The Liminanas, conte pour grands enfants

The Liminanas, conte pour grands enfants

C’est curieux. Cela fait bientôt dix ans que The Liminanas sont présents dans le paysage musical mais, à regarder l’ensemble des médias qui parlent d’eux, on en viendrait presque à croire qu’ils se sont formés il y a seulement quelques mois. Couple en musique comme à la ville, les deux perpignanais sont un exemple parmi tant d’autres démontrant la difficulté que rencontre bon nombre de groupes provinciaux à se faire entendre dans l’hexagone.
Néanmoins internet est là, et la reconnaissance, Lionel et Marie l’ont trouvée en premier lieu de l’autre coté de la Manche, au Royaume-Uni, ainsi qu’aux Etats-Unis. C’est sans acharnement, mais à force de travail et de rencontres, que le groupe a atteint aujourd’hui une renommée non déméritée dans son propre pays. Une reconnaissance tardive et un succès grandissant pour un duo qui confesse n’avoir jamais fait de plans de carrières, et qui a toujours pris soin de laisser le hasard faire les choses.
Musicalement, The Liminanas n’ont jamais manqué d’inspiration. Le garage rock des 60’s, le psychédélisme des 70’s ou encore le krautrock des 80’s sont autant de références qui composent leur musique. Cependant, ce qui force l’admiration chez eux, c’est leur capacité à ne pas forcer le trait, et à rendre leur musique bien plus contemporaine que passéiste. Shadow People, leur nouvel album, en est un parfait exemple et restera certainement l’un des disques les plus réussis de 2018, mais aussi de toute leur discographie.
Marie la batteuse à la chevelure rousse, Lionel le guitariste à la barbe bien pendante, sont finalement deux grands enfants qui n’ont jamais cessé de croquer à pleines dents les moindres secondes de leur histoire, sans jamais savoir ce qu’il adviendrait du lendemain. C’est donc avec un plaisir non dissimulé que nous sommes allés échanger avec eux durant leur tournée, afin d’en savoir un peu plus sur leur parcours mais aussi sur leur nouvel album. C’était au Rockstore de Montpellier, là où les deux catalans se sont rencontrés. Tout un symbole donc.

Avant de vous rejoindre, j’ai pris le temps de lire quelques articles qui vous ont été consacrés ces derniers mois. Si on devait résumer tout ça en une phrase, ça donnerait ‘le secret le mieux gardé du rock hexagonal‘ qui devient finalement ‘le groupe que tout le monde nous envie‘. Qu’est-ce que ça vous inspire ce changement spontané ? Comment on le vit, et qu’est-ce que ça a changé concrètement dans vos vies ?

Lionel : On le vit plutôt bien ! Tu sais, le groupe aura déjà dix ans l’an prochain, et en réalité les choses se sont passées de manière plutôt progressive. C’était une succession de hasards, de coups de bol et de pas mal d’opportunités aussi. Au début, il n’y avait pas d’ambitions particulières, on n’a jamais vécu les Liminanas comme une galère, en se disant qu’on y arriverait jamais. En fait, les choses on été plutôt chouettes dès le départ. Par exemple, l’un de nos vieux rêves d’ados était de faire un disque aux Etats-Unis, quel que soit le groupe dans lequel on était, et ça a commencé comme ça pour nous ! A l’époque, on a mis deux morceaux sur Myspace, puis deux labels indés américains (Trouble In Mind et Hozac Records) les ont rapidement repérés. Ils nous ont contacté dans la foulée, et ont finalement sorti nos premiers 45 tours alors même qu’on avait encore aucun concert à notre actif ! A partir de là, on a toujours considéré ce qui venait comme du bonus.

Mais c’est vrai qu’à vos débuts, vous étiez plus connus à l’étranger qu’ici, et finalement la notoriété grandit aussi en France désormais.

