Weyes Blood, la tristesse dans le sang

Weyes Blood, la tristesse dans le sang

Jenny Hval, Mitski, Angel Olsen, Weyes Blood… En 2016, ces artistes féminines ont toutes éclairci, de par leurs voix et leurs musiques, les longs mois moroses de l’année écoulée. Ambitieux et accomplis, ces disques ont en commun la même désinhibition face aux formes et aux histoires racontées dans le creux de leurs lignes. Tristesse inconsolable, contes vampiriques et démultiplication se chevauchent et s’entremêlent comme autant de thèmes et de routes sinueuses empruntés par chacune de ces parolières, pour construire album après album des univers fascinants, pleins de contradictions et de pas de coté.
A ce petit jeu, Nathalie Mering – connue sous le nom de Weyes Blood – n’est pas la plus mauvaise des compétitrices. Apparue il y a quelques années au détour des références Not Not Fun, elle a progressivement évolué vers un classicisme bleuté, qui a atteint son point d’orgue l’année dernière avec la sortie de son troisième album ‘Front Row Seat To Earth‘, sublime station orbitale ou la chanteuse observe d’un même œil les mouvements du monde et de son cœur, mélangeant un classicisme folk descendu de Laurel Canyon et Linda Perhacs avec les sonorités des futurs synthés de 2024.
En décalage avec l’époque, marquée par une éducation chrétienne, ses années dans les scènes expérimentales et sa récente intégration à la grande famille du cool californien qui s’étend de Chris Cohen à Ariel Pink, la captivante Weyes Blood a répondu à nos multiples questions, la vieille de son magnifique concert parisien au Point Ephémère.

Nathalie, ton dernier album est sorti l’année dernière… Comment est-ce que tu perçois sa réception ?

Je me sens très chanceuse, j’ai l’impression que les gens ont compris ce que je voulais faire et qu’ils se sont concentrés sur les bonnes choses. Ils comprennent que ce n’est pas juste de la folk music, qu’il s’y passe plus de choses.

Tu te souciais du fait qu’on puisse te cataloguer comme une artiste de folk pure ?

Oui, je ne voulais pas être considérée comme une artiste trop référencée. Ma musique est plus futuriste sur certains aspects. Dans ce sens, je voulais rappeler des sonorités du passé auxquelles les gens pouvaient se rattacher, tout en introduisant discrètement un arsenal secret, avec des sons plus bizarres. Lady Gaga a dit une fois que sa musique était comme le sucre qui permettait d’avaler le médicament, et je trouve cette image très belle. La mélodie est comme le sucre, et le médicament, c’est ce que j’essaye de faire passer : une évolution toujours plus étrange et futuriste à mesure que j’avance.

Tu te vois te passer de la guitare ?

J’aurai toujours la guitare, mais je l’utiliserai avec d’autres arrangements, et des structures bizarres. Cet album est plus orienté vers le piano. Mais la guitare est comme une vieille amie qui restera toujours avec moi.

Que pensent tes parents de ta musique ?

Mon père m’a appris à jouer, mais j’écoutais toujours des trucs que mes parents ne pouvaient pas comprendre. Quand j’ai commencé à jouer du piano, ils se disaient ‘oh elle est douée pour la musique‘, mais ils étaient déçus que je ne fasse pas quelque chose de conventionnel. C’était le moment ou je travaillais sur mes morceaux, sur ce que je voulais délivrer au monde. Ils le comprennent mieux maintenant, ils aiment ce que je fais et ils me soutiennent. Ils m’ont vu en concert pour la première fois il y a quelques années. Je joue depuis plus de 10 ans maintenant, ça a donc été une longue évolution mais maintenant ils sont finalement avec moi. Avant ça, ils ne comprenaient pas l’aspect artistique de ma démarche.

Qu’as-tu gardé de cet environnement religieux qui était le tien pendant ta jeunesse ?

