Interview: Clark, techno animal…

Interview: Clark, techno animal…

Signé sur Warp depuis bientôt 10 ans et de retour avec un nouvel album, Clark demeure l’un des piliers du label anglais. Rencontre à Paris avec un artiste posé mais franc et direct, qui n’a pas la langue dans sa poche.

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Pour cet album, tu as travaillé avec des instruments et des voix. Que retiens-tu de cette expérience? Penses-tu que ce disque va influencer tes prochaines productions?

Oui, bien sûr. Utiliser seulement l’électronique est ennuyeux. Je n’avais pas utilisé beaucoup de voix dans le passé. Et je ne sais pas si j’en utiliserai dans le futur, c’est beaucoup trop tôt pour le dire. De toute manière, je me fiche de savoir de quoi l’avenir sera fait. C’est excitant de commencer un album et de ne pas savoir comment il sonnera au final.

Cet album étant le dernier volet d’une trilogie. Cela implique t-il que tu savais déjà dans quelle direction allait aller «Totems Flare» au moment du premier volet? Comment aboutit-on à un tel projet?

Je ne savais pas vraiment que ce serait une trilogie et, d’ailleurs, ce n’est pas vraiment comme ça que je le vois. Je les considère plutôt comme un puzzle. En fait, beaucoup de tracks de «Totems Flare» existaient déjà au moment de «Body Riddle». Je n’avais pas vraiment de plan, c’était plutôt improvisé. Et vu que j’ai produit pas mal de musique ces trois dernières années, j’avais beaucoup de nouveaux titres déjà prêts. L’important était que les gens retrouvent la même énergie. L’artwork des pochettes fait aussi le lien entre les albums, elles sont par certains aspects similaires, comme ma musique.

On dit que «Totems Flare» mixe les mélodies baroques de «Body Riddle» et l’électro brutale de «Turning Dragon». Es-tu d’accord avec cette analyse?

Pas vraiment, je ne pense pas qu’il combine vraiment les deux. Je pense que le son de «Totems Flare» est plus brutal que «Turning Dragon» et qu’il est plus mélodique, plus hypnotique que «Body Riddle». En fait, j’ai essayé de pousser ces expériences au maximum pour donner quelque chose de vraiment différent, même si on trouve évidemment des influences similaires. Ce nouvel album, c’est comme gonfler le ballon encore un peu plus.

clark2D’ailleurs «Turning Dragon» est sans doute ton album le plus singulier, le plus techno dans un certain sens. Etait-ce pour revenir à un son brut, plus direct?

Oui, c’est vrai, parce que je n’avais jamais fait ce type de son avant. Et c’est surtout parce que je n’aime pas me répéter. Chaque album doit être différent. Même si je trouve le son de «Totems Flare» plus brutal, «Turning Dragon» m’a permis d’explorer en amont un côté plus rude de ma musique, plus direct effectivement.

Tu dis que tu ne veux pas t’éloigner de «la force brute de la Pop Moderne». Est-ce pour toucher un public plus large? Peux-tu nous expliquer ce que tu entends par là?

Non, toucher un public plus large n’est pas une motivation pour moi. Je suis intrigué par la pop, et la signification qu’il y a derrière m’intéresse vraiment, ce qui n’a rien à voir avec une quelconque motivation marketing. Certaines personnes ont une image underground d’elles-mêmes et prennent les producteurs de pop pour de la merde. C’est parce qu’elles ne comprennent pas et ne peuvent pas produire de pop. J’ai beaucoup de mal avec ce genre d’attitude arrogante. C’est vrai que certaines productions pop sont simples et dépouillées, mais elles en restent néanmoins incroyables. Idem pour certaines productions du hip hop moderne! Pourquoi ne pas vouloir découvrir le travail de ces producteurs? C’est ce que je voulais dire.

Ton son reste tout de même orienté dancefloor. Pour toi, un artiste electro doit-il toujours pouvoir être joué en club?

