Interview – Geste s’allie à la parole

Interview – Geste s’allie à la parole

Si vous cherchez un peu de fraîcheur math-rock à la française, tournez vous un peu vers Geste, trio émergeant qui sort tout juste son premier album après quelques années de balbutiements. D’abord en solo machines, François-Charles Domergue s’entoure de deux musiciens pour faire évoluer cette entité qui n’attendait que de s’exprimer sur scène, pour finalement aboutir à ‘Marathon‘, condensé de cavalcades instrumentales qui ne demandent qu’à être chevauchées. La magie d’internet opérant une fois de plus, nous les captons tous les trois pour un entretien virtuel pour parler plus en détail de leur musique, de leurs motivations, sans oublier de leur faire cracher une petite playlist…

‘Marathon’ ne dure qu’une trentaine de minutes. Peut-on réellement le qualifier d’album?

Julien (guitare, synthés): Nous avons toujours apprécié les formats courts. Beaucoup de nos albums préférés n’excèdent pas 45 minutes. Notre musique, c’est quand même beaucoup d’informations à la seconde, pas mal de changements d’intensité, de rythmes, et d’ambiance sur chaque morceau… Notre objectif, c’était donc de faire 30 minutes avec rien à jeter, un album qui s’écoute en entier, d’une traite.
François-Charles (machines, basse, synthés): Je crois que Julien a parfaitement résumé notre point de vue sur ‘Marathon’. Aller à l’essentiel en enregistrant en conditions live est apparu comme une évidence pour ce premier véritable exercice en studio. C’est pourquoi, durant ces quelques jours, nous avons délibérément choisi de mettre l’accent sur ces cinq morceaux et pas un de plus, afin de ne pas nous perdre dans du remplissage inutile ou des arrangements trop pesants. C’était un vrai défi à chaque chanson pour mettre en valeur chaque thème et chaque variation, chaque rupture et chaque montée.

Pourquoi l’avoir intitulé ‘Marathon’?

On a tourné un moment en rond avant de s’arrêter sur un nom qui nous plaise. La course, la cavale, l’échappée belle, ce sont des images qui ont souvent été suggérées par nos amis depuis les premiers lives et enregistrements. Et là, soudainement, au détour d’une conversation dans le canapé, on s’arrête sur le mot ‘Marathon’. L’image du mouvement dans la foule, dans le temps, dans l’espace et dans l’effort nous a sauté à la gueule comme une évidence. Une course contre soi-même entraînée par les autres.
Julien: Le marathon, c’est une course de fond, où il faut fournir un effort continu, sans trop se presser non plus au départ. On a l’impression que c’est ce qui se passe avec notre groupe, tant au niveau de la composition que du rythme auquel on se produit en live. Il faut en garder sous le coude pour pouvoir accélérer au bon moment!

Geste s’est maintenant étoffé en version électrique, avec un guitariste et un batteur. Pourquoi conserver l’autre entité électronique, en solo? Y aura-t-il d’autres sorties solo?

François-Charles: C’est vrai qu’on peut s’interroger, parce que depuis juin 2011 et notre Ep ‘Howard B.’, l’accent a tout particulièrement été porté sur le trio live de Geste. Mais je n’ai pas pour autant remisé les machines au placard, bien au contraire. Si ‘Eating Concrete’ date de 2011, je continue de remixer les musiciens rencontrés sur la route ou en studio (A Band of Buriers, Signal², Turnsteak, Andreikelos…). Je me produis toujours sur scène quand l’occasion se présente. J’accumule squelettes, mélodies, morceaux presque aboutis, samples d’éléments nous servant dans le trio électrique, et tests sonores faits dans la cave. Sortir un nouveau vinyle solo pour la fin de l’année 2014 ou le premier semestre 2015 est l’un des objectifs pour Geste. Mais avant cela, on va se donner rendez-vous en live parce que c’est bien le meilleur endroit pour essayer toutes ces envies avant de choisir de les fixer dans le PVC! D’ailleurs, surveillez de près le mois de mars 2014 prochain, où Pierre the Motionless, Swordplay, et We Are Disco Doom Revenge m’ont invité à les rejoindre en solo/machines pour une tournée d’une semaine tous ensemble. Ca va être bien bonnard!

