White Heat n’attend rien du rock en France, surtout pas d’en vivre

White Heat n’attend rien du rock en France, surtout pas d’en vivre

S’il est vrai que du chaos naissent les étoiles, alors White Heat a sa place quelque part dans l’immensité cosmique. Huit morceaux de rock incandescent et trépané, un épais mur de son érigé quelque part entre les galaxies Ty Segall, A Place To Bury Strangers et Destruction Unit ET C’EST TOUT : voilà ce qui vous attend dans le très bon premier album éponyme du groupe francilien, sorti le 10 novembre chez Schubert Music Publishing.
Du moins était-ce ce que j’avais déjà pigé avant de rencontrer Butch et Julien dans un pauvre rade du 18e arrondissement parisien. Butch, c’est Butch McKoy, guitariste-chanteur à baguouzes têtes de mort, ‘moteur’ de White Heat et survivant d’I Love UFO ; il est accompagné de Julien qui est en charge d’alourdir le son du groupe à coups de moog et de basse-synthé et a un air de Phil Anselmo période Vulgar Display Of Power.
Mais bigre, nous sommes en France. Et la France est le pays de La Nouvelle Star, des suivis artistiques dispensés par les SMAC et de Shaka Ponk adoubés au rang de chevaliers des Arts et des Lettres. Ce qui fait qu’à moins d’un miracle, et malgré la qualité indéniable de son premier album, White Heat devrait être préservé du doux son des trompettes du succès à cause de ce plafond de verre qui fait que les groupes à guitares rugissantes n’ont pas le vent en poupe. Butch, Julien et moi-même le savons parfaitement. Nous avons donc très logiquement invoqué le Velvet Underground, Swans, Thurston Moore, QOTSA, Arcade Fire, mais aussi Jessica93, Nirvana, J.C Satàn et Julien Doré pour parler de ce premier album aux allures de sans-faute, de sincérité en musique, de look rock H&M, d’indiens qui dansent dans le désert, et surtout tenter d’expliquer pourquoi le rock en France suscite autant l’indifférence généralisée.

Avant White Heat était I Love UFO. Ce changement de nom, c’est un clin d’oeil au film de Raoul Walsh sorti en 1949 ou bien à la chanson de Madonna de 1986 qui portent le même nom ?

Butch : C’est plutôt une référence au Velvet Underground et à l’album White Light/White Heat. D’ailleurs on était partis pour White Light mais un groupe expérimental porte déjà ce nom – des potes à Kim Gordon. Mais White Heat marche aussi.

Pourquoi n’avoir pas conservé ce nom, connu par la base de vos fans ? De plus le disque de White Heat ne ferait pas tache dans la discographie d’I Love UFO, surtout après Dirty Animals : des riffs lourds mais hypnotiques, de longues plages étirées…

Julien : Quand on a enregistré l’album de White Heat, on était toujours I Love UFO. Or on a trouvé que le résultat sonnait autrement.
Butch : Aussi, il ne se passait plus vraiment grand chose autour d’I Love UFO. J’ai été pris par des projets de théâtre et ça s’est délité. J’ai davantage eu envie de remettre les compteurs à zéro que de relancer la machine.

Sur le papier, l’histoire d’I Love UFO est une sorte d’exception : celle d’un groupe de rock avec un son bien crade, mais produit par Record Makers, le label d’Air, Kavinsky et Sébastien Tellier

Avec le recul, je me demande toujours pourquoi ils nous ont signés… Je crois qu’ils ont eu un coup de coeur sur scène. Sauf qu’après, lorsqu’on a enregistré Wish, Record Makers nous a mis un producteur dans les pattes pour adoucir les choses : Vicarious Bliss [producteur anglais de musique électronique, ndlr]. Notre intention était d’avoir un son aussi radical en studio que sur scène, et je pense qu’ils en ont eu un peu peur.
Julien : Sur Wish, on sent la patte du producteur, mais en live c’était très différent : très bruitiste, très White Heat finalement. En fait, le groupe est un peu redevenu lui-même.

Justement, cet album de White Heat n’y va pas par quatre chemins : c’est du très gros rock, un disque agressif, un son hyper englobé et dégoulinant de feedback…

Butch : Je joue sur deux amplis, minimum, pour écarter le son. J’ai une vision assez précise de ce que je cherche comme texture sonore et il n’y a qu’une seule guitare et pas d’overdubs… Les seuls overdubs, c’est des larsens, du feedback : du noise pur.
Julien :  On l’a enregistré sans clic et le son est très fidèle à ce qu’on joue en live. Au moins les gens ne sont pas dépaysés entre ce qu’ils entendent sur le disque et sur scène…
Butch : … à la différence de Wish : ça nous a joué des tours à l’époque, parce que des programmateurs nous faisaient jouer et étaient super surpris d’entendre un groupe avec un son sauvage, très éloigné de la production de Vicarious Bliss. On ne voulait pas que ça recommence et, aujourd’hui, on est fiers d’exercer un contrôle total sur le son. Il faut dire aussi que Julien est ingé son, et c’est un sacré atout.

