Interview : Réel Carter (07-2005)

Interview : Réel Carter (07-2005)

Reel Carter

Peux-tu nous résumer ton parcours artistique jusqu’à maintenant?

Je suis un MC/beatmaker qui vient du dix neuvième arrondissement de Paris. J’ai participé à différentes mixtapes comme Label Rouge Volume 3, À l’instinct, Onzemars, Sos Freestyle, Section Est 3… En 2002, je sors mon premier disque “Souffle De Vie” basé sur un concept de featuring (Octobre Rouge, Donkishot, Hanna’m…) et cette année est sorti mon deuxième disque “Essence Du Coeur”, d’ailleurs celui-ci est beaucoup plus introspectif.

Comment définirais-tu ton style de rap?

Ce n’est pas une question évidente, mais on va dire que j’essaie de mettre du sens dans mes écrits, de garder une certaine positivité à travers mon rap. Réflexion et lucidité sont les mots qui peuvent définir mon style.

On sent une grande influence old school dans le choix de tes instrus, plus proche d’un style américain type Native Tongues. Pourquoi ce choix?

La Native Tongue m’a marqué et elle fait partie de mes références, j’ai toujours été fan des groupes comme A Tribe Called Quest, De La Soul, Common parce que leur positivité était importante et aussi parce que leur approche musicale a été plus qu’intéressante. Il était nécessaire pour moi de pouvoir donner une même direction à travers ma musique.

Le fait d’exercer dans l’underground et d’avoir une distribution indé a t-il été un choix ou une nécessité?

C’est plus par nécessité car à un moment il faut évoluer, atteindre ses objectifs. Avant, j’attendais une signature pour pouvoir être produit mais finalement, je m’aperçois qu’aujourd’hui je serais encore sur le quai d’attente si je n’avais pas pris les choses en main. L’autoproduction est une bonne école, on apprend tous les jours en étant sur le terrain musical. C’est à chaque fois du système D mais c’est important car cela permet de se démener pour faire vivre un disque.

Quelle est ta vision de l’industrie du disque et plus particulièrement de la façon dont est utilisé le rap?

Le marché en matière de rap français commence à changer, il y a de plus en plus d’artistes qui étaient signés en major qui reviennent en indépendant (à cause des contrats rendus). D’ailleurs, il y’a de plus en plus de sorties indépendantes car les maisons de disques ne prennent plus de risque artistique. Le chiffre a pris le pas sur la vibe musicale. En matière de radio, c’est saturé… Les grosses passent un rap de plus en plus calibré, ciblé pour une certaine catégorie de personne. Il y a un rap à deux vitesses: un rap hyper médiatisé qui vend mais beaucoup moins qu’il y’a quelques années; et un rap indépendant qui ne connaît pas de juste milieu et qui se trouve sous exposé. Il commence à y avoir de nouvelles branches dans cette scène rap indépendante d’ailleurs: il y a du rap de rue, rap conscient, rap délire. Petit à petit le rap français s’élargit.

Es-tu d’accord quand on dit que le rap est aujourd’hui comme le rock: une musique multiple qu’on ne peut plus définir ou catégoriser d’une seule manière?

Oui; je pense que ça commence à le devenir car il commence à y avoir plusieurs types de rap. Mais en même temps, le rap est toujours victime de ces mêmes clichés qui sont véhiculés par des rappeurs imbéciles qui n’ont pas su grandir et qui n’arrivent pas à avoir une démarche professionnelle par rapport à leur musique. Le rap a besoin de mûrir. D’ailleurs il va mûrir mais il faut savoir être patient.

Quelle est ta technique d’écriture? D’abord le texte et ensuite la version, ou l’inverse?

Généralement, je compose pas mal d’instrus et j’essaie de trouver un thème par rapport au texte. J’essaie de découper mes couplets pour obtenir une cohérence entre chacun d’eux.

Quelles sont, en général, tes sources d’inspiration?

J’observe pas mal ce qui se passe autour de moi. Un fait divers dans une rue, des instants de notre quotidien. La musique, les artistes m’inspirent, tout est question d’humeur et de vibration.

Et à l’inverse, sur quel sujet ne pourrais-tu pas écrire?

Je pense que je pourrais écrire sur tout mais il faut que ça reste pertinent et constructif sinon ça ne sert à rien.

Le rap est de moins en moins engagé politiquement. Penses tu que cela soit dû à le pression médiatique ou au politiquement correct?

Je ne dirais pas pression médiatique mais plus pression économique, les résultats sont demandés dès les premières semaines et si ça ne convient pas, on laisse mourir le disque. Et puis qui dit engagement dit risque de plaire à moins de monde. Mais ta constatation est bonne, il y a de moins en moins de groupes engagés, il y a de moins en moins de contenu. On va dire que le rap vole dans l’air du temps et que forcément le propos est devenu plus aseptisé pour plaire aux plus grand nombre.

