Interview – Blur, la machine n’est pas relancée

Interview – Blur, la machine n’est pas relancée

On l’attendait sans plus trop y croire. Douze ans d’absence, des carrières et projets bien ancrés pour chacun des membres, une embardée solo pour Damon Albarn… Rien ne laissait présager avec certitude la sortie d’un nouvel album de Blur, même si quelques concerts notables comme celui d’Hyde Park en 2012 attestaient de la réconciliation du groupe. Chaque fois, le flot d’annonces contradictoires qui s’ensuivaient, plombaient l’ambiance et faisaient douter les plus fervents croyants d’une éventuelle reformation. Sans la pugnacité de Graham Coxon, ‘The Magic Whip’ – album composite, emprunt des tonalités mélancoliques de Damon Albarn et de la candeur caractéristique du combo anglais – n’aurait donc probablement jamais vu le jour. Jeudi 16 avril, dans un hotel du centre de Paris, on rencontre Dave Rowntree, le batteur du groupe. ‘Non, la machine Blur n’est pas relancée‘ nous lâche t-il, entre ravissement et circonspection.

Les premiers enregistrements de l’album ont eu lieu grâce à l’annulation d’un festival japonais ou Blur était programmé. Penses-tu que, sans cet événement, ‘The Magic Whip’ aurait vu le jour?

Dave Rowntree: Je ne pense pas, en effet. Nous n’étions pas contre le fait de travailler sur un projet commun, mais sans cette date au Japon, ça se serait probablement produit beaucoup plus tard, et ça n’aurait pas été ‘The Magic Whip’, c’est certain. Cet album est un concours de circonstances. On s’est retrouvé à Hong Kong dans le cadre d’un festival dans lequel nous devions jouer, mais le concert a été annulé au dernier moment. Nous nous apprêtions donc à rentrer chez nous, on était tous bien affairés à cette période là, et nos familles se seraient réjouies d’un retour anticipé. Puis on s’est dit que, quitte à être ici tous les quatre, il fallait profiter de l’occasion pour voir ce qu’il restait de Blur. Il y avait un studio en bas de l’hôtel, et nous avions tous nos instruments à disposition… Nous savions qu’une telle occasion ne se représenterait pas de sitôt.

‘The Magic Whip’ marque le retour de Graham Coxon sur un album de Blur. C’est d’ailleurs un peu grâce à lui que ce disque s’est concrétisé. Etait-ce important pour le groupe de revenir au complet? Etait-ce plus ou moins envisagé quand même si Graham Coxon ne s’était pas autant impliqué?

Je ne pense pas qu’on se serait reformé si Graham n’avait pas réintégré le groupe. Quand il est parti, nous avons continué Blur sans lui, nous avons sorti ‘Think Tank’ et assuré une tournée. Mais, honnêtement, ce n’était pas très concluant. ‘Think Thank’ un est un bon disque selon moi, mais ça ne colle pas dans notre discographie. Et puis, en tournée, ce n’était plus la même chose, ça n’avait plus la même saveur à trois. Nous n’étions pas vraiment dans l’optique d’une séparation, mais il a bien fallu se rendre à l’évidence que ça ne collait pas. Nous n’y étions plus. On a donc laissé Blur de coté, et nous nous sommes recentrés sur nos projets respectifs. Puis, il y a quelques années de cela, de belles opportunités se sont présentées à nous, du type Hyde Park pour les Jeux Olympiques de 2012. Ça nous a donné l’occasion de nous revoir, de nous reparler, de se dire ce que ce nous avions à nous dire aussi. Ça n’impliquait pas pour autant le retour de Blur, mais c’était une belle occasion de jouer de nouveau ensemble.

Vous avez donc enregistré ce nouvel album à Hong Kong. A l’image de ‘New World Towers’ et sa ligne de guitare, l’environnement semble vous avoir influencé un peu. Peux tu revenir sur l’importance qu’a eu ce dépaysement pour le groupe mais aussi pour l’album?

Lorsque j’écoute l’album, je ressens les effluves de Hong Kong. L’esprit, le son et l’ambiance sont très emprunts des moments que nous avons partagés là bas, les paroles aussi. C’est une ville bourrée de contrastes, la population y est très dense, les immeubles gigantesques et les rues très étroites, on peut rapidement se sentir claustrophobe là-bas. C’est un peu ce que je ressens sur ‘The Magic Whip’, de grands espaces mais aussi beaucoup de densité et de confusion.

