Marietta, variet’ toi-même !

Marietta, variet’ toi-même !

Voilà maintenant quelques années que l’on a toujours plus de mal à situer Guillaume Marietta. La faute à une quantité affolante de projets qui se croisent dans un spectre très large, ou la colère sourde d’A.H Kraken a cédé la place aux sinueuses errances psychédéliques que proposait The Feeling of Love, avant que tout cela ne s’évapore en 2015, à la sortie de ‘Basement Dreams Are The Bedroom Cream‘, premier album solo sorti chez Born Bad. A l’origine placées sous le signe de l’intimisme lo-fi et du bidouillage, ses aventures confidentielles trouvent une suite au sein d’un nouvel album entièrement chanté en français, où la personnalité et le songwriting de Marietta s’affichent de manière plus frontale que par le passé. Enregistrée avec Chris Cohen à Los Angeles, ‘La Passagère’ est une nouvelle étape dans un parcours qui n’a jamais eu à se justifier de quoi que ce soit, et qui ne sera jamais balisé pour que les nouveaux venus s’y retrouvent plus facilement. Rencontre avec son auteur pour une discussion axée variétoche, pizza au téléphone, et puérilité.

J’ai été décontenancé par les premières écoutes de ton album, je ne m’attendais pas à ça. Tu m’avais parlé du chant en français, mais je crois que le morceau qui m’a le plus marqué est ‘La Grande Ville Malade’ parce qu’il est le plus décomplexé au niveau de la langue, avec ses évocations un peu crues. Ca marque une évolution sur certains points, moins sur d’autres, mais c’est quand même assez rare de pouvoir évoluer aussi naturellement. Comment tu perçois cette évolution toi ?

Guillaume Marietta : Ça s’est fait tout seul. Je sens des liens forts entre les deux albums. Ça se vérifie en répétition comme en live. Quand on mélange des chansons des deux, ça ne pose pas de problèmes. J’ai bien conscience que ce disque est différent, j’ai bien conscience que beaucoup de gens sont agréablement surpris, que d’autres sont déçus (rires). Mais pour moi, il n’y a pas de fossé entre les deux. Pas du tout.

Les gens tiquent sur quoi, surtout ?

Ah, je n’en sais pas grand chose. Au niveau des retours négatifs recueillis par le label, on a dit que c’était trop différent du premier, comme si c’était un mal ! Que ça lorgnait un peu du côté de la variété, mais ça je l’ai entendu à la fois comme un reproche et comme un compliment. Mais en fait, cette histoire de variété en France, c’est bizarre parce que même moi je ne sais pas ce que ça veut dire. Je crois qu’on est le seul pays qui utilise ce terme là. Ailleurs, c’est juste de la musique pop. Pour certaines personnes, Variété veut dire musique pop de merde, ça a l’air assez négatif. Enfin bref, il y avait ça comme critique et il en a découlé que des gens disaient que je chantais faux. Mais ça ne m’intéresse pas de chanter juste. Je veux être juste, c’est différent. Il y aura toujours des trucs qui agaceront les gens, tu ne peux rien y faire.

Et toi, avais-tu un rapport déjà établi avec la variété, ou est-ce quelque chose qui ne te touche pas du tout ?

Dit comme ça, le mot variété va me faire penser à des gens comme Julien Clerc ou Michel Berger. Effectivement, ce ne sont pas des influences pour moi. Les miennes sont quand même à 90% anglo-saxonnes, alors même que je chante en français. Les auteurs compositeurs qui m’inspirent sont américains ou anglais. Ce sont des gens comme Bob Dylan, Lou Reed, Syd Barrett. Ou des artistes plus actuels comme Tim Presley et Cate Le Bon. Les auteurs français n’ont pas une énorme influence sur moi, j’en écoute très peu, c’est sans doute un tort. J’aime beaucoup Gainsbourg mais ça ne va pas se ressentir dans ma musique. Et puis, c‘est tellement typé ce qu’il écrivait… Il a trouvé un langage, un vocabulaire qui lui est propre, c’est impossible d’aller emprunter dans son oeuvre sans que ça s’entende à des kilomètres. A la limite, s’il a une influence chez moi, c’est dans cette quête de trouver sa propre voie, qui ne ressemble à aucune autre. Le fait qu’il soit allé chercher des sonorités dans la pop anglaise ou le reggae, ça ne me touche pas tant que ça. Moi, ce qui me marque le plus, c’est le travail qu’il a fait pour se débarrasser de certains tics et de codes qu’il y avait dans la chanson française. C’est ce chant, cette respiration inimitable, qui n’appartiennent qu’à lui.