Quelle cause ou quel engagement te toucherait assez pour t’investir?

Le racisme, l’intolérance, la pauvreté, la lutte contre le SIDA. Mais finalement, le plus dur ce n’est pas d’en parler mais trouver des solutions pour agir. Le principal n’est pas de dire mais de faire.

Tu parles souvent d’unité et fraternité dans tes textes. Penses-tu que la tendance de ces valeurs soit à la hausse ou à la baisse?

Elles sont plutôt à la baisse. Si on se retrouve dans une situation bancale aujourd’hui, c’est justement parce que cette unité a été mise de coté à cause de l’ego de chacun. Au départ, l’unité était présente parce que le rap venait d’arriver en France. Mais maintenant, depuis que certains artistes arrivent à vivre de leur passion, on retrouve un lot d’opportunistes et de calculateurs qui aimeraient être en haut de l’affiche pour pouvoir toucher une part du gâteau (si il en reste). Pour ma part, je continue mon petit bonhomme de chemin tout en étant régulier, sans prise de tête car je sais que le rap ne va pas m’aider à vivre financièrement parlant pour le moment. Et puis honnêtement, le mot “unité” en 2005 dans le rap sonne comme une utopie.

Tu fais preuve d’un certain humour dans beaucoup de textes ce qui est assez rare. Est-ce une façon de dédramatiser les choses ou de faire passer un message d’une manière différente?

C’est avant tout une façon de dédramatiser les choses. Mais c’est aussi parce que ça fait partie de ma personnalité. C’est important de rigoler, de vanner, de se moquer de soi même puis après des autres. La vie est déjà trop courte, à quoi ça sert de se prendre tout le temps au sérieux? Il faut savoir prendre du recul et relativiser, car finalement la vie tient à très peu de choses.

Tu as un flow très technique, certainement le fruit d’un long entraînement. N’as-tu pas quelquefois la tentation de la facilité afin de produire quelque chose de plus commercial ?

Tu sais à partir du moment où tu vends un disque, tu es commercial car la priorité c’est quand même d’en vendre un maximum. Après vient la manière de le faire. Moi, j’ai décidé de vendre des disques avec une âme et avec du coeur et surtout avec de bonnes références musicales. Je n’ai pas envie de sortir quelque chose qui ne serait pas en adéquation avec ma philosophie musicale, la notion de plaisir doit passer avant toute chose.

Pourrais-tu travailler avec des artistes d’un autre univers musical? Si oui, quel style aimerais-tu explorer?

Si je fais de la musique, c’est aussi pour faire des rencontres et c’est justement en faisant ces rencontres que la musique devient riche. J’essaie de ne pas me limiter musicalement, j’aime découvrir de nouveaux artistes. J’aimerais bien travailler avec des gens du blues, jazz, pop, trip hop, musique africaine, musique antillaise… Je marche beaucoup à la vibe humaine et si le son est bon en plus, la combinaison musicale sera forcément intense.

En dehors du rap, de quel style musical es-tu amateur, et quels artistes t’ont influencé dans ta démarche?

J’aime le jazz, la vieille soul et la nu-soul. J’aime bien la house et la musique du monde. Y’a pas mal d’artistes qui m’ont influencé dans leur démarche. Je pense à des artistes comme Gil Scott Heron, Miles Davis, Roy Ayers, Last Poets…

Quels artistes te font vibrer en ce moment?

En ce moment j’écoute pas mal le nouveau Common (“BE”), j’écoute aussi des anciens trucs comme “Shades Of Blue” de Madlib, “Kamal The Abstract” de Q-Tip, on m’a fait découvrir un trompettiste finlandais, Jukka Eskola, et son album tourne bien. Sinon le Medaphoar et le Raphael Saadiq tourne aussi sur ma platine.

Penses-tu que les artistes ont encore un rôle à jouer dans l’éducation ou la prise de conscience des gens?

Wouawww, “prise de conscience”, “éducation” sont des mots forts, c’est avant tout de la musique… Mais je pense que l’on peut interpeller l’auditeur, on peut essayer de le faire réfléchir. Tant qu’il y aura de la vie, il y aura des artistes pour accompagner l’auditeur vers une certaine réflexion ou une prise de conscience. Ca, c’est indéniable.

Quels sont tes projets?

Continuer à faire vivre mon album…

Le mot de la fin?

Il n’est jamais trop tard pour vous procurez mon album “Essence Du Coeur”. Je tenais à remercier Bokson car vous me soutenez depuis le début donc un gros merci à vous. Je souhaiterais aussi remercier tous les gens qui me soutiennent. Restez vous-même, ne changez pas. Paix.


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