Très honnêtement, quelle a été ta réaction, quelles ont été tes pensées quand tu as appris que Graham travaillait enfin sur les bandes pour concrétiser le travail accompli en studio?

La probabilité d’avoir tous les quatre du temps à passer en studio était relativement mince, celle de finaliser le disque l’était encore plus. Il ne s’agissait pas de tout sacrifier pour remonter Blur, personne n’était dans cette optique-là. Nous sommes tous très accaparés par nos vies maintenant, il nous fallait quelque chose de frais, de léger, sans stress ni pression. Si tu es disponible, parfait, si tu ne l’es pas, on laisse tomber, ce n’est pas grave. Pas question de retomber dans la vieille rengaine, ça ne s’est pas très bien terminé tout ça. Il nous fallait un nouvel équilibre, et surtout quelqu’un qui supervise l’ensemble, sans quoi ce n’était pas réalisable. J’ai trouvé ça super que Graham se propose. Avec Stephen Street (producteur historique du groupe), ils ont vraiment fait du super boulot.

Depuis fin 2008 qu’a été annoncé la reformation du groupe, son existence a toujours paru fragile à en croire les annonces de séparation définitive puis de nouvel album qui se sont succédées. Quelles ont été les plus grosses difficultés auxquelles Blur a du faire face quand vous vous êtes retrouvés?

Nous n’avons jamais fait d’annonce officielle en fait. Voilà comment ça marche: si tu parles à la presse, chose que nous faisons constamment tous les quatre dans des cadres assez différents, l’entretien se termine systématiquement par ‘à quand le nouvel album de Blur?‘. Nous tachons de répondre le plus honnêtement possible. C’est vrai qu’une reformation m’a parfois paru concevable, d’autres fois non. Chacun fait des interviews de son coté, puis tout est ensuite retranscrit en déclaration officielle. Alors, forcément, ça ne colle pas toujours… Nous n’avons pas de problème avec cela, mais c’est vrai que ce n’est pas très fairplay pour les fans. Ceci dit, pour être tout à fait honnête, je dois bien avouer que nous sommes restés plutôt discrets après les sessions de Hong Kong. Nous n’avons rien caché de nos enregistrements studio mais le secret a été conservé sur la sortie du disque. Tout simplement parce que nous n’étions pas certains de le sortir. On ne voulait pas faire partie de cette myriade de groupes qui ressortent un album pourri juste pour remonter sur scène et faire quelques tournées. Nous sommes assez satisfaits de ce que nous avons fait jusqu’à présent, et nous n’aurions pas sorti cet album s’il ne nous avait pas semblé à la hauteur. On était tous d’accord là-dessus.

Tu mentionnes tous ces groupes des années 90 qui se reforment en ce moment. Il y a clairement une sorte de nostalgie qui plane sur les années 90: reformation de Ride, My Bloody Valentine, des Stones Roses, Charlatans ect.. Cela ne semble pas être le cas de Blur dont le public reste plutôt inter-générationnel. As-tu une explication à cela?

Je n’ai mentionné aucun nom hein! (rire) C’est vrai que, pendant les concerts, on pourrait facilement se méprendre si on ne regarde que les premiers rangs avec ces milliers de jeunes gens en furie. ‘Oh, mais mon public est hyper jeune!’ Et puis tu lèves un peu le regard et tu vois que tous les vieux fans sont bien là. Je n’ai pas vraiment d’explication à cela: c’est vrai que ça nous surprend parfois, on se dit qu’une bonne partie de notre public n’était même pas née lorsqu’on a sorti notre premier album, mais ça nous ravit d’avoir la nouvelle génération avec nous. Et puis, c’est rassurant dans un sens de voir qu’ils peuvent écouter autre chose que de la musique à beat répétitif. J’aime bien hein, mais un peu d’ouverture, c’est rassurant quand même.

Rassurant également pour la longévité du groupe?

Ça, je ne sais pas, la longévité d’un groupe maintenant, tu sais… L’industrie de la musique a quand même sérieusement changé, c’est difficile de parler de la longévité d’un groupe de nos jours. Avant, tu pouvais enregistrer un disque, faire un peu de musique, et en vivre. Ce n’est plus vraiment le cas maintenant.

