, et c’est cool de pouvoir jouer notre set, puis de se changer dans les loges avant de se laisser aller sur le dancefloor!
Tobin
: Oui, et la techno minimale avec de vrais instruments, ça marche aussi! J’en ai parfois marre des groupes de rock.
Suzie: Surtout, les temps ont changé. Certes, nous jouons avec trois instruments traditionnels mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons jouer aux côtés de formations plus modernes. En prime, j’apprécie qu’il s’entoure de claviers et de synthétiseurs. J’ai horreur des producteurs cachés derrière leur laptop! On ne sait même plus avec quoi ils intéragissent!
Tobin: Avant tout, c’est une implication physique, un échange avec le public. Tu peux créer de la frustration, de l’excitation, toutes ces émotions!
Suzie: Il ne s’agit pas d’être contre la technologie, mais c’est bien mieux de faire face à quelqu’un qui joue avec son sampler, ses pédales. Il y a alors une interaction, une connection, bien plus qu’un laptop.

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Vous venez de Brighton, réputée pour son public, sa scène aussi bien rock qu’électronique. C’est très différent de n’importe quelle ville française. Pensez-vous, comme beaucoup, que le public français est timide?

C’est très difficile de juger. C’est seulement notre troisième concert en France. Et à Brighton, nous jouons dans des conditions vraiment différentes. La dernière fois, c’était chez un disquaire!
Tobin: Je ne pense pas qu’on puisse généraliser. À Brighton, tu peux jouer devant des publics différents, lookés, branchés ou, au contraire, dans des bars où les gens sont très simples. Nous avons joué à Bordeaux la nuit dernière (à l’iBoat), le public écoutait beaucoup, était très calme.
Suzie: Un public très attentif.
Tobin: C’était très calme et c’est monté doucement. Mais nous avons aussi joué à Tours (au Temps Machine), c’était un public incroyable!
Suzie (exulte): C’était dingue! À Bordeaux, les gens était assidus mais très calmes, polis. Les publics sont très différents d’un endroit à l’autre alors que parfois, il n’y a que 500 km qui les séparent.


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