Geste en solo sort des maxis chez Equinox, et Geste en trio sur Fin de Siècle, un petit label parisien. Comment avez-vous atterri sur ce dernier? Tu peux nous en parler en quelques mots?

Julien: Nos amis de Fin de Siècle suivaient Geste solo depuis un moment déjà. Ils nous ont contacté au moment de lancer leur label. Nous sommes ravis d’avoir été leur première signature.
François-Charles
: On a rencontré Dominique et Alexandre le 9 janvier 2010 lors du festival Sonor Fest 3 dans les Yvelines par Sonor Asso. L’association avait fait venir Geste en live sur leur plateau initialement en version solo et machines puisqu’ils connaissaient les sorties chez Equinox Records. Nous commencions à jouer ensemble depuis trois mois en trio, et en avons alors profité pour faire la deuxième moitié du concert en groupe. Depuis cette prestation, nous avons eu l’occasion de nous voir régulièrement en concerts ou en soirée, et d’échanger nos projets respectifs. C’est assez naturellement que nous avons choisi de travailler ensemble en 2011 pour le ‘Howard B.’ EP. Nous continuons donc avec Fin de Siècle, une structure modeste et passionnée par ce qu’elle fait! Je profite de l’occasion pour rendre hommage à Equinox Records qui a fermé ses portes à la fin de cet été 2013 après cinquante sorties en dix ans d’existence. C’est grâce à cette première signature en Allemagne en 2008 (‘One Year & a Day vol.2’) que les gens ont pu prendre connaissance de l’existence de ce projet. Le grand monsieur derrière tout ça, c’est Dj Scientist qui a toujours été de très bon conseil pour Geste, quelle qu’en soit la forme. Merci à lui.

Ce mec qui tombe tout seul sur la pochette, qu’est-ce que ça signifie?!

Julien: Au cours d’un marathon, le coureur peut ressentir une défaillance physique appelée ‘le mur’, qu’il faut franchir pour terminer la course. On aime bien l’image du mur, qu’on se prend parfois en pleine poire. Au final, faire un groupe, c’est une question d’endurance, de capacité à se relever quand on s’est cassé la gueule.
François-Charles: Je crois qu’on peut voir beaucoup de choses dans cette photographie de Nick Ballon. Par exemple, es-tu vraiment certain que le mec tombe tout seul? Il y a quelque chose qui relève de la narration dans cette image.

Votre musique est pleine d’énergie, avec une grosse importance accordée aux mélodies. Comment composez-vous? S’agit-il de morceaux faits sur laptop et revus en version instrumentale?

Julien: Nos premiers titres étaient des adaptations de morceaux existants, composés sur laptop. Je pense à ‘Flavor’ ou à ‘Jawbreaker’, et aux deux morceaux de l’EP ‘Howard B.’. La plupart des titres de ‘Marathon’ sont composés en trio: ‘Citizen Ken’ ou ‘Hawkins’ partent par exemple d’un riff de guitare. ‘Write or Die’ est un bon mix de tout cela: certains riffs sont issus de tests en répétition, et d’autres de riffs électro transformés pour les instruments.
François-Charles: En fait, ça part un peu dans tous les sens quand il s’agit de créer du contenu musical. La première impulsion qui va donner un morceau peut venir de partout: d’une idée sur ordinateur, d’un bout d’improvisation en répétition, d’un instrument seul ou d’une simple idée dans notre tête. Ensuite, on tente d’adapter ça à trois dans la cave où nous répétons. La mélodie est très souvent le fil conducteur qui nous permet d’écrire différentes parties que nous essayons ensuite d’assembler entre elles.

