Interview – Dälek, retour au bruit

Interview – Dälek, retour au bruit

Les derniers soubresauts sonores de Dälek se sont fait entendre il y a sept ans, à l’issue d’un concert donné en terre suisse. Au bout de la setlist, la fin d’un show et le début d’une longue pause pour Oktopus et MC Dälek, après des années de tournées et d’albums remarquables, étendards d’un hip hop expérimental qui fascinait par sa densité et sa noirceur.

Cette année, les soubresauts ont repris il y a un peu plus d’un mois avec la sortie de ‘Asphalt For Eden‘, nouvel album qui signe le retour de Dälek pour sept morceaux (re)connectant immédiatement avec le son du groupe de Nemark. Retour, pause, enregistrement, influences, état du monde et amour du hip-hop : on a brassé large avec Will aka MC Dälek le temps d’une liaison Paris-New York.

Will, c’est bon d’entendre de nouveau Dälek après sept ans d’absence. On a du beaucoup te poser la question mais, est ce que tu peux revenir sur ce qui a mené Dälek à ce long break ?

Will Brooks : En gros, on en était arrivé à un point ou nous avions besoin de faire un break dans nos carrières, et vivre de manière différente pour un petit moment. Moi et Oktopus, nous étions un peu cramés par les tournées et le fait d’être constamment sur la route.

Quand avez vous pris cette décision ?

On en parlait depuis un petit moment, même si notre rythme de vie ne semblait pas prêt à ralentir. Le dernier show que nous avons fait était en Suisse, après un festival. Là, on s’est dit que c’était surement le dernier. Mais après ça, on a fini par ouvrir pour Tool, parce que c’est une opportunité qui n’arrive pas tous les jours.

Pendant cette période où tu étais éloigné de Dälek, sur quels projets as tu travaillé ?

J’ai commencé à travailler et à tourner avec iconAclass qui est un projet plus purement hip hop, orienté boom-bap, et j’ai aussi bossé sur un autre projet appelé Fill Jackson Heights avec Mikey Manteca qui joue maintenant dans Dälek. Ce sont des instrumentaux très lents, presque shoegaze.

Tu as aussi bossé sur une BO non ?

Oui, Oktopus et moi avons bossé sur la BO d’un film qui s’appelle Lilith. J’ai fait d’autres boulots avec le réalisateur de mon côté. D’ailleurs, le premier nouveau morceau de Dälek que nous avons composé était pour son film qui s’appelait 6 Angry Women, un morceau qui s’appelait ‘Police State Is Nervous’. Ca a été le premier titre que nous avons sorti avec le nouveau line up du groupe. J’ai aussi fait pas mal de remixes, de mastering, de productions. Dire que j’ai fait un break n’est pas tout à fait juste : j’ai fait un break avec Dälek, mais je n’ai pas du tout pris mes distances avec la musique.

Est ce que tu penses que tous ces différents projets t’ont ouvert de nouvelles perspectives pour ‘Asphalt For Eden’ ?

Oh oui, absolument ! Mais ça a toujours été le cas, depuis nos débuts. Tous les différents projets sur lesquels Oktopus et moi avons travaillé ont eu une influence sur ce que nous avons fait par la suite. Non seulement du point de vue sonore, mais également technique.

Est ce que tu as le sentiment qu’un projet a eu plus d’influence qu’un autre ?

Non pas vraiment. En revanche, même si je les aime beaucoup, tous ces projets différents m’ont rappelé combien j’aime le son de Dälek, et à quel point ça m’a manqué de faire ce hip hop expérimental. C’est ce qui m’a donné envie de réactiver le groupe et de travailler sur de nouveaux morceaux. Sans ce break, je pense qu’il aurait été facile de se cramer et de dire adieu à ce projet. On en avait besoin pour recharger les batteries et attaquer les choses avec une nouvelle perspective, et je pense que le dernier album parle de lui même.
Je pense qu’on a toujours été honnête avec la musique et l’amitié. Oktopus, c’est mon frère, mais on avait vraiment besoin d’arrêter pour un moment. On a fait des choses variées chacun de notre coté. Maintenant, il fait son truc avec Background Audio et MRC Riddims. Je pense que c’est important pour un musicien de trouver en quelque sorte ce qu’il veut vraiment être. La pire chose qui puisse arriver, c’est de se retrouver bloqué dans un certain son. Et au delà de ça, pour le bien de notre amitié et de notre santé mentale, s’éloigner était vraiment une bonne idée à l’époque.

Quand est ce que le désir de raviver Dälek s’est déclenché en toi ?

