Interview – Dennis Lyxzén, Umeå written in Gasoline

Interview – Dennis Lyxzén, Umeå written in Gasoline

On est parti dans le Norrland, sur les traces de Dennis Lyxzén, l’homme orchestre du Punk suédois. Ny Våg Records, le miracle socialiste, Refused, le Straight Edge scandinave, et les kids du royaume du bouleau… Retour vers le futur d’Umeå, l’étonnante capitale européenne du Punk-Hardcore, en compagnie du patron.

Umeå, la scène, les kids… Peux-tu nous planter le décor de l’époque rapidement?

Dennis Lyxzén: Le mouv’ originel était naïf, car nous étions très jeunes. Et puis très isolés également. Regarde, moi je me suis retrouvé dans le punk-rock vers 1987. Un an plus tard, Youth of Today jouait dans le sud du pays. Je venais de péter ma board et je devais faire un choix, terrible. Me payer le voyage pour voir les ricains ou me racheter une deck… Et finalement, j’ai craqué pour un nouveau skate. Des potes à moi m’ont raconté le show, m’ont parlé de ce nouveau truc, le Straight Edge. Ils m’ont dit à quel point c’était cool. J’ai épluché les lyrics de Youth Of Today, et je me suis senti concerné, ça m’a tout de suite parlé. Minor Threat ou 7 Seconds ont ensuite déboulé très vite dans nos playlists. Mais nous n’étions pas frappé d’idéologie, de celle qui innervait par exemple le Youth Crew américain. On ne pouvait même pas parler alors d’un mouvement constitué. Je suppose que traîner avec des punks à nos débuts a fait de nous de jeunes anarchistes. Et même si écouter les Dead Kennedys m’a amené à lire Chomsky, je n’ai jamais été mu initialement par un projet politique. L’organisation non-profit et Do It Yourself s’est immiscée dans nos vies de façon naturelle, parce que nous n’avions pas d’autres choix pour faire connaître notre musique. À l’époque, nous n’étions qu’un poignée de kids. Lorsque nous avons monté Step Forward (formation suédoise culte, fondée en 1989 par Dennis et ses potes, vidéo ici) et joué notre premier concert, personne n’écoutait de Hardcore à Umeå.

Comment est-ce que tu expliques les événements qui ont suivi? L’engouement de cette petite ville scandinave qui s’est embrasée si intensément pour cette musique?

Le système éducatif suédois y est pour beaucoup. Nos écoles privilégient les pratiques créatives et encouragent les gamins à s’exprimer, sans juger, classer ou noter ces élans. Ce facteur joue beaucoup. N’importe quel kid est parfaitement bilingue et peut chanter dans un anglais impeccable, ça aide quand tu veux faire du Rock’n Roll. Même si je suis un grand fan de Punk français. Les Guilty Razors déboîtent! Bref. Par ailleurs ici, les institutions locales aident et soutiennent véritablement n’importe quel jeune qui aurait besoin d’instruments de musique ou d’un lieu de pratique ou d’enregistrement. Là aussi, de fait, les activités musicales s’en trouvent dynamisées.

Le miracle socialiste suédois?