Vos morceaux sont faits de plusieurs phases et passent par plusieurs stades d’émotion. L’un des meilleurs exemples est ‘Hawkins’. Avez-vous l’intention de raconter une histoire avant d’entamer un morceau? Ces cinq tracks instrumentaux racontent-ils vraiment quelque chose?

‘Hawkins’ est un morceau qui s’est un peu présenté de lui-même au fil d’une improvisation. Il y a eu quelque chose de très simple et de presque évident dans ce qui se dégageait. Après quelques essais, nous avons décidé d’adopter un langage assez minimal. Bien que ce soit le morceau le plus long et le plus chargé, il y a une ligne directrice presque cinématique.
Julien: ‘Hawkins’ ou ‘Flavor’ sont vraiment composés comme des histoires. Quand on a écrit ces titres, on voulait des images, un récit, en cherchant la manière dont on pouvait exprimer ces histoires en musique.
Mathieu (batterie): Pour ma part, l’envie de raconter une histoire précise ne vient pas en amont de l’écriture. L’idée de base est toute simple: ‘faisons un morceau et jouons-le’. Ensuite, lorsque les premiers éléments se mettent en place, le langage musical entame lui-même une narration. Et c’est à ce moment là que la question se pose le plus: cette histoire, qu’est-ce qu’elle nous raconte? L’idée ensuite, c’est d’expérimenter, de construire, et de s’amuser avec. Après, je pense que les morceaux racontent ce que tu as envie qu’ils te racontent. Même pour nous trois, ces cinq morceaux ne nous parlent pas forcément de la même manière. Mais c’est aussi ça qui est intéressant. Il y a autant d’histoires différentes que d’oreilles attentives à la musique.

Je suppose que Geste n’est pas votre première expérience en groupe. De quel milieu musical êtes-vous chacun issu? Comment avez-vous trouvé une cohésion de groupe? Était-elle évidente dès le départ?

François-Charles: A la maison, j’ai grandi avec les CDs de variété et de rock de mes parents, et ceux de grunge et fusion de ma grande-soeur. J’ai aussi écouté pas mal d’électro et de métal. Puis, après le lycée, j’ai pris une basse, quelques cours, et j’ai rejoint Mathieu et Julien qui jouaient du rock ensemble depuis des années. On est devenu de très bons potes, et si les années suivantes nous n’avons pas toujours joué ensemble, lorsque nous nous sommes essayés à jouer pour Geste, nous avons pu mettre le doigt sur des sensations qui humanisaient une musique parfois trop froide puisque sortie d’un ordinateur. Forts de nos expériences personnelles dans différents groupes, et d’une culture musicale où nous partageons énormément de références depuis des années, on s’est attelé à trouver un équilibre entre les envies et les points forts de chacun au service d’une musique instrumentale, déjà assortie d’une identité très électronique et progressive.
Julien: J’ai une culture musicale très ‘pop historique’ (Bowie, Smith, etc…), cette culture du ‘hook’, le petit riff de guitare que tu gardes en tête à la fin de la chanson. J’aime aussi la musique plus ambient, planante, les longues nappes, les sons aériens… Certaines grattes un peu psyché dans Geste vont dans ce sens. On a tous un bagage musical assez différent, et on se bat chacun pour défendre nos idées. La cohésion vient avant tout du fait que nous sommes amis depuis qu’on est gamin.
Mathieu: J’ai fait mes armes avec Julien dans le garage familial, il y a plus de quinze ans, en reprenant des classiques 70’s. Ensuite, on a commencé à creuser dans le rock et affiliés. FC nous a rejoint quelques temps après, et c’est dans les années qui ont suivi qu’on est devenus de plus en plus impliqués dans ce que l’on faisait, à écouter et écrire de la musique. On se nourrissait les uns les autres, en échangeant beaucoup de disques, en discutant des heures durant à propos de la composition, avec tout ce que cela implique. On s’est formé comme ça. Puis, au fil des rencontres, on a commencé à définir chacun un horizon musical vers lequel notre regard se porte. Et on ne regarde pas forcément tous dans la même direction aujourd’hui. Plus on essaye consciemment de tendre vers une cohérence globale, moins ça marche. Pour moi, l’intérêt est ailleurs. On a tous nos particularités, et on n’est jamais plus efficace que lorsque chacun fait ce qu’il sait faire de mieux. Là se fait la cohésion de groupe. ‘Write or Die’ en est un exemple, je pense.