Oui, c’est vrai. Depuis deux ou trois ans, il y a un effet bouche à oreille qui marche bien. Et puis, on bosse désormais avec Because et Radical, qui sont nos label et tourneur ici en France, et qui ont tous les deux fait un énorme travail de fond. En fait, ce qui change concrètement, c’est qu’il y a vachement plus de monde à nos concerts depuis la tournée précédente. C’est ça qu’on voit le plus. Ça reste toujours aussi surprenant pour nous, mais c’est aussi très agréable, il ne faut pas se mentir.

Au final, c’est sûrement l’une des choses que je trouve les plus intéressantes chez vous : le fait que vous n’ayez jamais eu de plan de carrière. Je pense même que de plus en plus de personnes commencent à rechercher ça dans le paysage musical actuel. Depuis un moment, tout semble très calculé en amont. On demande de plus en plus tôt à un jeune groupe qui se lance d’avoir un projet bien préparé, de savoir gérer sa communication et son image, et tout ça parfois au détriment de la musique et d’une certaine authenticité qui passent au second plan.

Après, nous aussi on est obligé de gérer et de prévoir certaines choses en amont. Par exemple, on adore faire des disques, et ça t’impose parfois un planning, ne serait-ce que pour avoir le master à temps et ne pas attendre pendant deux ans. Je ne sais pas si on est si éloigné de tout ça, car nous aussi à notre échelle on doit anticiper des choses, surtout en termes d’organisation. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’on a jamais cherché à en vivre. Aujourd’hui, c’est le cas, mais Marie a toujours son boulot à coté, et moi si j’avais pu garder le mien, je l’aurais probablement fait, mais ça n’était juste plus possible de combiner les deux. En tous cas, on a toujours fonctionné comme ça, et chaque année il se passe des choses qui rendent le truc encore plus excitant : la collaboration avec Anton Newcombe, ou encore la rencontre avec Bertrand Belin, par hasard dans un aéroport en Australie alors que nous étions en tournée chacun de notre côté.

Vous avez l’air très attachés à ces rencontres inopinées…

Marie : Elles sont vraiment le fruit du hasard. On a jamais rien calculé de ce côté là.
Lionel : Ce qu’on aime surtout, je pense, c’est mêler la réalité de nos vies à la conception de nos disques. En général, les textes qu’on écrit et ce qu’on raconte dans nos chansons, c’est souvent du vécu. Et sur nos albums, on invite très fréquemment des personnes qu’on a rencontré les mois précédant l’enregistrement. Shadow People est un parfait exemple de tout ça.

Parlons-en de ce nouvel album. Habituellement, vous composez et vous enregistrez vos disques par vous-mêmes, chez vous dans votre garage à Cabestany, à coté de Perpignan. Shadow People, lui, a été principalement produit à Berlin par Anton Newcombe du Brian Jonestown Massacre (photo ci-dessous). Comment s’est passée la rencontre avec lui ? Est-ce que sa façon de travailler était différente de la votre ?

Marie : Pas tellement, c’était assez similaire en fin de compte. Les journées de travail ressemblaient beaucoup à celles que nous faisions à l’époque de l’enregistrement de Traité de Guitarres Triolectiques, notre album avec Pascal Comelade.
Lionel : Pour Shadow People, à la base, on avait maquetté toutes les rythmiques et les mélodies, et on pensait finir le disque chez nous. Mais après discussion avec Anton, on a décidé d’aller à Berlin, dans son studio, qui n’est d’ailleurs pas sa résidence principale mais qui est un appartement dans lequel il passe énormément de temps. Et pendant qu’on montait le disque, lui il se baladait dans le studio en buvant du thé, il écoutait ce qui se passait, et de temps en temps il prenait une guitare et demandait à Andrea Wright, son ingé-son, d’enregistrer une partie. Ça, c’était vraiment mortel parce que ta musique change tout de suite de couleur et prend une toute autre ampleur. C’est ça qui est intéressant dans ce genre d’échange. Quand tu collabores avec des personnalités aussi fortes qu’Anton Newcombe ou Peter Hook, il n’y a aucun intérêt à ce qu’il y ait des guerres d’égo. Au contraire, il faut ouvrir le truc et les laisser faire ce qu’ils veulent. C’est là que le mélange devient vraiment chouette. Parce que, tu vois, les personnalités de chacun se fondent, tu vois ta musique muter vers quelque chose de totalement inédit. Et puis surtout, les choses se font très vite et de manière très naturelles.

