Interview – Sleaford Mods casse sa laisse

Interview – Sleaford Mods casse sa laisse

Depuis leurs premiers concerts au Chameleon de Nottingham et la sortie d’un premier EP, ‘Wank’, tout est allé très vite pour Sleaford Mods. Au rythme d’un disque par an, et au fil de concerts toujours très remarqués au cours desquels ils ne manquent jamais de postillonner l’insurrection dans leurs micros, Jason Williamson (chant) et Andrew Fearn (production) ont réussi à ériger un mélange très personnel de post punk et de hip hop, et attirer de plus en plus d’adeptes de leur poésie punk hop, à la sauce anglaise. Alors qu’un nouvel album est en préparation pour 2015, que le duo s’apprête à débouler en France, et que des labels influents (Invada et Ipecac notamment) commencent à sérieusement manifester leur intérêt pour lui, on a pu tirer les vers du nez à un Jason Williamson fort en gueule et sans concession. Au final, une certitude – celle que Sleaford Mods est bourré de talent – et comme un arrière-goût de fausse humilité. A moins que, tout simplement, tout aille finalement trop vite pour lui…

Jason, tu apparaissais seul sur scène aux débuts de Sleaford Mods, ce qui est assez risqué et couillu. Etait-ce parce que t’exprimer était un besoin essentiel à cette époque?

Jason Williamson: A un moment donné, après plusieurs expériences en groupe, j’ai arrêté de croire au succès et à toute cette merde. C’est quand j’ai cessé de me préoccuper de tout cela que ma véritable personnalité est ressortie. Je n’ai jamais considéré prendre un quelconque risque aux débuts de Sleaford Mods étant donné que je m’étais débarrassé de toute attente de décrocher un jour un contrat avec une maison de disques. Le contrat est un véritable ennemi pour tous ceux qui créent, mais la plupart d’entre eux ne le voient pas comme ça. Ils sont aveuglés par le mythe.

Sleaford Mods a sorti six albums. Comment jugerais-tu de son évolution? Sur quels aspects pensez-vous vous être le plus améliorés?

La renommée de Sleaford Mods est uniquement due à toute l’énergie qu’on a mise dedans, à toute notre implication. Le fait que Andrew et moi n’ayons jamais rien lâché a, en quelques sortes, offert des garanties à notre évolution. Nous sommes parvenus à faire la musique que nous avions toujours envisagé de jouer. Aujourd’hui, nous excellons dans une nouvelle forme de punk, tout en rendant hommage au hip hop.

Ce qui est intéressant chez Sleaford Mods, c’est cette synthèse de plusieurs époques musicales qui se télescopent avec brio autour d’un rythme binaire. Quelle est votre recette?

J’amène les paroles tandis qu’Andrew s’occupe de la partie musicale. On rassemble ensuite le tout, on produit, on moule… Tout se fait très rapidement à condition qu’il s’agisse d’une bonne session, c’est à dire si j’ai avec moi assez de textes pour alimenter les différentes boucles d’Andrew. Dans ce cas, nous sommes capables de terminer trois ou quatre titres en une nuit.

Ta façon de chanter et les productions minimalistes d’Andrew donnent constamment un sentiment d’urgence et de spontanéité à votre musique. Est-ce quelque chose que vous recherchez, ou est-ce une conséquence naturelle de votre façon de travailler?

Je pense que c’est une conséquence naturelle de l’énergie dégagée. Aussi, les paroles exigent d’être chantées de façon à ce qu’elles respectent la signification que j’ai voulu leur donner. Ça vient peut-être aussi du fait que je ne supporte pas de travailler un morceau sur une trop longue période. Je trouve cela régressif et inefficace.

Jason, tu as 44 ans. Penses-tu que la maturité et l’expérience qui se reflètent dans tes textes vous aident à vous différencier des autres groupes?

Oui, certainement. La plupart des jeunes groupes n’apprécient pas vraiment le fait que deux mecs plus vieux soient meilleurs qu’eux. Mais nous sommes là où nous en sommes parce que j’y ai toujours cru, j’ai toujours cru en moi, comme en Andrew qui a toujours maintenu le cap et continué. Nous avons vingt ans d’expérience en plus que la plupart des musiciens que nous croisons, ce qui est un avantage. Mais le principal reste l’amour pour la musique, et la persévérance.

Penses-tu que ces paroles sont bénéfiques pour une certaine frange du jeune public, peut être fatigué par les stéréotypes de la musique? Est-ce que votre culture de l’authentique et de la différence est la clé du succès actuel du groupe?

Oui, en partie, mais tu serais vraiment étonné de voir le nombre de personnes qui nous rejettent en bloc. Récemment, Noel Gallagher (voir ci-contre) nous a comparés à la grève des mineurs, dans le sens ou les motivations politiques sont – selon lui – ni attractives, ni divertissantes. C’est clair qu’elles n’amusent pas une grosse salope comme lui, exprimant sans détour son dégoût pour un groupe qui s’élève contre le mensonge plutôt que de parler shopping… Grosse salope…

Est-ce que cette volonté de jouer dans des petits clubs anglais rejoint cette idée? Est-ce qu’il y a comme un désir d’aller aux devants d’un public qui ne soit pas encore trop blasé?

