Pamela Hute, loser qui persiste et signe

Pamela Hute, loser qui persiste et signe

En musique, le disque n’est qu’une façade, le résultat d’un long travail, l’expression d’un perfectionnisme plus ou moins exacerbé, mille façons de traduire les influences du musicien qui le compose. Lorsqu’on s’arrête trop souvent à la ‘matérialisation’ de l’art, on se coupe parfois des personnalités qui se cachent derrière, de leurs expériences qui ont souvent beaucoup plus à nous apprendre qu’une dizaine de morceaux soudainement lâchés dans la nature.
Allez savoir pourquoi, la pop de Pamela Hute n’avait jusque là jamais trouvé sa place dans nos colonnes. Peut être parce que, nous aussi, on laisse trop rapidement notre feeling se faire juge, nous offrir les mots ou nous en priver à l’écoute d’un disque. ‘Highline’, son tout dernier sorti en ce début d’année, n’a pas fait exception à cette règle, pourtant il y a quelque chose chez cette musicienne qui nous est allé directement aux tripes : un parcours fait de hauts et de bas, qui l’a vu débuter dans le confort d’un label bien installé pour finalement trouver son épanouissement dans l’indépendance et la démerde. D’ordinaire, on image aisément le chemin inverse, on repense à tous ces groupes qui ont écumé l’underground pour finalement atteindre le graal, cet intérêt soudain d’un label qui ouvre en grand les portes d’un avenir serein.
De l’oeil de celui qui n’a jamais creusé plus profond que les playlists des radios ou les pages en papier glacé des magazines, Pamela Hute est peut être une loser. Pour nous, elle est l’exemple même d’une artiste talentueuse qui a trouvé dans le ‘Do It Yourself’, non seulement la force de surmonter les obstacles, mais aussi d’exprimer une passion à toute épreuve qui se traduit aujourd’hui par un épanouissement quotidien. ‘Pop à l’extérieur, punk à l’intérieur’ pour reprendre ses mots qui nous ont donné l’envie d’en savoir plus à son sujet, et qui confortent finalement beaucoup cette approche de la musique que l’on défend depuis toujours.

Ton premier album est sorti in extremis sur un label en 2010 alors que tu t’apprêtais à le sortir seule. Quels ont été les arguments du label en question pour te convaincre de lui faire confiance ?

Pamela Hute : A vrai dire, on arrivait un peu au bout du processus d’autoproduction parce qu’on était assez mal organisés et totalement débutants. Cette proposition est arrivée de façon un peu magique et inattendue, je n’avais démarché personne. Ce qui m’a convaincu, c’est le type que j’avais en face de moi lors de notre premier rendez-vous (Vincent Frèrebeau – de Tôt ou Tard). Il était sympathique et naturel, il parlait de son label avec des étoiles dans les yeux, il avait envie de faire des choses, c’était clair. Je suis très instinctive et cela compte beaucoup dans mes prises de décisions, or j’ai eu un bon feeling.
Il m’a proposé une licence qui était un peu légère puis, voyant nos réserves, il a accepté de se projeter dans un contrat d’artiste. Cela engageait quand même une relation à moyen-long terme, et ça me plaisait, ça me semblait être un bon signal. Il faut se replacer dans le contexte : on avait fait un disque et investit beaucoup d’argent, il a proposé de racheter les bandes, son label était en pleine renaissance après le coup de Yaël Naïm synchronisée sur la pub Apple, j’avais 26 ans… Je n’avais vraiment aucune raison de refuser. Je voulais apprendre aussi, comprendre, savoir. Je ne regrette vraiment pas du tout cette époque et cette signature. C’est le jeu.

Les choses se sont donc compliquées en 2013 à la sortie de ‘Bandit’. On dit souvent que le deuxième album est un moment capital dans la discographie d’un musicien. Quand on est du côté de celui qui l’enregistre, quel type de pression a t-on avant de le sortir, même de le composer ?

