Interview : Saul Williams

Interview : Saul Williams

Penses-tu que ta carrière musicale aurait été la même en terme de succès, sans ton apparition au cinéma ?

Je ne considère pas vraiment que ce que je suis en train d’expérimenter rencontre un véritable succès comme ont pu le connaître les Fugees ou des artistes de cet aura. Je pense que les deux sont liés puisqu’ils représentent une certaine double attention de la part de l’industrie. Ils doivent penser que je suis plus vendeur du fait de ma polyvalence et de mon double public. C’est dur à dire car tout est vraiment lié. Je ne pense pas en tous les cas que ce soit grâce à “Slam” que j’en suis là aujourd’hui dans ma carrière musicale.

Y a t-il un message principal derrière tes paroles ?

Je pense que pas mal de chansons ont un sujet commun mais il n’y a pas un sujet principal. Mon but par le biais de mes textes est de rendre les gens conscients de leur propre pouvoir. Je veux renforcer l’esprit des gens, qu’ils réalisent leur potentiel afin qu’ils puissent atteindre leurs buts dans le futur. Il y a beaucoup à penser de mes textes…

Comment avez vous travaillé la partie musicale de l’album ?

J’ai vraiment beaucoup pensé à la manière dont tout cela devait sonner afin que ce soit en symbiose avec mes écrits. J’ai écrit toutes les musiques, je les ai proposées à mes musiciens. J’ai tout travaillé à partir de mon propre matériel afin que cet album ne soit pas qu’un opus de musique électronique. Cela fait quatre ans maintenant que je travaille avec ces musiciens et les différentes expériences partagées avec eux m’ont également aidé dans le processus de composition.

Ce mélange de diverses musiques était donc voulu dés le départ ?

Je ne pouvais le faire que comme ça pour que j’en sois fier. Cet album est une expression personnelle, je suis influencé par divers courants musicaux et il est donc normal qu’on les retrouve dans mes compositions. J’écoute le Wu Tang, Mobb Deep, Radiohead, Tricky, Portishead, Bjork, Talvin Singh, Krust, Led Zeppelin, Beatles, Roni Size, Jimmy Hendrix, Fela, Bob Marley, Serge Gainsbourg, Air… Je suis influencé par tout ce qui a un rythme. Je me devais de faire des morceaux assez différents les uns des autres mais il ne faut pas me voir différent d’un autre artiste pour cette raison. J’ai juste fait un album qui me ressemble et qui m’intéresse en tant qu’auditeur.

Pourquoi avoir choisi Rick Rubin comme producteur ?

Il est mon mentor, il me donne des conseils. Il a juste été là pour le mix mais pas pendant les séances d’enregistrement. A la base, je l’ai choisi pour le côté rock qu’il a de beaucoup plus encré que moi. Je savais qu’en travaillant avec lui, j’obtiendrais le mélange parfait entre rock et hip hop. Je ne suis pas déçu.

On aurait plutôt pensé à un label indépendant tel que Ozone ou Ninja Tune. Pourquoi Columbia (Sony) ?

J’ai voulu travailler avec Rick. J’ai eu des offres de plusieurs labels. Je ne suis pas un loyaliste de l’underground, je veux juste que ma musique touche un maximum de personnes aussi vite que possible. Je suis ma ligne de conduite, qui consiste à vivre dans l’urgence et donc à diffuser vite et largement. Je n’ai pas peur d’une major. Je pense qu’il profite de moi autant que je profite d’eux. Je ne suis jamais rentré dans ce combat ; plutôt l’utiliser que de l’affronter.

Quelle est ta vision de cette nouvelle école hip hop avant gardiste menée entre autres par le label Anticon par exemple ?

Ils sont un peu sur le même champ que moi à la différence qu’ils représentent un peu cette loyauté de l’underground. Je ne critique pas du tout cette attitude car nos compositions se recoupent souvent. Je ne pense pas que ce soit bon que des artistes se tournent systématiquement vers l’underground pour être crédibles. Pourquoi la musique que l’on aime ne serait-elle pas ultra diffusée et reconnue ? La plupart de ces MCs sont impressionnants et très talentueux mais le plus important pour moi c’est l’écriture. C’est ce qui fait sortir un artiste du lot. Une bonne chanson a un début, un milieu et une fin bien propres. Vous pouvez avoir un flow des plus originaux, s’il n’est pas accompagné par une composition digne de ce nom… Les artistes peuvent cracher sur le business des majors ; de toutes façons, ils ne les intéressent pas du fait de leur composition qui n’illumine pas le subconscient des gens comme il le devrait. Regarde At The Drive In, (il chante le tube “One Armed Scissor”) il y a une putain de mélodie vocale. Cela est dû à un travail, à plus qu’une simple habilité d’écriture. Il y a une grande différence entre un parolier et un auteur compositeur. Il y a des artistes dans l’underground qui pourraient être des génies mais peu sont capables de faire des compositions claires et structurées. Ce n’est pas une autre forme d’art, c’est juste un autre niveau. J’écoute la musique en tant que musicien. Je ne pouvais pas faire seulement un disque de poésie parce que j’écris des poèmes. Je me dois de donner une importance indéniable à la partie musicale de mon travail. C’est le problème que j’ai par rapport aux autres poètes qui n’ont pas privilégié autant la musique que moi. La musique a besoin d’être poétique. Le problème avec le hip hop est que tout est porté sur les paroles et que le beat reste toujours le même du début à la fin. J’ai besoin qu’il y ait du mouvement dans ma musique et celle que j’écoute. Il faut de la symphonie. Pourquoi pas ? Nous pouvons tous y avoir accès.