Les petits concerts sont ceux qui nous conviennent le mieux, et ça a beaucoup plus de sens qu’on joue dans ce genre d’endroits plutôt que dans des gros clubs. On n’a pas voulu être totalement aspiré par le succès, jouer seulement dans de grandes salles. En plus, ce type d’initiative, comme le contexte des clubs de cette envergure, font que tu marques plus facilement l’esprit des gens. Donc, je pense que tout est positif dans cette démarche. Il y a trop de groupes qui se font bouffer et qui deviennent de vraies salopes.

Aujourd’hui, les nouvelles technologies aident les groupes à faire les choses par eux-mêmes. Est-ce que c’est quelque chose que tu salues ou, au contraire, penses-tu que c’est ouvrir la porte à tout, surtout au médiocre? Quel regard portes-tu sur la scène musicale indépendante actuelle?

Toutes les technologies sont des instruments de création. Après, tout dépend comment tu les utilises. Personnellement, je ne me priverais d’aucun s’ils m’aident à aller dans le sens que je veux, à concrétiser une idée que j’ai. Quant à la scène indépendante, elle est ce qu’elle a toujours été: vivante, à tenter de braver toute la merde existante pour trouver de quoi se nourrir.

Selon toi, qu’est ce qui fait un bon groupe aujourd’hui?

L’honnêteté, les bons arrangements de morceaux, et la compréhension. C’est le facteur X (rires)! 

Quels sont les genres musicaux ou les groupes qui ont marqué ta vie, ta carrière, et qui ont contribué à faire de Sleaford Mods ce qu’il est aujourd’hui?

Si on raisonne en termes de groupes, je citerais avant tout Two Lone Swordsmen, le Wu Tang Clan, les Sex Pistols, The Jam, et quelques artistes folk comme Davy Graham ou Bert Jansch. Je ne pourrais pas choisir entre Sex Pistols et Wu Tang Clan par exemple. Ce serait un trop gros dilemme. Mais il n’y pas de doute que nous sommes certainement plus proches de ces deux groupes que la plupart des autres formations actuelles, surtout parce que notre musique est aussi naturelle et réactionnaire que la leur.

Est-ce que tu écoutes des groupes aussi politiquement engagés que le tien? D’ailleurs, te considères tu comme un artiste engagé ou, au contraire, apolitique? Quelle est ta réaction face à l’indifférence grandissante de la population envers la politique?

Je ne veux viser personne mais, si un groupe ne délivre pas de message, chante des paroles qui n’ont pas de sens, qu’est-ce qu’il fout? A l’heure actuelle, tu ne peux pas te permettre d’ignorer le contrôle exercé par l’élite. Même si tes textes n’abordent pas le sujet directement, je pense qu’il est important d’y inclure quelques commentaires et réflexions sur le manque de liberté que nous subissons dans nos vies respectives.

Vous êtes tous les deux issus de la classe ouvrière. Est-ce que, quelque part, Sleaford Mods a pour mission de parler au nom des autres, en particulier en ces temps de crises qui n’épargnent personne, surtout les moins privilégiés?

Je ne parle que de choses que j’ai vécues personnellement, ou que je vis encore. Par conséquent, je pense qu’il est nécessaire de subir l’oppression pour pouvoir en parler, ou tout du moins avoir une vraie idée de ce que c’est. Il y a beaucoup de façons de la ressentir, autant de manières d’en parler, mais elle nous touche tous. C’est pour cette raison que j’oriente les thèmes de mes paroles dans ce sens.

Est ce qu’il y a parfois des frictions ou des débats improvisés avec le public lors de vos concerts?

Pas vraiment non. Quelques personnes nous hurlent parfois dessus, il arrive qu’on nous jette des trucs bizarres sur la tronche, mais c’est tout. Mais tout peut arriver, on ne sait jamais à quoi s’attendre (rires)

Tu as eu quelques expériences en groupe dans le passé qui ne t’ont pas vraiment convaincu. Dans quelles conditions pourrait-on entendre un jour Sleaford Mods entouré de musiciens?

Ça pourrait arriver. Là aussi, on ne sait pas ce que le futur nous réserve. Je pense que cela doit s’inscrire dans un projet différent, mais je n’ai encore aucune idée sur le sujet. Si nous avons un jour l’impression de tourner en rond, que la formule actuelle finit par nous fatiguer, alors peut être que nous y réfléchirons.

Est-ce que les collaborations ou les featurings sont un bon compromis à cela? Est-ce que vous en avez de prévus?

Oui, il y en a quelques-uns en chantier. Je devrais notamment apparaitre sur un prochain titre de The Prodigy mais je ne sais pas encore si cela va se faire ou non. C’est toujours bien d’écrire et de travailler avec d’autres personnes. De son côté, Andrew a un projet solo très intéressant appelé EXTNDDNTWRK, sur lequel il travaille actuellement.

Pour finir, peux-tu nous citer trois choses qui te font sortir de tes gonds, et trois autres qui te rendent doux comme un agneau?

La critique, les gros batards et les groupes de merde me font péter les plombs. Mon lit, ma famille et une bonne pinte de bière m’assagissent.


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