Soulwax, bien dans sa bulle

Soulwax, bien dans sa bulle

Portés par la popularité offerte depuis le début des années 2000 par 2ManyDjs, les frangins Dewaele n’ont finalement pas totalement abandonné Soulwax, ce projet qui les a vus débuter mais qui a surtout fait parler de lui ces derniers mois par le biais de remixes incendiaires. ‘From Deewee‘, leur dernier album sorti fin mars, a mis fin à 12 ans d’absence discographique, et c’est à cette occasion qu’ils se présentaient le 3 avril dernier dans un Elysée Montmartre comble, paré à prolonger d’un soir supplémentaire les festivités du week-end. A sept, dont trois batteurs, les belges ont secoué la capitale sous l’efficacité de ce dernier album, ponctué en live de quelques tubes qui font qu’on écoute encore leur ‘Nite Versions’ avec encore beaucoup de plaisir aujourd’hui. A deux heures de ce concert très attendu, on a pu s’entretenir avec le très sympathique David, à la cool, pour revenir avec lui sur la conception de ‘From Deewee’, mais aussi sur leurs aventures parallèles, dont un label qui promet de ne pas les laisser retomber très vite dans l’ombre. 

Vous vous êtes imposés pas mal de limites pour ce nouvel album. Pourquoi et lesquelles ?

David Dewaele : On a voulu enregistrer l’album avec les mêmes musiciens que ceux qui jouent avec nous en live ce soir, et qui sont les mêmes que ceux avec qui on a tourné l’été dernier : les trois batteurs et nous quatre. On voulait aussi le faire avec le même matériel que celui utilisé sur ces concerts, l’enregistrer vite, et en une seule prise. Au-delà de ça, il n’y avait pas de contraintes (sic).

Etant donné qu’on a l’impression que vous pourriez jouer n’importe quelle musique tout en sonnant bien, est-ce que ces limites n’étaient finalement pas pour vous freiner dans votre liberté ?

C’est exactement ça. Dès qu’il y a trop de possibilités, ça devient compliqué. Si tu es totalement libre et que tout est possible, ça peut prendre des années. En revanche, si on sait exactement ce qu’il faut faire, tout va hyper vite.

J’entends pas mal de similitudes entre ‘From Deewee’ et votre projet Die Verboten (photo ci-contre). Est-ce qu’on peut dire que ce nouvel album s’inscrit dans cette continuité, malgré son registre plus pop ?

C’est une bonne question, mais je ne sais pas si c’est le cas parce que – que ce soit Die Verboten, 2ManyDjs, ou un show visuel – tout provient de la même partie de notre cerveau. Donc, pour moi, Die Verboten, ‘From Deewee’, ou quoi qu’on fasse d’autre, c’est un peu la même chose. Je comprends qu’il y ait des gens qui trouvent des similarités, mais les deux projets sont tellement différents, que ce soit dans les musiciens, ou le contexte dans lequel chacun a été enregistré… Die Verboten, c’était hyper spécial : on a fait ça avec deux potes il y a dix ans, à Ibiza, dehors, à côté d’une piscine… Pour moi, Die Verboten est inséparable de cette image. ‘From Deewee’, c’est nous sept dans notre studio. Donc, ce n’est pas du tout la même chose. Mais, je comprends, peut-être est-ce dû au mélange de batterie et de synthés… C’est difficile de parler des influences parce qu’il est complètement possible, par exemple, qu’un morceau de Drake que je déteste m’influence à ne pas me diriger dans la même voie.

Et pourquoi avoir attendu huit ans pour sortir cet album de Die Verboten ?

Parce qu’on a oublié ! C’est exactement ça. En fait, en 2015, notre disque dur était plein, on n’avait plus du tout d’espace dessus, donc il a fallu faire le tri. Et en cherchant ce qu’on pouvait effacer, je suis tombé sur un fichier avec un album de Die Verboten. On a donc envoyé des emails à Fergus et Henry, et on était tous d’accord sur le fait que ce qu’on avait fait était vraiment bon. On l’a donc mixé un peu et c’est sorti.

Revenons à ‘From Deewee’… Si l’enregistrement en une prise offre beaucoup de spontanéité à l’album, je suppose que le procédé a aussi dû être assez frustrant. Vous avez dû avoir envie de revenir sur certaines choses après écoute non ? D’autant que vous devez être assez perfectionnistes…

Non… Plein de gens pensent que nous sommes perfectionnistes, mais ce n’est pas le cas du tout. Enfin, je ne me considère pas ainsi. Quand c’est fini, c’est fini ! Et si on doit changer des choses, et bien on le fera en live ! L’album est cool, je l’ai écouté pour la première fois hier soir (rire).

Il y a un titre dans l’album, ‘The Singer Has Become a Deejay’, qui est uniquement composé de batterie. Je suppose que la partie la plus difficile dans tout ça a été la synchronisation des trois batteurs. Comment avez-vous travaillé avec eux ?

En fait, mon frère et moi faisons des maquettes, des démos pendant qu’on voyage. Avec un logiciel, on a samplé les différents sons de batterie, on a construit tous les patterns. Sauf que ce qu’on avait dans la tête a fini par être impossible à jouer, par nous en tous les cas. Donc on a un peu simplifié les choses, puis on leur a envoyé des fichiers comprenant le son de leur batterie, le son des deux autres batteurs, et le reste du morceau. De cette manière, chacun pouvait comprendre ce que l’autre jouait, et savoir de quoi était fait le reste de chacune des compositions.