L’empathie, être généreux, essayer de se mettre à la place des autres et de leurs sentiments, penser à ton influence sur les autres personnes et sur le monde. Il y a des choses positives que j’ai tiré de cette expérience, comme avoir une vision plus spirituelle de la façon dont les choses fonctionnent. Par exemple, comment une chose peut en affecter une autre. Si je suis égoïste et que je traite tout le monde comme de la merde, ça me retombera dessus. Il n’y a aucun avantage à être égoïste, il y en a beaucoup plus lorsqu’on est généreux et qu’on aide les autres. C’est ce que mes parents m’ont transmis via le christianisme. Même s’ils étaient un peu bizarres en ce qui concerne les films et les médias que je pouvais regarder, lorsqu’ils décrétaient que certaines choses étaient mauvaises ou diaboliques, l’aspect le plus positif de tout ça reste cette générosité, et le fait que les gens comprennent combien mes parents sont gentils et compréhensifs lorsqu’ils les rencontrent.

Où est-ce que tu as grandi avec tes parents ? En Pennsylvanie ?

J’ai vécu en Californie jusqu’à mes 12 ans, puis nous avons déménagé en Pennsylvanie. En Californie, je voulais être une actrice. Il y avait beaucoup de soleil, j’étais très extravertie, j’allais tous le temps me baigner et surfer, c’était vraiment une vie à la cool, très reposante. Quand je suis arrivée en Pennsylvanie, il n’y avait pas d’océan, les gens étaient très différents, mes parents ont mis 13 ans à s’y faire des amis, on était vraiment isolés, et il faisait froid. J’ai commencé à apprendre la guitare, à écrire de la musique plus intimiste, je lisais des livres, j’apprenais l’histoire culturelle de la cote Est. Ce coté intellectuel n’existe pas vraiment en Californie, il n’y a pas d’Ivy League, il n’y a pas une présence littéraire aussi forte.

Tes parents vivent toujours en Pennsylvanie. Toi, tu as vécu dans plusieurs endroits aux Etats-Unis. Est-ce que tu penses que ça t’a aidé, par exemple pour la vie en tournée ?

Oui, j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir collecter tous ces témoignages de différentes cultures. Elles sont finalement très similaires, leurs différents sont superficiels. J’aime explorer les différences dans une culture. La cote Est, les villes de banlieue de la cote Ouest… Chacune d’elle a sa propre identité, et c’est très agréable de pouvoir aujourd’hui parcourir le monde et de retrouver ça dans différents pays, anglo-saxons notamment, même si je veux vraiment apprendre une autre langue.

Pendant ta tournée en Amérique, est-ce que tu as pu ressentir cette fracture dont on a parlé pendant les élections, entre les grandes villes comme New York ou Los Angeles et l’intérieur des terres avec ces villes plus petites, un peu oubliées ?

Oui, les grandes villes ont leur propre vanité dans le sens ou elles pensent être les seules choses qui existent. Elles ne réalisent pas qu’il y a un autre monde ou les gens sont plus humbles, et ou il n’y a pas de compétition. J’aime New York et Los Angeles, même si c’est le genre d’endroit ou les gens vont pour ‘réussir’, quoi que ce mot puisse signifier aujourd’hui. Et ils se retrouvent paumés, à se manger entre eux pour essayer d’être au sommet. A l’opposé, dans le Sud ou le Midwest, les gens se posent moins de questions et se soucient moins de ce que fait le reste du monde.

Tu as déjà ressenti cet esprit de compétition à Los Angeles quand tu as commencé à y faire de la musique ?

Oui, mais je pense que cet esprit de compétition se retrouve plus à New York, ou tout est très cher. Si tu as beaucoup d’argent, ça va bien se passer pour toi là-bas. La différence entre les gens riches et ceux qui ne le sont pas est vraiment extrême. A Los Angeles, c’est différent, c’est un peu comme à Berlin : il vaut mieux y être cool plutôt que plein d’argent. Ce n’est pas parce que tu as des habits chics et du fric que ça va forcément marcher pour toi. Mais si tu es cool, ça va le faire. Tu peux te ramener à une soirée habillé n’importe comment, et tout le monde va se demander qui tu es. Alors qu’a New York, ce sera plutôt : ‘cette personne n’a pas d’argent, je le sens‘.