Donc on peut dire que c’était une forme d’aboutissement recherché pendant les années I Love UFO ce son alourdi, ces larsens déchaînés, ces compos in your face ?

Peut-être, oui. En tout cas, je sais que ça fait super cliché de dire ça, mais c’est le meilleur disque que j’ai sorti jusqu’ici. Aussi parce qu’il est très fidèle à ce que j’avais en tête, on l’a enregistré live et Julien a su capter l’intention – c’est lui qui s’est chargé de l’aspect technique du son.
Julien : En fait, ce n’était pas si difficile que ça parce qu’après l’enregistrement brut, 90 % du son que tu retrouves sur l’album était déjà réalisé : la preuve qu’en concert tu te prends la même chose dans la tête que ce qu’il y a sur le disque.

Bon, mais tu ne t’occupes pas que de jouer les ingés son dans le groupe, n’est-ce pas ?

Je suis au moog et à la basse-synthé, et finalement ça sonne presque comme une vraie basse : je joue sur un ampli basse, j’ai des pédales… La seule différence, c’est que c’est un clavier. En fait, je conseille à tous les groupes de virer leurs bassistes et d’embaucher des mecs qui jouent du moog.

Pour quelles raisons ?

C’est plus précis ! Aussi, à la différence du jeu sur un manche, on ne perd jamais les fréquences graves. C’est bien simple, le moog a toujours des fréquences graves. Ca me permet d’ajouter ce que j’appelle des petites pointes électro dégueu dans notre son, mais c’est léger : j’essaye de me rapprocher le plus possible du jeu d’un bassiste, je tente des slides, des effets avec le clavier. Sinon j’ai connu Butch parce que je faisais le son d’I Love UFO et qu’un jour il a voulu remonter son groupe pour faire la première partie d’A Place To Bury Strangers. C’est là qu’il m’a proposé de jouer de cet instrument, et c’est devenu White Heat.

J’ai l’impression de remarquer que les rares groupes de rock qui intéressent vraiment les gens ont une chose en commun : ils ne font pas de concessions, à la manière de Thee Oh Sees et Ty Segall aux USA, Fat White Family au Royaume-Uni, King Gizzard en Australie… Est-ce que le salut du rock se trouve dans la radicalité ?

Butch : Oui, je le pense, et tout simplement parce que quand on fait de la musique, il ne faut s’attendre à rien – et surtout pas à en vivre. Des musiciens peuvent être tentés d’adoucir leur son pour passer à la radio, à la télé, mais franchement tout le monde a compris que ce serait difficile. Alors c’est l’originalité d’un artiste qui va faire la différence. Tiens regarde les Swans : leur musique, c’est une sorte de transe chamanique noise et symphonique, et pourtant ils remplissent les salles et n’ont jamais eu autant de succès qu’aujourd’hui. Et ce n’est ni grâce à la radio, ni grâce à la télé. Donc autant être radical, non ?

Quelles images la musique de White Heat évoque-t-elle chez vous ?

Dans tous mes projets, il y a systématiquement à un moment donné des indiens qui dansent dans le désert. Que ça soit dans le folk, la noise, le drone… je cherche dans toutes les musiques ce point de transe chamanique, cet aspect méditatif : la musique comme véhicule, comme une cérémonie.

Ca se ressent, d’ailleurs on a l’impression que cet album pourrait avoir été composé en jams. Est-ce que c’est le cas ?

Oui, presque tout. Souvent, j’apporte une idée puis on jamme tous par-dessus, on enregistre et ensuite on voit si ça marche ou pas – ça s’entend tout de suite. L’important est que ce soit instinctif. Beaucoup de groupes essayent souvent d’enregistrer des chansons qui sont au-dessus de leur propre niveau technique. Sauf qu’en live, eh bien ça ne marche pas… Chez nous, le but est que personne ne souffre sur scène.
Julien : On ne cherche vraiment pas à se dépasser techniquement. Si on n’arrive pas à faire un truc, c’est qu’il faut laisser tomber.

Quel est le meilleur conseil que vous pourriez donner à un jeune groupe pour être au top ?

