Interview – Dope D.O.D., l’autre goût de la Hollande

Interview – Dope D.O.D., l’autre goût de la Hollande

Croyez-nous, on a hésité à interviewer les nouvelles icônes du hip-hop hardcore… Jouent-ils un rôle derrière leurs visages de serial-killers? Sont ils à ce point assoiffés de sang?… Il faut bien mourir un jour… Donc lorsque le costaud Skits Vicious – torse nu maculé de tatouages – nous ouvre la porte de la loge du Grand Mix, un rasoir trois lames dans la main et de la mousse encore fraîche sur la moitié du crâne, il est déjà trop tard pour faire demi-tour. Pendant que Dopey Rotten est scotché à son iPad, que DJ Dr Diggles écoute attentivement l’entretien, et que Jay Reaper roule des joints, notre homme répond finalement à nos questions le sourire aux lèvres, avec intérêt et gentillesse. Visiblement content d’être là pour libérer la bête qui est en lui, le groupe délivrera une fois de plus ensuite un show assassin dont la métropole lilloise se souviendra.

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What Happened? Que s’est-il passé chez Dope D.O.D. depuis février 2011, quand vous avez mis cette vidéo en ligne? Vous attendiez-vous à un tel buzz?

Skits Vicious: Quand tu sais que ce que tu fais est bon, tu peux toujours t’attendre à un buzz, même si tu ne peux jamais anticiper ce qui va arriver. Mais il s’est clairement passé quelque chose! Et vu qu’on a bossé dur pour en arriver là, ça laisse quand même un super bon sentiment. Ça nous a notamment permis de donner des shows partout dans le monde!

Dans les paroles du morceau “What Happened”, vous dites “When they are getting worse, I’m getting better” (pendant qu’ils deviennent mauvais, je deviens meilleur, ndlr)… De quoi parlez-vous? Du mauvais hip-hop d’aujourd’hui?

C’est Jay qui dit ça, mais je pense que je peux répondre à sa place pendant qu’il roule. A moins qu’il ne veuille absolument répondre lui-même… T’en penses quoi Jay?
Jay Reaper
: Je dis MERDE.
Skits Vicious
: (rires) Il est occupé… Même s’il n’est pas destiné à tout le monde, c’est comme envoyer un petit pic aux artistes old school qu’on adore. Que s’est-il passé? Pourquoi est-ce qu’ils ne règnent plus? Pourquoi est-ce aujourd’hui si différent de l’époque à laquelle tant d’artistes hardcore dominaient le rap? Ça n’a plus rien à voir aujourd’hui, tout est plus pop. C’est donc une petite provocation du genre: “haha regarde-moi, je suis frais et je fais ce que tu faisais avant!

dope2Crois-tu qu’on ait perdu quelque chose depuis ces vingt dernières années?

Je ne crois pas, le hip hop hardcore a toujours été là. Avec Dope DOD, je pense qu’on a la bonne attitude pour que les gens y reviennent. Mais ce n’est pas comme si on se ramenait en disant: “le hardcore est de retour et c’est nous qui le ressuscitons“. Ça, c’est aux gens de le décider, comme de dire ce qui est tendance et intéressant. Je pense simplement que ce qui manquait était un groupe de jeunes capable de relancer le mouvement et d’ouvrir la porte à d’autres artistes qui voudraient le rejoindre. Sans prétention, je suis convaincu qu’on a aidé à rallumer une flamme. De notre côté, on s’applique surtout à ne pas faire de la merde commerciale, décidée et formatée pour la télé, la radio ou n’importe quel autre média.

C’est vrai que c’est devenu horrible d’allumer la radio ou de regarder MTV aujourd’hui. Par contre, est-ce que cela vous surprend que votre son soit passé si vite d’une considération underground à une autre presque mainstream?

C’est cool ce que tu dis, c’est surprenant sans l’être. Nous, nous ne sommes pas surpris, et c’est ça qui est drôle. Ca peut paraître bizarre… Pour nous, c’est difficile de faire la part des choses entre underground et mainstream. Dans notre esprit, c’est presque du 50/50. Finalement, c’est aux gens de décider de ce que nous sommes, à condition qu’ils ne se fassent pas avoir. Ils sont tellement manipulés, on leur dit tellement ce qu’il faut qu’ils pensent…

Penses-tu que vous auriez eu le même succès sans cette vidéo?

Je suis sûr que non! On n’aurait pas pu faire tout cela sans la vidéo. Comme quoi ce n’est pas toujours une question de talent ou de renouveau hip hop. Ce qui manque aux gens, c’est le fait de pouvoir dire: “Yeah, j’adore ça, ces mecs sont mes héros!” (rires). Aujourd’hui, tout le monde peut faire une vidéo: je n’ai pas besoin d’être metteur en scène pour faire un clip, je pourrais écrire un script, apprendre à utiliser un logiciel… Mais tout est question de feeling. Les mecs avec qui on a bossé ont une touche cinématographique, ils voulaient être originaux, donner quelque chose de différent, et ils ont réussi.