Est-ce que ça a été dur pour toi de vivre à New York ?

Oh oui, mais ça m’a rendu beaucoup plus combative, et ça m’a habitué à bouger constamment. Je pense que les gens qui viennent de petites villes abandonnent trop facilement dans des endroits comme New York. Mais je pense qu’il y a quelque chose à apprendre de cette superficialité, du fait d’être un tout petit poisson dans ce gigantesque bassin.

Penses-tu que l’atmosphère de Los Angeles a eu une influence sur cet album ? Est-ce que tu avais déjà une approche en tête quand tu as commencé à l’enregistrer ?

Oui, j’avais déjà une idée spécifique : je voulais que mes amis passent jouer, comme Kenny Gilmore à la basse, Chris Cohen à la batterie. Je voulais qu’on joue tous ensemble. On a tous grandi en Californie, le père de Chris travaillait dans la musique comme manager, il a notamment découvert les Carpenters dans les années 70, et le père de Kenny était un musicien pendant cette période. Nous avions cette étrange relation ou nous pouvions tous nous raccrocher à ça, au fait que nos parents venaient du monde de la musique mais aussi de différents endroits de Los Angeles, et on jouait bien tous ensemble.

Je lisais une review de ton dernier concert à Paris pour préparer cette interview. La journaliste parlait de toi pendant le concert et du message que tu faisais passer à travers ta chanson ‘Generation Why’. À un moment, elle écrit que tu dois probablement détester Internet. Donc je me dois de te poser la question Nathalie : est-ce que tu détestes Internet ?

Ahaha, non, je ne déteste pas internet, c’est un mal nécessaire, ça fait partie de nous, c’est une sorte de miroir qui reflète ce qui se passe à l’intérieur de chacun. Je pense que nous débordons de technologie et que la chose la plus triste avec cet outil, c’est qu’il n’est plus centré sur les utilisateurs comme c’était le cas. Avant, il s’agissait d’une zone propre à chacun ou tu pouvais créer ton propre site, et ou les choses étaient vraiment locales. Ensuite, ces grosses sociétés comme Facebook sont arrivées, et ont mis tout le monde dans des petites cages. Internet aujourd’hui est plus capitaliste, il s’agit le plus souvent de faire ta pub et de voir combien de personnes vont t’aimer. C’est très compétitif, ça génère de l’envie et des émotions bizarres. Je pense que l’internet a connu son âge d’or et que les grandes sociétés ont vu ça en se disant : ‘oh, c’est trop beau pour être vrai, allons y, et assurons-nous que nous pouvons toucher des bénéfices sur le dos de gens qui se connaissent.’

Tu as une relation amour/haine avec la technologie du quotidien ?

Oui complètement, c’est la même chose avec d’autres formes de technologie. J’aime avoir de l’eau chaude et prendre des bains, mais je déteste ce que l’air conditionné fait subir à la planète. Le confort a un coût, et la facilité à communiquer a un prix, en particulier quand les grandes entreprises s’en mêlent.

Est-ce que tu as parfois l’impression d’être en décalage avec ton époque ?

Oui définitivement, mais moins maintenant parce que j’ai réalisé que beaucoup de gens ressentaient cette incompréhension aussi. Quand j’ai sorti cet album, j’ai eu l’impression d’avoir rencontré beaucoup de personnes qui partageaient les mêmes sentiments que moi. Tout le monde n’est pas fait pour se prendre en selfie, tout le monde n’est pas fait pour raconter sur Twitter tout ce qu’il fait tous les jours. Certains ne veulent pas partager avec les autres ce qu’ils font ou ce qu’ils ressentent, et ça peut les isoler, comme s’ils ne participaient pas à ce monde.

Penses-tu que cette réflexion a un rapport avec tes racines chrétiennes ?