Vous avez beaucoup tourné à Paris, et vous êtes récemment partis en Chine. Comment s’est présentée cette opportunité? Quelle a été la réaction chinoise au son de Geste? Avez-vous mangé du tofu puant?

Julien: Nous sommes partis en Chine grâce au réseau des Alliances Françaises, qui ont aimé notre musique et ont fait le pari de nous faire jouer là-bas. On a eu des réactions très enthousiastes, notamment à Hong Kong, où il y a encore une réelle ébullition et un gros enthousiasme autour du rock sous toutes ses formes.
François-Charles: C’était assez fou dans le sens où on a postulé auprès de leur jury par email… Et des mois plus tard, on reçoit finalement l’avis de sélection. Ensuite, tout s’est fait très vite, un brin dans l’urgence, on a à peine eut le temps de comprendre qu’on était déjà dans le bus entre Shanghaï et Hangzhou… Les réactions étaient vraiment positives une fois sur place, le public chinois et hong-kongais est vraiment ouvert à la musique amplifiée et au mélange.

Quelle question auriez-vous aimé que je vous pose?

Julien: Pourquoi ne vous produisez-vous pas plus souvent, surtout en France?
Mathieu: Mais ça a vraiment une odeur le tofu?
François Charles: C’est quand le prochain concert ?

Qu’y auriez-vous répondu?

Julien: Nous cherchons un booker. Tout ce qu’on demande, c’est de jouer d’avantage!
Mathieu: Pas vraiment.
François-Charles: On jouera samedi 7 décembre 2013 à la Flèche D’or avec Enablers (usa) et Binidu (fr) à Paris. Ça sent la fiesta!

Pour terminer, pouvez-vous chacun nous faire une playlist de trois morceaux essentiels?

Purple Confusion – ‘Return to Nassau’

François Charles: Ça chafouine de partout. Y a qu'à se laisser porter, et ça fait du bien.

Jacques Brel – “Je Suis Un Soir d’Été’

François Charles: Une orchestration radicale par son minimalisme, et des paroles qui démontent. Un de mes morceaux préférés.

Talk talk – ‘Ascension Day’

Julien: C’est de la peinture!

Television – ‘Marquee Moon’

Julien: Rien à expliquer, ce titre est un sommet.

Guns n’Roses – ‘Rocket Queen’

Julien: Un des morceaux que j’ai écouté le plus de fois entre mes 12 et 20 ans

Le Mystère Des Voix Bulgares – ‘Erghen Diado’

Mathieu: Moderne et audacieux (pas ce à quoi on pense le plus pour de la musique dite traditionnelle), pratiquement que de la voix, une impression de passer par énormément d’états émotionnels différents, très riche et se basant sur une technique vocale irréprochable. Impressionnant et envoutant.

Scholastic Deth – ‘The Revolution Will Not Be Posted On Ebay’

Mathieu: Une des définitions de l’énergie, chaque seconde est un coup de fouet, rapide et binaire. Parfait.

Mark Hollis – ‘The Colour Of Spring’

Mathieu: Vingt secondes de silence en début de morceau, comme pour rappeler que le son naît du vide. Une très belle expression de l’épure. Et parce que Talk Talk était déja pris.

King Crimson – ‘Starless’

François Charles: Ce morceau est issu de ‘Red’, pour moi le meilleur disque de tous les temps. La mélodie reste gravée dans le crâne, le chant est sans prétention, et les changements d’ambiances sont garantis!

Crédits photo: Jung Kim & V.Bitaud


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1 Commentaire
  • E1000
    Posté à 14:28h, 09 décembre Répondre

    Excellente playlist !

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