Interview : El P

Interview : El P

Il se peut qu’il y ait encore des gens qui ne te connaissent pas. Une brève présentation de ta carrière pour combler leur manque…

J’ai commencé le hip hop d’un point de vue professionnel au sein de Company Flow en 1993. Nous avons sorti des maxis et deux albums dont un instrumental sur le label Rawkus. J’ai ensuite continué ma carrière en tant que producteur et j’ai fondé le label Def Jux sur lequel j’ai sorti mon premier album solo et je suis là aujourd’hui avec Murs qui est notre toute dernière signature.

Ton appartenance à Company Flow et ta participation aux premières heures de Rawkus font de toi un des pionniers de ce hip hop que l’on pourrait qualifier d’avant gardiste. Etait-ce primordial pour toi de créer Def Jux?

C’était mon but depuis le tout début. Nous avons créé notre propre label, Official Recordings, en 1994 dont Rawkus était le distributeur. Notre ambition était de profiter nous mêmes de nos potentiels d’artistes et de gérer notre structure indépendante comme bon nous semblait. C’était vraiment nécessaire et j’estime avoir eu beaucoup de chance d’avoir pu mettre au monde Def Jux. Ca nous a permis de rester fidèle à notre philosophie au sein de l’industrie musicale et je suis très fier de cela.

Big Juss a fait de même de son côté. Comment réagis tu face aux difficultés qu’il rencontre avec Subverse?

Big Juss est quelqu’un qui est très changeant, il ne peut pas rester toujours au même endroit ou sur un même label. La seule différence entre lui et moi est l’approche des choses. Mais on a également beaucoup de points communs qui se sont illustrés lorsque nous étions ensemble. En fait, je ne suis pas trop au courant de l’état de Subverse vu que je n’ai plus beaucoup de contacts avec lui. Je ne veux donc pas trop parler de choses dont je ne suis pas au courant…

« Fantastic Damage » a été un des albums les plus attendus de l’année passée. As tu ressenti cette pression et a t-elle jouée sur l’approche artistique de l’album?

Personne ne m’a mis de pression si ce n’est moi. La pression était sur ma propre créativité et le fait que c’était la première fois que je produisais un album tout seul. Je savais qu’il fallait que je produise un album de qualité mais dans le seul but de me satisfaire moi même en tant qu’artiste. Je n’ai pas trop porté d’attention à ce que les gens ou l’industrie musicale en attendaient, ce n’est pas dans cet état d’esprit que j’ai l’habitude de travailler. Je savais juste que j’étais en train de composer un album qui était assez difficile d’écoute puisqu’il était conceptuel et assez cinématique. Je voulais surprendre le public en proposant un album qui ne collait pas forcément avec ce qu’il attendait. « Fantastic Damage » illustre ma personne et l’état d’esprit dans lequel j’étais au moment de le composer. C’est de là que la pression était la plus forte, que mon album affiche véritablement mon orientation artistique. Je ne voulais surtout pas que ça sonne comme un nouveau Company Flow car il ne s’agissait que de moi. Lors de cette expérience, j’ai beaucoup apprécié de prendre le temps de faire des choses que j’avais à coeur et de prendre les risques seul en ne proposant pas ce que les gens voulaient car, en fin de compte, ils ne savent jamais ce qu’ils veulent. Cela n’engage que moi et ma conception de la musique. C’est plus intéressant comme ça, je pense…

Quelles images te viennent à l’esprit quand tu composes?

Je vois plein de choses qui se connectent les unes aux autres. J’imagine des endroits avec beaucoup de gens bruyants. J’essaye de faire une musique un peu déconcertante qui suscite des émotions comme la colère. C’est ainsi que les paroles me viennent, par la provocation d’émotions. Je tente d’approcher la musique ou du moins un album comme un film, avec un début, un milieu et une fin. C’est un challenge pour moi de composer ainsi, de parvenir à retranscrire mes sentiments, mes émotions et de les bousculer en jouant sur les contrastes. C’est ce qui, je pense, est intéressant dans ma démarche.

Sur le livret de ton album, tu as énuméré les différents outils de production que tu as utilisé. Pourquoi? Etait-ce simplement pour que les gens le sachent ou pour dire qu’en fait le plus important est le feeling du concepteur?

J’ai remarqué que sur beaucoup d’albums de hip hop old school que j’écoute régulièrement, les machines utilisées étaient souvent indiquées. C’est intéressant pour les gens qui peuvent ainsi se rendre compte qu’un album peut être produit avec seulement quelques outils. En plus, on me le demande souvent dans des interviews donc le public a ainsi la réponse et cela m’évite de toujours répondre à cette question.

Te considères tu dorénavant comme un producteur à part entière ou un artiste polyvalent?

Je préfère produire, incontestablement. Mais je me considère comme un Mc producteur puisque c’est le Mcing qui m’a amené progressivement vers la production. J’adore produire des albums dans leur totalité. Les gens commencent à me demander de produire pour eux et j’apprécie vraiment cela. Cela permet de donner une couleur assez personnelle à l’album d’un autre artiste et je trouve cela très gratifiant. En plus, cela me permet de faire beaucoup plus de choses différentes que si je n’étais que Mc.

Comment va évoluer le catalogue Def Jux? Comptes tu l’élargir encore en signant des artistes comme Murs qui ne sonnent pas vraiment comme les premiers artistes à être signés sur le label comme Aesop Rock, Cannibal Ox ou Rjd2?