Oui peut-être. Il se pourrait que je sois née démodée, il se pourrait que je sois moins capable d’être égoïste envers les gens, parce que je m’en voudrais si je me comportais comme ça. Je me sentirais coupable d’être égocentrique et de dire toujours ‘moi, moi, moi’. Et aussi, en tant qu’artiste, ma concentration est quelque chose de très important : je me rends compte que de nombreuses personnes se laissent emporter par cette distraction constante. Ça me fait un peu peur.

Est-ce que tu penses que, vis à vis de leur label, il y a une forme de pression pour les musiciens à être présents et actifs sur les réseaux ?

Avant, je me démenais pas mal pour ça, mais maintenant je ne m’en soucie plus vraiment. Il y avait une époque ou on me disait ‘tu devrais poster ça maintenant‘, et je ne comprenais pas vraiment pourquoi. Je me suis donc contentée de partir en tournée, de faire ce que j’avais à faire, et de m’amuser. A chaque fois que je change d’endroit, je poste là ou je suis, parce que c’est cool de documenter ça. J’aime bien dire des trucs idiots, me marrer, je n’essaye jamais de dire ‘oh regardez comme ma vie est géniale‘. Je veux juste rester honnête et sincère tout en restant positive, parce que je pense que les gens sont très vulnérables sur les réseaux sociaux. Ça me déprime quand je me contente de scroller et de scroller : je dois faire une pause et arrêter, parce que c’est très instinctif de regarder ce que tout le monde fait.

Cette vitesse, cette rapidité des réseaux sociaux a t-elle une influence sur l’écriture d’une chanson d’amour ?

Oui définitivement. Le morceau ‘Seven Words’ parle du fait d’être dans une relation et d’avoir aussi besoin de se sentir libre. Pour ma part, je suis toujours à la recherche de nouvelles expériences, de voyages. D’une certaine manière, c’est dur de rester dans une relation. Je suis constamment sur le départ mais il y a une part de moi qui est loyale, et je prends vite des décisions. Alors quand je suis avec quelqu’un, je dois gérer beaucoup de confusion intérieure, et ‘Seven Words’ parle du fait de lâcher une personne pour la protéger du fait que tu es peut-être fou, que tu dois partir explorer des choses nouvelles par toi même. Je pense que beaucoup de gens passent par ça de nos jours : ils ressentent qu’il y a toujours plus de choses à explorer, qu’il y a peut-être quelque chose de mieux ailleurs.

A Baltimore comme à Philadelphie, tu as fait partie de la scène expérimentale. Même si ton dernier album s’en éloigne, comment est-ce que c’était d’évoluer dans ces univers ? Qu’est-ce que tu as gardé de ce passage pour la suite de ta carrière ?

Cette communauté était très cool. La manière dont les gens se soutenaient était très inspirante, comme la façon dont ils étaient persuadés que l’expérimentation, le refus de la structure, était le pinacle de l’évolution du rock’n’roll. Pour moi, c’est à ranger avec Iggy Pop et les Stooges, ainsi qu’avec le Velvet : c’est juste une progression naturelle. Au 24ème siècle, tous les schémas du rock’n’roll seront complètement déconstruits en noise pure, et c’était la singularité de toute cette musique. Pour moi, la noise est la musique du futur, mais je pense que les gens n’étaient pas prêts pour ça, et que personne ne savait comment l’assimiler dans le mainstream. Cette musique a du sens et sonne d’une manière incroyable. J’ai entraîné mes oreilles à pouvoir écouter ce bruit éternel, ce bruit atmosphérique dont je peux entendre la musique à l’intérieur. Les visionnaires du début du siècle dernier, comme Luigi Russolo qui créaient ces énormes machines bruitistes, ou Pierre Schaeffer qui était un compositeur très précoce de musique électronique, avaient cette philosophie qui a légitimé notre approche.

Est-ce que tu penses que c’est plus difficile pour le rock’n’roll de créer quelque chose de futuriste ?