Butch : Bosser. Y’a que ça, désolé. Il faut penser à composer de la bonne musique avant le look rock H&M. Sans boulot, ça ne marche pas. Aussi, travailler sans ordinateur ! Parce qu’avec un ordinateur, tout est plus facile : si y’a un léger décalage, pas de souci, on recale avec l’ordi. Mais beaucoup trop de groupes utilisent ça comme cache-misère, et en live ils ne sont pas au niveau.
Julien : Accepter de ne pas ‘trop produire’ ; accepter ses défauts et en faire des qualités ; et chercher l’originalité. Parce que l’originalité en musique manque, aujourd’hui – et au même titre que l’originalité, la sincérité. Accepter ses propres caractéristiques fait que ton groupe va être original… Tu vois, il fallait un bassiste pour ce groupe, mais je ne savais pas jouer de basse. Or je me débrouille au synthé. Ce qui était une limite est devenu une de nos caractéristiques.

Et qu’est-ce qu’il ne faut surtout pas faire ?

Butch : Se la péter ! Et c’est valable dans tous les genres de musique. Ce qui compte, c’est ce que tu fais, pas ce que tu dis.
Julien : Ne jamais écouter les structures qui accompagnent les groupes : les managers, les directeurs artistiques, les SMAC, parce que ça standardise tout. Quand tu vois un patron comme Thurston Moore sur scène, il va faire tout ce que les pros du milieu en France vont te déconseiller de faire. Mais le plus triste, c’est que les groupes s’auto-formatent tout seuls comme des grands aujourd’hui. Les maisons de disque n’ont plus besoin de dire aux petits groupes comment se looker, quoi chanter, comment bouger : les mecs ont déjà appris comment devenir ‘signables’ en regardant des vidéos sur Youtube.
Butch : Tout ce marketing en musique me gonfle prodigieusement… Pour moi, un des meilleurs exemples de cette compromission serait Queens Of The Stone Age. Je suis très choqué par ce qu’ils sont devenus, des looks de dandys ratés aux harmonies vocales à la Beach Boys… Ca ne leur va pas. Sinon regarde Arcade Fire : ils ont pris un tournant radicalement différent de leurs débuts, gonflé leur musique à la pop et à la disco, or ils peinent à remplir les salles sur leur tournée nord-américaine [c’est vrai, ndlr]. Pourquoi ? Parce que leurs derniers albums sont pourris à force de chercher à rentrer dans le moule du marketing, tout simplement.

Vos morceaux s’appellent New Kill, Violent Control, Addicted ou encore White Horse… On en a sans doute une petite idée, mais de quoi parle votre album ?

De la violence qui nous entoure : les tueries, le terrorisme, la guerre… New Kill évoque une tuerie de masse qui s’est produite aux Etats-Unis en 2012, à Newtown, quand un type est rentré dans une école et a massacré des gosses. Dans Violent Control, je chante le fait qu’on a toujours – à un moment donné de notre vie – envie de péter la gueule à quelqu’un, juste parce qu’il nous emmerde. Est-ce que c’est bien de le faire ? Je ne pense pas – mais putain qu’est-ce que c’est dur de se retenir, parfois…

Entre le timbre apaisé de Butch McKoy et les hurlements d’I Love UFO, on peut dire que tu as une voix très versatile. Comment as-tu abordé le chant pour cet album ?

La voix, c’est une des choses qu’on a le plus travaillées pour cet album. Lors des premières séances, j’étais dans la continuité du travail avec I Love UFO mais à la réécoute, je n’étais plus satisfait. Quelque chose n’allait pas. Si la musique est déjà puissante, alors pourquoi ajouter une voix qui braille ? Donc je l’ai abordée comme un instrument parmi d’autres et j’ai refait des prises où je ne crie pas nécessairement. Mais j’ai deux micros : un ‘normal’ et un autre avec des effets comme delay, distorsion, tremolo… Par exemple, sur le titre Violent Control, c’est beaucoup de chuchotements et ça crée un contrepied inattendu. Mais je te le garantis : si je te chuchote ‘je vais te casser la gueule’ au lieu de te le crier, ça sera beaucoup plus inquiétant.

Vous avez réalisé un clip dont le message semble être : ‘on est White Heat, on est un groupe de scène !’. Est-ce bien comme tel qu’il fait le prendre ?

Exactement, le live c’est l’aboutissement de notre travail, et ce que tu vas voir dans le clip, c’est ce que tu auras sur scène. D’ailleurs ça a été tourné lors d’un concert, ce n’est pas une mise en scène… J’ai la sensation de m’éclater beaucoup plus sur scène qu’avant. Il y a quelques années, j’avais tendance à prendre les choses plus [il cherche un mot, son visage s’assombrit]… violemment. Chaque concert finissait en performance physique où je me mettais dans tous mes états, je terminais avec des bleus partout. Pendant une tournée de deux semaines en Angleterre, j’ai perdu 10 kilos – et ce n’est pas seulement à cause de la cuisine. Je me suis cassé des orteils, ouvert le bras…

On ne se connait que depuis une demi-heure mais tu n’as pourtant pas l’air d’être quelqu’un de trop vénère… Qu’est-ce qui te mettait dans des état pareils ?

