Interview – Ez3kiel, du carburant dans l’imaginaire

Interview – Ez3kiel, du carburant dans l’imaginaire

Avec le départ du batteur Mathieu Fays, et l’arrivée d’un nouveau bassiste en remplacement de Yann N’Guema relégué dans l’ombre pour s’occuper à plein temps de la partie visuelle, les gars d’Ez3kiel ont remis le pied à l’étrier affectés d’importants changements qui n’ont en rien altéré leur créativité. A ce titre, leur excellent nouvel album ‘LUX‘ est comme d’habitude synonyme de nouvelle mise en scène. C’est pourquoi il n’était absolument pas envisageable de les rater lors de leur énième passage à l’Aéronef de Lille, histoire d’en prendre plein les yeux mais aussi d’en profiter pour discuter de ce nouveau départ après l’aventure en version musique de chambre du Naphtaline Orchestra…

Vous sortez de l’expérience ‘Naphtaline Orchestra’ qui a demandé beaucoup de travail et mobilisé du monde. Comment avez-vous fait pour vous replonger en formation quatuor? En aviez-vous envie depuis longtemps?

Johann: On a pris notre temps. Le principe de collaboration est une chose qui nous motive depuis le début. Quand on a la tête dans le guidon, on a du mal à juger le temps. On a quand même fait une trentaine de dates avec le concept ‘EZ3kiel extended’. Après cette tournée, on s’est dit qu’il serait bien de se recentrer sur nous. Il y a aussi eu le départ de Matthieu (l’ancien batteur, ndlr), l’arrivée de Sylvain en tant que bassiste, et Yann qui a voulu se concentrer sur son poste graphique et vidéo. Notre manager a aussi changé, il y a eu pas mal de mouvement. C’est pour ça aussi qu’on a mis du temps à retrouver nos marques et une cohésion dans le groupe. C’est bien, car ça permet aussi de remettre les choses à plat et de repartir un peu à zéro. En tous cas, quand on y repense, c’était dur sur le moment. Maintenant, on a sorti l’album et déjà fait quelques dates, donc on n’y pense plus trop, et on regarde devant nous. Mais il y aura d’autres collaborations, on fait un peu de la musique pour ça!

Certains morceaux existaient-ils déjà ou êtes-vous réellement repartis à zéro?

On est reparti de rien. Il y a au moins vingt morceaux ou bribes que l’on a jetés. Le plus gros a été fait le temps d’une année, mais certaines idées datent d’au moins trois ans. Avec EZ3kiel, on marche un peu comme un labo, on expérimente des choses. Pour ma part, sur les machines, le fait de bosser sur un nouveau logiciel avec l’Extended a été le point de départ de mon travail sur ‘LUX’.

L’une des grosses nouveautés est aussi cette volonté de Yann de se consacrer à la partie vidéo. Est-ce que ça signifie qu’on ne le verra plus sur scène?

Stéphane: On ne sait pas encore. Il y a trois musiciens sur scène, Yann est derrière, et il a un rôle primordial. C’est lui qui a créé et imaginé cette matrice. On échange aussi beaucoup d’idées entre nous. Même s’il ne fait plus de basse, il reste musicien et possède une importante sensibilité.
Sylvain: Il n’est pas exclu qu’on se retrouve à quatre sur scène plus tard.
Johann: Et peut-être qu’un jour, moi, je serai l’ingé-son! (rires)

Sur vos anciennes tournées, l’image réagissait automatiquement au son. Ici, on dirait qu’il y a un réel pilotage. Quel est exactement le concept visuel de ‘LUX’?

Sylvain: Il s’agit d’un mur de lumière derrière nous, composé de 48 magic panels, eux-mêmes composés de 36 LEDs. Ces 48 machines sont autonomes et en même temps synchronisables. Yann a développé un logiciel pour pouvoir piloter tout cela. Je pense qu’il voulait passer le cap de la projection sur scène, même si on trouve encore un peu de vidéo et de figuration, parce qu’on a moyen de projeter sur l’envers des panneaux, et que ça nous permet de varier les plaisirs! Son travail est beaucoup plus axé sur la matière et ces tableaux lumineux.

