Enablers – ‘The Rightful Pivot’

Enablers – ‘The Rightful Pivot’

Album / Lancashire & Somerset / 07.02.2015
Post rock poetry

Voilà dix ans que ça dure. Dix ans que, à nous français qui n’y captons rien, Pete Simonelli raconte des histoires à dormir debout, pendant que trois compères – et non des moindres – tissent une toile à ses déclamations, tout en prenant bien soin de ne jamais se résumer au rôle d’accompagnateurs de second plan. Si la formule spoken word de ces américains peut paraître aussi élitiste et indigeste que celle de certains artistes ayant tenté de la vulgariser, la leur fonctionne encore parfaitement à l’heure d’un cinquième album tout aussi passionnant que les précédents. Loin de tourner en rond, ‘The Rightful Pivot’ enfonce le clou d’une personnalité à part dans le décor musical, forgée à travers les années et les disques par des mecs à l’expérience assez lourde pour se permettre de toujours tirer chez l’auditeur les bonnes ficelles de l’émotion et de la perception: deux éléments essentiels pour saisir le parfait équilibre que Enablers décroche encore ici entre sa musique et ses textes.

Captivant et toujours aussi charismatique, Pete Simonelli nourrit de nouveaux écrits son phrasé grave et froid, habité et convaincu, à l’interprétation parfois menaçante, posé tel un narrateur sur des compositions post rock raffinées, tout aussi essentielles tant elles sont totalement taillées pour lui. Ainsi, définitivement inséparables les uns des autres, ces quatre talents fusionnent, se reniflent, s’accompagnent en chaque instant, dans leurs silences quasi cinématographiques comme dans leurs envolées électriques: une succession d’ambiances impulsée en partie par la complémentarité insolemment naturelle des guitares de Joe Goldring et Kevin Thomson, héritée de nombreuses années d’expériences communes, accompagnée des coups comme parfois des caresses free jazz (‘Enopolis’) de Sam Ospovat, énième batteur et digne remplaçant de Doug Sharin (June Of 44, Codeine…).

Le temps de huit nouvelles compositions, aussi manipulateur qu’à son habitude, Enablers nous envoie valser dans la mélancolie colérique d’un post rock dont lui seul détient le secret (‘Went Right’, ‘The Percentages’). A l’occasion, il sort aussi les griffes (‘West Virginia’), transforme à coups d’arpèges magiques une profonde tristesse en éclairs de lumière intense (‘She Calls After You’, ‘Good Shit’), parfois jusqu’à toucher de ses cinq doigts une beauté poignante dont on pensait seul Slint capable depuis ‘Washer’. Celle de ‘Solo’ par exemple, de ‘Look’ surtout, titre central enrichi d’un refrain chanté pour souligner le propos de Simonelli, et preuve ultime qu’Enablers ne se refuse rien, surtout pas la différence, même quand il use de recours conventionnels. Un disque intelligent en somme.


‘She Calls After You’, ‘Look’, Solo’, ‘West Virginia’


1 Commentaire
  • Bonnaud
    Posté à 21:14h, 04 février Répondre

    excellent album. Un de plus !

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