Nous sommes à un stade de notre développement ou les gens ont la sensation que les années 70 sont mortes, que c’est très vieux, mais ça ne l’est pas tant que ça. Les années 70 sont toujours là. Il y a peut-être quelques couches de peinture bon marché par dessus, mais je pense que les gens se méprennent totalement quand ils disent que le rock’n’roll est complètement mort. Non, il est intemporel. C’est dur pour les gens de suivre, vu que tout évolue très vite aujourd’hui et que les choses sont désormais basées sur l’argent plus que sur l’humain. L’évolution va être encore plus rapide et encore plus étrange, comme à la fin des années 80 lorsqu’une musique passait de quelque chose d’intéressant et d’émotionnel à quelque chose de vendable. Nous avons affaire à des forces qui font croire aux gens que certaines choses sont mortes, ou que les gens qui jouent de la guitare aujourd’hui sont nostalgiques. Mais ce n’est pas vrai.

Avec The Innocents, tu t’es tournée vers quelque chose de plus classique en termes de composition. Comment est-ce que les gens des scènes expérimentales ont pris ton orientation ?

Oh, ils n’ont pas aimé, mais mes vrais amis ont trouvé ça cool, même si à ce moment là, je ne faisais déjà plus partie de ce groupe. Depuis ce jour, je ne suis plus considérée par mes vieux potes de noise. Enfin, un petit peu plus maintenant peut-être parce que les gens écoutent ma musique et trouvent ça plutôt cool, mais je pense que, quand l’album est sorti, ils ont fait une drôle de tête parce que c’était très différent, plus propre. Mais je m’en foutais : je suis sortie de ce trou, de ces limitations qui t’imposent d’être lo-fi. Les mecs de la noise sont très élitistes et assez snobs.

Tu as sorti un EP avec Ariel Pink. Quand est-ce que tu l’as rencontré et comment votre relation a évolué avec le temps ?

Nous nous sommes rencontrés à Leipzig quand nous avons joué tous les deux là-bas le même soir. Je me suis dirigée vers lui en parlant vaguement allemand, et on s’est bien marré. Il connaissait mon frère qui est aussi musicien. Ensuite, je le captais quand je venais à Los Angeles de temps à autre, pour une fête. Quand il a fait ‘Mature Themes’, il m’a invité à chanter sur l’album et j’ai fait quelques concerts avec lui sur la tournée qui a suivi. On est vraiment pote, sa copine a réalisé la vidéo avec la sirène et celle de ‘Tears On Fire’. On est très proche, un peu comme une grande famille cool de Los Angeles. On chille, des fois on jamme, on fume de l’herbe comme de vieux potes.

D’ailleurs, quelle était l’idée derrière ce clip où tu es déguisée en sorcière ?

Oh oui, je suis une sorcière démoniaque, et lui est une sorte de chevalier.

Dans tes clips, tu as été une sorcière, une sirène… Qu’est-ce que tu aimes dans ces petits rôles ?

Oh j’adore me transformer ! Je me sens à l’aise dans l’acting. Avant d’être musicienne, c’est ce que je voulais faire. J’ai la sensation que je peux exploiter ces rôles et ces archétypes qui sont derrière moi comme une sorte de vocation. Weyes Blood est un rôle pour moi aussi. Je n’ai pas grand chose qui se passe dans ma vraie vie : je n’ai pas de relation ou d’enfants, je n’ai rien de particulier qui me raccroche à la réalité. Les fantasmes et les réalités alternatives me permettent d’exprimer des idées et d’exprimer l’intrigue et le sens de mes vidéos.

Qu’est ce que tu entends par le fait que Weyes Blood soit un rôle pour toi ?

Quand je monte sur scène et que je chante, je laisse les gens découvrir ma vraie nature et ce qui est vulnérable chez moi. Mais je dois aussi me projeter dans les états ou j’étais quand j’écrivais ces chansons. Si je monte sur scène en me disant que je suis très heureuse et que je n’ai pas trop envie de chanter une chanson triste, je me force à me rendre triste pour bien la jouer. Donc c’est comme jouer un rôle, mais pas d’une manière artificielle : tu vas chercher en toi quelque chose de plus profond.

