Interview – Factory Floor, opération mutation

Interview – Factory Floor, opération mutation

En écoutant ‘25 25‘, le deuxième album de Factory Floor, on constate que le groupe a fait sa mue. Loin de la guitare et des ultimes éléments qui pouvaient le raccorder au rock vivotant par endroit au sein de son premier disque, l’ancien trio passé duo opère une lente symbiose avec les machines. Amorcée par l’acquisition d’un synthé modulaire et d’une nouvelle communication, cette petite révolution tape à la porte des clubs, présentant huit nouveaux morceaux faits d’acid, de house et de techno. Derrière cette évolution, on trouve un quotidien mouvementé en raison du départ de Dominic Butler, la destruction de l’entrepôt ou il répétait, et la relocalisation géographique des deux membres restants que l’on a retrouvé à Paris le temps d’une demi-heure pour qu’ils reviennent en profondeur sur ce nouveau chapitre.

En 2013, vous êtes passés d’un trio à un duo après le départ de Dominic Butler. Qu’est ce que vous avez retiré de cette nouvelle configuration ? Comment votre communication a t-elle évolué suite à ça ?

Gabriel Gurnsey : Ca a changé énormément de choses. On est plus concentré, c’est aussi plus facile de parler lorsqu’on est deux (rires). Notre communication est devenue plus rapprochée. C’est difficile à décrire, mais il y a plus de fluidité entre nous. Avec Nik, nous n’avons pas peur de nous dire des choses du genre : ‘oh tu ne voudrais pas essayer ça ?‘ ou ‘je n’aime pas trop cette partie‘. Avant nous avions l’impression d’être tous dans des coins séparés au sein du groupe. Aujourd’hui, nous travaillons ensemble sur tous les éléments. C’est vraiment positif.

J’ai vu que vous aviez aussi évolué en termes de matériel. Nik, tu as abandonné la guitare pour te concentrer sur le synthé modulaire. Quand as tu commencé cette évolution, et qu’est ce qui t’a motivé à changer ?

Nik Void : La transition s’est faite il y a un an et demi à peu près, j’ai changé parce qu’avec la guitare j’utilisais des techniques très différentes que je passais à travers plein d’effets, mais j’avais l’impression d’avoir fait le tour de tout ça. Pour ce deuxième album, je voulais changer, évoluer, parce que je pense qu’on ne compose pas des morceaux traditionnels, et je ne me considère pas comme une vocaliste. J’aime manipuler les sons, et le synthé modulaire me semblait être une excellente manière d’utiliser tous ces outils, c’était très excitant. Et je me suis retrouvée à y dépenser tout mon argent, c’était n’importe quoi (rires) ! J’aime vraiment me perdre dedans, les synthétiseurs des dernières années sont assez compliqués, mais il y a toute une communauté de passionnés qui est prête à t’aider et à t’en parler.

Est ce que tu avais des amis qui s’y connaissaient et qui pouvaient t’aider ?

Oui, certains m’ont expliqué leurs choix. C’est vraiment un marché énorme, il y a tellement de possibilités. C’est quelque chose de très personnel, il y a des trucs qui marchent pour certaines personnes et pas pour d’autres. J’ai eu la chance de pouvoir en parler à Chris Carter notamment. J’ai commencé à jouer avec l’Atlantis qui est influencé par le SH-101. Le staff de chez Atlantis était très heureux de m’aider à comprendre cette machine, et pas seulement parce que je voulais acheter leur matériel, mais aussi pour m’aider à acquérir les bases. Si tu veux apprendre quelque chose de nouveau, tu dois passer par des experts. Si tu es ouverte, et si tu poses des questions, ça t’aide et c’est littéralement ce qui s’est passé. Si tu lis trop de trucs à coté, en te contentant de commander du matériel, sans parler aux gens en vrai, tu finis par te retrouver bloqué.

Est ce que c’est facile à utiliser sur scène ?

Hum, non je ne dirais pas ça.
Gabriel Gurnsey : Ca fait partie du charme.
Nik Void : Pour l’instant, nous avons eu la chance d’apprendre en faisant des concerts improvisés et de travailler avec des gens qui font de la musique depuis les années 80, qui n’ont pas peur d’improviser sur scène et d’être radicaux dans leur approche. Quand tu as un matériel qui peut parfois sortir des sons incroyables ou, au contraire donner des sonorités affreuses, tu l’intègres à ce que tu fais, et tu l’acceptes, et le public doit l’accepter aussi. Quand tu observes quelque chose qui peut s’écrouler à tout moment, ça rend le concert excitant, et le live prend tout son sens dans ce type de moment.

Et ça rejoint la part d’improvisation qu’il y a toujours eu dans Factory Floor. Néanmoins, comment est ce que vous jouez avec cette manière assez libre de composer, et les règles que vous vous fixez ?

Gabriel Gurnsey : D’abord, on pose les éléments basiques du morceau, et on laisse l’instru se dérouler. La plupart des morceaux sont des prises live, on laisse tourner l’enregistrement. On fait ça en une ou deux prises. Je ne pense pas que nous soyons allés au delà de deux pour cet album. On appuie juste sur enregistrer, on joue et si ça sonne bien, on le garde. Et c’était fun parce qu’on se sentait à l’aise avec cette manière de procéder. Pour le premier album, on était plus soucieux de la façon dont chaque élément devait sonner.