Durant la tournée avec iconAclass. Je rajoutais un ou deux morceaux de Dälek dans la tracklist, et j’ai vraiment aimé les rejouer en live. On jouait les titres moins bruyants, qui pouvaient s’intégrer au son de ce nouveau projet, et ça a déclenché l’envie de travailler sur de nouveaux morceaux. Une fois de retour en studio, on en a composé deux, ‘Masked Laugther’ et ‘Police State Is Nervous’, et ça s’est passé de manière organique. On a commencé par en faire un, puis on s’est dit qu’on devrait peut être faire un EP. On a composé deux morceaux, puis deux autres, et durant l’enregistrement, on en a fait trois autres. C’est comme ça qu’on s’est retrouvé avec un album. ‘Asphalt For Eden’ ne représente qu’un tiers du matériel que nous avons composé, donc le prochain est déjà bien avancé. Vous n’êtes pas prêt d’être débarrassé de nous !

Tu parlais de fluidité tout à l’heure. Quand j’ai écouté ‘Asphalt For Eden’, j’ai retrouvé tous les éléments qui font le son de Dalek : le coté noisy, avec ce volume très dense. Est ce que c’est quelque chose qui est venu naturellement ? Au début de l’enregistrement, est ce que tu étais soucieux de retrouver de nouveau ton son ?

Non, pas vraiment. Comme je l’ai dit, s’il y avait eu un souci durant tout ce procédé, je ne l’aurais pas fait. Je suis très protecteur envers ce que nous avons créé par le passé, ce que nous avons accompli, et je n’aurais rien sorti qui n’en vaille pas la peine. C’était mon seul souci : ‘est ce qu’il s’agit d’un album de Dälek ? Parce que si ce n’est pas le cas, donnons lui un autre nom’. Je voulais qu’il sonne comme Dälek, mais de manière actuelle. Il y a clairement des éléments qui font partie des anciens disques, mais il a aussi sa propre identité sonore, et j’en suis très content.

Et en studio, sans Oktopus, quel type de relation y avait-il entre vous trois ? Est-ce que tu as senti des différences pendant le processus de composition ?

Mike Monteca et DJ rEK ont toujours fait partie de Dälek d’une manière ou d’une autre. Ce n’était pas vraiment des nouveaux membres, juste des personnes ravies d’endosser de nouveaux rôles. Monteca avait l’habitude de jouer de la guitare en live pour nous. Pour nos précédents albums, il était toujours dans le coin pour enregistrer quelques parties. Ces gars connaissent le son de Dälek, ils savent de quoi ça parle. On avait déjà une relation de travail, et on avait déjà cette dynamique en studio de toute façon. C’était très fun d’enregistrer ces morceaux. Ce n’était pas du travail. Nous avons passé du temps dessus, mais tu peux entendre qu’on s’est amusé à les faire. En ce qui concerne les différences, il y en a toujours dès que tu travailles avec de nouvelles personnes. Je dirais que, en tant que producteur, Oktopus a une vision globale de ce que doit être un album. Quand on commençait un disque, il avait déjà une vision préconçue, et nous nous efforcions de la concrétiser.
Pour celui-ci, on a voulu voir jusqu’où on pouvait aller en laissant les choses arriver, en ajoutant parfois trop de couches, quitte à revenir en arrière après. On fonctionnait pas mal par accumulation, jusqu’à que le morceau soit presque saturé, et qu’on finisse par le scalper. Je crois que nous avions besoin de laisser les choses avancer d’elles mêmes pour trouver ce nouveau son.

Qu’est ce que tu voulais faire avec ton projet hip hop iconAclass ?

Je voulais créer quelque chose qui soit plus en rapport avec mon amour pour le rap. J’ai grandi au son du hip hop new yorkais, de cette saveur boom-bap.

Qu’est ce que tu écoutes comme hip hop actuellement ?

Un de mes rappeurs préférés en ce moment, c’est Ka, de Brooklyn. Je pense que c’est un des rappeurs les plus incroyables qui existent actuellement. Sean Price aussi, que j’écouterais toute ma vie. Son décès est vraiment une grande perte, c’est fou de voir à quel point sa musique est intemporelle. Joell Ortiz de Brooklyn également… Le ‘Untitled…’ de Kendrick Lamar, Large Professor

Tu connais Roc Marciano ?

Oui, il est très proche de Ka. Il a aussi un nouveau projet, Dr Ken Lo ?

Dr Yen Lo.

Oui, je l’ai beaucoup écouté, je trouve que c’est fantastique. J’ai grandi en écoutant du hip hop new yorkais et ça me suit encore aujourd’hui. J’aime beaucoup le son de Detroit aussi. Un mec comme J Dilla a influencé à peu près tout le monde. Il se passe aussi beaucoup de choses à Los Angeles avec le label de Flying Lotus, ou encore Kendrick. Quand les gens me disent qu’il n’y a plus rien de bon à écouter, je leur réponds qu’ils ne savent juste pas ou chercher. Ça me rend fou parce qu’on n’a pas assez de temps pour tellement de bonne musique à écouter.