Murs est définitivement un son Def Jux. Qu’est ce qui permet aux gens de dire que Murs ou Rjd2 n’ont pas le son Def Jux alors que nous en sommes qu’au tout début du label? Cela m’amuse un peu… Ces artistes sont sur Def Jux et je continuerai à signer des artistes qui me procurent des sensations. Les gens ont décidé de qualifier le son Def Jux à la fin de la première année d’existence du label, c’est ridicule! Et cela, seulement parce que c’est moi qui ait produit les premiers. Mais le son Def Jux n’est pas seulement le son El P!!! Je ne compte pas dominer le label en imposant mes productions. Je veux juste que Def Jux produise de la bonne musique, rien de plus. Murs se différencie tout simplement de ce que nous avons pu sortir auparavant mais aussi du hip hop mainstream. Je veux, par le biais de Def Jux, sortir la musique que j’aime aussi différente qu’elle puisse être. C’est ma politique avec le label. Je veux mettre en lumière l’approche de ces artistes et ce qu’ils ont à dire. Je marche aux sentiments, à la bonne vibration.

Est-ce cela peut être un piège de toujours servir d’exemple comme Company Flow a pu l’être en tant que groupe et comme Def Jux l’est aujourd’hui en tant que label?

Exemple est un grand mot qui n’a pas toujours de sens. Il y a des réussites et des échecs au sein de n’importe quelle chose ou projet. Rien ni personne n’est toujours au top. Tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant a été des choses auxquelles je croyais. Si tu es honnête dans ce que tu fais, envers ta musique, les gens ou le business, les retombées sont positives et les gens apprécient ce que tu fais. Je n’impose rien, je veux juste contribuer à quelque chose que les gens puissent aimer. Je ne me corromps pas, je suis honnête avec moi même et je ne veux pas qu’il y ait d’incompréhensions de la part des personnes qui m’écoutent. Certains pensent que je devrais détester Jay Z parce que c’est le Mc le plus mainstream et populaire du monde et qu’il est tout l’opposé de moi. Jay Z est un des plus talentueux Mcs. Je n’aime pas cette manière qu’ont les gens de s’approprier les choses, de définir eux mêmes l’orientation musicale d’un label et de décider ce qu’un artiste doit faire, dire ou aimer. C’est dangereux et c’est pourquoi je m’amuse à ne pas leur offrir ce qu’ils attendent. Je suis un être humain et une personne différente à chaque fois que je compose. Pour revenir à ta question, je ne veux pas être un exemple, je ne suis pas quelqu’un qui prétend faire de bonnes choses et qui veut imposer quoi que ce soit aux gens. Nous faisons la musique que nous aimons, point.

Comme beaucoup d’artistes du milieu hip hop, tu as été influencé par des groupes comme Public Enemy. Quels sont les groupes, autres que hip hop, qui ont eu une importance pour toi?

J’ai toujours été un fan de Prince, Art Of Noise, Police, The Clash, Michael Jackson, la pop des années 80 en générale, Devo, Run DMC. J’écoute depuis longtemps plusieurs styles en même temps et cela se ressent sûrement sur mes productions.

Dans « Little Johnny From The Hospital » de Company Flow et « Step Father Factory » de ton dernier album, la maltraitance infantile est suggérée. Est-ce pour sensibiliser les gens à un sujet peu abordé par les artistes en général?

Ce sujet est le point essentiel de « Little Johnny From The Hospital ». C’est en quelque sorte le point de départ de cet album conceptuel et instrumental et une histoire bien spécifique. Cela raconte l’histoire d’un gamin violé par son oncle, chose qui arrive régulièrement aux Etats Unis et ailleurs. Il n’y a pas de lien direct entre cet album et le morceau « Step Father Factory ». La cause des enfants est souvent abordée dans mes productions, certainement à cause du fait que j’ai souvent vu ma mère se faire battre par son mari lorsqu’il était ivre. Je pense que c’est nécessaire pour moi, c’est comme une psychothérapie. La musique me permet de me soigner et de me libérer de choses qui m’affectent.

Un petit mot pour finir sur le conflit actuel entre l’Irak et les Etats Unis qui se propage jusqu’à une certaine incompréhension avec la France. Comment vois tu le désaccord qui règne entre nos deux pays?

Nous ne sommes pas ennemis mec! Tout cela est le fait de nos gouvernements respectifs. Cela ne doit pas avoir de répercussions entre les deux peuples. C’est tout simplement une incompréhension entre la jeunesse et la classe dominante de nos pays. Je n’ai franchement aucune crainte à avoir en tant qu’américain. Je n’ai absolument rien à voir avec ce qui se passe et les décisions du gouvernement américain. Georges Bush a volé les élections et agit aujourd’hui au nom de 100% des américains. Il ne faut surtout pas croire que tout le monde est derrière lui, loin de là. La révolution spirituelle est très mal vue aux Etats Unis, tous les leaders contestataires que le pays ait pu connaître se sont fait assassiner. Aujourd’hui, je n’ai plus de gouvernement, je n’ai plus de pays et je ne veux surtout pas être associé à cette politique contestable. Tout ce que je peux faire est être la meilleure personne possible, voyager dans le monde et me connecter avec de bonnes personnes. Je m’élève avec la jeunesse actuelle.


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