La dernière fois que vous avez sorti un album, c’était en 2003. Depuis, la musique n’est plus travaillée et promue de la même façon. Même si vous avez évolué avec elle via vos projets respectifs, est-ce que Blur a adapté sa façon de faire, sa façon de communiquer en fonction de l’environnement actuel?

L’industrie musicale a beaucoup changé c’est vrai, mais le processus créatif et la production d’un album restent finalement assez similaires: studio, enregistrement, mixage, etc.. Cela dit, c’est vrai que nous avons procédé un peu différemment cette fois, pas pour des raisons techniques mais plutôt organisationnelles. On a alterné les phases d’enregistrement et phases de travail pour Graham et Stephen sur chacun des morceaux. Les éléments ont été ajoutés petit à petit, nous n’avions jamais procédé ainsi auparavant. Et pour la promo, c’est pareil. Finalement, ça n’a pas tant changé que ça, on n’a pas tout remplacé par internet. Regarde, on fait l’interview en face à face, même si c’est dans le cadre d’un webzine. Le process reste assez similaire. On l’attend toujours cette révolution numérique, le ‘game changer’ n’est toujours pas là selon moi!

L’actualité musicale se nourrit sans cesse de revivals. Penses tu que, sous l’impulsion de votre retour (même si Blur ne sonne plus vraiment britpop) ou d’un Noel Gallagher persévérant, on peut prochainement assister à un revival britpop? La génération anglaise actuelle est-elle capable de rivaliser avec celle des années 90 à ton avis?

Mettons le terme britpop de coté parce que ça ne veut plus dire grand chose je trouve, ni pour Blur ni pour personne d’ailleurs, même pas pour les groupes anglais. La britpop, c’est vraiment un truc du passé. En ce qui concerne la musique britannique, je trouve qu’elle a un potentiel incroyable en ce moment, notamment à Brighton où il y a une très forte émulsion. C’est vraiment un haut lieu de création musicale actuellement. Prenons Black Honey pour n’en citer qu’un, ils ont sorti plusieurs eps, ils sont vraiment très bons. Mais j’ai quand même un peu de mal à raisonner en terme de nationalité sur la musique: la qualité est vraiment présente partout maintenant. J’ai une émission de radio sur xfm,donc j’écoute des centaines de trucs chaque semaine pour préparer l’émission. A vrai dire, j’ai parfois le sentiment que, par le passé, ça n’a jamais été aussi bon. Il y beaucoup de groupes africains excellents en ce moment, et un tas de pays tels que le Danemark ou la Norvège qui sont extrêmement productifs. Tous ces pays ont un héritage pop assez pauvre c’est vrai, tout simplement parce que l’industrie musicale n’est pas présente là bas. Aussi bon que tu puisses être, s’il n’y personne pour écouter et promouvoir ta musique, ce sera compliqué de percer. Jamais un label anglais n’aurait pris le risque de les promouvoir et, en ce sens, internet a considérablement changé la donne pour ces pays-là.

On a parfois l’impression que Alex et toi, bien qu’indispensables à Blur, ne font qu’accompagner la longue amitié de Damon et Graham, les deux membres les plus médiatisés du groupe. Est ce une position parfois difficile à vivre et à assumer?

Tu as quand même une marge de manoeuvre qui te permet de choisir où te situer. Ce que je veux dire par là, c’est que tu peux être célèbre à la hauteur de tes envies. Personnellement, je me sens dans la position idéale, j’ai le sentiment d’avoir tous les avantages de la notoriété sans avoir à en subir les conséquences. Honnêtement, j’apprécie assez que personne ne vienne sonner à ma porte au milieu de la nuit, et de ne pas avoir de ‘je t’aime Dave’ gravé sur les murs de ma maison. Je suis dans un groupe connu tout en préservant ma vie privée, c’est une place qui me convient parfaitement. Et puis ce n’est pas mon truc d’être sur le devant de la scène, je suis très bien au fond avec ma batterie. Et ça tombe plutôt bien parce que les batteurs qui veulent occuper le devant de la scène, ça ne se termine généralement pas très bien pour eux! (rire).


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