Le rock’n’roll est un exutoire, et c’est par la violence que je cherchais à atteindre cet état de transe dont on parlait tout à l’heure. Donc j’avais tendance à m’enfermer dans mon jeu, à faire mes trucs, à tout péter sur scène et à envoyer les gens se faire enculer. Aujourd’hui, c’est plus maîtrisé. Il faut dire aussi que je ne bois presque plus d’alcool, je ne prends plus rien, et ça me permet de pénétrer davantage dans la musique. C’est le théâtre qui m’a apporté ça : quand tu fais 150 dates d’une pièce d’une heure trente, tu évites de monter bourré sur scène. Parce que tu peux juste pas. Donc peu après la tournée de Lucrèce Borgia, j’ai gardé ce rythme : je bois du thé avant de monter sur scène, et figure-toi que c’est encore plus jouissif que de boire du whisky ou de fumer des joints. Sérieux.

En gros, entre le split d’I Love UFO et White Heat, il y a ta carrière solo où tu joues de la folk sombre, Butch McKoy. Avoir raccroché provisoirement la guitare électrique, ça t’a permis de prendre du recul dessus ?

Tout d’abord j’adore la musique de films, et j’aimerais beaucoup me coller à l’exercice. Je suis passé pas loin de certains projets assez gros, mais ça ne l’a encore jamais fait pour l’instant… En revanche, cet été, j’ai écrit la musique d’un film pornographique arty. Ce travail que j’ai fait au théâtre sur Lucrèce Borgia de David Bobée, c’était comme une BO, mais jouée en live, avec les acteurs. Il faut savoir doser, laisser la place aux acteurs, etc. J’ai dû apprendre à me placer, à être plus juste, c’était nouveau mais très intéressant. D’ailleurs je vais à nouveau travailler avec David Bobée sur sa nouvelle création, une adaptation scénique de Peer Gynt.

C’est un peu tes deux facettes : un côté sombre et intimiste avec Butch McKoy, un côté ‘on fout bordel’ avec tes potes de White Heat, c’est ça ?

C’est ça oui. Après, une de ces deux facettes remplit clairement plus mon frigo que l’autre. Même si je prends énormément de plaisir dans les deux.

Qui est-ce que vous trouvez original aujourd’hui en France ?

Depuis une dizaine d’années, il y a toute une scène aujourd’hui qui n’existait pas à l’époque de Wish, je pense par exemple à Jessica93, J.C. Satan, Pneu… Des groupes à la démarche assez radicale, qui ont tous une proposition intéressante, qui ne se ressemblent pas les uns les autres. Seulement, la France est un pays avec une culture de variétés. Les gros médias et les grosses maisons de disques s’inquiètent de prendre des risques avec des groupes pareils… Mais c’est une erreur en fait, et le passé l’a démontré avec un des meilleurs exemples qui soient : Nirvana. Ils ne se sont jamais fourvoyés dans le commercial, et pourtant ont vendu des millions et des millions de disques. Parce qu’ils ont joué avec sincérité. Tiens, hier soir je regardais La Nouvelle Star avec ma chérie – elle aime bien – et effectivement, tu sens tout de suite les candidats qui sont là pour quelque chose, et ceux qui participent seulement par désir de se montrer.

Oui, bon, La Nouvelle Star n’est pas non plus ce qui nous a donné les artistes aux carrières les plus irréprochables, non ?

C’est vrai, regarde Julien Doré par exemple, c’est l’exemple parfait : ça faisait du bien de voir un mec qui faisait du rock, avec une vraie voix, un grain, une puissance à La Nouvelle Star… Mais aujourd’hui, musicalement, ce type est décédé : le type a la voix et les capacités d’être intéressant et sincère, mais tout est masqué derrière une production pop en plastique… C’est du gâchis. Quoi qu’il en soit, ça fait longtemps qu’il n’y a pas eu de choses vraiment nouvelles. Je trouve que ça s’est tassé, standardisé, peut-être aussi à cause de la morosité ambiante, à cause du contexte économique, des guerres, du terrorisme…

C’est justement dans ces moments-là que naissent les nouveaux mouvements, normalement. Comme dans le passé le rock’n’roll, le punk ou la techno…

Tout à fait, mais là faut dire que ça tarde un peu à venir. Où est le punk de notre époque, bordel ? Qu’est-ce que tu veux, les gamins préfèrent s’acheter des iPhones que des guitares…

Crédits photos : Harry Hannoni

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