De toute façon, je ne pense pas qu’il puisse y avoir une guerre d’égo entre vous et Anton Newcombe. Il semblerait plutôt qu’il y ait une énorme admiration et un respect mutuel entre vous, je me trompe ?

Non, tu as raison. Et c’est vrai qu’à partir du moment où il a pris contact avec nous, il ne nous a jamais lâchés. Au contraire, il n’a fait que nous aider. Il a parlé de nous à la terre entière, il nous a présentés notre booker, et c’est lui qui a fait des pieds et des mains pour qu’on puisse jouer avec lui au Trianon à Paris.
Marie : Il a carrément raccourci son set pour qu’on puisse jouer, et il nous a même prêtés tout son matos pour qu’on n’ait pas à amener le notre.
Lionel : C’est vraiment un mec qui se la ramène pas, extrêmement généreux et altruiste.

A mille lieux de l’image que les gens ont de lui depuis Dig

Exactement ! Tout le monde reste bloqué sur cette image, ce qui est complètement débile car cette période n’est plus du tout d’actualité. Non, c’est vraiment un mec bien, avec qui il est très facile de travailler. D’ailleurs, on va surement retourner à Berlin dans pas longtemps pour continuer de bosser avec lui sur quelques trucs.

Parlons des collaborations justement, car il y a pas mal d’invités sur ce disque. Peter Hook, Emmanuel Seigner, Bertrand Belin… Avec quels autres artistes ou producteurs vous aimeriez travailler à l’avenir ?

Avec Warren Ellis, ce serait génial ! On a eu un premier contact, très rapide, mais en vérité il est très peu disponible. J’aimerais vraiment beaucoup travailler avec lui, j’espère que ça se fera un jour. Sinon, ça me plairait bien de faire un petit truc acoustique avec Iggy Pop car je suis fan depuis très longtemps. Au final, ça peut paraître prétentieux, et on sait qu’on n’est pas au niveau, mais on rêve surtout de bosser avec des gens qui sont et on été nos idoles, tout simplement. Le fait d’avoir pu faire deux titres avec Peter Hook par exemple, ça nous a déjà permis de toucher un peu de ce rêve. C’est d’ailleurs la seule véritable rencontre qu’on ait volontairement provoqué. On est passé par notre éditeur, et quand on a appris qu’il avait accepté de bosser sur certaines de nos chansons, on était hyper flattés.

Dans votre musique, il y a une facette qui selon moi est la plus apparente et assumée : c’est votre coté bricolage artisanal. Vous avez l’air très attaché à ce son et cet aspect ‘Do It Yourself’. Pour la majorité des groupes, le DIY a toujours été une question de moyens à la base mais, au fil des années, c’est carrément devenu une histoire de goût voire une véritable démarche artistique. Ça représente quoi pour vous ?

En fait nous, dans les années 80, 90 et début 2000, on a évolué dans une scène garage punk qui n’intéressait strictement personne. On n’avait aucun moyen d’enregistrer, ni même de tourner, donc on se devait de trouver des solutions par nous mêmes. Par conséquent, la manière de fonctionner dite ‘DIY’, c’était notre unique moyen d’avancer. Avec le temps, peut-être que notre génération, ainsi que celles qui ont suivi, ont gardé cette habitude de travailler sans moyens. Aujourd’hui, enregistrer un disque, on sait faire, et je dis ça en toute humilité car on a du apprendre tous seuls, avec un ordi et une carte son. Et finalement, c’est sûr qu’on y a pris goût, parce que ça te permet d’être vachement libre justement ! Tu bricoles, tu te permets de tester plein de trucs, t’effaces, tu recommences, ça peut même définir un son parfois. Sincèrement aujourd’hui, sauf si Anton Newcombe nous propose d’aller dans tel ou tel studio parce qu’il a une idée derrière la tête, je ne vois plus l’intérêt d’aller payer un studio hors de prix. Et il faut bien comprendre que, pendant très longtemps, la moitié de l’industrie du disque a cramé des sommes colossales à produire de véritables merdes, qu’on a d’ailleurs complètement oublié par la suite. Donc finalement, faire les choses par nous mêmes, c’est ce qui nous correspond le mieux.

