Putain déjà – Sonic Youth fête les 30 ans de ‘Daydream Nation’

Putain déjà – Sonic Youth fête les 30 ans de ‘Daydream Nation’

L’histoire du rock s’écrit depuis toujours à l’encre des nombreux disques sortis chaque semaine, ou se glissent parfois quelques monuments méritant un chapitre à eux seuls. Daydream Nation, cinquième album d’un Sonic Youth considéré depuis comme un des acteurs les plus essentiels du rock alternatif, est de ceux-là. Parce qu’il est extraordinairement accompli, parce qu’il affichait une esthétique avant gardiste déterminante dans l’expansion du genre durant toute la décennie à suivre, mais aussi parce que, en dénonçant vivement la politique de Reagan, il allait contribuer à fédérer toute une jeunesse révoltée par les inégalités criantes entachant alors les Etats Unis.

La vitalité du rock de la fin des années 80 ne laissait pourtant pas présager l’impact de cette pièce maîtresse des new yorkais. Jusque-là en effet, la scène post punk avait pris le relais du mouvement punk rock, le college rock des REM ou Yo La Tengo servait son lot de rondeurs et de mélodies à qui jurait plutôt par la pop, tandis que punk et hardcore – par leur approche radicale et leur éthique Do It Yourself – faisaient des émules à chaque extrémité du pays.

Malgré tout, Daydream Nation allait bel et bien redistribuer les cartes. A la fois rageur et désinvolte, frappé d’une complexité fascinante tout autant incarnée par l’intensité et la dissonance des compositions que par l’enchevêtrement de ses riffs de guitares noisy, l’album scella sans le savoir les bases du grunge et du post rock, et plus généralement des sacro saintes années 90 restées pour tous les amateurs de rock cette décennie charnière ou sont apparues nombre de références éternelles : Pixies, Nirvana, Soundgarden ou Smashing Pumpkins sont quelques-uns des groupes pour qui cet opus servit assurément de détonateur et d’inspiration.

Produit par un Nick Sansano alors plus habitué à travailler avec des artistes hip hop (Public Enemy notamment), Daydream Nation est né en studio lors de longues sessions live durant lesquelles le quatuor s’est laissé comme mot d’ordre de privilégier l’inspiration collective, plutôt que de laisser l’un des siens mener la danse. Une démarche inédite qui l’a mené à aligner 14 longs titres (5 dépassent les 7 minutes), à la fois radicaux et aventureux, sauvages et sans compromis, tous représentatifs de l’évolution évidente alors affichée par le groupe : Ranaldo – jusque-là cantonné à une chanson par album – s’attribuait le chant de trois morceaux, les accords atypiques des deux guitaristes interagissaient plus que jamais, tandis que Steve Shelley et Kim Gordon devenaient soudainement à eux deux une des sections rythmiques les plus solides et groovy du circuit.

Intelligemment marginal, Daydream Nation sonnait ainsi comme la libération de ses talentueux auteurs, trop à l’étroit dans le rock de l’époque. Tout en parvenant à concilier leurs différentes inspirations artistiques, Thurston Moore, Kim Gordon, Lee Ranaldo et Steve Shelley ne s’y sont jamais éparpillés pour autant, en ne poussant jamais trop loin le bouchon du trop-expérimental et du trop-arty, préférant soigner coûte que coûte la cohérence de leur album, tout comme l’efficacité de leurs compositions, qu’elles soient noisy (Total Trash), punk (Silver Rocket), atmosphériques (The Sprawl), conceptuelles (la dantesque trilogie finale), ou qu’elles accentuent toujours plus le travail mélodique entamé sur EVOL, puis devenu plus évident sur Sister (Teen Age Riot).

Dernier témoignage du groupe dans le monde indépendant, Daydream Nation marqua un tel accomplissement qu’il sera éternellement considéré comme LE tournant de la carrière d’un Sonic Youth jusque-là un peu trop brouillon (à l’image ici de Total Trash), presque trop hospitaliers ensuite. Loin de signer là son album le plus accessible, le quatuor y atteignait l’apogée de son originalité comme de son intransigeance artistique, soulignant ainsi la richesse inépuisable d’une oeuvre si complexe et passionnante qu’elle reste encore inégalée aujourd’hui. Ecoute intégrale pour son trentième anniversaire.

ECOUTE INTEGRALE


Pas de commentaire

Poster un commentaire