C’était très dur de faire le deuxième album. C’est d’une banalité effroyable pourtant, presque tous les artistes passent par là. Il est le premier disque qu’on pourra comparer à un autre. De plus, on doit souvent le faire dans un laps de temps assez court alors qu’un premier album se travaille pendant des années. J’avais tellement envie de bien faire, de faire mieux que la fois d’avant, et que le label soit content… On en a fait deux versions, une dans un super studio mais ça ne sonnait pas, et je n’assumais pas du tout le résultat. J’en ai perdu le sommeil pendant un moment. Puis on l’a ré-enregistré chez moi, et après de nombreux rebondissements, de multiples mixes et masterings, il est sorti. Lorsqu’on est accompagné par un label, chaque hésitation influe sur un groupe de gens. On engage une équipe, qui en plus paie les factures puisque le label était producteur. C’était difficile pour moi, j’avais effectivement beaucoup de pression. Je voulais tout gérer, jouer à la grande fille, mais je n’avais pas vraiment la capacité de le faire.

Après que ton label t’ait lâché, tu as traversé comme une période de doute, en quête continue de réponses à tes questions. Quels sont les conseils que tu as pu recevoir et que tu ne peux plus entendre désormais ? Et quels seraient ceux que tu donnerais à quelqu’un qui se retrouve aujourd’hui dans ce que tu as vécu ?

Je rencontre beaucoup d’artistes qui ont vécu la même chose ou qui sont en plein dedans. Je crois que c’est à la fois un moment de vie commun à tout être humain (les doutes, la remise en question), avec des spécificités liées au milieu de la musique et des difficultés qui en découlent. C’est compliqué de mettre ses tripes dans ses disques et de voir que ça ne marche pas. Même si on se blinde contre les critiques, il est nécessaire de faire un effort de distanciation et de compréhension du milieu dans lequel on évolue, et cela prend beaucoup de temps.
J’ai passé trois ans vraiment difficiles à partir de mes trente ans, j’ai failli tout arrêter. Il faut accepter de tout porter seul, retrouver du plaisir. Je ne veux pas avoir l’air blasée, parce que je ne le suis pas du tout. J’ai traversé tout cela, et cela m’a permis de commencer tous ces projets, dont ce label qui est ma grande fierté.
Le plus important est d’accepter ces phases. Accepter d’avoir des doutes, accepter d’être découragé, accepter la difficulté, parce que c’est de cette façon qu’on peut la maîtriser et la contourner avec de nouvelles idées. Accepter aussi que la temporalité imposée par l’industrie et les médias soit une temporalité bien différente de celle de l’être humain. Construire prend du temps.

Finalement tu ne dois la sortie de ce troisième album qu’à toi même, à ton côté ‘démerde’. Avec un peu de recul, est-ce que les galères liées à ton second disque ne t’ont pas amené sur le chemin d’une certaine fierté de t’en être sortie seule ?

Je pense en effet que c’est un apprentissage. Les difficultés du deuxième m’ont permis de savoir comment faire ce troisième, et je suis vraiment très fière de ce disque. J’adore le jouer en live. Tout autour de moi – les gens, les choses, l’état d’esprit – a changé. Je me projette bien plus loin qu’avant, même si j’ai perdu pas mal de visibilité en route. Il y a évidemment une fierté, mais aussi une force décuplée : je sais exactement où je veux aller, et j’ai plein d’idées pour y arriver.

Le mois que tu as passé aux Etats Unis pour le mixer et le masteriser semble t’avoir marqué. Sûrement parce que tu concrétisais ton projet, mais peut être aussi parce que tu as abordé ce périple comme un pèlerinage. Ça fait souvent ça au passionné de musique lorsqu’il foule ces terres. Est-ce que tes influences viennent principalement de l’autre côté de l’Atlantique ? 

Ce n’était pas exactement un pèlerinage, plus un voyage initiatique. J’ai tellement marché, seule, j’ai tellement réfléchi, j’ai vraiment traîné ma peine au sens propre, au point de finalement la voir s’éroder. Ouf ! J’avais l’impression que je ne pouvais pas le faire ailleurs qu’aux USA où tout est tellement grand. Ces proportions décuplées sont très rassurantes pour les gens anxieux; l’anonymat, la frénésie, le mouvement. On peut se perdre et se reconstruire tranquille. J’adore les Etats-Unis, et j’écoute beaucoup de groupes américains, il y a un tel vivier indé et power pop. Mais j’ai aussi une base très brit pop. Adolescente, j’écoutais Elastica, Sleeper, Blur… Donc tout se mélange un peu je suppose. Je crois que j’interprète certaines influences américaines et un imaginaire d’Amérique du Nord, mais avec mes codes d’européenne.
Pour ‘Highline’ cependant, le fait de travailler avec Jay Pellicci à San Francisco a donné une direction artistique. Les Américains ont une manière de faire différente des européens, dans le son, dans la prod. Je pense que, sur ce disque, il y a un polish américain mais, si on creuse, on repère assez vite que c’est une nana d’Europe qui a écrit les chansons.