Lors d’une vieille interview, tu disais que tes textes étaient censés refléter une sorte de panorama mondial. Avec les élections présidentielles et la situation mondiale, tu ne devais pas avoir de mal à trouver l’inspiration non ?

Mes textes sont sombres et engagés, et ils coïncident bien avec l’époque, même si j’aimerais que ça ne soit pas le cas. Le disque reflète le fait que, lorsque tu vieillis, tu réalises que la vie tourne en rond. Par exemple, pendant les années 60, les gens étaient éveillés politiquement, l’Amérique se réveillait. Durant les années 70, la population s’est endormie. Dans les années 80-90, ils se sont réveillés avant de se rendormir pendant les années 2000. Et ça continue, même si j’ai l’impression que les gens sont plus conscients ces derniers temps, parce que les choses vont mal. Mais quand tu réalises que c’est une incessante répétition, tu ne peux pas t’empêcher de te demander si nous allons continuer à vivre ainsi. Est-ce que les choses vont changer ? Est-ce que ça va être une période marquée par un éveil social ? Où est ce que tout le monde va retourner dormir ?

Dälek a fait un album avec le groupe Faust, vous êtes liés à Mike Patton, tu as ouvert pour Tool… Avec le recul, quelle a été l’expérience la plus enrichissante pour vous ?

Nous avons été assez chanceux de pouvoir rencontrer la plupart de nos idoles, des musiciens incroyables, et d’être capable de travailler avec eux. C’est très dur de sortir une expérience du lot, elles ont toutes eu beaucoup d’influences. Sans Mike Patton et Ipecac, je ne serais pas là en train de te parler. Je serai éternellement reconnaissant envers Mike de m’avoir signé sur un label qui a permis aux gens de nous découvrir.
Pour Faust, c’est fou, encore aujourd’hui. Je peux les considérer comme des amis à qui je peux demander des conseils sur n’importe quoi, ce qui est plutôt incroyable. Avoir été capable de travailler sur un album avec eux, ça a changé ma vie. Et ouvrir pour Tool… Je n’avais jamais joué dans des stades avant. J’ai fait des festivals en Europe ou il y avait plus de gens, mais c’est différent quand c’est en extérieur : le nombre de personnes ne t’affecte pas de la même manière. Dans une grande salle comme ça, ils sont plus près, ils te regardent, c’est un sentiment différent. Voir un groupe de ce niveau, c’est vraiment un apprentissage. Donc vraiment, je ne peux en choisir une. Ce sont vraiment des expériences marquantes avec de petits et de gros artistes. À la fin de la journée, c’est la somme de ces expériences qui compte, et c’est dur de s’éloigner de ça. Voyager, enregistrer, rencontrer d’autres musiciens, expérimenter… C’est ça qui te motive, qui te touche. Et j’ai eu la chance de pouvoir faire ça.

Le coté noisy de Dalek semble avoir influencé des groupes actuels comme Death Grips ou Clipping. Comment est-ce que tu vois ça ? Aimes-tu ces groupes ?

Ces groupes sont supers, mais cette question me semble toujours un peu bizarre. Je peux voir l’influence. Et si nous avons réussi à toucher des gens de quelque manière que ce soit, c’est incroyable parce qu’on était loin de penser à cela à nos débuts. Mais en même temps, ils ont tous leurs propres sons, leur musique va dans une autre direction, surtout Death Grips et Clipping qui ont vraiment un son West Coast que nous n’avons pas. Clipping à ce coté funk, mixé à une approche punk rock. D’ailleurs, je pense que le punk les a plus influencés que nous. Quant à Death Grips, c’est génial que des groupes comme ça jouent dans de grosses salles. C’est super pour des groupes comme Dälek ou Blackie. Il y a beaucoup plus de groupes qui développent ce hip hop noisy aujourd’hui que lorsque nous avons commencé. Au début, c’était juste nous, Techno Animal, New Kingdom et aussi Company Flow.

Après toutes ces années, penses-tu être plus reconnu en Europe qu’aux Etats Unis ?

On va se concentrer sur les Etats Unis cette année, parce qu’on les a un peu négligés. Nous avons passé beaucoup de temps en Europe, en France tout particulièrement. Vous avez été trop gâtés les mecs ! J’aime l’Europe, j’aime la France, mais maintenant nous voulons nous concentrer sur des festivals et des dates aux Etats Unis. Tu es probablement la première personne à qui je dis ça, mais nous faisons un show spécial à Paris le 9 juillet, au 104, pour une nuit New York. Il y a quelques performances avec des artistes que je respecte, ça devrait être annoncé bientôt. On a confirmé hier donc on sera là pour quelques concerts, au moins cet été.

Dernière question : quelle est la pire qu’on t’ait posé en interview ?

Ahah, c’est arrivé l’autre jour : on m’a demandé si Snooky du Jersey Shore était marié. J’ai rigolé et j’ai dit que je ne connaissais rien à cette émission.


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