Est-ce difficile de se replonger dans cet état ?

Oui ça l’est, mais c’était encore plus difficile auparavant parce que j’avais l’habitude de jouer seule, et que les chansons étaient encore plus tristes. Personne ne savait qui j’étais, je montais sur scène et je me disais ‘oh je ne peux pas m’exposer comme ça‘. En tournée, c’était encore plus difficile de chanter dans cette configuration. A la fin, j’étais vraiment déprimée, je me disais qu’il fallait que j’arrête de jouer ces chansons. Avec cet album et ce groupe, il y a plus d’énergie, de punch, d’espoir. C’est peut-être un peu moins intense sentimentalement, mais ça me déprime un peu moins que lorsque la tristesse était une constante dans ma musique.

Tu penses que tu es plus inspirée par la tristesse ?

Je pense que oui, je la trouve plus sensible. Elle m’a toujours plus inspiré, sûrement parce que c’est quelque chose que j’ai beaucoup expérimenté.

C’est devenu un cliché, mais on dit souvent que les musiciens écrivent de meilleures chansons sous l’impulsion de la tristesse que du bonheur.

Je ne sais pas. Si tu arrives à écrire une chanson joyeuse, c’est super. C’est plus facile d’écrire à propos de la tristesse parce que c’est un sentiment confus. Ecrire un morceau, c’est essayer de tirer quelque chose au clair. Si tu es heureux, pourquoi écrire une chanson ? Mais si tu passes du bon temps, et que tu veux écrire une chanson là-dessus ou sur les gens qui passent du bon temps, avec du disco et un beat, je pense que c’est tout aussi estimable et cool. Mais je lutte pour parvenir à faire ça, c’est difficile pour moi. Il m’est plus facile d’écrire quelque chose d’émotionnel et de triste.

Ton album s’intitule ‘Front Row Seat To Earth’. Est-ce que c’est une manière pour toi de décrire ta position de songwriter observant le monde, mais aussi une manière plus personnelle de te sonder, toi et tes sentiments ?

Je pense que c’est une vision du monde occidental, de tous ces événements majeurs dont nous sommes témoins : la fonte des glaces, les océans qui s’appauvrissent. Sans que je sache pourquoi, ça ne nous affecte pas. Je ne pense pas que je souffre de cette déconnection. Je vois ce qui se passe, mais je crois que la plupart des gens ne le voient pas, qu’ils se soucient seulement de ce qui se passe dans leur vie, qu’ils regardent tout ça depuis leur télé qui semble les en protéger. La manière dont notre cerveau fonctionne pour nous protéger, en créant cette barrière qui fait que tout ce qui nous est extérieur apparaît comme une pièce de théâtre que l’on peut regarder dans le confort de nos sièges, je pense que c’est presque instinctif.

Tu parles de théâtre, et c’est une impression qu’on retrouve avec la dernière chanson ‘Front Row’ qui ressemble à un petit interlude de BO. Quelle était ton intention derrière ce petit morceau ?

C’est un peu comme lorsque le show s’arrête et que tout le monde se remet à parler, à bavarder, qu’on retourne à la folie et au monde. A la base, ce morceau s’appelait ‘Water Birth’ mais je l’ai changé. C’est une sorte d’interlude vers le prochain disque.

Est-ce difficile d’orienter les collaborateurs de cet album vers ce ton particulier, cette atmosphère de rupture et de tristesse qui habite tes textes et par conséquent ta musique ?

Quelquefois, les gens ne comprennent pas toujours où je veux en venir. Mais quand ils suivent, ça marche tout seul. Parfois, j’utilise un autre langage, et je n’hésite pas à expliquer longtemps pour qu’ils saisissent. Mais la plupart du temps, j’essaye de collaborer avec des musiciens qui comprennent ce que je fais, qui saisissent ma vulnérabilité, mon honnêteté, et le fait que je veuille écrire de bonnes chansons tout en étant classique et novatrice en même temps.

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