Tu t’es ensuite heurtée aux difficultés de trouver des partenaires, label et tourneur. As-tu eu la sensation à ce moment là que tu n’allais jamais pouvoir donner vie à un disque que tu avais pourtant réussi à finir ?

Oui je l’ai pensé très fort, il y a eu des moments où je ne voyais plus de solution. Tu ne peux pas imaginer le nombre de mails envoyés, de gens contactés, et surtout la multitude de refus. Il n’y a eu que des refus d’ailleurs ! Faire le disque a été assez facile, même si ça demandait une certaine force de caractère. Mais le sortir a été une autre histoire. Une fois que j’ai rencontré Julien Le Nagard (co-founder de My Dear) et qu’on a décidé de monter le label ensemble, tout m’a semblé possible à nouveau. Trouver des solutions relève souvent du point de vue qu’on adopte. Quand j’ai cru que je n’y arriverais pas, mon entourage m’a dit les bonnes choses pour que je rebondisse.

Tout ce processus t’a fait alterner espoirs et déceptions. Je suppose qu’il faut être habitée d’une passion folle pour ne jamais baisser les bras dans ces moments là. La question peu paraître un peu conne, mais que représente la musique pour toi ? Si tu avais tout arrêté, qu’aurais tu fait de ta vie ?

Alors ce que je vais répondre est très paradoxal : quand j’ai décidé que j’allais justement faire autre chose qu’uniquement de la musique, j’ai trouvé l’énergie pour sortir le disque. Quand j’étais signée, j’étais maintenue dans un système assez infantilisant. On s’occupe de toi, on te dit que tout va bien se passer, que tu es géniale. C’était un peu superficiel pour moi. J’adore réfléchir à un projet dans son ensemble. Faire des disques c’est une chose, mais aujourd’hui il faut aussi penser à tout le reste, ce qu’on montre, ce qu’on dit. J’adore la période actuelle parce que tout est possible, même si tout semble pourtant s’effondrer. Il faut constamment relever des défis et faire preuve d’audace et d’inventivité. Monter le label, c’était créer une boîte, rédiger des statuts, lire des contrats, se mettre dans la peau du label manager tout en étant artiste, porter de multiples casquettes. Tout cela est hyper grisant. Ma passion est intacte parce qu’elle est stimulée. En plus d’écrire de la musique et de la jouer, j’ai envie de faire bouger les lignes, de questionner l’industrie en proposant d’autres choses aux artistes, et de me donner (et leur donner) les moyens de continuer à faire des disques. Les deux sont indissociables dans ma vie aujourd’hui.

C’est aussi à ce moment là que tu as goûté au live entourée d’un groupe. Bien qu’on puisse imaginer à quel point cela donne de l’ampleur aux compositions, te sentir entourée et plus que jamais ‘vivante’ a aussi du jouer dans ta perception des choses non ?

J’ai toujours fait des concerts, mais c’est vrai que le line-up a changé avec ce troisième album. Le live a beaucoup évolué depuis ce nouveau groupe. Je suis effectivement une autre personne sur scène, je crois. Même si je porte mon drapeau en solo, je serais incapable de jouer avec des musiciens interchangeables. J’ai besoin de monter un vrai groupe, qu’il se passe quelque chose d’irrationnel, qu’il y ait une vraie camaraderie. Je crois qu’on s’aime tous beaucoup dans la vraie vie, avec des relations et des complicités différentes les uns avec les autres. Du coup, sur scène, ça se voit et je crois que ça marche. Je regrette de ne pas avoir de booker ou de tourneur pour pouvoir jouer plus avec cette bande. Mais je pense que ça va finir par arriver. J’aurais mis 10 ans, mais je crois que j’ai trouvé le groupe parfait, celui avec qui je me sens capable de tout. Tous ensemble, on est vraiment des super-héros.

Et puis tu as finalement mis les deux pieds dans l’indépendant et le DIY en créant ton propre label, My Dear Recordings. Ca a été une pierre supplémentaire à un édifice que tu occupais déjà seule, pourtant ça t’a manifestement aidé. Pourquoi ? 