Vous êtes aujourd’hui réputés pour votre forte identité visuelle. Pourriez-vous un jour faire sans désormais

Johann: On l’avait fait avec Hint, et ça ne nous a pas spécialement manqué. On voit la chose comme un tout. Puis quand on compose l’album, il n’y a pas de projection derrière nous.

Mais quand vous composez, réfléchissez-vous en même temps à l’impact de la musique sur les visuels?

Oui, on essaie de faire en fonction pour ne pas se laisser piéger, comme ça nous est déjà arrivé. Le point de départ de ‘LUX’ était surtout de jouer un maximum et de remonter sur scène le plus vite possible.
Sylvain: On a essayé de s’affranchir au maximum des séquences, des clics… Il y en a encore mais on a essayé de faire vivre la musique le plus possible. Je n’étais pas là avant, mais je pense qu’il y a moins de contraintes techniques pour cet album. Pour revenir à ta question sur le fait de jouer sans visuel, on n’a pas essayé sur ce set-là. Le souci – qui n’en n’est pas un – est qu’on s’est habitué à cette espèce de cohérence son/lumière, et c’est vrai que c’est un peu la marque de fabrique du groupe.

Sylvain, comment es-tu arrivé dans le groupe?

(Joan mime une fellation, ndlr)

Sérieusement? Tous les trois? (rires)

Sylvain: Ça a été la surprise, un coup de fil de Jo. En fait, ils m’ont bien eu. Ils m’ont proposé de prendre la basse pour l’Extended puis, en milieu de tournée, ils m’ont embrigadé pour le long terme!
Johann: En fait, avec Sylvain, on se connaît depuis longtemps parce que, au tout début d’EZ3kiel, il jouait dans un groupe qui s’appelait Manifold. C’était un peu nos petits frères. On a beaucoup joué ensemble sur Tours, dans les bars. On se côtoie depuis vingt ans!
Sylvain: Il n’y a pas eu d’audition. Enfin je ne sais pas, je n’ai pas eu l’impression… (rires)
Joan: Ce n’est pas facile de trouver un bassiste! Il n’y en a pas des masses qui ont une vraie personnalité.

Du coup, vous lui avez fait signer un contrat pour combien de temps?

Il y avait une date de péremption, mais on l’a brûlée! (rires)

Vous avez aussi collaboré avec Pierre Mottron sur cet album, qui est aussi tourangeau. Comment l’avez-vous rencontré?

On le connaît depuis un bout de temps puisqu’il avait un projet hip-hop avec le chanteur de Fumuj. Pierre faisait la musique. On était ami sur Myspace, et j’avais halluciné sur le son de ce groupe. Ensuite il nous a fait passer la musique de son projet Malnoïa, et on a vu le potentiel. On ne s’est jamais trop rencontré, il est assez discret et beaucoup plus jeune que nous, donc il doit rentrer tôt. (rires) C’est Yann qui a proposé de le contacter. Au début, on ne savait pas trop si on allait inviter des gens sur l’album, mais ça s’est fait super naturellement. On lui a passé une boucle avec juste une mélodie et quelques accords, Pierre a chanté dessus, et on s’est fait des échanges comme ça. C’est quelque chose qu’on n’avait encore jamais fait. Pour Laetitia Sheriff, on lui a envoyé le morceau, elle a chanté dessus et on n’y a pas touché. Il y a eu juste un aller-retour. Tant qu’on parle des invités, on va aussi remercier Pierre Bloch qui joue du violon sur ‘Born in Valhalla’ et ‘Dead in Valhalla’. On le connaît très bien, il était aussi intervenu sur ‘Naphtaline‘ et ‘Battlefield‘. On lui a filé les démos des morceaux, il a essayé plein de trucs. Le thème de violon était au départ joué sur ‘Born in Valhalla’. Par erreur, on l’a mis sur l’autre morceau et ça collait parfaitement! Il a fait les prises chez lui, avec son petit micro, dans sa cuisine.