Que ce soit sous le nom de Soulwax ou un autre, vous êtes impliqués dans beaucoup de projets de natures différentes (Radio Soulwax, Despacio…). Pour vous, est-ce que c’est le moyen de ne jamais être déconnecté de l’actualité musicale et, ainsi, de vous offrir une sorte de garantie de renouvellement que finalement peu de groupes ont ?

Je crois que ce que tu décris là, c’est simplement le résultat. La motivation derrière tout cela, c’est plutôt d’avoir constamment de nouveaux challenges, de pouvoir s’attaquer à des choses qu’on n’a pas encore faites. Chez nous, c’est un peu devenu une addiction. C’est comme le fait de voyager tout le temps : si ça devait s’arrêter, ça nous ferait vraiment bizarre. Pareil avec l’idée d’avoir pas mal de projets simultanés : c’est fatiguant mais, sans vouloir trop analyser, c’est peut-être un peu dû à la peur de mettre trop de pression sur une seule chose. Quand tu ne travailles que sur un seul truc, tu mets toute la pression dessus, et c’est finalement trop de stress. Quand tu t’éparpilles et que tu varies les projets, c’est plus vivable.

L’autre ‘nouveauté’ importante, c’est la création de votre label Deewee en 2015. Quelle est votre volonté derrière cette initiative ?

C’est venu en même temps que le bâtiment qui nous a occupé trois ou quatre ans. L’idée d’avoir un label nous avait déjà traversé l’esprit plusieurs fois, mais on n’avait jamais été dans le bon contexte pour le faire. Donc quand le bâtiment s’est présenté, on s’est dit qu’on pourrait faire quelque chose d’un peu différent que tout ce que nos potes ont fait, que ce soit James Murphy avec DFA, Pedro Winter avec EdBanger, Erol Alkan avec Phantasy… Nous, on voulait que toutes les sorties soient enregistrées – parfois même composées – avec nous, dans notre studio. C’est très différent que de recevoir la démo d’un mec en Australie, de lui donner des conseils, et de le sortir ensuite sur ton label. Là, on travaille sur la musique avec les gens, on contribue à ce qu’ils font, on améliore parfois, et on en tire beaucoup plus de fierté que de simplement sortir des disques d’artistes qu’on aime.

Etant donné l’évolution de l’industrie musicale qui a tendance à supprimer les intermédiaires entre les musiciens et leur public, à rendre les artistes plus indépendants, est-ce que votre expérience et votre popularité vont vous pousser vers ce contrôle total de votre musique ? D’autant que ‘From Deewee’ est votre dernier album pour Pias non ?

Oui (rire)… A moins de continuer avec Pias, ce qui est complètement possible aussi, je pense que ce sera le cas. Mais on fait déjà un peu tout ça, en raison de ce marché de la musique qui a beaucoup changé. Pas mal de gens repoussent toujours les limites, ouvrent la voie vers de nouveaux modèles. C’est cool, mais on aime aussi les choses un peu classiques. J’aime le format album par exemple, ce qui peut paraitre très traditionnel en 2017. Donc il est aussi possible qu’on opte pour un environnement qui le soit aussi, c’est à dire un label… On travaille avec plein de jeunes et on s’aperçoit que tout est tellement différent d’il y a vingt ans ! En même temps, je suis convaincu qu’on n’est pas encore à l’époque ou l’artiste évolue dans un autocontrôle total. C’est peut-être encore un peu trop tôt. Pour nous, c’est différent parce qu’on a dû passer par là, on a dû chercher cette indépendance, surtout ces dix dernières années. En fait, plutôt que d’intégrer le système – qui est un grand mot – on a créé notre petit monde, et on a la chance que plein de gens viennent vers nous. Par exemple, on ne va plus vers MTV ou Radio1 pour obtenir de la playlist, alors que c’était hyper important à nos débuts. Désormais, on fait seulement ce qu’on aime, et on a la chance que ça marche. Pour le moment (rire).

Comme la France, la Belgique a récemment connu le terrorisme. Est-ce qu’il y a eu une envie de réagir chez Soulwax ? Pas forcément en adoptant un message politique, peut-être simplement en réinstaurant un esprit festif, plus léger, avec ce nouvel album ?

Ça ne nous ressemblerait pas d’écrire des paroles sur ce type de sujet. On laisse plutôt nos opinions politiques s’exprimer à travers une approche, disons plus poétique des choses. Et, comme tu le dis, en offrant aux gens un peu de recul par rapport à tout ça. Honnêtement, on vit une époque où l’impact de la musique est beaucoup moins fort qu’il y a quarante ans, à un moment ou les Beatles et les Rolling Stones avaient une vraie influence. Maintenant, la musique est tellement partout, tout le temps, qu’elle a perdu de son impact social. Je ne dis pas que c’est grave, je ne fais que constater. Mais toute notre vie a changé aussi, rien n’est plus pareil qu’il y a ne serait-ce que quinze ans ! Il faut donc savoir comment se situer dans son petit monde, et il ne fait pas de doute qu’un album anti-Daech de Soulwax ne fonctionnerait pas du tout par exemple. Donc on le fait simplement d’une autre manière.

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