Au cours des dernières années, vous avez joué dans des endroits différents : des clubs, des salles de concerts… Quelle différence vous faites entre les deux ?

Nik Void : Je pense que la différence se joue surtout selon l’horaire à laquelle nous jouons. Si on joue à 2 ou 3h du matin, on sait qu’on va faire un bon concert dès les premiers kicks de batterie. Nous nous nourrissons de la réaction du public, même si je ne regarde jamais la foule parce que je suis concentrée et que j’ai trop peur. Mais tu peux le sentir. Dans le contexte d’un festival, le public est éloigné, tu es au milieu des champs. Mais, ce qui est cool pour ces concerts, c’est qu’il y a toujours une super organisation, avec des équipes qui t’aident et des sound systems qui sonnent très bien. Mais c’est plus impersonnel. Dans un club, c’est plus intimiste. Quand on y joue, on est épuisé à la fin de notre performance tellement ça nécessite plus de préparation et de concentration.

A quel point ça vous a influencé pour le nouvel album ?

On a fait quelque chose de minimal avec cet album : quelque chose qui fait danser les gens de manière instinctive, avec un certain type de beat, un certain son de basse, et c’est ce que nous avons appris dans les clubs.

J’ai lu que l’entrepôt où vous aviez l’habitude de répéter a été démoli. Je suppose qu’il n’y a pas de lien entre les deux mais, avec la fermeture de la Fabric, comment est ce que vous voyez l’évolution urbaine de Londres ?

Gabriel Gurnsey : Ca ne s’annonce pas très bien.
Nik Void : C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons quitté le nord de Londres. A moins que tu payes un loyer mirobolant, ce que nous ne pouvons pas nous permettre dans notre situation.
Gabriel Gurnsey : Apparemment, notre entrepôt a été détruit en raison du développement de la zone. Ils veulent reconstruire des appartements très cher par dessus, et je pense que c’est ce qui se passe avec la Fabric. Ils veulent le transformer en un musée. Ils se débarrassent des signes apparents, des espaces culturels qui représentent Londres, et c’est vraiment scandaleux. Cette ville est en train de s’aseptiser.
Nik Void : C’est l’endroit ou aller pour les banques en recherche d’investissement. C’est une honte pour tous les jeunes artistes qui veulent s’y implanter, pour les antiquaires.
Gabriel Gurnsey : Alors qu’à Berlin, un endroit comme le Berghain est protégé, et complètement intégré dans la culture. J’aimerais que l’Angleterre s’inspire de ça. La plupart des gens que je connais à Londres depuis le début du groupe sont partis ou se sont retirés dans la banlieue. C’est très triste.

Vous avez tous les deux changé de location pour cet album. Nik, tu es allé à Norfolk, et toi Gabriel, à Manchester puis Los Angeles pour revenir enfin à Manchester. Comment est ce que ces changements géographiques ont influencé la manière dont vous travaillez ?

Nik Void : C’est super parce que, quand tu composes pour un album, tu dois aussi te soucier de savoir comment les morceaux s’accordent les uns avec les autres. On pouvait faire tous ça de chez nous, ajouter des vocaux, des percussions. Nous avons les mêmes équipements, ce qui nous permettait de travailler d’abord individuellement dessus, de se les renvoyer et de les rectifier. Avec le décalage horaire, il allait se coucher pendant que je travaillais sur le morceau, et quand il se réveillait il en avait une nouvelle version sur laquelle il pouvait retravailler.
Gabriel Gurnsey : C’est comme si il y avait deux journées en une seule.

Qu’est ce que vous recherchiez dans ces endroits très contrastés ?

Nik Void : Norfolk, c’est vraiment la campagne, c’est là où j’ai grandi. Je voulais aller dans un endroit ou travailler au calme. C’est à deux heures de Londres. Je voulais pouvoir me concentrer loin de l’agitation, et c’est plus facile pour gérer les paparazzis là bas ! (rires)
Gabriel Gurnsey : Je voulais bouger à Los Angeles depuis un moment, et je sentais que tout départ ailleurs aurait été un retour en arrière. Los Angeles est très propre, très grand, et c’est vraiment une ville incroyable. J’ai beaucoup aimé, mais la saleté anglaise me manquait (Nik s’esclaffe). Los Angeles est très décontracté, alors que l’Angleterre est plus stressée. Cette tension me manquait, mais j’ai bien aimé les palmiers, les pastèques et le soleil.

Entre les deux albums de Factory Floor, vous avez collaboré avec Mark Stewart de The Pop Group, et Chris Carter. Quel impact ont-ils eu sur votre carrière ?

Nik Void : Le truc que j’aime avec Mark Stewart et The Pop Group, c’est le premier album, ‘Y’, qui mélange une grande liberté et des sons très durs. C’est un type passionnant, son imagination est incroyable. Mais de manière générale, il n’y a pas de sensationnalisme chez ces gens là. Mark, Chris, Cosey sont des personnes qui ont vécu pour leur musique et rien d’autre.
Gabriel Gurnsey : Ils sont juste sincères, et je pense que c’est ça la plus grosse influence qu’ils ont sur nous : ne pas avoir peur, ne pas se cacher.

 


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