Du coup, comment t’es venu ce déclic du chant en français ?

C’est en écrivant ‘La Grande Ville Malade’ justement. J’ai écrit ça pendant une nuit, une nuit vraiment sombre. J’étais dans une cuisine et j’ai écrit comme ça, non stop, longtemps, plusieurs pages avec cette espèce de leitmotiv qui revenait : ‘je suis un être du siècle dernier’, ‘je veux faire ci, je veux faire ça’. Je voulais concentrer le truc sur des actions. C’était comme du vomi, il fallait que ça sorte. Mais il fallait un cadre, un rythme, qu’il y ait ces injonctions, ces interpellations où je me parlais à moi-même. Quand j’étais ado, j’ai fait des poésies en mode écriture automatique, j’ai tout foutu à la poubelle, c’était vraiment de la merde !

Quand tu t’es repenché là-dessus le lendemain, tu y as retouché ? Tu fais pas trop ça, le côté cru ?

Non je ne fais pas trop ça d’habitude. Quoique, dans les premiers Feeling of Love, les paroles étaient vraiment très crues. J’aime bien la crudité, mais à travers un point de vue précis. Par exemple celui d‘un enfant ou d’un ado attardé ou de quelqu’un qui a peur.

De manière un peu puérile ?

Ouais, pour cette chanson c’était ça (il réfléchit longuement). Comment dire ? Ça ne m’intéresse pas d’être cru pour être cru, c’est juste qu’il y a un moment où tu n’as pas le choix. Les choses doivent être dites de cette façon là si tu veux être clair avec cette sensation que tu as au fond de toi. T’es obligé, c’est tout. Dans le texte, il y a seulement quelques passages un peu crus, quelques phrases un peu débiles, et je peux dire que ça m’a même gêné dans un certain sens. Mais je ne me voyais pas tourner autour du pot, ça n’aurait plus voulu dire la même chose. Oui, cette chanson parle de puérilité, d’angoisse, de fantasmes destructeurs, de clichés. C’est complètement adolescent et puéril. Avec ce postulat, tu es forcément amené à employer des expressions maladroites qui veulent bien dire ce qu’elles veulent dire.
C’était pas une chanson au départ, c’était vraiment juste un texte. Et puis, peu de temps après, La Souterraine m’a proposé de placer un titre sur une de leurs compilations. Le seul impératif était que ça soit en français. Belle coïncidence. J’avais une mélodie de synthé qui trainait dans ma tête, et je me demandais ce que je pourrais bien foutre comme paroles dessus. Je prends toujours plein de notes dans des cahiers et je suis retombé sur ce texte. Alors j’ai commencé à essayer de le poser dessus. J’ai coupé dedans, j’ai pris les trucs les plus intéressants, viré ce qui était superflu, et j’ai essayé d’ordonner ça pour que ça ait une sorte de cohérence.

Pour les paroles des autres morceaux de l’album, as-tu rencontré des difficultés particulières pour écrire en français ?

Non pas vraiment. Ecrire en français, c’est un peu comme commander une pizza au téléphone. (rires) Il faut juste faire attention à utiliser les bons mots pour être sûr qu’on te livre exactement ce que tu as commandé.

C’est plus difficile d’écrire en français qu’en anglais ?

Non, non, on a trop tendance à se prendre la tête sur cette comparaison anglais / français. C’est simplement une histoire de déclic. Après, tu l’as ou tu ne l’as pas. Il faut que ça reste un plaisir, un jeu. Ça me trottait dans la tête depuis un moment, et quand j’ai senti une porte s’entrouvrir, je me suis juste faufilé et je me suis laissé guider par mon instinct.