J’aime l’idée d’être capable de jouer en club. J’aime cette versatilité. J’aime cette idée très animale de s’adapter quel que soit le contexte, d’être guidé par son instinct de survie. D’être lâché dans une jungle, prêt à être mangé tout cru. Je me vois un peu comme ça, comme un animal versatile capable de s’adapter assez facilement. Mais ce n’est pas pour autant que je veux juste faire des shows dans des clubs. Pour un artiste électro,  jouer dans un club n’est pas une obligation, cela dépend si tu aimes ça ou pas. Mais personnellement, je ne fais pas forcément de son pour que les gens dansent dessus. J’essaye plutôt de dégager une atmosphère, de pouvoir faire sentir des choses aux gens. Tout dépend du contexte dans lequel je travaille.

De quoi sera fait le futur de Clark?

Je n’ai pas la moindre idée de ce que je vais faire dans le futur. Je vais préparer un nouvel album, mais je ne sais pas quand. Préparer un disque, ce n’est pas comme servir au tennis, ce n’est pas du sport. Je n’ai pas de processus de création. C’est une improvisation, cela dépend du contexte, du moment. Je n’aime pas faire de plans dans ma façon d’aborder la musique. Si j’ai des idées, je me rue sur mon ordinateur pour essayer de les concrétiser, mais ce n’est jamais calculé. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi certains albums sont plus hétéroclites que d’autres. «Turning Dragon», par exemple, a plus de constance car la production s’est faite dans une certaine continuité et parce que j’étais dans un mood propice à ce genre de production, plus «techno», plus rude.

Maintenant que Warp s’ouvre beaucoup plus à d’autres genres musicaux, ressens-tu une certaine pression à être l’un des derniers défenseurs du son originel Warp?

Non, en tout cas, pas de la part de Warp. Et laisse moi te dire que je ne me sens pas défenseur d’un son originel. Je préfère me dire que je fais partie, depuis dix ans, d’une génération Warp, au même titre que d’autres artistes. Certains sont toujours là, d’autres sont partis, les choses et le son évoluent constamment. Moi-même j’ai évolué. Il est difficile de parler dans ce cas d’un son originel. Mieux vaut parler de générations. J’aime beaucoup Grizzly Bear par exemple, ou Maxïmo Park. J’aime leur attitude positive et cela apporte de la fraîcheur. Certains, par snobisme, s’étonnent que Warp signe des artistes comme ceux-là. J’aimerais bien voir ces gens un par un étaler leurs arguments face à Steve Beckett qui est dans l’industrie musicale depuis plus de 25 ans. J’aimerais voir Steve les interviewer et leur demander: «Qu’est-ce que je devrais faire avec mon label d’après vous?». Je pense tout simplement que Warp n’a pas besoin d’eux, et que le label sait ce qu’il fait. Les gens ne peuvent s’empêcher de critiquer, et critiqueront toujours. Je suis désolé pour eux.

Le son Warp est qualifié d’IDM (Intelligent Dance Music). Quelle en est ta définition personnelle?

Je n’ai jamais aimé cette appellation, je la trouve honteuse. Cela a dû être inventé par des fans assez limités. Aucun artiste qui se respecte n’aime ce terme. C’est juste une mauvaise blague.

Tu faisais tes études à Bristol au moment où tu as signé chez Warp. As-tu été influencé par la scène locale très riche?

Non, pour la simple raison que je ne connaissais pas d’artistes de cette scène et qu’au fond, ça ne m’intéressait pas vraiment. J’ai des amis musiciens qui étaient sur Londres, avec lesquels j’ai partagé des expériences, à qui je peux demander un avis. Je n’ai jamais été intéressé par une scène musicale en particulier. J’ai toujours préféré expérimenter par moi-même afin de choisir ma propre direction, sans influence particulière. Bien sûr, cela ne m’empêche pas de parfois demander conseil, mais je ne peux pas dire que j’ai particulièrement été influencé par la scène musicale de telle ou telle ville. De la même façon, je ne fais pas de la musique pour telle ou telle audience. Je me fiche pas mal de l’avis des gens. Je fais ce que j’aime avant tout.