L’aspect scénique a l’air d’être aussi quelque chose de très important chez les Liminanas. La première fois que je vous ai vus, c’était en 2017 au Festival Yeah. Je me suis retrouvé dans le public, avec Laurent Garnier juste à coté de moi. On s’est regardé tous les deux, on était complètement conquis par ce qu’on voyait. Il y a quelque chose de très classe visuellement qui rappelle presque les Bad Seeds de Nick Cave je trouve. C’est quoi le mieux ? Le studio ou le live ?

Ce sont deux plaisirs complètement différents. Mais tu as raison sur un point, c’est qu’on a effectivement toujours eu ce fantasme en nous de créer, très humblement, un truc sur scène qui serait comme une sorte de véritable orchestre garage punk. Et les deux groupes dont on est le plus fan en live sont le Bel Canto Orchestra de Pascal Comelade et les Bad Seeds de Nick Cave. C’est ce qu’on a vu de plus beau, de plus classe, et ce sont indéniablement de fortes sources d’inspirations.

Votre musique, si on devait la définir, est principalement ancrée dans le rock garage, parfois psychédélique, avec même quelques clins d’œil au krautrock. Mais existent-ils d’autres territoires musicaux que vous aimeriez explorer à l’avenir ?

Ça, pour le coup, ce sera toujours le fruit du hasard. Nous, on a déjà la sensation de mélanger beaucoup de choses dans notre musique. Mais en réalité, le plus important reste de trouver son propre truc. C’est le plus dur, mais c’est primordial.

En fait, cette question m’est venue en écoutant les remixes de vos morceaux, notamment Istanbul Is Sleepy remixé par Arnaud Rebotini ou encore Dimanche par Laurent Garnier. On se rend compte en les écoutant que votre musique a un fort potentiel pour aller vers d’autres territoires, électroniques notamment.

Pour l’année prochaine, on a effectivement des projets un peu plus électroniques. Personnellement, ça m’intéresse grave ! Après, tout ça est lié au fond, il y a des connexions. Rebotini et Garnier ont surement parmi leurs influences et dans leur discothèque des choses communes avec nous comme Joy Division, New Order ou encore Suicide. Mais je crois surtout qu’on a en commun ce délire d’une musique répétitive. On aime ce coté trance et ce bidouillage de synthés, comme a pu le faire Pascal Comelade dans le passé d’ailleurs. Moi, les structures pop avec un couplet et un refrain, ça ne m’intéresse plus trop, je préfère développer sur un riff, même si je conçois que ça se remarque plus facilement en live que sur disque. Sur scène, quand tu développes un riff comme ça et que ça commence à prendre, ça donne des moments complètement jouissifs.

Il y a toujours eu un aspect très cinématographique aussi dans votre musique. Ça vous plairait de bosser concrètement sur une BO de film ?

C’est marrant que tu dises ça parce que, justement en ce moment, on est en train d’essayer de finir une BO pour un long métrage indépendant anglais réalisé par des amis avec qui on a déjà bossé. C’est intéressant parce que c’est un exercice complètement différent par rapport à un disque classique. On n’est pas sur des structures pop, et il faut essayer de chopper l’atmosphère. C’est un vrai défi.

Dernière question : ça écoute quoi les Limininas en ce moment ?

Récemment, on s’est plongé dans la discographie de Sleaford Mods. On aime vraiment beaucoup. Et sinon, en France, on adore les membres de JC Satan qu’on connaît bien.

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