J’ai déjà un peu répondu à cette question je crois, mais le passage au DIY m’a permis de remettre du sens dans ma démarche artistique. Travailler sur des petites quantités, raisonner dans des proportions humaines, cela change tout. Si tu gagnes 150 balles, ça va te permettre de payer 100 CD promo pour un groupe etc… Et tout à l’avenant. Les choses ont du sens à nouveau, tu sais pourquoi tu vends un disque : pour en financer un autre. D’autre part, se mettre à la place du label, et non uniquement de l’artiste, permet de comprendre plus précisément comment l’industrie fonctionne, où il y a des blocages, où il y a des sous, ce qu’on doit faire pour rendre le système plus transparent, et pour que les deux parties s’y retrouvent. S’occuper des autres permet de prendre de la distance sur son propre projet aussi, et c’est vraiment vital je pense.

Tu y sors donc ton troisième album, aussi des disques d’amis, tu te fais plaisir sans forcément gagner d’argent, mais tu vis et incarne finalement une mission que tu t’es donnée. Et c’est un peu ce qui motive tout activiste, toute personne habitée par ce fort sentiment de vivre à travers le DIY. Au final, n’es tu pas plus ‘vivante’ maintenant que lorsque tu étais simplement l’artiste d’un label ?

Si, c’est incontestable. Il n’y a pas que des amis sur le label, même si on a commencé comme ça, bien-sûr. Mais j’ai rencontré tellement de groupes et de gens intéressants que je n’aurais probablement jamais rencontrés si j’étais toujours signée ailleurs. il y a une telle énergie et bienveillance autour de ce projet que je me demande pourquoi je ne l’ai pas fait plus tôt. Mais je n’étais pas prête, tout simplement. Avoir fondé ce label est une des meilleures décisions de ma vie.

Vu la tournure que prend l’industrie musicale en se passant de plus en plus des intermédiaires, est-ce que tu ne te dis pas que, finalement, tu es peut être en train de prendre de l’avance sur d’autres musiciens toujours assistés par un label ? 

Si, je me dis ça tous les jours, toutes les secondes même ! Je pense qu’il n’y a pas d’autre solution. Il y a un modèle qui va s’effondrer, je ne sais pas quand, mais ça va finir par arriver. Je regarde beaucoup ce que font les Américains ou les Anglais. Il y a une multitude de labels indés de taille moyenne qui subsistent très bien. Il faut juste réfléchir un peu, ne pas essayer de faire des coups, être réaliste et avoir une vision à long-terme. Faire disparaître les intermédiaires est la clef, évidemment. Pour l’instant, notre état d’esprit est collectif. On avance doucement, avec de petits moyens, pour ne pas se brûler les ailes, mais on essaie de se faire connaître et de faire parler de nos artistes au maximum. Chacun a ses plans, son réseau. On met tout ça en commun. C’est professionnel, mais pas totalement dans les codes des maisons de disques classiques. On ne raisonne pas business, ou marketing. On essaie de raconter une histoire avec notre famille d’artistes. Une histoire qui va durer. Les médias prennent et jettent. Avec le label, on a décidé de faire tout l’inverse et je pense que c’est uniquement de cette façon qu’on fabrique quelque chose de solide et de beau, et qui ne s’effondrera pas au premier coup de vent.

Et ce quatrième album, tu y penses déjà ? Vu le parcours chaotique de ‘Highline’, l’appréhendes tu ?

Je ne dirais pas que le parcours de ‘Highline’ a été chaotique. ‘Bandit’ l’a été beaucoup plus dans un sens, parce que j’étais bourrée de doutes. Avec ‘Highline’, je savais où j’allais, mais ça a été long et difficile. Je ne pense pas à la suite encore. Il faut avoir des choses à dire pour écrire un disque ! ‘Highline’ est sorti il y a un mois, j’ai encore envie de le jouer surtout, beaucoup, et de le laisser vivre sa vie un moment, tout en avançant sur les multiples projets que j’ai à côté. Quand j’aurai un quatrième disque, je le saurai, et j’en suis bien loin. En tout cas, il sortira sur le label, ça c’est une certitude ! Et je n’ai aucune appréhension.

Photos de Laura G.Berson
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