Il y a aussi vos “Brutality Series” qui font un peu peur et dégagent une certaine violence, un peu à la manière de Chris Cunningham quand il bossait avec Aphex Twin. Penses-tu que les gens recherchent cette “violence esthétique”?

Je pense que la violence fait partie de cette putain de nature humaine. T’es pas d’accord? Récemment, je regardais des gosses jouer dehors, avec de faux couteaux, de faux flingues. Ils frappaient dans n’importe quoi. C’est dans la nature humaine de se sentir puissant, de devenir un modèle, et ça passe automatiquement par la violence. Tu te souviens de ce film avec Mickey Rourke dans lequel ils utilisent des haches, où le mec traîne la tête d’un autre sur le bitume en roulant…? “Sin City”! Je pense que cette belle violence marche dans pas mal de films. Les mecs aiment les bagnoles, les machines et, au même titre que la violence, ce sont des choses qui plaisent. Ce qui est différent chez nous, c’est qu’on y met beaucoup d’humour, un peu comme dans les films de Tarantino où tu te dis en même temps “noooon, ça ne peut pas se passer en vrai!” et “ça déchire!“. Tu n’essaies pas de prouver quoi que ce soit, c’est juste comme ça, ça peut s’apparenter à un trip psychédélique. Si tu en as déjà fait un, ce n’est ni sombre ni lumineux, il n’y a ni droite ni gauche, ni peur ni amour, c’est un tout. C’est profond! (rires)

Quand on lit des articles sur vous, on voit toujours revenir les mots “dubstep” et “grime”. Est-ce une bonne définition de votre musique selon toi?

Je ne suis pas sur qu’il s’agisse de la meilleure définition de notre son, mais c’est vrai qu’il y a des éléments de tout cela, notamment au niveau du beat. Pour moi, nous faisons du hip hop. C’est un mélange, mais c’est cool d’être intégré à cette nouvelle génération. C’est pourquoi on se considère nous-mêmes comme partie intégrante de la scène dubstep, dans laquelle même Korn intervient en travaillant avec Datsik, Downlink ou Skrillex. Excision nous laisse aussi utiliser son morceau “Execute” pour notre live show. C’est cool de faire à la fois partie de ce mouvement et du hip-hop. Comme Foreign Beggars qui rappe sur du Noisia, c’est génial.

dope5Le dubstep est devenu très hype. On peut en entendre des morceaux commerciaux l’après-midi à la radio. Penses-tu que ce phénomène vous a aidé à faire ce gros buzz?

Peut-être, mais je considère que ce sont surtout les gens eux-mêmes qui ont fait notre buzz. On ne l’a jamais réclamé. A mon avis, le dubstep a pris de l’ampleur parce que c’est un genre nouveau, pas seulement parce que c’est devenu à la mode. Quand les gens n’arrivent pas forcément à poser une étiquette sur une musique, ça fait généralement naitre un nouveau mouvement, et ils aiment en faire partie. Mais oui, bien sûr, ça nous a aidés.

Considères-tu que Dope D.O.D. soit né sur scène, et dans un environnement hip-hop?

Tout est venu très naturellement, c’est la scène qui nous a choisis! On adore ça. Aujourd’hui, tout le monde peut rapper. Tu peux rapper. Par exemple (il prend une voix de slam, ndlr): “I am sitting here in a room/I am using a broom/It’s almost twelve at noon…“. Tu vois, tout le monde peut le faire! (rires) C’est une question d’âme et de flow. Je pense que dans le rap d’aujourd’hui, certains se contentent juste de savoir rapper, et c’est une partie de la réponse à ta question. Ce n’est pas une question de couleur de peau, ni d’où tu viens, c’est plutôt un don. Les vrais MCs sont nés avec ça. Je te parle de Pharoahe Monch, Biggie Smalls… Tu disais que le rap était malade, et je pense que tu as raison, c’est le cas aujourd’hui aux Etats-Unis. On adore Boot Camp, BCC, Sean Price, Smif-N-Wessun… De vrais classiques! Ce sont eux les vrais MCs, et ça vient du cœur ce que je te dis.
Jay Reaper
: New York, Baby, New York!

Sur scène, qu’essayez-vous d’apporter en plus de l’énergie déjà dégagée par l’album?