Au niveau des thèmes de l’album, il y a des sujets qui reviennent comme la ville, les filles. Tu écris beaucoup par images. C’est difficile de dégager une trame de tes textes et de tes morceaux…

Ouais, c’est comme ça que j’écris. Je fonctionne par images, parce que ça permet à la personne qui écoute d’avoir une interprétation qui pourra lui être propre. Je n’ai pas de théorie là-dessus, c’est juste comme ça que mon cerveau travaille, et c’est ce que j’aime aussi quand j’écoute un disque. On peut tous s’approprier un texte différemment en fonction de ce qu’on vit, de nos perceptions à un moment donné et dans un lieu précis. Ça ne m’intéresse pas de raconter quelque chose qui m’est arrivé. Après, je ne cherche pas le mystère pour le mystère, et ça ne veut pas dire qu’il faut que mes textes demeurent incompréhensibles. Je veux que ça soit compréhensible. Ça ne se passe pas sur le terrain de la compréhension, mais sur celui du sentiment, de l’affect. Tu ressens quelque chose, et tu n’as pas forcément de mots pour l’expliquer.

Qu’est ce qui t’a plu dans la musique de Chris Cohen ? Quand l’as-tu entendu pour la première fois ?

Cette façon qu’il a de chanter, très particulière, très douce. Ses mélodies vocales sont très fluides, et pourtant assez complexes. Même chose pour ses grilles d’accords de guitares et de claviers. Ça coule de source mais, quand tu écoutes attentivement, tu te dis ‘waouh, comment il fait ?‘. Et puis, ses chansons baignent dans une espèce d’humeur assez indéfinissable. Ce n’est pas vraiment joyeux, mais ce n’est pas vraiment triste non plus. C’est troublant.

Quand tu es reparti de Los Angeles après avoir enregistré avec lui, qu’avais tu la sensation d’avoir retenu de lui, tant au niveau de l’approche que des techniques ?

Il a une manière de procéder assez classique. Ce que je retiens surtout, c’est son sérieux, sa bonne humeur, sa concentration, son souci du détail, sa douceur aussi. Les chansons et les arrangements étaient écrits à l’avance. On s’est appliqué à transcender les maquettes, à rendre justice aux chansons le mieux qu’on pouvait.

Tu te verrais aller en studio pour un prochain projet, ou es-tu toujours attaché à ton quatre pistes ?

J’aime bien composer à la maison. Composer en studio, ça me semble impossible. J’ai l’impression qu’il n’y a plus d’argent pour ça. Peut être que c’est possible pour des groupes signés en major, je n’en sais rien. Moi, je n’ai pas ces moyens là. D’ailleurs, peut être que ça me stresserait trop, même en ayant deux ou trois mois devant moi. Il y a forcément des moments ou ça ne va pas marcher, et ou tu ne vas rien foutre. Cette frustration est difficile quand tu dépends financièrement de quelqu’un. Je n’aime pas avoir une épée de Damoclès au dessus de la tête. Quoique… Si on me le propose un jour, je dirais sans doute oui. En général, j’aime bien essayer des choses que je n’ai jamais faites. Donc c’est probable que je dise oui, même si je sais que je vais en chier. (rires)

Quelle place occupe Halo Maud sur cet album ? Un morceau s’appelle ‘Maud La Nuit’, elle chante sur ‘Nos Ventres Nus’, elle traverse l’album comme une sorte de présence… C’était une idée de départ ou t’en es-tu rendu compte pendant l’enregistrement ?

Maud a été très présente pendant la genèse du disque. C’est à elle que je faisais écouter toutes mes maquettes, c’est à elle que je demandais conseil, que je faisais part de mes doutes. On en parlait beaucoup, elle m’a ouvert sur beaucoup de choses. C’est une artiste que j’adore, une musicienne passionnante. Sa façon de composer est très inspirante. Son jeu de guitare et sa voix sont uniques. Ça n’est pas une question de technique mais de feeling, de vibration dans l’espace. Ayant la chance de la connaitre, c’est naturellement vers elle que je me suis tourné. Elle m’a beaucoup inspiré, et ce qu’elle a fait sur le disque est génial. Et oui, sa présence traverse tout le disque, même lorsqu’elle ne chante pas.