J’en sais rien. Possible. Structurellement, je pense que notre isolation géographique est également une des clefs de compréhension du phénomène. Umeå est une ville très retirée du pays. On naît et on grandit à 8 heures de caisse de la capitale, imagine! L’obscurité, le froid, la solitude, le soleil qui ne se couche quasiment plus en été… Ces éléments naturels ont modelé les gens dans un contexte social très singulier, qui te pousse à avoir un état d’esprit très ouvert. La curiosité et l’avant-garde sont des pures réponses suédoises à l’hiver! D’une dizaine de punks, on est vite passés à une vingtaine de hardcoreux, dans un espèce de gonflement exponentiel, qui impactait aussi le nombre de groupes. En 93-94, la jeunesse d’Umeå était tellement impliquée dans le Straight Edge, le veganisme ou la libération animale, que certains parents ont pris peur… Ce que je peux comprendre compte-tenu de la moyenne d’âge du moment, qui ne dépassait pas les 15 piges. Les kids rentraient à la maison et se confrontaient au monde adulte avec des discours super radicaux par rapport au droit des animaux ou aux habitudes alimentaires. Dis toi que la cantine scolaire devait même adapter ses menus! Lorsque la presse suédoise s’est emparée des événements, la scène a vraiment basculé dans la controverse. Les médias se vautraient dans le sensationnel, mélangeaient tout et racontaient n’importe quoi. Les journalistes nous piégeaient pour monter des reportages bidons, nos interviews étaient sorties de leurs contextes et montées de façon malhonnête… L’idée ambiante était de nous montrer du doigt comme des freaks, des hardcoreux militants possédés par des hare-krishna. Il n’était jamais question de musique. Leur ligne éditoriale était toujours dévalorisante et exagérée. Alors que de l’intérieur, en vrai, c’était que du fun. La scène était, peut-être plus qu’à n’importe quelle autre période de l’histoire musicale de la ville, ouverte, tolérante et hyper-accueillante pour les nouveaux-venus. Si tu étais un ado d’Umeå, ça te poussait vraiment à monter un groupe ou un fanzine. C’est d’ailleurs face à cette presse à scandale qu’on a monté nos propres support de com’ et de médiation. On avait besoin de se réapproprier notre propre narration, notre propre histoire. L’envie d’en être, l’envie de participer, c’est cette dimension incluante et pleine de sing-alongs qui rendait le mouvement si attractif et cool.

Le clip ‘Pump The Brakes’ (voir ici) reflète vachement cet état d’esprit…

Carrément! Quand tu mates cette vidéo, tu t’aperçois que tout le monde se marre en fait. La scène et les groupe d’Umeå, même s’ils ont pu changer des destins de vie par leurs potentiels politiques et l’engagement de certains de leurs membres, demeuraient surtout des espace-temps dédiés au fun. On a tendance à l’oublier aujourd’hui. Après, certains venaient pour le fun tandis que d’autres prenaient les choses de façon beaucoup plus sérieuses.

Trop sérieuses?

Tu sais, derrière le fun se cachent les notions d’amusement et de plaisir. Et je crois que ces questions, finalement, ont mi fin à Refused. D’une certaine manière. Vers la fin du groupe, les gars bossaient des morceaux pendant des heures, tandis que moi, je voulais uniquement que Refused soit le porte-voix de la Révolution… Et ça nous a tué. Sérieux, j’avais perdu la tête (rires)! Je me suis égaré. C’était devenu trop sérieux. Personne n’a envie de faire un groupe avec un mec comme ça. J’avais perdu de vue le but premier de Refused, qui était de faire de la musique et de s’éclater.

Et aujourd’hui?

Aujourd’hui, la scène d’Umeå est plus restreinte, plus consciente et politisée. Le local de répétition que nous avions avec Refused s’est ouvert en 1995. Depuis cette date, plus d’une quinzaine de groupes d’Umeå qui jouent dans ce sous-sol sont déjà partis en tournée aux Etats Unis. C’est dingue pour une si petite ville! La scène actuelle est moins exubérante côté live que dans les nineties, il y a moins de shows en ville, mais nous tournons beaucoup. Je pense que le mouvement est plus conscient, ses activistes ont plus de recul. Fukushima, Holy, Lycka Till, Die INVSN, Bad Nerve, les groupes d’Umeå produisent désormais de meilleurs albums et dans de meilleures conditions. On vit une nouvelle vague de l’histoire d’Umeå, c’est cool aussi.

Dennis Lyxzén, les groupes du label Ny Våg et les murs d’Umeå vous attendent dans le webdocumentaire “The Rising”, à venir très prochainement : www.umea-scene.com

Toutes les images sont signées Gianni Manno (skewww.tumblr.com). Big Up à Romain Bzm Massé.


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