Skits Vicious: On amène notre univers. Le live show est aussi dingue que nous…  On ne vient pas juste pour rapper, c’est un tout. En ce moment, on travaille sur des visuels pour donner plus d’impact au spectacle. Juste des extras, pour ne pas en faire trop. On ne veut pas juste distraire avec des images. Les gens verront les personnages qu’ils aiment et qu’ils ont découvert à travers nos vidéos. Dope D.O.D… Hardcore… Killer show… (sourire)

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Vous avez ouvert pour Korn et Limp Bizkit. Quel est le lien entre votre son et le leur? Pourquoi vous ont-ils choisis?

Parce que, ce qu’ils voient en nous, c’est ce qu’ils ont toujours été. C’est comme une “fuck everything” attitude, un style singulier. Et ce sont des fans de hip-hop! Bien sûr, ils aiment le rock et le métal mais, personnellement, je considère Fred Durst comme un rappeur! C’est lui qui fait le son de Limp Bizkit mais il a définitivement une touche hip-hop. On les a interpellés dans la mesure où ils voulaient quelque chose de nouveau. De la même manière que l’on est considéré comme faisant partie d’un mouvement hip-hop et dubstep, eux c’est plutôt métal et hip-hop. C’est cool de les avoir rencontrés, nous sommes potes maintenant!

Quelle a été la réaction du public quand ils vous ont vus débarquer avant eux?

La plupart du temps, c’était dur (rires). Nous avons fait de bons shows et d’autres où les gens avaient l’air de se demander ce qui se passait. Mais les premières parties, c’est souvent comme ça! Si tu es en support act dubstep ou hip-hop, tu peux croire que c’est plus facile. Mais tu vois, même Korn a eu du mal à imposer son propre dubstep! Les fans réclamaient leurs vieux morceaux! C’était audacieux de nous mettre en première partie. Tu vois, le deuxième support act de Limp Bizkit, c’était Psyko Dalek, des écossais qui font du nu-metal. Ils se sont ramenés sur scène avec batterie et guitare, en rappant comme Limp Bizkit. C’est bien, mais ils n’auront peut-être pas de feedback. Non pas parce qu’ils ne sont pas bons, mais parce que tu te dis: “Ok, encore un groupe de plus qui sonne comme Limp Bizkit…“. D’un autre côté, je pense donc que les gens se souviendront de nous parce qu’ils ne nous auront pas aimés (rires). Plus sérieusement, je pense qu’on aura marqué les esprits des fans qui ne s’y attendaient sûrement pas. On a fait parler de nous, c’est sûr. Et c’est d’autant plus kiffant de voir ces mecs d’abord fâchés ou surpris, de leur cracher nos lyrics à la gueule, de les provoquer jusqu’à les convaincre! On a eu plus de mal pendant la tournée de Limp Bizkit que pendant celle de Korn. Tu te dis que Korn c’est plus massif que Limp Bizkit mais, avec eux, on a eu seulement eu deux ou trois shows vraiment durs. Pour Limp Bizkit, c’était tout le temps difficile, sauf en Italie et en Autriche où c’était un peu mieux. Et ça c’est forcément mieux passé pour Psyko Dalek. Je ne dis pas qu’ils sont mauvais, au contraire, mais c’est plus facile pour eux étant donné qu’ils font du métal.

dope6Y a-t-il déjà un nouvel album dans les tuyaux?

Oui! Je peux t’en parler un peu. Je pense qu’il marquera le début d’une nouvelle ère. Pour moi, “Branded” était une introduction. On y a travaillé pendant trois ans avant que “What Happened” ne sorte, et même après on était encore dessus. Maintenant, on gagne du fric en faisant des concerts, on peut alors travailler plus vite et plus efficacement. On peut plus facilement aller en studio et avoir de meilleurs beats, un meilleur mastering, même si on fait toujours les trucs qu’on aime, tout ce que tu peux voir dans le clip de “What Happened”. Nos vies quoi! On va le finir en 2012, c’est notre objectif. On ne sait jamais avec la fin du monde… (rires). Mais je sais qu’on va apporter quelque chose de nouveau. Et je promets que ce sera encore plus dingue que “Branded”. Pour l’instant, on a quatre morceaux bien malades.

Si vous étiez libres de choisir un beatmaker pour le prochain album, qui choisiriez-vous?

Je dirais Noisia. On vit dans la même ville qu’eux. Ils ont toujours été avec nous, on se croise souvent aux soirées. J’ai envoyé un cd à Erick Sermon aux Etats-Unis, il m’a demandé de le recontacter. On est aussi fans de Def Squad, Redman, d’autres producteurs hip-hop old school… Ce serait énorme. Vous en pensez quoi les gars?
Dopey Rotten: Rusko!
Skits Vicious: Ouais Rusko, dans un autre style!

EN CONCERT A ROCK EN SEINE LE 26 AOUT 2012


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