Ta manière de jouer est plus ouverte, il y a une forme d’élan sur certains morceaux que l’on retrouve aussi sur le premier mais de manière moins présente. Il y a ces morceaux où tu t’arrêtes de chanter et où tu joues encore pendant une ou deux minutes…

Oui peut être. J’essaye de donner un peu plus d’élan à ma musique, pour qu’elle soit moins sombre. Il y a des moments où ce n’est pas nécessaire de continuer à parler, de vouloir remplir à tout prix l’espace sonore avec la voix. Je ne fais pas de la chanson. Je ne fais pas de la musique instrumentale non plus. Je ne réfléchis pas. Il faut se laisser guider par son instinct. Au bout d’un moment, si tu écoutes attentivement, c’est la musique qui décide pour toi. Il faut trouver la bonne respiration.

Tu revendiques le droit de ne pas tout comprendre concernant ta musique et son évolution. Tu n’as pas envie de te pencher avec précision sur ce que tu as déjà fait, tu avances sans trop te retourner…

Je ne me retourne pas vraiment sur ce que j’ai fait, oui. Et je n’intellectualise pas non plus mon travail, ou alors seulement un minimum, parce que sinon ça bloque le processus créatif selon moi. Si tu commences à te poser des questions sur ce que tu es en train de faire, par rapport à ce que tu as fait avant et où tu vas, ces questions t’encombrent l’esprit. J’aime bien marcher à l’instinct en fait. Et en général, c’est plus productif. Et pour l’instant, j’ai l’impression de ne pas me répéter. Ça joue en ma faveur, parfois en ma défaveur aussi.
Un disque est juste le témoignage d’un moment présent. Ce sont des chansons que tu as composé et enregistré à un moment donné, dans un lieu précis. Ces mêmes chansons, si tu les avais enregistrées un autre jour ou ailleurs, elles seraient probablement très différentes. Mais la majorité des gens perçoit un album comme une sorte d’acte fondateur, définitif, qui serait l’ADN de l’artiste. Ils s’accrochent à ça et se font une image toute faite de cet artiste. Il n’y a pas de place pour le hasard, les accidents, les changements d’humeurs. Alors qu’on change tous d’humeur 50 fois dans une même journée ! Donc quand ça bouge, ils ont du mal à l’accepter, à le comprendre ou à faire l’effort d’écouter. La musique aujourd’hui a besoin d’être très rapidement identifiable et consommable. Et faire l’effort d’écouter un disque plusieurs fois, du début à la fin, peu de gens prennent le temps de le faire. La manière de consommer la musique a changé. Aujourd’hui ,il y a énormément de groupes différents, tous les jours des milliers de disques sortent. Si on arrêtait de faire des disques là maintenant, on en aurait encore assez à découvrir pour les 200 prochaines années. Au final je participe moi aussi à ce remplissage continuel, à ce truc bourratif. Paradoxalement, je suis sûr aussi que plein de gens seraient intéressés par ce que je fais mais qu’ils n’y ont tous simplement pas accès. Il n’y a aucune obligation en fait.

Et au niveau du label, il en a pensé quoi JB ?

Il était décontenancé au début, il s’attendait à quelque chose de beaucoup plus proche du premier album. Mais bon, il l’a quand même fait puisqu’il s’était engagé, mais il a été surpris. Le premier Marietta l’avait étonné aussi parce que c’était super différent de Feeling of Love, et il est probable que, avec le prochain album, il se demande aussi ce qu’est ce truc.

En tant que musicien, il y a des choses qui ont changé depuis tes débuts. Qu’est ce qui est plus facile pour toi aujourd’hui ?

Depuis que je vis à Paris, c’est plus facile de trouver des gens avec qui travailler. On s’entend très bien dans le groupe, les gens avec qui je joue sont super cools. Ici, on rencontre plein de musiciens, plein d’artistes, c’est très stimulant.

Et en France, qu’est ce qui te touche niveau musique ?

Les artistes qui comptent pour moi en France, et dont la musique me touche, sont ceux qui ont une identité propre, très forte. J’ai la chance de les connaître et qu’ils soient mes amis. Je pense à Noir Boy Georges, Scorpion Violente, Halo Maud, Jessica 93, Brian Magic’s Tears, le Villejuif Underground, Julien Gasc, Forever Pavot. C’est vraiment génial en fait. C’est une chance d’évoluer au contact de ces gens.

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