D’où vient cette idée de Born et Dead in Valhalla? Un rapport avec le film ‘Valhalla Rising’?

Non, ça vient plutôt de la série ‘Vikings’.
Sylvain: On était à fond dedans quand on écrivait à ce moment-là, on a fait des parallèles!

Vous avez clairement la capacité à mettre du son sur des images. Qu’attendez-vous pour faire des BO de films?

On ne choisit pas, on attend les propositions!
Stéphane: On n’a jamais été approché par qui que ce soit. Pourtant, notre musique n’a pas vraiment d’étiquette, et tout ce qui est cinématique et qui fait appel à l’imaginaire, ça nous parle. On a pas mal de bouts de morceaux qui traînent, quelques idées où il n’y a pas forcément de gros son et où on pourrait y coller des images. On est prêt à se mettre au service de l’image et de faire de la musique originale pour ça, sans forcément replacer ce qu’on a déjà fait. On est capable de s’adapter à plein de choses.
Johann: En plus, on est à fond là-dessus, c’est vraiment quelque chose qui nous branche. On l’a fait un tout petit peu sur des courts-métrages et c’était un pur bonheur. C’est un peu pareil quand on nous demande pourquoi on ne tourne pas à l’étranger. Mais on ne sait pas pourquoi… On est prêt! Pour le cinéma, on a entendu plusieurs sons de cloche. Un éditeur nous avait dit: ‘Oui mais votre musique est trop cinématographique. C’est trop évident.‘» Merde alors! (rires)

Des groupes arrivent à trouver de bons compromis comme Zenzile et leurs ciné-concerts. Cela vous intéresse aussi?

Complètement!
Stéphane: On s’était dit qu’on ferait bien un ciné-concert . Ce n’est pas forcément une idée neuve mais c’est une bonne idée. J’ai écouté l’album de Zenzile qui est super, mais je serais bien curieux de voir le ciné-concert. On utilise parfois notre musique pour des courts, mais le fait qu’elle soit coupée, collée, c’est un peu frustrant. Nous ne sommes pas à cheval sur les edits, les gens sont libres d’utiliser notre musique comme ils le veulent, mais on préférerait se mettre au service de l’image et faire de la musique spécialement pour ça, composer une bande-originale.

Je vais vous prendre à froid, mais si vous aviez pu choisir de composer la musique d’un film, lequel auriez-vous pris?

Johann: ‘Ghost Dog’! Ce qu’a fait RZA pour ce film est superbe. J’adore les films de Jim Jarmusch. Neil Young sur ‘Dead Man’, c’est aussi impressionnant.
Stéphane: Moi je vise carrément la trilogie… ‘The Godfather’! Quand on était sur les arrangements du Naphtaline Orchestra, on s’était échangé les vidéos avec Jo. On parlait souvent de ce rapport de la musique à l’image. On regardait le film en coupant le son et inversement, puis on essayait de voir jusqu’où la musique pouvait porter le film. Au niveau de ce rapport, c’est vraiment un film qui me renverse. Il y a des thèmes qui sont déclinés, comme le thème du Parrain version mariage, version funérailles… C’est la même musique, mais ce n’est pas le même tempo, pas les mêmes arrangements… Il arrive à dépeindre une quantité de couleurs par rapport à un thème, et c’est un sujet sur lequel on a vachement échangé sur le Naphtaline Orchestra, justement pour arriver à avoir une palette ouverte que ce soit au niveau des instruments utilisés ou du sens que ça peut donner sur les images que Yann envoie. En tout cas, Nino Rota et le Parrain, c’est quelque chose qui a mis du carburant dans l’imaginaire.
Sylvain: J’adore aussi ce qu’a fait Mogwai pour la série ‘Les Revenants‘. Au début, connaissant le groupe, j’ai écouté la BO avant de voir la série, et je me suis un peu ennuyé. En visionnant la série, ça m’a sauté à la gueule et j’ai trouvé ça génial! Aujourd’hui, quand j’écoute la BO, je ne l’entends plus du tout de la même façon, je trouve que c’est une vraie réussite, qu’elle met la série en valeur.