Penses-tu que cette nouvelle étiquette puisse être dangereuse pour le hip hop sachant qu’elle peut être une aubaine au tout et n’importe quoi ?

Il ne faut pas s’inquiéter pour cela. Il y aura toujours des gens qui feront évoluer les compositions qu’ils auront copié à la manière des premiers groupes punk. Je pense que le hip hop ultra commercial ou la Rn’B sont beaucoup plus dangereux que les avant gardistes ou pseudo avant gardistes. Tant que les MCs ou artistes ont cette capacité à expérimenter et repousser les limites d’un courant musical, qu’ils le fassent.

Comment vois-tu le futur du hip hop ?

Il y aura toujours des gens qui stagneront et d’autres comme Mos Def (qui enregistre un album plutôt rock) ou Outkast qui feront avancer la machine. Il y a énormément de MCs qui en auront marre et qui ne le savent pas encore. Il faut qu’il y ait plus de fusion entre les différentes formes d’art. Il faut arrêter de faire de la soupe Rn’B, je ne supporte pas cette musique à la Ja Rule. Même si elle est faite pour vendre, il faut vite oublier cette étape musicale. Il y aura plus de groupes à fusionner les genres, il faut que nous-mêmes redéfinissions les différentes formes d’art. Il y aura toujours aussi des puristes de la lignée de Gangstarr comme Dead Prez, c’est nécessaire. Beaucoup de gens se lassent et expérimentent comme l’a fait récemment Radiohead avec Kid A. Ce genre d’artiste révolutionne l’art musical. Pour le moment il y a une conscience de masse qui fait que tout le monde sonne comme tout le monde. Elle sera avec le temps remplacé à mon avis par des artistes qui voudront se démarquer et qui n’auront pas d’autre choix que d’expérimenter. C’est ainsi que réapparaîtront de véritables morceaux de légende qui marqueront leur époque parce que leurs auteurs auront réussi à atteindre un autre niveau. Mos Def est sûrement un des MCs les plus talentueux. Il a une habileté à faire des chorus inoubliables et je sais qu’il ne s’arrêtera pas là. C’est un précurseur qui sait aller dans diverses directions. C’est un prince du hip hop. Des gens comme cela, il va en falloir… La plupart des MCs d’aujourd’hui ne sont pas talentueux et ne méritent pas l’appellation de musicien qu’on leur attribue parfois hâtivement. Je suis désolé de dire cela, mais c’est la réalité. C’est fou, le rap n’est devenu qu’une vitrine d’attitudes. Les DJs font un travail de création que ne font plus les MCs même s’il y en a toujours qui se contentent de peu. Les rappeurs sont les gens les plus conservateurs que je connaisse. Le hip hop est à la base un langage de rébellion et maintenant les gens se disent que si un disque n’est pas sur Rawkus, il n’est pas bon ! Il y a aussi les gens qui se plaisent à faire la différence entre rap et hip hop alors que cette distinction est très dangereuse. Ganstarr sera mis dans la catégorie hip hop mais ou allez vous mettre Will Smith ? Il peut très bien y être aussi puisque sa musique n’a pas changé d’un poil depuis son époque underground. Si on ne fait pas plus attention au hip hop, ce mouvement va se prendre le même mur de brique que le punk en son temps. Il ne faut pas prendre part à une forme d’art, il faut tout simplement en être une à part entière.

Tu as écrit trois recueils de poésie. Pourquoi ce nouvel exemple de polyvalence ? Sont-ils disponibles en France ?

Ils ne sont disponibles en Europe que par le biais d’internet. Le premier s’intitule “The Seventh Octave” et a été écrit en 97-98. Il regroupe les premiers poèmes que j’ai écris et des chroniques. On peut vraiment y ressentir mon amour pour les mots et cette volonté d’aller encore plus loin. Tout comme dans “She”, le second. Ses poèmes sont liés aux relations entretenues avec les gens durant ma propre évolution. C’est vraiment de la poésie dans la plus pure tradition. Je l’ai écrit ainsi pour montrer le lien entre l’écriture et une certaine révolution tout en restant sur la forme traditionnelle. Le dernier est composé d’écrits datant de 94 jusqu’à aujourd’hui, puisés dans des journaux personnels. Le thème est la découverte de soi même par le biais de l’écriture.

Qu’est ce qui vous apporte le plus de satisfaction entre la musique, le cinéma et la littérature ?

Ca dépend des jours. Je m’investis beaucoup dans le temps présent. Là, je suis en tournée donc je suis pleinement satisfait de ma carrière musicale. Quand je travaille sur un film comme celui que je viens de terminer, c’est pareil. Tout me satisfait au moment ou je le vis. Je suis rassuré aussi quotidiennement car toutes mes activités puisent dans mes capacités intellectuelles. Pour l’instant j’assouvis, donc je vis.

Quel est ton prochain projet ?

Je pense que je suis dans le monde de la musique pour un certain temps maintenant. Le prochain album est à l’horizon et devrait sortir je l’espère début 2002. Il va donc falloir rentrer en studio pour le composer.

Sais-tu déjà comment il va sonner ?

Je ne sais pas. J’ai déjà quelques idées mais les arrangements ne sont pas faits. Je pense qu’il y aura des changements, plus de mouvements, des compositions intéressantes.


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