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A ma connaissance, tu n’as jamais véritablement partagé un projet officiel avec un autre artiste producteur. Est-ce quelque chose qui t’intéresserait ou pas du tout? Avec qui? Pourquoi?

Oui, ça m’intéresse, j’ai d’ailleurs déjà collaboré avec Bibio, on a fait quelques tracks ensemble. Ce gars est vraiment très très bon. Pour le reste, j’aimerais collaborer avec un vrai groupe de musiciens. J’en ai rencontré qui avaient de bonnes idées, mais la concrétisation du projet n’a pas été très convaincante. J’aime cette idée d’une fusion entre l’électronique et les instruments en live. Il y a toujours quelque chose de magique dans ce mélange. J’aime aussi cette idée d’expérimenter au maximum les possibilités des machines. Pour l’instant, je n’ai pas de projet de collaboration avec un autre producteur. Cela se fera peut-être dans le futur, mais je n’ai pas le temps d’y réfléchir en ce moment.

Tu as fait pas mal de remixes (Maxïmo Park, Amon Tobin, Friendly Fires). Qu’est ce qui t’intéresse dans ce processus et comment choisis-tu les artistes concernés?

Je ne choisis pas les artistes, en général ce sont plutôt eux qui me demandent de les remixer. Evidemment, ce qui m’intéresse dans cet exercice, c’est de changer et de m’approprier leurs chansons. C’est d’imprimer mon empreinte sur leurs productions. C’est pourquoi je préfère que ce soit eux qui viennent vers moi. Beaucoup de gens font des remixes et après vont voir les artistes en leur disant: «Hey, j’ai remixé un de tes titres!». Et ces derniers répondent: «Qu’est-ce qui te fait croire que je voulais que tu remixes ma musique?». L’envie d’être remixé doit venir du producteur originel. Même si j’ai moi aussi fait ce genre de choses dans le passé…

En termes de musique électronique, que ce soit techniquement ou artistiquement, quelle est la dernière chose qui t’ait bluffé?

Techniquement et artistiquement, en étant honnête, je dirais Squarepusher. Je suis impressionné par la façon dont il se sert de sa musique pour se rapprocher de son public. Sinon, je ne suis pas vraiment intéressé par les «mouvements» musicaux, ni par les scènes de telle ou telle région du globe. Le problème de ce genre de phénomène et surtout de ces effets de mode, c’est que tout va tellement vite qu’ils n’ont aucune chance de se développer. Et puis je n’aime pas cette idée de «gangs» musicaux, cette supériorité envers les gens qui ne sont pas dans tel ou tel «gang». C’est comme pour les magazines musicaux. Pour moi, ils ne devraient pas se spécialiser dans un genre précis. La musique ne doit pas être compartimentée. Si on me pose la question sur ce que j’aime, je réponds que j’aime la musique du monde entier. Qu’importe le style du moment, tant que c’est de la bonne musique. Certains ont cette habileté à nommer la musique et à s’en servir pour faire de l’argent. Ils savent créer une mode, imaginer des règles mais tout cela est très éphémère. Certains se jettent sur l’occasion, font un gros deal, connaissent parfois un gros succès et prétendent être des artistes. Je ne vis pas dans leur monde.

On sait par exemple que, dans la vie quotidienne, les comiques ne sont pas toujours drôles. Toi, es-tu aussi torturé que ta musique?

Non, c’est un cliché. Je ne suis pas le reflet de ma musique.

Le mot de la fin?

Destroy musical scenes !

Lire la chronique de “Totems Flare“.


1 Commentaire
  • cuisineanxious
    Posté à 20:27h, 10 juillet Répondre

    Infimes remerciements de la part d’un fan de Clark de la première heure et bravo pour le magazine…Au passage pour les autres, le rainbow voodoo est une tuerie hybride sans pareil !

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