C’est drôle parce que, dans votre dernier album, je trouve justement des similitudes avec ce que peut faire Mogwai…

Johann: Oh, pourtant on déteste… (rires) Pour revenir sur la musique de film en général, c’est vrai qu’on se sent très proche de cet univers parce qu’on a pas mal samplé de BO et de textes, et on a utilisé des titres des morceaux qui font référence à des films aussi.

Vous avez donc une culture cinématographique respectable…

Assez restreinte pour moi, je dois dire. J’essaie d’en regarder le plus possible, mais les BO, ça me touche beaucoup. La dernière que j’ai écoutée, c’est celle de ‘Only God Forgives’, elle est magnifique.

J’avais préféré celle de ‘Drive’!

Oui, elle est superbe aussi. Cliff Martinez avait aussi fait celle de ‘Solaris’ qui est énorme.

Il est vrai qu’une BO prend une autre dimension lorsqu’elle est confiée à un seul artiste, comme M83 sur ‘Oblivion’ récemment…

Stéphane: Oui c’est clair, un peu comme Mike Patton sur ‘The Place Beyond The Pines’. Il est super fort, il fait tout tout seul, tu as l’impression qu’il a un orchestre, et il a un point de vue sur l’imaginaire qui est assez puissant.

Peut-on encore dire aujourd’hui qu’il y a du dub dans Ez3kiel? Le terme de ‘petit alien du dub français’ revient encore parfois…

Johann: C’est vrai qu’on l’entend encore. Le dub a souvent été un prétexte et on a toujours été fan de mecs comme Adrian Sherwood et le label On-U-Sound. Ils ont pris le dub en se disant: il n’y a pas de texte, donc on va mettre des effets et toutes les influences qu’on a sur cette base basse-batterie. C’est aussi ce qu’on a fait. Et puis dub ou pas dub, on s’en fout finalement. On est toujours assimilé à une scène dub. Pourquoi pas? On a un peu émergé tous en même temps avec des groupes comme Zenzile, Brain Damage ou High Tone. Ce sont des gens qu’on aime bien, c’était un plaisir de se retrouver sur scène avec eux, mais on n’a jamais parlé de dub ensemble!

Vous aviez une résidence à Lille avec ‘Les Mécaniques Poétiques’. Que sont devenues toutes ces machines? (photo ci-dessous)

Elles sont en expo à Agen. Elles continuent à tourner, on les emmène! Elles seront peut-être à Metz bientôt.

J’ai récemment vu sur Youtube le mapping réalisé par Yann sur le château de Candé (photo ci-dessus). C’est extraordinaire! Cette expérience sera-t-elle renouvelée? Pourquoi pas en concert comme Amon Tobin sur sa tournée ‘Isam’?

Yann continue des mappings en parallèle. Mais le but serait de pouvoir faire des concerts devant des gros monuments. On viendrait avec le mur de lumière et, sur certains morceaux, on en sortirait pour que ça se diffuse sur le monument sous forme de mapping. C’est pour l’instant seulement une envie! Musicalement, ça nous permettrait aussi de faire autre chose.

Tu parles de monument… Quel serait le cadre idéal?

Stéphane: La cathédrale de Strasbourg!
Sylvain: Le mapping peut tellement transformer les bâtiments que, finalement, je ne sais pas s’il y a vraiment un cadre idéal. On a fait une résidence à Nancy pour préparer la tournée. Tous les soirs, il y avait un quart d’heure de mapping sur la place Stanislas. C’était hallucinant! Le lendemain matin, tu n’en reviens pas quand tu vois ces bâtiments un peu austères. Ça transforme tellement l’architecture originelle que, à mon avis, même sur une place lambda, si tu découpes bien les maisons, tu peux faire un truc de fou.


Tags:
Pas de commentaire

Poster un commentaire